Introduction au cours d’histoire du droit des biens

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Ce cours est inspiré du livre Histoire du droit civil d’André Castaldo.

Nous allons ici porter le regard sur la distinction entre propriété et possession en droit romain.

La distinction entre propriĂ©tĂ© et possession n’a de sens que pour les juristes : le profane ne fait pas la distinction.
Pour expliquer au profane la nĂ©cessitĂ© de distinguer entre les 2 termes pour souligner l’existence de 2 rĂ©alitĂ©s diffĂ©rents, il faut faire des dĂ©tours.
On peut par exemple essayer d’expliquer la situation du locataire qui agit comme un propriĂ©taire sans avoir un titre de propriĂ©tĂ© ; mais, en droit, le locataire n’est pas un vĂ©ritable propriĂ©taire (+ et il le sait), donc la distinction entre avoir un titre de propriĂ©tĂ© ou ne pas en avoir n’est pas suffisant.

Il peut arriver que quelqu’un qui occupe un fond pense ĂŞtre propriĂ©taire ; autrement dit, il il peut arriver qu’il soit de bonne foi.
Cette bonne foi appelle sur lui une certaine commisération de la part du juge.

Les romains ne partent pas des concepts ; ils partent des faits et des situations concrètes.
Ils réfléchissent aux moyens procéduraux de défendre telle ou telle situation de fait.

Ils inventent le terme de possession pour dĂ©signer la situation concrète d’un non propriĂ©taire dont il faut dĂ©fendre les intĂ©rĂŞts. Bien qu’il ne soit pas propriĂ©taire, on lui permet d’invoquer sa qualitĂ© de possesseur pour se maintenir sur le fonds.

Les romains diront “Nihil commune habet proprietas cum possessione” = “la propriĂ©tĂ© n’a rien de commun avec la possession”.
Encore aujourd’hui, on ne peut pas agir Ă  la fois sur le possessoire et sur le pĂ©titoire.

La propriété à Rome est un terme juridiquement très vague, imprécis et confus.
La propriété, c’est ce qui se trouve légitimement dans mon patrimoine.

La possession est une situation de pur fait.
C’est un fait que l’on protège.
La possession, dans son Ă©tymologie mĂŞme, renvoie mĂŞme Ă  cette situation de fait : possession vient de ‘potis‘, qui revient Ă  l’idĂ©e de puissance / de pouvoir, et ‘cedeo‘, qui signifie siĂ©ger ou ĂŞtre assis.
Autrement dit, c’est une puissance de fait qui s’exerce durablement sur une chose.

Les autoritĂ©s publiques romaines ne voient pas dans cette situation quelque chose de contraire Ă  l’ordre public ; il s’agit mĂŞme d’une situation protĂ©gĂ©e au nom de l’Ă©quitĂ©, voire parfois au nom de la protection de l’ordre public.

Cette distinction a alimenté les débats doctrinaux en Allemagne au 19e siècle :

  • En 1803, Ihering fait paraĂ®tre son essai sur le fondement de la protection possessoire.
    Il s’interroge sur le ressort thĂ©orique qui a amenĂ© le droit romain Ă  protĂ©ger (parfois mĂŞme contre le propriĂ©taire !) la situation de fait d’un particulier.

    Il définit la possession comme le « bastion avancé de la propriété ».
    IdĂ©e : la plupart du temps, le propriĂ©taire est le possesseur, donc en protĂ©geant la possession, on protège la propriĂ©tĂ© (il est bien + facile d’administrer la preuve d’un fait qu’administrer la preuve d’un droit).

  • Ă€ l’inverse, Savigny met en avant dans son TraitĂ© de la possession certains cas limites dans lesquels on protège le possesseur contre le propriĂ©taire.
    Il n’explique cette Ă©trangetĂ© que par le recours Ă  l’idĂ©e d’ordre public.
    IdĂ©e : en dĂ©fendant une situation de fait, on dĂ©fend l’ordre de la citĂ© + on prohibe toute vellĂ©itĂ© Ă  se faire justice soi-mĂŞme.

Ni Ihering ni Savigny n’ont totalement raison.
Le dĂ©faut de leurs thĂ©ories, c’est qu’il s’agit de thĂ©ories, alors que la possession romaine est un outil, qui est guidĂ© par des besoins changeants.

Il peut aussi arriver que le remède possessoire soit un moyen Ă  la disposition du magistrat pour rĂ©tablir l’ordre.
Ihering et Savigny cherchent la thĂ©orie de la possession Ă  Rome, mais il n’y en a pas : il n’y a que des techniques possessoires, qui inspirent des actions possessoires.

Comme souvent en matière de procĂ©dure, c’est le droit canonique qui va permettre de rĂ©instaurer les techniques romaines.
Par exemple, l’action de réintégrande concernait à l’origine l’évêque expulsé de son diocèse par un principe territorial qui avait voulu nommer sur la chaire un autre évêque.

L’action de rĂ©intĂ©grande est une action possessoire ouverte Ă  tout dĂ©tenteur d’un bien pour recouvrer la possession qui lui a Ă©tĂ© enlevĂ©e par une voie de fait commise avec ou sans violence.
Cette action dérive d’un intérêt possessoire romain, qui s’appelle l’interdit unde vi.

À côté existait aussi la complainte, qui permettait au juge de faire cesser des troubles possessoires très divers.
→ La complainte est la “voiture balai” de l’action possessoire : on l’utilise si on ne peut pas en utiliser une autre.

Enfin, la dénonciation de nouvelle œuvre était la 3ème action possible.

Ce triptyque de l’action possessoire, crĂ©Ă© par la pratique de l’ancien droit hĂ©ritier du droit romain, est repris implicitement dans la codification napolĂ©onienne et confirmĂ© explicitement par la loi du 25 mai 1838.

Le législateur confirme en 1875 l’existence des 3 actions traditionnelles.
Désormais, leur existence est signalée non plus seulement dans le Code de procédure civile, mais aussi dans le Code civil.

À partir des années 1980, certains avocats astucieux vont chercher à utiliser la procédure de référé pour éluder le recours aux dispositions des codes relatives aux actions possessoires.
PlutĂ´t que de s’engager sur la voie possessoire, en marge d’un contentieux pĂ©titoire, les parties prĂ©fĂ©raient ainsi demander au prĂ©sident du tribunal de grande instance de prendre certaines mesures conservatoires en raison de l’urgence.

Mais problème : y a-t-il un caractère d’ordre public ?
Dans un arrĂŞt du 28 juin 1996, l’assemblĂ©e plĂ©nière de la Cour de cassation accepte que le rĂ©fĂ©rĂ© soit une alternative Ă  l’utilisation des actes possessoires.
→ On parle de référé possessoire, dans les conditions de la vie judiciaire concrète.

En effet, intenter un procès possessoire peut durer des années.
Les jours de cette action sont désormais comptés.
En 2015, la loi n°2015-177 relative à la simplification du droit et des procédures a abrogé les dispositions spécifiques aux actions possessoires.
Le législateur parle toujours du principe de non cumul du pétitoire et du possessoire ; il fait toujours référence à la notion de possession ; mais la protection de la possession relève du régime commun des référés.

Aujourd’hui, dans notre législation, le possessoire existe donc toujours ; mais, en l’absence de régime procédural spécifique, la spécificité de la possession et du possessoire a tendance à s’effacer.
Ainsi, la rĂ©alitĂ© juridique existe toujours, mais son rĂ©gime n’existe plus : il a Ă©tĂ© absorbĂ© par le droit commun → par la notion d’urgence, par l’idĂ©e de prĂ©servation d’une situation donnĂ©e.

Ă€ Rome, la frontière est infiniment plus marquĂ©e : l’action en revendication (= le pĂ©titoire) exclut le possessoire radicalement, parce que pĂ©titoire et possessoire n’ont pas le mĂŞme objet.

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