Chapitre 11 : Les conditions d’engagement de la responsabilité

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Ces conditions apparaissent les mêmes qu’en droit civil.
Pour que la responsabilité d’une personne publique soit engagée :
> un fait dommageable ;
> un dommage ;
> un lien de causalité entre les deux.

En droit administratif, il y a des spécificités. La responsabilité sans faute y tient notamment une place très importante.

Section 1 : Le fait dommageable

§ 1. L’imputabilité du fait dommageable

A – L’imputabilité entre personnes publiques

En théorie, la personne publique qui est responsable et a vocation à réparer le dommage est celle dont les services / les agents / les actes juridiques sont à l’origine du dommage.

Il existe cependant des hypothèses dans lesquelles cette imputabilité est plus délicate à déterminer, notamment en présence de plusieurs personnes publiques.

1) La responsabilité du fait de l’exercice des fonctions juridictionnelles

Lorsqu’est en cause la fonction juridictionnelle, la responsabilité ne peut être que celle de l’État, puisque la justice est rendue au nom de l’État.
C’est important parce qu’il arrive que la fonction juridictionnelle soit exercée par des organes relevant d’autres personnes publiques.

Exemple : les sections disciplinaires au sein des universités, chargées de juger les fautes commises par les étudiants et personnels de l’université. Jusqu’à récemment, ces sections disciplinaires étaient de véritables juridictions administratives spécialisées.

Dès lors qu’on souhaite engager une action en responsabilité du fait d’un mauvais fonctionnement de ces juridictions spécialisées, l’action en responsabilité ne peut être engagée que contre l’État.
C’est ce qu’à rappelé le Conseil d’État dans son arrêt Popin (2004).


2) L’usage des pouvoirs de substitution d’action

Si un maire ne prend pas une mesure de police qu’impose la situation : après mise en demeure d’agir, le préfet se substitue au maire. Mais manque de bol : la mesure prise par le préfet cause un dommage et quelqu’un engage une action en responsabilité.
L’action doit alors être portée contre la commune.


3) La délégation de service public ou de l’exploitation d’un ouvrage public

En principe, c’est au délégataire qu’il incombe d’assumer la réparation du préjudice (l’action est généralement portée devant les juridictions judiciaires).

Conseil d’État, 2000, Agofroy :
Si le délégataire est insolvable, la victime peut engager à titre subsidiaire la responsabilité de la collectivité publique délégante.


4) L’acte dommageable est un acte d’exécution du droit de l’Union européenne

Conseil d’État, 2004, Gillot :
Dès lors que l’acte dommageable est la conséquence directe et inéluctable d’un acte de droit dérivé de l’Union européenne, de telle sorte que l’autorité administrative ne disposait d’aucun pouvoir d’appréciation dans sa mise en œuvre, cet acte ne peut pas engager la responsabilité de l’État.
Voir L’imputation de la responsabilité du fait de l’exécution nationale d’actes communautaires, observations sur CE Sect., 12 mai 2004, Société Gillot.


5) Est en cause une activité à laquelle collaborent plusieurs personnes publiques

Dans l’hypothèse où sont en cause des fautes commises par plusieurs personnes publiques, la victime pourra engager une action en responsabilité pour l’ensemble de son préjudice contre une seule de ces personnes publiques.

Exemple : un détenu décède dans la cellule à la suite de fautes commises par l’établissement pénitentiaire + l’hôpital.

B – L’imputabilité entre la personne publique et son agent

De manière générale, il y a un fil rouge : permettre à la victime d’engager la responsabilité de l’administration plutôt que celle de ses agents, même dans des hypothèses où elle n’a rien à se reprocher.
Objectif : favoriser l’indemnisation de la victime, avec le constat que l’administration est toujours plus solvable que ses agents.

Il faut maîtriser 2 distinctions :

  1. La faute de service // la faute personnelle ;
  1. L’obligation à la dette // la contribution à la dette.

1) Faute personnelle et faute de service

L’explication de cette distinction est liée au système mis en place par la constitution du Consulat : la garantie du fonctionnaire = dès lors qu’une personne souhaitait mettre en cause la responsabilité des agents de l’administration pour des faits relatifs à leurs fonctions devant la juridiction judiciaire, on devait obtenir l’autorisation du Conseil d’État.
Ce régime a été abrogé par un décret-loi du 19 septembre 1870.

Problème : dès lors qu’il n’y avait plus besoin de l’autorisation du Conseil d’État, il y avait le risque que la responsabilité des agents de l’administration soit systématiquement engagée devant les juridictions judiciaires dans un contexte de responsabilité des agents de l’administration.

Tribunal des conflits, 30 juillet 1873, Pelletier :
Pour éviter ce contournement, le Tribunal des conflits pose le principe suivant lequel ce décret-loi “n’a pu déroger au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires (voir la suite du cours) et donc attribuer au juge judiciaire la connaissance d’actes effectués dans l’exécution de leurs services par les agents de l’administration”.
Autrement dit, dès lors que sont en cause des actes des agents de l’administration commis dans le cadre de leur service, ils ne peuvent pas être poursuivis devant le juge judiciaire.

→ Distinction entre la faute de service et la faute personnelle.

Aujourd’hui, on considère qu’il y a 2 types de fautes personnelles :

  1. La faute commise en dehors du service ;
    Exemple : un accident de la route provoqué par un agent avec son véhicule personnel en dehors de ses heures de service.
  1. Le faute commise à l’occasion du service, mais considérée comme détachable de ce service.
    Elle est détachable pour 2 raisons : soit parce qu’elle est d’une particulière gravité, soit parce qu’elle manifeste de la part de l’agent une intention de nuire.

Tribunal des conflits, 1908, Girodet contre Morizot :
Propos obscènes tenus par un instituteur dans sa classe.
On considère qu’il s’agit d’une faute personnelle compte tenu de sa particulière gravité.

Tribunal des conflits, 1935, Thepaz :
Le simple fait que le comportement d’un agent est constitutif d’une infraction pénale n’entraîne pas la qualification de faute personnelle.
Exemple : lorsqu’un fonctionnaire au volant d’un véhicule de service commet une faute de conduite.

Tribunal des conflits, 1935, Action française :
Le simple fait que le comportement d’un agent est constitutif d’une voie de fait n’entraîne pas automatiquement la qualification de faute personnelle.

Il arrive qu’à l’occasion d’un dommage, on trouve à la fois une faute de service et une faute personnelle. C’est l’hypothèse du cumul de fautes, qui est assez courante.

Conseil d’État, 1911, Anguet :
Un bureau de poste ferme alors qu’un usager est encore dans les locaux ; des agents constatent sa présence alors qu’ils sont en train de manipuler des fonds et l’expulsent violemment. Il engage une action en responsabilité.
Dans cette affaire, le Conseil d’État a reconnu l’existence de 2 fautes : une faute personnelle des agents (qui ont été violents) + une faute de service (en raison de la fermeture anticipée).

L’intérêt d’identifier un cumul de fautes : ça permet à la victime de pouvoir engager son action en responsabilité devant la juridiction administrative pour demander l’indemnisation de l’ensemble de son préjudice.
Ensuite, l’administration pourra se retourner contre ses agents.

Conseil d’État, 2002, Papon :
En 1942-1943, Maurice Papon est secrétaire général de la préfecture de la Gironde. Il participe à l’organisation de convois pour déporter des juifs vers l’Allemagne.
Un procès pénal a lieu et il est condamné pour complicité de crimes contre l’humanité ; il est aussi condamné civilement à indemniser les descendants de déportés.
Il considère qu’il n’était qu’un agent de l’administration et engage une action devant les juridictions administratives pour obtenir la condamnation de l’administration à lui rembourser les sommes auxquelles il a été condamné devant le juge pénal.

Le Conseil d’État considère qu’à l’origine du préjudice supporté par les victimes, il y avait à la fois une faute personnelle de Maurice Papon et une faute de service (= une faute de l’État).

💡
En cas de faute de service, c’est la responsabilité de l’administration fautive qui est engagée. Puisque la préfecture de la Gironde est un service de l’État, c’est ici l’État qui est responsable.

La faute à double face est l’hypothèse dans laquelle un même comportement peut être qualifié de faute personnelle et de faute de service.
Exemple type :

Conseil d’État, 1918, Époux Lemonnier :
Une fête de village est organisée avec notamment un stand de tir, qui a été mal placé, de telle sorte que certaines balles continuent leur course jusqu’à une promenade située plus loin.
Le maire de la commune est prévenu et ne fait rien ; plus tard, une femme reçoit une balle dans le visage émanant de ce stand de tir.
Est-ce une présence d’une faute personnelle du maire ou de service (= de la commune) ?

Le Conseil d’État considère que la carence du maire à agir pour être qualifiée à la fois de faute personnelle et de faute de service, ce qui permet de donner à la victime une option concernant l’action en justice.
Pour obtenir réparation de son préjudice, elle peut soit agir en responsabilité civile contre le maire, soit agir en responsabilité administrative contre la commune.

Cette jurisprudence Lemonnier est tombée en désuétude en raison de l’affirmation d’une autre jurisprudence du Conseil d’État qui s’est développée à partir des années 1940, qui permet de parvenir au même résultat sans passer par l’idée de faute à double face :


2) Obligation et contribution à la dette

La distinction entre l’obligation à la dette et la contribution à la dette est essentielle pour comprendre ce qu’est le droit positif.

Toute la jurisprudence administrative sur la responsabilité est fondée sur la nécessité de permettre à la victime d’obtenir une indemnisation en favorisant l’action de cette victime contre la personne publique.

L’obligation à la dette, c’est contre qui la victime peut engager une action en responsabilité.
La contribution à la dette, c’est qui va en définitive supporter le coût de l’indemnisation de la victime.

a) L’obligation à la dette

Contre qui peut agir une personne qui s’estime victime d’un dommage consécutivement à l’action de l’administration ou de ses agents ?
En présence d’une faute de service, l’action doit être portée contre l’administration.
En présence d’une faute personnelle, l’action doit être portée devant le juge judiciaire contre l’agent.

En cas de cumul de faute ou de faute à double face, la victime a une option ; elle peut donc engager une action en responsabilité contre la personne publique pour obtenir l’indemnisation de l’ensemble de son préjudice.

Conseil d’État, 1949, Mimeur :
Le Conseil d’État dégage une nouvelle notion : “la faute personnelle non dépourvue de tout lien avec le service”.
Il résulte de cette jurisprudence que lorsqu’il y a à l’origine du dommage seulement une faute personnelle de l’agent, mais que cette faute personnelle n’est pas dépourvue de tout lien avec le service, la victime pourra engager l’action devant le juge administratif contre l’administration pour obtenir l’indemnité.

Pour se trouver dans cette situation, il faut que la faute personnelle ait un lien matériel, spatial ou temporel avec le service.
Le lien matériel : lorsque le dommage a été provoqué à l’aide des moyens du service.
Le
lien spatial : lorsque les faits ont été commis sur le lieu du service.
Le
lien temporel : lorsque les faits ont été commis pendant les heures de service.

Cette jurisprudence Mimeur permet ainsi d’engager une action contre la personne publique devant le juge administratif alors qu’il n’y a pas de faute de service, mais uniquement une faute personnelle de l’agent à l’origine du dommage.

2 illustrations de la jurisprudence Mimeur :

Conseil d’État, 1951, Laruelle et Delville :
Un policier tue accidentellement son collègue avec son arme de service au cours d’une soirée hors du lieu de service, alors qu’il ne sont pas en service.
Le Conseil d’État permet aux ayants-droits de la victime d’engager leur action devant le juge administratif, parce que la faute personnelle de l’agent n’est pas dépourvue de tout lien avec le service, parce qu’à l’époque les agents avaient l’obligation de conserver leur arme à leur domicile, et que la victime a été tuée avec l’arme de service → lien matériel.

Conseil d’État, 1988, Raszewski :
Affaire criminelle importante des années 1980 dite du “tueur de l’Oise”, qui était un gendarme qui a pu échapper aux enquêteurs grâce à son poste.
Les parents engagent une action en responsabilité contre l’État.
Le Conseil d’État considère qu’il y a une faute personnelle, qui n’est pas dépourvue de tout lien avec le service, parce qu’en sa qualité de gendarme le meurtrier a eu accès à des informations qui lui ont permis de continuer à perpétrer ses crimes.

b) La contribution à la dette

Conseil d’État, 1951, Laruelle et Delville :

  1. La victime avait engagé son action devant le juge civil ou le juge pénal statuant sur les intérêts civils :

    Dans cette hypothèse, il sera possible pour l’agent de l’administration de se retourner contre l’administration s’il estime qu’une faute de service a contribué en tout ou partie à la contribution du dommage.
    Cette action est portée devant le juge administratif.

    • Si le juge administratif considère qu’il n’y a qu’une faute de service à l’origine du dommage, il oblige l’administration à indemniser l’agent pour toutes les sommes auxquelles il a été condamné devant le juge judiciaire.
    • Si le juge administratif considère que l’agent a commis une faute personnelle mais qu’il est aussi possible d’identifier une faute de service de l’administration, il opère une indemnisation partielle de l’agent.
    • Si le juge administratif considère qu’il n’y a qu’une faute personnelle à l’origine du dommage, il rejette le recours de l’agent.
  1. L’administration a été condamnée devant le juge administratif :

    Elle peut engager une action récursoire devant le juge administratif, afin que l’agent soit condamné à prendre en charge tout ou partie des sommes que l’administration a versé à la victime.
    Atypique : l’administration engage une action en responsabilité contre son propre agent devant le juge administratif, alors que le défendeur est une personne privée.

    L’appréciation de la faute de l’agent dans ce contexte prend une forte coloration disciplinaire.
    Le juge administratif s’intéresse moins au lien entre le comportement de l’agent et le dommage et plus à l’existence de manquements de l’agent à ses manquements professionnels.

§ 2. Nature du fait dommageable

Il ne sera ici question que de la responsabilité de l’administration.

A – La responsabilité pour faute

1) Définition de la faute

La définition de la faute en droit de la responsabilité administrative est la même qu’en droit civil.
Marcel Plagnol : “un manquement à une obligation préexistante”.

Cette faute peut résulter :

  • D’un acte matériel (ex : violences des forces de l’ordre) ;
  • D’un acte juridique.

    Conseil d’État, 2003, SA Laboratoire pharmaceutique Bergaderm :
    L’acte juridique constitutif d’une faute n’est pas forcément un acte décisoire : un simple avis peut engager la responsabilité de l’administration.
    En l’espèce, la Commission de sécurité des consommateurs avait publié un avis exprimant des réserves vis-à-vis d’un produit du laboratoire Bergaderm ; le Conseil d’État retient que cet avis avait fait baisser les ventes du produit.

En principe, toute illégalité commise par l’administration est constitutive d’une faute.
En revanche, toute illégalité fautive n’entraîne pas forcément l’engagement de la responsabilité de l’administration.
Autrement dit, pour que l’administration soit condamnée, il faut qu’il existe un lien entre l’illégalité et le dommage.

Pour déterminer si une décision illégale peut entraîner une condamnation de l’administration à réparer un dommage, il faut déterminer si, en l’absence de cette illégalité, l’administration aurait pu ou n’aurait pas pu prendre la même décision.

Exemple :
Une commune délivre un permis de construire à une personne. Cette délivrance peut causer un dommage à des tiers (par exemple, un voisin).
La construction du bâtiment est terminée mais le juge, saisi d’un REP, annule le permis de conduire pour vice de procédure.
Le permis de construire est illégal → faute de l’administration.
+ Il y a un dommage, qui est consécutif à la construction du bâtiment.
Problème : il n’y a pas de lien entre l’illégalité et le dommage, puisque si l’administration avait respecté la procédure elle aurait délivré le même permis de construire.
→ Il n’y a pas de lien de causalité entre la faute et le dommage subi par la victime.

Exemple :
Un médecin contractuel travaille dans un hôpital ; l’administration refuse de renouveler son contrat.
Le médecin engage un REP contre cette décision et obtient satisfaction pour erreur de droit.
Cependant, il n’obtient pas réparation, parce que certes l’administration ne s’est pas saisie d’un motif permettant de ne pas renouveler le contrat, mais il y avait d’autres motifs pour ne pas renouveler le contrat.
→ Pas de lien de causalité entre l’illégalité à l’origine du dommage et le dommage.


2) Auteur de la faute

L’auteur de la faute de nature à engager la responsabilité d’une personne publique n’est pas forcément un démembrement du pouvoir exécutif.
La responsabilité de l’État peut être engagée devant le juge administratif à raison de textes / de décisions émanant du pouvoir législatif ou de juridictions administratives ou judiciaires.

La loi est censée émaner des représentants du peuple. En France, on a eu des difficultés avec l’idée que les représentants du peuple pourraient mal faire et que la responsabilité de l’État puisse être engagée sur la base d’illégalités commises par le législateur.

Il existe depuis très longtemps une responsabilité de l’État sans faute du fait des lois.
En revanche, l’idée que la responsabilité de l’État soit engagée à raison d’une loi qui serait contraire à la Constitution et/ou à un engagement international est beaucoup plus récente. Elle s’est imposée à la suite de l’arrêt Nicolo du Conseil d’État (suivi par l’introduction de la QPC).

Question : dès lors qu’une loi est inconstitutionnelle et/ou inconventionnelle, est-il possible d’engager la responsabilité de l’État où cela aurait causé un dommage ?
Oui. 2 arrêts à retenir :

Conseil d’État, 2007, Gardedieu :
Inaugure l’éventuelle responsabilité de l’État du fait d’un manquement de la loi à un engagement international.
Le Conseil d’État précise que la responsabilité de l’État du fait des lois est susceptible d’être engagée pour l’ensemble du préjudice qui résulte de l’intervention d’une loi adoptée en méconnaissance d’un engagement international.

Formellement, le Conseil d’État ne parle pas de “faute” : il ne dit pas que le législateur a commis une faute ni que la loi est fautive.
Certains auteurs expliquent donc que c’est une responsabilité sui generis et non une responsabilité pour faute.
Cependant, le Conseil d’État évoque bien le manquement de l’État à une obligation internationale préexistante → ça ressemble bien à une faute.

La jurisprudence Gardedieu pose des conditions à l’engagement de la responsabilité de l’État du fait d’un manquement de la loi à un engagement international :

  1. Il faut que l’engagement international en question remplisse les conditions posées à son application dans l’ordre juridique interne par l’article 55 de la Constitution (ratification régulière + publication + application réciproque).
  1. Il faut que la disposition en question soit d’effet direct (voir : Conseil d’État, 2012, GISTI 2).

Conseil d’État, 2018, A et Syndicat local CGT des chômeurs et précaires de Gennevilliers-Vileneuve-Asnières :
Un syndicat tente d’engager la responsabilité de l’État du fait d’une loi incompatible avec un engagement international.
Le Conseil d’État rejette la requête, parce que les dispositions internationales supposément violées par la loi étaient dépourvues d’effet direct en droit français.

Conseil d’État, 2019, Société hôtelière Paris Eiffel Suffren :
Était en cause la responsabilité éventuelle de l’État du fait de dispositions législatives inconstitutionnelles.
Le Conseil d’État précise qu’effectivement, la responsabilité de l’État peut être engagée pour réparer l’ensemble des préjudices qui résulte de l’application d’une loi méconnaissant la Constitution.

Il précise 2 exigences :

  1. La responsabilité de l’État ne peut être engagée que si le Conseil constitutionnel a déclaré la disposition inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 de la Constitution (= dans le cadre de la procédure de QPC) ;
  1. Il ne faut pas que le Conseil constitutionnel, dans sa décision, ait entendu de matière explicite ou implicite écarter toute action indemnitaire du fait de l’inconstitutionnalité de la loi.

Au-delà du législateur, autre auteur susceptible d’engager la responsabilité de l’État : les juges administratifs.
⚠️ Le juge judiciaire est exclu. En effet, c’est lui qui est compétent pour connaître d’actions en responsabilité du fait de supposés dysfonctionnements de la justice judiciaire (voir article L781-1 du Code de l’organisation judiciaire).

Conseil d’État, 1978, Darmont :
Pose le cadre général de la responsabilité de l’État du fait des juridictions administratives.

  1. Une faute lourde commise par une juridiction administrative dans l’exercice de la fonction juridictionnelle est susceptible d’ouvrir un droit à indemnisation.
    → Principe : régime de faute lourde.
  1. En revanche, la responsabilité de l’État ne peut pas être engagée dès lors que la faute lourde alléguée résulterait du contenu même d’une décision juridictionnelle devenue définitive.
    → Mais irresponsabilité de principe lorsqu’est en cause le contenu d’une décision devenue définitive (autorité de la chose jugée).

Ce schéma a été remis en cause sous l’influence du droit de l’Union européenne.
La CJUE a affirmé que l’État est responsable pour tout manquement à l’égard du droit de l’UE, y compris si ce manquement est imputable à ses juridictions.

Conseil d’État, 2008, Gestas :
Tire les conséquences des décisions de la CJUE et précise la jurisprudence Darmont : la responsabilité de l’État peut être engagée dans le cas où “le contenu de la décision juridictionnelle est entaché d’une violation manifeste du droit communautaire ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers”.

Darmont continue à exister (faute lourde + principe d’immunité lorsqu’est en cause le contenu d’une décision de justice administrative), sauf dans l’hypothèse où est en cause une “violation manifeste du droit communautaire ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers”.

Conseil d’État, 2022, Société Kermadec :
La seule violation de l’obligation de renvoi d’une question préjudicielle à la CJUE ne suffit pas pour caractériser la violation manifeste du droit de l’Union européenne.

Conséquence : est-ce que le fait que le Conseil d’État soit la juridiction compétente pour se prononcer sur l’existence d’une éventuelle faute commise par le Conseil d’État lui-même ne pose pas de problème au regard des exigences d’impartialité ?
Non, mais il faut que les membres de la formation de jugement qui ont adopté la formation litigieuse s’abstiennent de siéger dans la nouvelle instance.

Que se passe-t-il en cas du Conseil d’État de constater la violation ?
La CJUE peut condamner la France.


3) Preuve de la faute

Il appartient au demandeur de démontrer l’existence d’une faute de l’administration.
Toutefois, il existe des mécanismes de présomption de faute, dans des domaines où il serait difficile pour la victime de démontrer une faute.

Exemple : la responsabilité des personnes publiques à l’égard des usagers du fait du fonctionnement des ouvrages publics (cas classique : accidents de la route).
En la matière, il y a un mécanisme de présomption de faute : si la victime souhaite mettre en cause la responsabilité de l’administration, elle n’a pas besoin d’apporter des éléments démontrant un mauvais entretien de l’ouvrage public ; c’est au contraire à la personne publique de démontrer qu’il n’y a pas de défaut d’entretien normal de l’ouvrage.
→ C’est à l’administration de démontrer qu’elle n’a pas commis de faute.

Illustration : Conseil d’État, 2000, Département de la Dordogne :
Une personne décède au volant de sa moto.
Il est constaté que la chaussée présentait des déformations + il n’y avait pas de panneau annonçant le danger → l’administration n’a pas démontré que l’ouvrage était normalement entretenu.


4) Exigence d’une faute qualifiée : la faute lourde

Pendant longtemps, la responsabilité de l’administration ne pouvait être engagée que pour faute lourde ; cela constituait un intermédiaire entre l’irresponsabilité de l’administration et la responsabilité pour faute classique.

💡
Pendant tout le 19ème siècle, le principe était l’irresponsabilité de l’administration.
En 1905, l’arrêt Tomaso Greco (Conseil d’État) abandonne l’irresponsabilité de l’administration en matière de police administrative, mais seulement en cas de faute lourde.

→ La faute lourde a historiquement joué un rôle important en responsabilité administrative.

Une faute lourde est une faute d’une particulière gravité.
Historiquement, on la retrouve dans 2 grands domaines :

  1. Les activités régaliennes (notamment la police) ;
  1. Les activités présentant des difficultés particulières au vu de leur technicité (ex : les activités médicales).

La faute lourde est en recul depuis 30 ans :

  • En matière de responsabilité des actes médicaux, le régime applicable a été pendant très longtemps un régime de faute lourde.
    Le Conseil d’État a abandonné cette jurisprudence avec l’arrêt Époux V. (1992) : on passe à un régime de faute simple.
    Cette solution a été codifiée à l’article L4142-1 du Code de la santé publique.
  • En matière d’activités de secours (SAMU, lutte contre les incendies…), le Conseil d’État a choisi de basculer vers un régime de faute simple.
  • La responsabilité de l’État du fait des services publics pénitentiaires a longtemps été subordonnée à un régime de faute lourde.
    Depuis l’arrêt Chabba (2003), c’est un régime de faute simple.
  • L’action des services fiscaux a été longtemps soumise à un régime de faute lourde.
    Conseil d’État, 2011, Krupa : basculement dans un régime de faute simple.
  • En matière de police administrative (générale ou spéciales), le Conseil d’État n’a jamais explicitement exprimé cette idée, mais on s’est progressivement rendus compte que la faute lourde avait disparu du domaine de la police.

Il subsiste néanmoins des hypothèses de faute lourde.
Il y a notamment 3 domaines où la responsabilité de l’État pour faute ne peut être engagée que si la victime démontre l’existence d’une faute d’une particulière gravité :

  1. Les activités de contrôle assurées par le préfet (Conseil d’État, 2000, Commune de Saint-Florent) et par les AAI (Conseil d’État, 2001, Kéchichian).

    Pourquoi avoir maintenu la faute lourde dans ce domaine ?

    1. Pour éviter que la responsabilité passe subrepticement du contrôlé au contrôleur.
      Cela évite que la responsabilité du contrôleur soit trop facilement engagée.
    1. Si la responsabilité du contrôleur est trop facilement engagée, il y a un risque que ce contrôleur développe un contrôle trop pointu à l’égard du contrôlé, de telle sorte que ce contrôle en deviendrait trop étouffant.

    Il existe cependant des exceptions (ex : inspection du travail).

  1. La responsabilité de l’État du fait de la justice administrative (Conseil d’État, 1978, Darmont).

    Ce régime fondé sur la faute lourde existe toujours aujourd’hui, sauf que ce régime de faute lourde a été limité dans un domaine particulier en raison de la Convention EDH.
    Depuis 30 à 40 ans, la CEDH est engorgée, notamment sur les affaires relatives à l’article 6-1 de la Convention qui garantit un délai raisonnable de jugement.
    Elle a cherché à opérer une déconcentration de ce raisonnement, en imposant aux États de mettre en place des mécanismes de réparation permettant aux personnes d’obtenir réparation des manquements à ce droit devant les juridictions nationales.

    Ce constat a posé problème en France, parce que le régime applicable aux actions en responsabilité fondées sur le manquement à un délai raisonnable de jugement étaient soumises à un régime de faute lourde, sur la base de la jurisprudence Darmont.
    L’État n’a donc jamais été condamné en la matière.

    CEDH, 2002, Lutz contre France :
    Constate qu’aucune condamnation n’avait été prononcée par le juge administration pour des violations du droit à un délai raisonnable de jugement devant la justice administrative ; considère qu’il n’y a pas en droit français de recours effectif en la matière.
    Quelques mois plus tard, le Conseil d’État a opéré un petit revirement de jurisprudence :

    Conseil d’État, 2002, Ministre de la Justice contre Magiera :
    Dès lors qu’est en cause la violation du droit à un délai raisonnable de jugement, la responsabilité de l’État peut être engagée pour une simple faute.

    La jurisprudence Darmont (1978) a donc connu un double aménagement sur mesure :
    > Gestas (2008) pour tenir compte de la jurisprudence de la CJUE ;
    > Magiera (2002) pour tenir compte de la jurisprudence de la CEDH.
    Elle perdure cependant aujourd’hui et avec elle l’exigence de faute lourde.
  1. Conseil d’État, 2018, Chennouf :
    Pour engager la responsabilité de l’État du fait de l’activité des services de renseignement, la preuve d’une faute lourde est nécessaire.

B – La responsabilité sans faute

En droit administratif, la responsabilité sans faute recouvre les hypothèses dans lesquelles l’administration est à l’origine d’un fait dommageable, mais il n’est pas nécessaire d’apporter la preuve d’une faute pour engager sa responsabilité.

Cette responsabilité sans faute a connu un développement important depuis la fin du 19ème siècle.
Elle est aujourd’hui plus importante qu’en responsabilité civile.

💡 Cette responsabilité sans faute de l’administration reste subsidiaire. Le principe reste celui de la responsabilité pour faute.

En droit administratif, il existe 2 grands fondements de la responsabilité sans faute :

  1. La responsabilité pour risque ;
    Idée : l’activité de l’administration crée des risques ; lorsqu’ils se réalisent, il appartient à l’administration d’indemniser les victimes.
  1. La responsabilité pour rupture d’égalité.
    Idée : la vie en société suppose que chacun supporte une part de la contrainte publique ; dès lors que cette contrainte est anormale, il convient d’indemniser ces personnes.

1) La responsabilité pour risque

L’activité de l’administration est susceptible d’exposer certaines personnes à des risques.
Si ce risque se réalise, il appartient à l’administration de réparer l’intégralité du dommage subi par la victime.
→ C’est la responsabilité fondée sur le risque.

Il existe 6 cas de responsabilité sans faute pour risque :

a) La responsabilité au profit des collaborateurs occasionnels du service public

En ce qui concerne les collaborateurs permanents du service public :
Idée : lorsqu’à l’occasion de ses fonctions, un agent de l’administration subit un dommage, il appartient à l’administration de l’indemniser de l’ensemble du préjudice subi.

Conseil d’État, 1895, Cames :
Inaugure ce régime d’indemnisation des dommages subis par les agents de l’administration à l’occasion de leurs fonctions.
→ Indemnisation des accidents du travail pour les agents publics.

Le législateur a ensuite pris le relai en instaurant un régime législatif des pensions et des accidents du travail.
Cela met fin au régime issu de l’arrêt Cames pour les collaborateurs permanents du service public.

En revanche, ce régime reste en vigueur concernant les collaborateurs occasionnels du service public. Ce sont les personnes qui apportent un concours ponctuel au fonctionnement d’une administration.
Exemple : les parents qui accompagnent une sortie scolaire dans une école.

💡
La responsabilité en cause est celle de la personne publique en charge du service public auquel la victime a apporté sa collaboration.

Précisions :

  1. Il n’est pas nécessaire que le concours soit sollicité par l’administration.
  1. Le concours doit être justifié et nécessaire (= il ne peut pas être superflu).
    Si le concours est superflu, le régime ne s’applique pas.
  1. Le concours doit être apporté à une mission de service public.
  1. Il importe peu qu’il existe un lien de solidarité spécifique entre le collaborateur et la personne qui bénéficie de ce concours.

    Exemple : Conseil d’État, 1977, Commune de Coggia :
    En Corse, une famille se baigne sur une plage municipale ; un membre de cette famille est en voie de se noyer ; un autre membre tente de lui porter secours ; les 2 finissent noyés.
    Il y a un lien spécifique de solidarité entre les 2 personnes : ils sont de la même famille.
    Le Conseil d’État considère que peu importe : la personne qui a agi pour tenter de sauver le membre de sa famille a collaboré à une mission de service public (le sauvetage et la sécurité sur les plages) qui incombe à la commune.

  1. Le lien entre le collaborateur et la mission de service public peut être indirect.

    Dans une affaire de sauvetage en mer dans les eaux internationales au large de l’Afrique : le service compétent français mandate la société privée Elf-Aquitaine pour porter secours et l’hélicoptère s’abîme en mer.
    Nonobstant le lien très indirect entre le collaborateur et le service public, il a été considéré que ce régime de responsabilité pouvait s’appliquer au cas de ce pilote d’hélicoptère.

b) La responsabilité au profit des tiers victimes de dommages accidentels de travaux publics ou provoqués par un ouvrage public

La responsabilité au profit des tiers victimes de dommages accidentels de travaux publics ou provoqués par un ouvrage public est aussi un régime de responsabilité sans faute fondé sur le risque.

Conseil d’État, 1965, Arbez-Gindre :
Un ouvrage public subit un incendie qui s’étend aux immeubles voisins.
Les propriétaires des immeubles voisins sont des tiers à l’ouvrage public (ils ne sont pas usagers), mais ils sont indemnisés sans faute.

Conseil d’État, 2022, Commune de Pont-Salomon :
Ce régime s’applique en présence de dommages accidentels liés au fonctionnement d’un ouvrage public, mais il ne s’applique pas à raison de dommages résultant de l’absence d’un ouvrage public.
En l’espèce, la crue d’une rivière provoque de nombreux dommages parce que des ouvrages publics étaient manquants. Ce régime de responsabilité sans faute n’est pas applicable.

c) La responsabilité du fait des choses dangereuses

Dans le cadre de certaines de ses missions, l’administration utilise des choses dangereuses, qui présentent un risque exceptionnel : dès lors que ce risque ce réalise, il incombe à l’administration d’indemniser les victimes.

Conseil d’État, 1919, Regnault-Desroziers :
Un stock de grenades explose dans un fort, tue une 20aine de personnes et détruisant des immeubles.
Les explosifs constituent des choses dangereuses présentant un risque exceptionnel, donc les victimes ont été indemnisées sans faute par le juge administratif.

Cet arrêt présent au GAJA parle d’explosifs, mais ce régime a ensuite été transposé à d’autres hypothèses où l’administration fait usage d’armes et d’engins dangereux :

Conseil d’État, 1949, Lecompte et Daramy :
Les forces de l’ordre utilisent des armes de type pistolet.
Si, à l’occasion d’une opération de police administrative, une personne est blessée par un tir des forces de l’ordre, elle bénéficie d’une indemnisation sans avoir à démontrer la faute de l’administration, mais uniquement si elle est tiers à l’opération de police.
(hypothèse de la balle perdue)

En revanche, ce régime de responsabilité ne concerne pas les personnes qui sont visées par l’opération de police.
Pour celles-ci, le régime de responsabilité reste le régime de responsabilité pour faute.

Ce régime de responsabilité peut-il être étendu à d’autres types de matériels ?
Le juge administratif a refusé d’appliquer ce régime de responsabilité au cas où les forces de police utilisent des gaz lacrymogènes.
Idem pour l’utilisation du LBD.

La responsabilité du fait des ouvrages publics présentant un risque exceptionnel : c’est un cas très marginal.
Conseil d’État, 1973, Dalleau :
Était en cause un ouvrage public présentant un danger exceptionnel : la route n°1 de l’île de la Réunion, historiquement très dangereuse.
Le Conseil d’État a décidé qu’un usager de cette route qui subirait un dommage bénéficiera d’un régime de responsabilité sans faute fondé sur le risque à raison du caractère particulier de cet ouvrage.

d) La responsabilité du fait des méthodes dangereuses présentant un risque exceptionnel

L’administration a parfois recours à des méthodes dangereuses, qui peuvent créer des risques ; si ce risque se réalise, la victime sera indemnisée sur ce fondement sans avoir à démontrer une faute de l’administration.

Historiquement, cette jurisprudence s’est appliquée dans des hypothèses où l’administration a recours à des méthodes libérales de rééducation ou de réinsertion au sein d’établissements accueillants des publics “à risques”.

Conseil d’État, 1956, Thouzellier :
Un établissement accueille des mineurs délinquants. Certains quittent l’établissement sans autorisation et provoquent des cambriolages.
Les victimes du cambriolage bénéficient d’une indemnisation via ce régime de responsabilité sans faute fondée sur le risque.

⚠️ Ce régime de responsabilité ne joue qu’au bénéfice des tiers aux établissements en question.
Si un mineur en blesse un autre au sein de l’établissement, cette responsabilité ne joue pas.

Cette jurisprudence a été étendue à l’hypothèse des autorisations de sortie accordées à des détenus.

Le Conseil d’État a refusé d’étendre l’application de ce régime de responsabilité à des mesures qui ne s’inscrivent pas dans la réinsertion des détenus mais qui ont pour conséquence une libération anticipée.
Exemples : décrets de grâce collective ; mesures de réduction de peine ; …

Conseil d’État, 1993, Bianchi :
Lorsqu’un acte médical nécessaire au traitement d’un malade présente un risque dont la réalisation est exceptionnelle, la responsabilité du service public hospitalier est engagée dès lors que l’exécution de cet acte serait la cause directe d’un dommage sans rapport avec l’état initial du patient.

Cette jurisprudence a entraîné beaucoup de débats : est-ce normal de faire peser sur l’hôpital le coût de l’indemnisation d’un acte médical qui en général se passe bien mais qui présente des risques exceptionnels ?
Cela a conduit la loi Kouchner du 4 mars 2002 à redéfinir les conditions d’indemnisation de la victime dans ce genre d’hypothèses, en prévoyant la mise en place d’un régime d’indemnisation fondé sur la solidarité nationale (fonds de solidarité : l’ONIAM).

e) La responsabilité du fait des situations présentant un risque exceptionnel

Il s’agit des hypothèses où des personnes (en général, des agents de l’administration) se voient exposées à des risques exceptionnels de par leur fonctions ; si un risque se réalise, ils sont indemnisés sans faute.

Conseil d’État, 2008, Ginoux :
Un médecin militaire (= un agent de l’administration) est affecté en Centrafrique. Après une mutinerie de la part de militaires centrafricains, les biens de ce médecin sont pillés.
Ce régime de responsabilité sans faute fondé sur le risque est applicable : de par sa situation et ses obligations professionnelles, ce médecin a été exposé à un risque professionnel qui s’est réalisé.
Il peut obtenir réparation sans avoir à démontrer une faute de l’administration.

f) La responsabilité du fait des produits et appareils de santé utilisés dans le cadre du service public hospitalier

Ce régime est à la fois une traduction et une trahison d’un régime de responsabilité qui trouve son origine dans le droit de l’Union européenne, et plus précisément dans la directive européenne du 25 juillet 1985 qui ordonne la mise en place un régime de responsabilité du fait des fabricants.
Ce régime de responsabilité a entraîné l’introduction dans le Code civil de l’article 1386-1.

Le Conseil d’État s’est émancipé de ce cadre :

Conseil d’État, 2003, Marzouk :
Concerne la responsabilité du fait des produits et appareils de santé utilisés dans le cadre du service public hospitalier.
Prévoit une responsabilité du service public hospitalier (et non du fabricant !) pour les dommages consécutifs à l’utilisation ou à la défaillance des produits ou appareils de santé.
”Même en l’absence de faute de sa part, le service public hospitalier est responsable des conséquences dommageables pour les usagers de la défaillance des produits et appareils de santé qu’il utilise”.

Objectif : favoriser l’indemnisation de la victime.
Cela n’empêche pas l’administration d’engager une action en garantie contre le fabricant du produit.


2) La responsabilité pour rupture d’égalité

La vie en société fait supporter à chacun un certain nombre de contraintes.
La responsabilité de l’administration peut être engagée lorsqu’une personne aura supporté des charges anormales.

Compte tenu de cette idée, il est logique que l’engagement de la responsabilité est subordonné à la condition que le dommage subi par la victoire est anormal et spécial (= il ne doit concerner qu’un nombre limité de personnes).
(≠ responsabilité pour faute)

Au titre de ce régime, la victime ne pourra pas demander la réparation de l’ensemble de son préjudice : elle ne pourra demander que la réparation de la part du préjudice qui est anormale.

Ce régime de responsabilité pour rupture d’égalité a pour l’essentiel vocation à jouer lorsque sont en cause des actes juridiques réguliers mais dont l’application entraîne un préjudice anormal et spécial pour un certain nombre de personnes.

a) La responsabilité du fait des dommages permanents de travaux publics

Dès lors que la victime arrive à démontrer qu’elle subit un préjudice anormal et spécial, elle pourra obtenir réparation sur ce fondement.
Ici, la victime est tiers par rapport à l’ouvrage en question.

Conseil d’État, 1931, Commune de Vic-Fezensac :
Était en cause ici la place d’un village (= ouvrage public) sur laquelle étaient répartis des platanes. À l’automne, des feuilles mortes s’amoncellent sur le toit d’une propriété privée, ce qui conduit régulièrement à des fuites d’eau (= des dommages).
La proximité avec un ouvrage public n’est pas censé entraîner des fuites d’eau récurrentes, le dommage du voisin a donc été réparé.

Autre exemple : hypothèse d’une personne située à proximité d’un stade de foot, recevait régulièrement des ballons dans son jardin → préjudice anormal et spécial.

b) La responsabilité du fait d’actes juridiques licites

Il existe des actes juridiques qui sont légaux mais qui vont faire peser sur certaines personnes des charges anormales et spéciales. Ces personnes peuvent obtenir réparation.

Ces actes sont très nombreux : décisions administratives, lois, et même conventions internationales !

1ère hypothèse : lorsqu’une décision administrative individuelle fait peser sur une personne une charge anormale et spéciale.

Cette jurisprudence a d’abord joué dans des hypothèses où une personne a sollicité le concours de la force publique, l’administration a refusé ce concours, mais ce refus est considéré comme licite.

Conseil d’État, 1923, Couitéas :
Dans le sud tunisien sous la période coloniale, M. Couitéas est propriétaire d’un terrain de 40 000 hectares. Il déplore la présence sur ce territoire d’une tribu locale de 8 000 personnes qui occupe une partie de ce terrain.
Il engage une action en justice et obtient un jugement d’expulsion de cette tribu, mais elle ne quitte pas les lieux.
M. Couitéas demande à l’État le concours des forces de l’ordre pour exécuter le jugement d’expulsion, mais l’État refuse.

Le Conseil d’État affirme que ce refus de l’État est licite, parce qu’il y avait un risque de trouble à l’ordre public.
Mais il condamne aussi l’État à indemniser M. Couitéas sur le fondement de la rupture d’égalité, au motif que le refus de concours ne pouvait être regardé, s’il excédait une certaine durée, comme une charge lui incombant normalement.

Conseil d’État, 1995, Lavaud :
Un pharmacien a un office dans une banlieue difficile de Lyon. L’office HLM qui gérait les tours du quartier décide de détruire 10 tours pour réhabiliter le quartier, ce qui entraîne une perte massive de chiffre d’affaires pour le pharmacien.
Il engage une action en responsabilité contre l’office HLM sur le fondement de la responsabilité sans faute. Le Conseil d’État considère qu’il a subi un dommage anormal et spécial qui justifie son indemnisation.

Quand on gère une pharmacie ou tout autre commerce, il y a toujours un aléa économique normal. Ici, ce qui justifie l’indemnisation, c’est l’existence d’un préjudice anormal ; seule la part d’anormalité est réparée dans le dommage subi par le commerçant.

Autre exemple :
Il existe un droit de préemption pour les communes : lorsqu’un terrain est vendu, elles peuvent récupérer le bien en lieu et place de l’acheteur initial.
Dans une affaire, une commune avait exercé son droit de préemption puis a renoncé à l’exercice de ce droit ; en résultat, le bien a été squatté pendant plusieurs mois.
Il n’y avait pas d’irrégularité (la commune avait le droit de renoncer à ce droit de préemption), mais le vendeur a pu obtenir réparation sur le fondement de ce préjudice.

2ème hypothèse : la responsabilité du fait d’actes règlementaires.

C’est beaucoup plus rare, parce qu’un acte règlementaire est un acte général et impersonnel.

Conseil d’État, 1963, Commune de Gavarnie :
Le maire de la commune prend un arrêté interdisant la circulation des piétons sur des routes d’accès au célèbre cirque de Gavarnie.
Problème : un commerçant tenait un commerce sur l’une de ces routes.
Ici, il y a bien un acte règlementaire dont l’exécution fait peser sur ce commerçant une charge anormale et spéciale ; il obtient une indemnisation.

3ème hypothèse : la responsabilité du fait de la loi.

On a déjà envisagé la responsabilité de l’État du fait de la loi au titre de la responsabilité pour faute, avec l’arrêt Gardedieu (2007).
Mais bien avant 2007, le Conseil d’État avait déjà reconnu la possibilité d’un engagement de la responsabilité sans faute de l’État du fait de la loi.

Conseil d’État, 1938, Société des produits laitiers La Fleurette :
Reconnaît pour la première fois l’engagement de la responsabilité de l’État du fait des lois.
Dans les années 1930, une loi interdit la production et la commercialisation en France de la “Gradine”, qui est un substitut du lait.
Le Conseil d’État reconnaît que la société La Fleurette a subi un préjudice anormal (perte de la quasi totalité de son chiffre d’affaires) et spécial (elle était l’une des seules sociétés en France qui produisait ce produit), qui justifie l’engagement de la responsabilité de l’État.

Dans ce contexte là, l’engagement de la responsabilité de l’État est subordonné à une condition supplémentaire : il ne faut pas que la loi ou les travaux préparatoires de la loi aient entendu exclure, même implicitement, toute indemnisation.
Cette condition est appliquée de manière très exigeante : le Conseil d’État a considéré que dès lors que la loi répondait à un intérêt général et prééminent, le législateur avait entendu exclure la possibilité d’une indemnisation.

Cette solution a été considérée comme inéquitable ; le Conseil d’État a progressivement fait évoluer sa jurisprudence :

Conseil d’État, 2005, Société coopérative agricole Ax’ion :
Le Conseil d’État réduit la portée de cette seconde condition en précisant que, désormais, l’objet de la loi n’est plus un critère opérant pour déterminer la volonté implicite du législateur sur l’éventualité d’un droit à réparation.
Désormais, pour exclure l’indemnisation, il faut qu’il figure dans la loi ou dans les travaux préparatoires de la loi une affirmation explicite que le législateur entend ne pas permettre l’indemnisation des personnes qui subiraient un dommage consécutivement à l’entrée en vigueur de la loi.
→ Permet la mise en œuvre effective de la jurisprudence La Fleurette.

Conseil d’État, 1998, Bitouzet :
S’inscrit dans la continuité de la jurisprudence La Fleurette, mais trouve son origine dans la Convention EDH.
Cette jurisprudence joue dans les hypothèses où la loi permet à l’autorité publique d’interférer dans l’existence ou dans la jouissance d’un droit de propriété sans indemnisation (→ la jurisprudence La Fleurette ne peut pas s’appliquer).
Pour éviter une condamnation de la France par la CEDH, le Conseil d’État a considéré que nonobstant le refus d’indemnisation posé par la loi, le propriétaire pourra obtenir une indemnisation lorsqu’il démontre qu’il supporte une charge exorbitante et spéciale sans rapport avec l’objectif poursuivi.

4ème hypothèse : la responsabilité du fait de conventions internationales.

Conseil d’État, 1966, Compagnie générale radio-électrique :
L’application d’une convention internationale peut entraîner la mise en cause de la responsabilité de l’État pour rupture d’égalité devant les charges publiques.
La victime doit démontrer qu’elle a subi un trouble anormal et spécial, mais il y a 2 conditions supplémentaires :

  1. (Exigence disparue en 2004)
    L’engagement international doit être régulièrement ratifié.
  1. Ni la convention ni la loi qui en autorise la ratification ne doivent pouvoir être interprétées comme ayant entendu exclure le principe d’une indemnisation.

Depuis 1966, la responsabilité de l’État sur le fondement de cette jurisprudence n’a été engagée qu’à 3 reprises.
Cela renvoie par exemple à l’hypothèse de l’immunité diplomatique.

Cette jurisprudence a connu des extensions :
> à la coutume internationale (Conseil d’État, 2011, Saleh) ;
> aux actes de gouvernement (Conseil d’État, 2016, Bernabé : la responsabilité de l’État pour rupture d’égalité devant les charges publiques peut être engagée du fait d’un acte de gouvernement).


3) La responsabilité fondée sur les principes de droit commun

Cette responsabilité est la transposition en droit administratif des principes du droit civil, et en particulier la responsabilité fondée sur la garde de l’enfant mineur (article 1242 du Code civil).
⚠️ On n’applique pas le Code civil en droit administratif, mais le régime s’inspire de la jurisprudence de la Cour de cassation.

Des enfants mineurs peuvent être placés dans des institutions privées ou publiques.
La Cour de cassation a défini un régime de responsabilité lorsque sont en cause des mineurs placés dans des institutions privées.
Le Conseil d’État a considéré que, par équité pour les victimes, il convenait d’appliquer le même régime pour les mineurs placés dans des institutions publiques.

Conseil d’État, 2005, GIE Axa courtage :
En présence d’un dommage provoqué par un enfant mineur placé au titre de l’assistance éducative (articles 375 et suivants du Code civil), le Conseil d’État considère que la décision de placement de l’enfant a pour effet de transférer à l’institution chargée de l’accueillir la responsabilité d’organiser, de diriger et de contrôler la vie du mineur.
En raison des pouvoirs dont l’institution se trouve ainsi investie, sa responsabilité est engagée même sans faute pour les dommages causés au tiers par ce mineur.
Cette responsabilité ne peut être atténuée ou supprimée qu’en cas de faute majeure ou de faute de la victime.

Le Conseil d’État a affiné cette jurisprudence :

  • La garde au sens juridique n’est pas la garde matérielle : l’institution peut être considérée comme responsable alors même que l’enfant mineur passait le week-end chez ses grands parents.
  • Cette jurisprudence joue aussi lorsque le placement a été décidé par une autorité administrative et non par un juge.
  • Cette jurisprudence joue pour les dommages subis par les tiers, mais aussi au bénéfice des usagers du service public en cause (ex : autres mineurs placés dans le même établissement).
  • Conseil d’État, 2006, Ministre de la Justice contre MAÏF :
    Ce régime de responsabilité joue non seulement au sujet des enfants placés au titre de l’assistance éducative, mais aussi au sujet des mineurs délinquants.

Pour les mineurs délinquants, la victime a donc le choix d’invoquer :

  1. La jurisprudence Thouzellier (1956) → fondée sur le risque ;
    • Permet d’engager la responsabilité de l’État, parce que c’est lui qui a fait le choix de méthodes libérales de réinsertion des mineurs délinquants.
    • Ne peut pas jouer au bénéfice des usagers du service public (ex : les autres mineurs de l’établissement).
  1. La jurisprudence GIE Axa courtage (2005) → fondée sur la garde.
    • Permet parfois d’engager la responsabilité d’une collectivité territoriale (généralement le département).
    • Peut jouer au bénéfice des usagers du service public.

Peut-on étendre cette jurisprudence en considérant que l’État a la garde des détenus ?
Non : le Conseil d’État n’a pas donné suite à ces réflexions.


4) Les régimes législatifs de responsabilité d’indemnisation

Ces régimes se sont multipliés depuis ~30 ans.
Certains régimes législatifs mettent en place une responsabilité de l’État tandis que d’autres mettent en place des régimes d’indemnisation (en n’imposant pas à l’État de réparer, mais en reposant sur des fonds d’indemnisation).

Le régime applicable aux victimes commis par les attroupements est un régime législatif de responsabilité qui figure à l’article L2216-3 du CGCT.
C’est un régime législatif de responsabilité sans faute qui permet aux victimes d’attroupements “armés ou non armés” d’obtenir réparation.
Constitue un attroupement “une assemblée accidentelle que des circonstances non voulues ont fait naître” → l’attroupement est spontané. Des dégâts commis dans une manifestation ne sont pas couverts par ce régime législatif.

Quand on regarde la jurisprudence, ce régime s’applique :
1- aux dégâts commis lors d’attroupement spontanés, souvent consécutifs à un évènement violent ;
2- lorsque des groupes violents s’extraient d’une manifestation et commettent des dégâts.

Section 2 : Le préjudice

💡
Rappel : dans certains domaines, la responsabilité d’une personne publique ne peut être engagée que si la victime démontre un préjudice anormal et spécial.

Le préjudice réparable doit être certain.
Bien sûr, le préjudice peut être futur, dès lors qu’il y a une forte probabilité de sa réalisation.

Le juge administratif a mis du temps à accepter le principe d’une réparation du préjudice moral.
Il a fallu attendre la décision Conseil d’État, 1961, Letisserand :
Le Conseil d’État accepte l’idée d’une réparation de la douleur morale.

Comme le juge judiciaire, le juge administratif dispose d’une nomenclature des préjudices liés aux dommages corporels (ça n’est pas la même → pas la nomenclature Dinthillac).

Le préjudice indemnisable peut être aussi bien le préjudice de la victime directe que celui de la victime par ricochet.

Il existe en droit administratif des présomptions de préjudice.
Ces présomptions existent aussi en droit privé et concernent le préjudice moral.
Pour l’essentiel, on les trouve lorsque sont en cause des atteintes à des droits fondamentaux.

Exemple : Conseil d’État, 13 janvier 2017 :
Lorsqu’un détenu subit une atteinte à sa dignité ou est exposée à des conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine, cette atteinte est de nature à engendrer par elle-même pour la personne qui en est victime un préjudice moral qu’il incombe à l’État de réparer.

On retrouve aussi ce genre de jurisprudences lorsqu’est en cause à un droit à un délai raisonnable de jugement.

Comment justifier ces présomptions ?

  1. Il y a une vraie difficulté à démontrer l’existence du préjudice moral dans certaines circonstances ;
  1. Il y a une volonté du juge de stigmatiser les atteintes à des droits fondamentaux → la responsabilité devient une forme de sanction implicite.

Section 3 : Le lien de causalité

§ 1. L’appréciation de causalité

Il existe 3 théories doctrinales en matière de causalité :

  1. La théorie de l’équivalence des conditions tient compte de tous les faits qui ont conduit à la réalisation du dommage.
    → Conception très souple du lien de causalité.
  1. La théorie de la causalité adéquate ne retient que les faits qui ont joué un rôle décisif dans la réalisation du dommage.
  1. La théorie de la causa proxima considère que le fait à l’origine du dommage est celui qui précède immédiatement la réalisation du dommage → lien temporel.
    → Conception très restrictive du lien de causalité.

On considère en général que le juge administratif s’inspire plutôt de la théorie de la causalité adéquate, qui constitue une sorte de compromis entre les 2 autres théories.
Arrêt emblématique :

Conseil d’État, 1969, Société établissement Lassailly et Bichebois :
Des travaux de goudronnage ont lieu sur la place devant un cinéma ; les moquettes du cinéma se retrouvent souillées.
Le propriétaire du cinéma engage une action en responsabilité contre l’entrepreneur de ces travaux publics.
Existe-t-il un lien de causalité entre les faits (le goudronnage de la place) et le dommage (les moquettes souillées) ?
Difficulté : entre les travaux sur la place et le dommage, il y a un fait de l’homme = les clients qui ont marché dans le goudron.

Le Conseil d’État estime que le fait de l’homme en question était la conséquence inéluctable de l’état dans lequel l’entrepreneur avait laissé le chantier → c’est le goudronnage de la place + la légèreté de l’entrepreneur de travaux publics qui ont joué un rôle décisif dans le dommage.
Cet arrêt est emblématique d’une application de la théorie de la causalité adéquate.

Exemple d’actualité :
TA Paris, 28 juin 2022, (Covid 19) :
Une personne fortement atteinte par la Covid-19 engage une action en responsabilité contre l’État en stigmatisant une faute : l’État avait communiqué sur l’inutilité du recours aux masques après ne pas en avoir prévu suffisamment.
Question : quid du lien de causalité ?

Le TA de Paris constate bien une faute commise par l’État ; néanmoins, il considère qu’il n’y a pas de lien de causalité suffisamment direct entre la faute et le dommage, pour 3 raisons :

  1. La nature très contagieuse du virus → aléa sur la contamination ;
  1. L’absence de caractère infaillible des mesures de prévention telles que le port du masque ;
  1. L’existence d’autres mesures permettant de se protéger.

§ 2. Les présomptions de causalité

Il existe des présomptions de causalité.
Certaines sont d’origine légale.
Par exemple, l’article L3122-2 du Code de la santé publique prévoit que les personnes qui ont contracté le SIDA par transfusion sanguine n’ont pas à démontrer que cette contamination est liée aux transfusions sanguines qu’elles ont subi.

Dans des grands scandales, notamment sanitaires, les juges ont aussi posé des présomptions.
Exemples : présomptions établies au bénéfice des salariés victimes de l’amiante, des vaccinés contre l’hépatite B ayant contracté une sclérose en plaques…

§ 3. Les causes étrangères

On parle de cause étrangère ou cause exonératoire lorsque le juge administratif prend en compte d’autres considérations que l’action du défendeur qui ont pu jouer dans la réalisation du dommage, pour éventuellement atténuer en tout ou partie la responsabilité du défendeur.

A – Faute de la victime

La faute de la victime entraîne une exonération totale ou partielle de l’auteur du dommage, dans tous les cas de responsabilité administrative (responsabilité pour faute et sans faute).

Exemple pour le régime de responsabilité au bénéfice de l’usager d’un ouvrage public, qui est un régime de droit commun qui repose sur la faute présumée : la victime n’a pas à démontrer une faute de l’administration, c’est à l’administration de démonter qu’elle a normalement entretenu l’ouvrage (= régime du défaut d’entretien normal).

Conseil d’État, 2000, Département de la Dordogne :
Un motard emprunte une route mal entretenue et décède suite à un accident.
Il y avait une faute du département.
Ici, le Conseil d’État décide d’atténuer la responsabilité du département au motif que la victime n’avait pas fait preuve de toute la prudence nécessaire pour adapter sa conduite au danger de la chaussée → faute de la victime, qui conduit à l’exonération partielle du département.

B – Force majeure

L’évènement de force majeure doit présenter 3 caractéristiques :

  1. Extériorité ;
  1. Imprévisibilité ;
  1. Irrésistibilité.

Le juge administratif fait une application assez stricte de ces 3 conditions posées par la jurisprudence.

Exemple : Conseil d’État, 1986, Commune de Val d’Isère :
Une avalanche avait emporté un grand chalet de l’UCPA ayant fait 39 morts.
Le Conseil d’État juge que, malgré sa violence, cette avalanche ne constitue pas un évènement de force majeure, en raison du fait qu’une avalanche était déjà intervenue 3 fois à ce même endroit depuis 70 ans.

Exemple : Conseil d’État, 2021, Association syndicale autorisée de la Vallée du Lay :
La tempête Xynthia (dans les années 2000) cause des dégâts importants.
Le Conseil d’État que cet évènement n’est pas constitutif d’un évènement de force majeure, en retenant que des submersions importantes avaient déjà eu lieu au long du 20ème siècle dans la zone touchée + plusieurs études scientifiques avaient mis en évidence les risques dans cette zone.

C – Fait d’un tiers

Ici, il faut distinguer la responsabilité pour faute et la responsabilité sans faute.

Lorsqu’est en cause la responsabilité pour faute, le fait d’un tiers joue le même rôle que la faute de la victime : l’exonération totale ou partielle du défendeur.

Exemple :
Un jeune enfant se noie dans une piscine municipale. Ce jeune enfant était sous la garde de sa tante, qui avait également sous sa surveillance 3 autres enfants âgés de 1 à 12 ans. L’enfant en question ne portait pas de protections, ne savait pas nager, et était déjà tombé le matin-même dans le même bassin et avait été secouru par un usager. Au moment de l’accident, la tante était à 50 mètres.
Quelle est la responsabilité de la commune ?
Dans cette affaire, le juge considère que l’existence d’une surveillance de la baignade ne dispense pas les adultes de veiller sur les enfants placés sous leur responsabilité.
Le manquement de la tante à son devoir de surveillance a permis d’exonérer la commune de la moitié des conséquences dommageables de l’accident.

En présence de la responsabilité sans faute, le fait d’un tiers est sans effets sur la responsabilité du défendeur.

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