Commentaire d’arrêt : Tribunal des conflits, Centre hospitalier de Cadillac (2022)

Cette décision Centre hospitalier de Cadillac, rendue par le Tribunal des conflits le 11 avril 2022, porte sur l’épineuse question du domaine des contrats administratifs.

En l’espèce, une association et un centre hospitalier concluent une convention relative “à la mise en œuvre d’une initiative culturelle transversale” qui n’aurait “aucune dimension thérapeutique”. Le centre hospitalier saisit ensuite le tribunal administratif, en tant que juge du contrat, pour obtenir le retrait de vidéos diffusées en ligne dans le cadre de l’application de ce contrat. L’association attaquée conteste la compétence du juge administratif pour connaître des litiges relatifs à ce contrat ; ce dernier renvoie au Tribunal des conflits le soin de décider sur la question de compétence.

La notion de contrat administratif et son périmètre ayant connu récemment, notamment depuis la décision Société Tropic Travaux Signalisation rendue en 2007 par le Conseil d’État, de profondes évolutions d’origine jurisprudentielle mais aussi législative, il semble pertinent de s’interroger sur la manière dont le Tribunal des conflits applique ces nouveaux critères. Dès lors, dans quelle mesure cette décision synthétise-t-elle 15 ans d’évolutions majeures en matière de détermination de l’administrativité des contrats ?

En se fondant sur une évolution législative récente, le Tribunal rappelle qu’un marché public doit nécessairement répondre aux besoins en produits ou service de la personne publique contractante pour être considéré comme tel ; il relève ensuite que le contrat mis en cause échappe à la qualification de contrat administratif en raison de son absence de lien suffisant avec la mission de service public incombant à la personne publique contractante, avant de conclure en rappelant le critère récemment renouvelé de prise en compte de l’intérêt général pour pouvoir appliquer le régime exorbitant des contrats administratifs. Il conviendra d’abord d’étudier le rejet de la qualification du contrat de marché public (I), avant de s’intéresser au refus similaire de le requalifier en contrat administratif (II).

I – Le rejet de la qualification de marché public

Sur la base de la définition législative en vigueur au moment des faits, qui était alors relativement récente (A), le Tribunal des conflits retient qu’un marché public doit obligatoirement répondre aux besoins de la personne publique contractante (B) et rejette donc cette qualification en l’espèce.

A – La seule prise en compte de la définition législative du marché public

Le Tribunal commence ici par se fonder, dans le paragraphe n°2 de cette décision, sur l’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, qui était alors en vigueur au moment des faits et qui définit les marchés publics et le régime qui leur est applicable. Les juges relèvent notamment que son article 3 prévoit que “les marchés publics […] passés par des personnes morales de droit public sont des contrats administratifs” et que son article 4 dispose que les marchés publics sont passés ”par un ou plusieurs acheteurs […] pour répondre à leurs besoins”.

Il faut noter que ce texte, qui avait valeur légale et qui a aujourd’hui été codifié à l’article L6 du Code de la commande publique, est venu modifier les critères de qualification des marchés publics. En effet, les marchés publics étaient auparavant soumis à des critères jurisprudentiels, suivant lesquels il y avait des marchés publics de droit privé, jusqu’à ce que le législateur n’intervienne en 2001 par la loi MURCEF, qui disposait que tous les marchés publics “ont le caractère de contrats administratifs” avant que l’ordonnance de 2015 ne vienne modifier cette disposition pour restreindre la qualification de contrats administratifs aux seuls marchés publics passés par des personnes morales de droit public. Le Tribunal fait donc ici application d’un nouveau critère de qualification des marchés publics, qui trouve son origine dans un texte à valeur législative.

C’est sur la base de cette définition législative que le Tribunal étudie les clauses de la convention concernée pour refuser sa requalification en marché public.

B – Le critère retenu de la réponse aux besoins de la personne publique contractante

Dans le paragraphe n°3 de cette décision, le Tribunal des conflits affirme que “il ne ressort ni des termes de la convention […], ni des écritures des parties que cette convention […] ait eu pour objet de répondre aux besoins du centre hospitalier […]. Elle ne constitue donc pas un marché public”. Il déduit donc des termes de l’ordonnance précitée qu’un marché public doit nécessairement répondre aux besoins de l’acheteur, et il étudie en l’espèce les clauses de la convention pour écarter sa requalification en marché public, en considérant que même si l’activité prévue par la convention s’inscrit dans une politique de l’établissement (“dans le cadre de son projet culturel”), elle ne répond pas pour autant à ses besoins.

Une telle étude des clauses de la convention semble pertinente, puisqu’elle permet d’appliquer plus finalement la condition de réponse aux besoins ainsi dégagée et donc de limiter le champ des contrats administratifs, dont le régime est moins protecteur pour les contractants que le régime commun des contrats. L’absence de précision apportée à cette condition peut cependant sembler regrettable, puisque cela signifie que le Tribunal des conflits devra à nouveau être saisi à chaque fois qu’une question similaire se pose pour qu’il étudie les clauses de la convention mise en cause, sans qu’une solution systématiquement applicable ne soit clairement dégagée. 

Après avoir refusé de requalifier la convention attaquée en marché public, le Tribunal rejette plus largement la qualification de contrat administratif.

II – Le rejet de la qualification de contrat administratif

Pour rejeter la qualification de contrat administratif, le Tribunal retient que la convention mise en cause n’a pas de lien avec la mission de service public qui incombe à la personne publique contractante qui suffirait à la caractériser de contrat administratif (A), puis applique les conditions récemment modernisées de l’application du régime des contrats administratifs en raison de clauses contractuelles exorbitantes (B).

A – La nécessité d’un lien suffisant avec la mission de service public incombant à la personne publique contractante

Pour qualifier la convention liant l’association au centre hospitalier de contrat de droit privé, le Tribunal des conflits commence par souligner qu’elle “n’a pas pour objet l’organisation ou l’exécution d’une mission de service public”. Les juges rappellent ici le principe jurisprudentiel posé par la décision Époux Bertin du Conseil d’État de 1956, qui fait du service public l’un des critères du contrat administratif. Ils déterminent cependant, en se fondant ici encore sur les clauses de la convention mais aussi sur les missions de service public confiées par le législateur aux établissements de santé par l’article L6111-1 du Code de la santé publique, que les conditions ne sont pas réunies pour appliquer cette jurisprudence, en raison de l’absence d’un lien suffisant entre la convention et cette mission de service public.

Cette application restrictive du critère de la participation à l’exécution du service public par le cocontractant doit être approuvée, puisqu’elle permet de limiter le périmètre des contrats administratifs et ainsi de mieux protéger le cocontractants des personnes publiques. Elle peut néanmoins sembler curieuse, puisque le Tribunal lui-même relève que l’activité culturelle prévue par la convention relève bien d’une politique de l’établissement.

Si une convention peut être qualifiée de contrat administratif en raison de son lien avec une activité de service public, elle peut aussi l’être en raison de la présence de clauses exorbitantes.

B – Le critère récemment renouvelé des clauses exorbitantes

Le Tribunal conclut sa décision en notant que la convention attaquée “ne comporte aucune clause qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l’exécution du contrat, impliquerait, dans l’intérêt général, qu’elle relève du régime exorbitant des contrats administratifs”. Il s’agit ici d’une reprise mot pour mot du critère jurisprudentiel dégagé pour la première fois par le Tribunal des conflits dans sa décision SA Axa France IARD (2014), qui a mis fin au principe posé par la décision du Conseil d’État Société des granits porphyroïdes des Vosges (1912) selon laquelle tout contrat comportant une clause exorbitante du droit commun est administratif, en y ajoutant une condition d’intérêt général qui limite fortement les conditions dans lesquelles il s’applique.

En faisant application de ces nouvelles conditions encore relativement nouvelles, le Tribunal des conflits conclut une décision qui synthétise de nombreuses évolutions récentes légales comme jurisprudentielles en matière de requalification de contrats en contrats administratifs. Ces évolutions permettent de limiter le champ des contrats administratifs, dont le régime juridique se révèle être peu protecteur des cocontractants des personnes publiques, et doivent donc être saluées, même si elles ne contribuent malheureusement pas à une simplification du droit qui semblerait pourtant nécessaire en la matière.

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