La justice mauricienne : la cour suprême

Fiche rédigée par Jamil Kureemun.

I. INTRODUCTION

1.1. Historique

L’histoire de l’Ile Maurice a marqué le développement de son système juridique. Les premiers colonisateurs étaient français mais en 1810, ils cédèrent l’Ile aux anglais à la suite de l’Acte de capitulation de 1810.
Au plan judiciaire, les anglais ont introduit une procédure et un système de preuve essentiellement d’origine anglaise. Parallèlement à la création de la Cour suprême actuelle, ils ont consacré l’usage de l’anglais – proclamé langue officielle – et imposé aux avocats de suivre la formation organisée par les « Inns of Court » de Londres.
La présence française, peu importante dans le judiciaire, est demeurée très vigoureuse au niveau du droit privé à travers les codes napoléoniens perpétuant l’existence d’un droit mixte à l’Ile Maurice. Ce phénomène influence indirectement l’utilisation par les juges des sources anglaises.

1.2. Place hiérarchique dans le système judiciaire

Placée à la tête du système judiciaire, la Cour suprême a renforcé sa position en obtenant le contrôle de la magistrature assise et debout, et le pouvoir disciplinaire au sein de celle-ci et des professions de justice.

II. FONDEMENTS TEXTUELS

Les articles 76-84 de la Constitution de l’Ile Maurice entérinent le pouvoir judiciaire dans l’Ile. Pour ce qui est de la procédure, ce sont les dispositions du Courts Act qui régissent le droit mauricien, alimentées par des Rules of Court qui sont rédigées par les juges.

III. COMPOSITION ET ORGANISATION

3.1. Le Conseil privé

Exception faite à une compétence « ratione materiae » du Conseil privé, la Cour suprême reste la juridiction suprême de l’Ile Maurice.

L’appel devant le Conseil privé

Le Conseil privé, juridiction d’appel, fixe librement sa compétence soit contre l’avis de législateur mauricien malgré les termes de la Constitution, soit contre celui de la Cour suprême par le biais du « special leave ». En pratique il suit les règles de compétence fixées depuis longtemps, avant même l’indépendance du pays, par sa jurisprudence, particulièrement au pénal. En matière civile et constitutionnelle, le Conseil intervient directement sans l’écran d’une Cour d’appel mauricienne quand la Cour suprême statue en premier et dernier ressort. Cette situation exceptionnelle n’est pas sans danger selon l’avis même du Conseil privé.

3.2. La Cour suprême

a. Composition

La Cour suprême se compose essentiellement du « Chief Justice » (chef juge), du « Senior Puisne Judge et de cinq « Juges Puisne. Le chef juge est nommé par le président de la République, tenu de suivre ici l’avis du Premier ministre. Le président désigne aussi le « Senior Puisne Judge sur avis du chef juge ainsi que les « Juges Puisne en accord avec la Commission du Service judiciaire et légal (Judicial and Legal Service Commission). Si une condition de recrutement d’un « Law Lord anglais est qu’il doit avoir pratiqué comme avocat pendant au moins quinze ans, à Maurice cinq ans de pratique professionnelle suffiraient. L’âge moyen d’entrée en fonction est relativement jeune: 46 ans contre 60 ans pour les « Lords. Les juges mauriciens restent en fonction entre 10 et 20 ans en moyenne avec un âge de départ à la retraite fixé à 62 ans.
Les juges mauriciens, tous formés en Grande-Bretagne, suivent un long cursus de carrière « à la française au sein de la magistrature assise et au parquet. Ce fait ne semble pas avoir eu d’impact sur l’indépendance du judiciaire. À partir de 1986, une formation tout à fait mauricienne fut rendue possible par la création d’un « Council of Legal Education à Maurice.

b. Organisation judiciaire

La Cour suprême à travers trois formations différentes connaît des appels de ses sections statuant en premier ressort et des Cours inférieures.
1) En ce qui concerne les juridictions inférieures : Cour intermédiaire, Cours de district, Tribunaux spécialisés, il s’agit de la Cour d’appel en matière civile et criminelle. Elle se compose généralement de deux juges, trois en cas de désaccord.
2) La Cour d’appel criminelle connaît uniquement des appels dirigés contre les jugements de la Cour d’assise. Signe de son importance, trois juges y participent dont le chef juge ou son adjoint qui en assurent la présidence.
3) La Cour d’appel en matière civile traite des décisions rendues par la Cour suprême statuant en premier ressort à travers un juge unique. Ce dernier ne participe pas à la juridiction d’appel comprenant deux ou trois juges.
Dans des cas exceptionnels, la Cour suprême agira non pas comme une Cour d’appel mais comme une sorte de Cour de cassation liée par les faits constatés par la juridiction statuant en premier ressort. Il s’agit d’une procédure assez particulière nomme « by way of case stated. Dans ce cas, elle se prononce uniquement sur un ou plusieurs points de droit. Elle a trois possibilités : confirmation, cassation avec renvoi à la juridiction de première instance, cassation sans renvoi. Ces possibilités sont expressément prévues dans le Court Acts, article 126, envers les décisions des Cours de district et de la Cour intermédiaire et en ce qui concerne les affaires de la compétence de la Cour d’appel en matière civile, par l’article 4 du Courts of Civil Appeal de 1963.

c. Organisation administrative

Aucun membre de la Cour suprême ne peut avoir une autre fonction rémunérée au sein du gouvernement ni exercer une activité commerciale. Les juges doivent se consacrer exclusivement à leurs obligations judiciaires. Un membre de la Cour suprême reste normalement en fonction jusqu’à l’âge de 62 ans, mais il peut être révoqué pour incapacité ou pour faute grave par le président à la suite d’une requête formulée par l’Assemblée nationale.
Le chef juge préside toutes les audiences de la Cour auxquelles il assiste. C’est à lui qu’incombe la répartition des affaires de la Cour.
La Cour suprême tient trois sessions par an. La première session commence le premier lundi de janvier et se termine fin mars; la deuxième commence le premier lundi de mai et continue jusqu’à la fin du mois de juillet; et la troisième commence le premier lundi de septembre pour se terminer le dernier vendredi de novembre. Les dates d’ouverture prévues par la loi peuvent être modifiées à condition que soit donné le préavis requis.
La Cour siège uniquement à Port Louis et ses audiences sont toujours ouvertes au public. Lorsqu’elle est en session, la Cour siège du lundi au vendredi, de 10 h 15 à 12 h 30 et de 14 h à 16 h. Le quorum est de cinq membres pour les recours, mais la plupart des affaires sont tranchées par un collège de deux ou trois juges.
Sauf dispense spéciale de la Cour, les seules personnes qui peuvent plaider devant celle-ci, en dehors des parties elles-mêmes, sont des avocats dûment inscrits au barreau mauricien.
La décision de la Cour peut être rendue à l’issue d’une audience. Mais dans la plupart des cas, elle est mise en délibéré pour permettre aux juges de rédiger des attendus après mûre réflexion. Les arrêts de la Cour n’ont pas besoin d’être rendus à l’unanimité; la majorité peut se prononcer, tandis que la minorité peut exprimer ses motifs de dissension. Chaque juge peut, dans tous les cas, mettre par écrit, s’il le souhaite, les motifs sur lesquels il s’est fondé.
Responsable directement devant le chef juge, le Master and Registrar a la charge de tout le travail administratif de la Cour.
Cela comprend le contrôle du personnel de la Cour, la gestion de la bibliothèque et du greffe, et la publication des rapports de la Cour suprême. Le Master and Registrar et le Deputy Master and Registrar sont nommés par la Judicial and Legal Service Commission. Le personnel de la Cour suprême comprend environ 150 employés qui sont tous des agents du service public nommés par la Public Service Commission.
Chaque juge de la Cour dispose d’un secrétaire pour gérer efficacement ses activités professionnelles.

IV. COMPETENCES

La compétence de la Cour suprême est exceptionnellement étendue. En droit public, elle possède d’importantes attributions en matière constitutionnelle et électorale fixées par la Constitution. En droit privé, la Cour exerce à la fois une juridiction d’exception et de droit commun. Au sein du système judiciaire mauricien, la Cour suprême associe les fonctions de juridiction de première instance à celles de juridiction d’appel.

4.1. Contrôle de constitutionnalité

La Cour suprême détient le monopole du contrôle de constitutionnalité dans le système mauricien.
Elle possède une compétence d’attribution générale jouant même contre toute clause contraire à la Constitution. En application du principe de séparation des pouvoirs notamment, la Cour reconnaît une large autonomie au législateur et à l’exécutif, par exemple: l’application du droit de propriété. Elle exerce dans ce cas un contrôle minimum. Ce dernier dans la matière prise en exemple est d’autant plus restreint que la Cour introduit une « quasi présomption de constitutionnalité en faveur de l’exécutif.
La Cour, alors qu’elle favorise le contrôle a posteriori, a expressément rejeté dans des conditions difficiles le contrôle a priori. Le contrôle a priori est expressément prévu par l’article 17(2) de la Constitution qui admet le simple risque vraisemblable d’une violation des droits fondamentaux, sans définir la nature du risque, loi ou projet de loi.

• Les modalités d’exercice de la compétence constitutionnelle
Chargée du contrôle de constitutionnalité, la Cour suprême mauricienne dispose à cette fin d’un large éventail de voies de recours issu en principe de l’Angleterre mais qui peut être adapté à la situation mauricienne.
Dans l’examen des décisions des commissions spécialisées ou disciplinaires, la Cour suprême exerce soit sur la base de l’article 119, soit en cas d’excès de pouvoir manifeste un simple contrôle de légalité.

• En matière administrative
À l’Ile Maurice, les voies de recours conventionnelles anglaises de droit public tels que « certioriari ont été régulièrement utilisées afin de contrôler les commissions spécialisées disciplinaires. Cette compétence en matière administrative s’appuie sur les articles 76(1) de la Constitution et 15 du Courts Act de 1945. Ce dernier, qui attribuait à la Cour suprême les mêmes pouvoirs que ceux possédés par la Haute-Cour d’Angleterre, a été modifié en 1981. Désormais les juges mauriciens exercent tous les pouvoirs nécessaires à l’application des lois mauriciennes.
La Constitution distingue d’une part le contrôle par voie d’action avec deux voies de droit: article 17 pour les libertés fondamentales, article 83 pour le reste de la Constitution; et d’autre part, le contrôle par voie d’exception à travers l’article 84. L’opposition entre l’article 17 et l’article 83 possède sa raison d’être: il s’agit d’assurer une protection plus grande aux libertés fondamentales en facilitant la saisine de la Cour. Le faible nombre d’instances justifie la souplesse de la Cour au niveau des conditions de forme. Elle n’a pas besoin d’utiliser les dispositions plus restrictives de l’article 83 afin de dissuader les plaideurs. La réforme de 1990, en supprimant la distinction, renforce la capacité d’intervention de la Cour en particulier dans le domaine des relations entre les pouvoirs.

4.2. Compétences autres que le contrôle de constitutionnalité

• Juridiction de première instance
À côté de sections spécialisées – faillites, Cour d’assise – la Cour possède une compétence de droit commun en matière civile et une compétence d’attribution en matière constitutionnelle.

• Les attributions en matière de droit privé
En matière civile, en plus d’une compétence exclusive dans certains cas – contrats de mariage, adoption, interdiction, séparation de corps, divorce, état des personnes, successions, actions contre les principaux auxiliaires de justice (avocats, avoués, notaires) – la Cour possède une compétence générale. Celle-ci est exclusive dans le cas des affaires dont l’intérêt est supérieur ou égal à 500 000 Rs. L’affaire est traitée soit par un juge unique siégeant en chambre ou en Cour, soit par une juridiction collégiale – de deux ou de trois juges en cas de désaccord – si elle est plus complexe. Dans les autres cas, elle est partagée avec les Cours inférieures aux risques et périls du demandeur moindre qui en cas d’échec paiera des dépenses plus élevées, au taux de la Cour suprême.

• Juridiction en matière pénale
En matière pénale, la Cour d’assise mauricienne diffère sur de nombreux points de celle fonctionnant en France. À côté d’un juge unique, le jury de neuf membres était composé exclusivement d’hommes jusqu’en 1990. L’instruction d’une affaire se réalise à l’audience, le juge d’instruction n’existant pas à Maurice. La Cour d’assise utilise la procédure anglaise. Le juge qui préside le procès n’assiste pas à la délibération du jury sur les faits. La Cour d’assise ne traite désormais que les affaires les plus graves: meurtres, assassinats et les délits de trafic de stupéfiants. Dans ce dernier cas, l’audience se déroule devant le juge unique sans jury.

• Juridiction en matière commerciale
En matière commerciale, la section des faillites possède une compétence exclusive sur tout ce qui concerne la faillite, l’insolvabilité et la liquidation des sociétés. Le Master and Registrar de la Cour suprême détient cette juridiction. Il exerce, en la matière, de véritables pouvoirs de juge, ce qui a amené F. Boula à le qualifier de « super greffier.

• Les modalités d’exercice de la compétence autre que le contrôle de constitutionnalité
La Cour suprême à travers les règles de procédure et les conditions de recevabilité de la saisine dispose d’un arsenal juridique considérable propre à rejeter tous les recours abusifs. Cette juridiction, contrairement à d’autres du Commonwealth, a usé libéralement de ses pouvoirs pour engager sur le fond le débat constitutionnel, tout en étant moins audacieuse sur ce dernier plan. En application de cette politique d’ouverture, elle a simplifié l’exercice des recours en inconstitutionnalité – tout en minimisant la portée des règles de forme et des différences existant entre les diverses voies de recours ad hoc créant un contrôle de type objectif.

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