Cours 14 : L’intention

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L’intention est l’exigence morale de droit commun.
Elle est requise pour tous les crimes et pour les délits dès lors qu’une faute n’est pas spécialement exigée.

Par défaut, un comportement est donc intentionnel.
Cette banalisation conduit nécessairement à un affaiblissement du caractère distinctif de l’intention.
Il en va d’autant plus que l’intention – comme la faute d’ailleurs – ne constitue pas une réalité psychologique qui peut être envisagée de manière autonome.

L’intention requise pour caractériser un crime (et un délit dès lors que la loi n’en dispose pas autrement) doit résulter d’indices factuels permettant de l’apprécier de manière objective.
Cette intention là présente nécessairement un caractère générique.

L’intention ainsi envisagée – cette intention désincarnée – est spécialement qualifiée de dol en droit pénal.
Le caractère abstrait de l’intention devrait empêcher d’admettre qu’elle soit susceptible de degré ; néanmoins, la doctrine oppose parfois à un dol général (synonyme d’intention) au dol particulier (c’est-à-dire des intentions particulières).

§ 1. Le dol général

En matière de dol général (= d’intention pénale), il existe un décalage très net entre l’analyse doctrinale et la réalité du droit positif.
Ce décalage tient au fait que la doctrine s’efforce d’analyser l’intention en soit, pour elle-même, comme une donnée psychologique, certes exprimée dans un acte, mais extérieur à celui-ci.

Or les magistrats refusent de procéder de la sorte.
Lorsque l’imputabilité d’un acte à son auteur n’est pas contestée, les magistrats se désintéressent de la personne pour n’envisager que l’acte et apprécier à partir d’éléments objectifs (= matériels) s’il révèle ou non une intention.
Les magistrats procèdent ainsi essentiellement par voie d’indices et de présomptions ; ils ignorent l’état d’esprit de l’agent au moment des faits pour se demander simplement si les faits dont ils sont saisis témoignent de si l’agent a agi intentionnellement ou pas.

Néanmoins, le rappel des propositions doctrinales s’impose, pour identifier ce que devrait être l’intention par opposition à la faute.
Nous verrons ensuite que, dans la pratique judiciaire, l’intention perd l’essentiel de ses caractères distinctifs et se distingue donc assez mal de la faute.

A – Les théories de l’intention

L’article 121-3 alinéa 1 du Code pénal emploie le terme “intention” sans pour autant le définir :

“Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre.”

Lorsqu’ensuite le même Code fait à nouveau référence, dans sa partie spéciale, à l’intention, il utilise une terminologie incertaine, puisqu’il lui arrive de parler de “fraude”, de “mauvaise foi”, “d’actes accomplis volontairement, sciemment ou en connaissance de cause”…

Pour tenter d’éclairer tout ça, on peut définir l’intention comme le désir, chez l’agent, de réaliser un comportement susceptible de recevoir une qualification pénale.

Ce désir doit être précisé : faut-il l’envisager au seul plan matériel, ou comprend-t-il également une dimension juridique ?
Autrement dit, l’agent devait-il seulement désirer se conduire comme il l’a fait, ou l’agent doit-il s’être comporté comme l’a fait avec le désir de se conformer aux prévisions d’un texte d’incrimination qu’il connaissait préalablement ?
Les débats doctrinaux résument cette question en opposant le désir d’action au désir de conformation.

1) Le désir d’action

Des auteurs de la fin du 19ème et du début du 20ème siècle définissaient le dol général (= l’intention) comme la conscience de mal faire et la volonté d’agir quand même.
Une telle définition confondait imputabilité et intention.

Elle n’est plus acceptable aujourd’hui ; en effet, s’assurer de l’intelligence et de la volonté de l’auteur des faits constitue désormais un préalable à l’examen de la responsabilité pénale.
Lorsque la question de l’intention est abordée dans un second temps, il n’est pas nécessairement acquis que la personne poursuivie comprenait son acte et a voulu agir comme elle l’a fait.
→ L’intention suppose donc plus que la conscience + la volonté : ce sont là des conditions de l’imputabilité et non de la responsabilité pénale.

Pour établir l’intention, il faut démontrer comment ces aptitudes (l’intelligence et la volonté) ont été mises en œuvre par l’agent.
L’intelligence doit avoir servi à éclairer la situation concrète dans laquelle s’est trouvé l’agent ; autrement dit, l’intelligence doit s’être transformée en connaissance.

Mais cela ne peut pas suffire : cette connaissance doit s’être accompagnée d’un usage particulier de la volonté : une véritable adhésion à l’acte → le désir de mal agir.
Exemple : le vol ne peut pas résulter du seul constat qu’un individu doué d’intelligence et de volonté s’est emparé de la chose détenue par autrui → il faut démontrer en plus que cet individu a agi dans le but de s’approprier cette chose sur laquelle il savait ne détenir aucun droit.

L’analyse doctrinale ne s’est pas arrêtée là : elle a conduit certains auteurs à s’intéresser également sur le point de savoir si le désir d’action devait se doubler d’un désir de conformation (= de la volonté d’agir comme le prévoit un texte d’incrimination en s’exposant aux peines qu’il fulmine) :

2) Le désir de conformation

Pour Garçon, grand pénaliste du début du 20ème siècle, le dol général impliquait la volonté de commettre le délit tel qu’il est déterminé par la loi : “le dol général implique la conscience chez le coupable d’enfreindre les prohibitions légales”.
Autrement dit : l’auteur des faits doit savoir que son acte correspond à une infraction et l’avoir accompli quand même.
→ Vision très restrictive de l’intention.

Or, la preuve de la conscience de violer la loi à l’occasion de la commission d’une infraction est extrêmement difficile à établir.
C’est aussi inutile, puisque d’une manière générale, dans le système juridique français, la connaissance de la loi est présumée. En effet, le principe de légalité est interprété comme non seulement permettant mais aussi obligeant les citoyens à se renseigner.

En l’état, que reste-t-il de l’infraction ? À priori seulement le désir d’action, même si ce désir d’action ne semble pas véritablement démontré par les magistrats :

B – La réalité de l’intention

On pourrait s’attendre à ce que le juge démontre que l’action accomplie révèle une tension psychologique particulière animant l’agent, mais en pratique une telle preuve est très rarement rapportée.
La Cour de cassation se contente d’affirmations en la matière : elle ne censure les décisions de fond qu’à partir du moment où elles contiennent, sur la question de l’intention, des motifs contradictoires.

Le plus souvent, le juge se contente donc d’affirmer l’existence de l’intention coupable, sans la démontrer.
Une démonstration ne s’impose qu’à l’égard des comportements matériellement ambigus, qui doivent alors être précisés par une référence expresse à l’intention.

Dans la majeure partie des cas, le dol général est ainsi devenu une exigence transparente.
Il donne rarement lieu à une preuve directe : il se déduit de la double imputation à la fois objective et subjective des faits.

Une telle exigence n’est pas devenue inutile, mais elle ne joue pas exactement le rôle auquel on pouvait s’attendre au départ.
Elle est à l’origine d’une présomption de mauvaise foi que la personne poursuivie doit pouvoir combattre en démontrant qu’elle s’est trompée, de sorte qu’elle n’a pas voulu mal agir.

1) L’intention déduite des faits

Le juge pénal, contrairement à la doctrine, n’a jamais cherché à donner un contenu positif au dol.
Il s’enforme dans une logique purement répressive et abaisse ainsi le degré d’intention jusqu’à priver cette notion de toute spécificité.

Aujourd’hui, malgré tous les efforts de la doctrine pour les distinguer, “imputabilité” et “dol général” se superposent.
La résolution criminelle à l’origine de l’acte (= la volonté de mal faire, le désir d’action) ne donne plus lieu à aucune vérification.

Dans tous les cas, que le fait incriminé soit un acte positif ou une abstention, les magistrats parviennent à déduire l’intention du fait en question.

Pourtant, la doctrine doute parfois de la légitimité d’une telle méthode. Elle soutient que l’abstention ne peut rien révéler de l’état d’esprit de l’agent.

Pour les magistrats, cela revient à jouer sur les mots, car si l’agent n’a pas fait ce qu’il devait faire, il a fait autre chose que défendait la loi pénale.
Dès lors que la loi n’impose pas de vérifier une faute, les magistrats considéreront que le fait imputable à son auteur a nécessairement été accompli intentionnellement, parce que c’est l’explication la plus vraisemblable.

Exemple :
Notre belle-mère baigne dans une mare de sang au milieu du salon et elle a un couteau planté en plein cœur.
Sur la poignée du couteau figure nos empreintes ; sur nos mains figure de son sang.
Il n’est pas établi que nous ayons agi en état de démence.

Pour les magistrats, il n’y a aucun doute que, sur la base de ces éléments factuels, nous avons voulu tuer notre belle-mère : c’est l’explication la plus vraisemblable.
Les magistrats déduisent de la matérialité des faits la preuve de notre volonté homicide, mais à aucun moment ils n’ont établi notre intention de tuer ni notre désir d’action.

→ Ils estiment que les faits suffisent à rendre vraisemblable l’intention coupable dans de telles circonstances, dès qu’on ne peut pas se prévaloir d’une clause de non-imputabilité.

Une telle extrapolation est-elle légitime ?
Les conditions d’imputabilité d’un fait ne rendent pas nécessairement vraisemblable son caractère intentionnel.
Lorsqu’ils raisonnent de la sorte, les magistrats n’établissent pas une culpabilité véritable, mais se contentent d’appliquer une sanction pour faire respecter une discipline sociale et assurer l’indemnisation des victimes.

Risque : sanctionner, sous couvert d’intention, de simples négligences ou imprudences, dès lors qu’elles ne tombent pas sous le coup d’un texte spécifique qui imposerait de les envisager spécialement comme telles.

Si on reprend l’exemple : peut-être qu’on travaillait dans la cuisine avec un couteau, qu’on a glissé sur le chat et qu’on est tombé sur la belle-mère.
En pratique, il est possible que la présomption d’intention déduite des faits nous conduise à répondre d’un meurtre (→ une infraction intentionnelle) alors qu’on a été simplement imprudent ou négligent.

→ Extension du champ de la répression à des actes qui ne sont pas concrètement intentionnels, mais procèdent de simples fautes d’imprudence ou de négligence (notamment lorsque l’infraction est reprochée à un professionnel).

Un tel mode de raisonnement est donc excessif.
En réalité, il faut convenir que l’intention est quasiment impossible à démontrer concrètement : il est très difficile pour le juge, qui analyse des faits plusieurs mois – voire plusieurs années – après qu’ils se sont produits, de dire quel était l’état d’esprit de l’auteur, pour savoir s’il a eu le désir d’action que requiert la loi dans une hypothèse déterminée.
Le juge n’a donc pas le choix que de procéder par voie de présomption.

→ Présomption de mauvaise foi qui dispense d’avoir à démontrer l’intention.

Cette évolution ne rend pas le concept de dol général inutile, parce que même s’il est confondu avec l’exigence d’imputabilité, l’erreur permet de détruire le dol général, alors qu’elle n’empêche pas d’imputer un fait à son auteur :

2) L’erreur contredisant l’intention apparente

De l’accomplissement des faits découle donc une présomption de mauvaise foi ; grâce à cette présomption, l’intention coupable est tenue pour vraisemblable.

Mais une telle technique de preuve n’est légitime que si la possibilité d’administrer une preuve contraire reste ouverte à la personne poursuivie.

Le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l’homme s’entendent sur ce point : ils admettent les présomptions de mauvaise foi (malgré le respect de la présomption d’innocence…) dès lors qu’elles peuvent être combattues par la preuve contraire.

La Cour de cassation juge qu’un tel raisonnement de la part des juges du fond n’est pas contraire à l’article 9 de la DDHC ni à l’article 6 paragraphe 2 de la Convention EDH (→ droit au respect de la présomption d’innocence).

En théorie, pour se défendre, on peut donc rapporter la preuve de sa bonne foi, en renversant la présomption de mauvaise foi découlant des faits susceptible de faire obstacle à la constitution de l’infraction.
En pratique, il est rare qu’une telle présomption de mauvaise foi puisse être efficacement débattue ; on trouve néanmoins quelques exemples de relaxe dans des occasions où les magistrats ont admis que l’acte reproché pouvait s’expliquer autrement que par une présomption de mauvaise foi.

  • Par exemple :

    Un chirurgien est poursuivi pour violences volontaires après avoir pratiqué une intervention non urgence dans l’intérêt de sa patiente, semble-t-il contre l’avis de celle-ci.
    Celle-ci se fait opérer pour une crise d’appendicite ; le chirurgien décide de lui ligaturer les trompes, parce qu’au vu de son âge il ne serait pas bon qu’elle ait un 9ème enfant.
    Avant de le faire, il pose la question à sa patiente, qui n’a sans doute pas vraiment compris la question et formule une réponse que le médecin interprète comme un accord.

    A priori, le délit est constitué :
    > acte positif qui a pour résultat de porter atteinte à l’intégrité physique ou psychique d’autrui ;
    > acte accompli par un individu auquel il est nécessairement imputable (médecin majeur, ni dément ni contraint) ;
    > les faits semblent démontrer l’intention de leur auteur.

    Ce médecin est parvenu à démontrer devant les juges qu’il avait posé la question à la patiente → est parvenu à combattre la présomption de mauvaise foi qui s’imposait à lui.
    Il s’est avéré de bonne foi, parce qu’il n’a pas voulu mal faire et a commis une erreur.

Il n’est donc pas simple de combattre la présomption d’intention fondée sur les faits : il faut être capable de démontrer de manière crédible que les faits s’expliquent autrement.
L’erreur de fait est rarement admise parce qu’elle est rarement crédible.

L’erreur de fait invoquée en défense par celui qui tente de combattre la présomption de mauvaise foi doit, pour être exonératoire, être substantielle.

Le caractère substantiel de l’erreur de fait a pu être admise contre une femme qui était poursuivie pénalement pour outrage envers une personne chargée d’une mission de service public après avoir traité un huissier de “patate”.
Elle a réussi à établir qu’au moment où elle a agi, elle ignorait la qualité d’huissier de la personne outragée et qu’elle ne pouvait donc pas avoir voulu porter atteinte à sa dignité.

En revanche, 2 types d’erreurs de fait sont considérées comme indifférentes, parce qu’accessoires :

  1. L’aberratio ictus = l’erreur sur l’objet de l’infraction, qui ne détruit pas la présomption de mauvaise foi parce qu’elle ne change rien au fait que l’agent a bien voulu agir de manière illégale.

    Exemple : lorsqu’un voleur, à l’occasion d’un cambriolage, vole une copie et non l’original même du tableau qu’il était venu chercher.
    Il s’est trompé sur la chose objet du vol, mais les magistrats considèrent que le voleur a quand même voulu voler.

  1. L’erreur personae = l’erreur sur la personne de la victime.

    Exemple : poursuites pour meurtre contre un individu qui avait cisaillé les câbles de frein du véhicule habituellement utilisé par le mari de sa maîtresse ; c’est sa maîtresse qui a pris le véhicule et qui est morte.
    Les magistrats ont répondu que cette erreur n’était qu’une erreur accessoire.

Toutes les erreurs, à supposer que la preuve puisse en être rapportée, ne peuvent pas donc être invoquées pour combattre la présomption de mauvaise foi : seules les erreurs qui portent sur le résultat redouté par l’incrimination sont admises.

Le dol général est donc une notion qui s’évince des faits et qui peut être très difficilement contestée.

§ 2. Les autres dols

La doctrine a ajouté à ce dol général d’autres dols, qui laissent entendre qu’il pourrait exister des degrés dans l’intention, comme il existe des degrés dans la faute.

Ces autres dols correspondent à des formes particulières que peuvent prendre l’intention.
En pratique, ils sont d’appréciation délicate, car la motivation de l’auteur des faits est rarement extériorisée = elle est rarement exprimée de manière suffisante pour qu’on puisse distinguer ces autres dol du dol général déduit des faits donc présumé.

Ces autres dols sont eux aussi le plus souvent établis par voie de présomption, au risque de livrer les individus à l’arbitraire du juge.

A – Le dol spécial

Comme le dol général, le dol spécial est une pure construction doctrinale et reste donc empreint d’une certaine relativité (→ il n’y a pas d’arrêt qui parle de “dol spécial”).

Parmi les nombreuses approches qui sont proposées de ce dol, la principale laisse entendre que l’on rencontre un dol spécial lorsqu’un texte incrimine, au sein d’un genre, un comportement particulier.
Le dol requis serait alors restreint, puisque limité par l’objectif poursuivi au titre de cette incrimination spécifique.

À la différence du dol général, le dol spécial ne pourrait pas se déduire de l’élément matériel de l’infraction.
Il servirait au contraire à éclairer l’élément matériel, en introduisant une exigence supplémentaire qui limiterait ainsi le champ de la répression.

Exemple du dol spécial : l’incrimination des actes de terrorisme.
L’article 421-1 du Code pénal précise que “constituent des actes de terrorisme un certain nombre d’infractions de droit communs réalisées intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur”.
→ Les actes de terrorisme ne se définiraient ainsi pas simplement de manière objective, comprendraient un élément subjectif.

Le dol spécial correspondrait donc à une volonté tendue vers un résultat extérieur à l’incrimination et ne peut donc pas se déduire de la matérialité des faits.

On peut aussi se demander si un tel dol spécial n’invite pas à une réflexion plus large qui en modifie la compréhension :

La distinction dol général // dol spécial coïncide avec une autre distinction : infractions matérielles // infractions formelles.

Si, à l’égard des infractions matérielles, le dol spécial est nécessairement inclus dans le dol général, de sorte que cette notion ne présente aucun intérêt, à l’égard des infractions formelles, le dol spécial se distingue et s’ajoute au dol général.

Il faut alors prouver que le comportement incriminé a été spécialement accompli dans le but d’atteindre le résultat prévu, même si la preuve de l’obtention du résultat n’est pas nécessaire à la consommation de l’infraction.
Dans une telle hypothèse, on conçoit que le dol général (= la conscience et la volonté d’accomplir l’acte qui va se produire) se double d’un dol spécial (= la volonté de produire le résultat lui-même).

Lorsque l’infraction est formelle, ce dol spécial ne peut pas être déduit des faits.
La preuve d’un dol spécial serait ainsi requise en matière d’empoisonnement, qui est une infraction formelle → n’implique de démontrer qu’un comportement qui doit pouvoir entraîner la mort d’autrui.
Si la preuve de l’obtention de ce résultat redouté n’a pas besoin d’être rapportée, la volonté de l’agent doit tout de même être tendue vers la production de ce résultat.

À l’égard de ces infractions formelles, un dol spécial s’ajoute effectivement au dol général.
À l’égard des infractions matérielles, les 2 notions coïncident.

Ce dol spécial doit être distingué des mobiles (= les raisons concrètes qui poussent un individu à agir : curiosité, avarice, conviction politique ou religieuse…), qui eux ne dépendent pas nécessairement du résultat redouté.
Les motivations de l’auteur de l’acte ne sont pas inhérentes à l’acte lui-même → elles ne peuvent pas être déduites de la matérialité des faits.

Cela n’a que peu d’importance, puisque la théorie générale de l’infraction tend à enseigner que les mobiles ne jouent aucun rôle en droit pénal : peu importe les raisons pour lesquelles un individu a agi comme il l’a fait, seul compte le point de savoir si l’on peut légitimement penser qu’il a agi intentionnellement et, si oui, s’il a recherché le résultat redouté au titre de l’incrimination de son comportement.

Exceptions : parfois, le législateur prend exceptionnellement en compte des mobiles (ex : une pratique discriminatoire n’est punissable que si elle a été effectivement motivée par une caractéristique personnelle de la victime).

Les policiers sont convaincus qu’il est essentiel d’identifier le mobile parce qu’il exprime une intention coupable, mais il n’y a rien de plus faux ni de plus dangereux : les mobiles sont incertains et difficiles à identifier, et ils ne relèvent pas forcément d’une intention coupable → ils peuvent simplement témoigner d’une imprudence ou d’une négligence.

Exemple : un raciste qui donne un coup.
Imaginons qu’un homme soit raciste et nous donne un coup.
On aura la faiblesse de penser qu’il a agi intentionnellement et que donc son mobile raciste exprime sa volonté de nous faire mal exprès.
Sauf qu’en l’espèce, il n’y a rien de plus faux : c’est vrai, il est raciste, mais son racisme va s’exprimer par le mépris et l’ignorance dans laquelle il nous tient, parce qu’il n’a pas fait attention à nous.
→ Imprudence ou négligence, et absolument pas une intention de porter atteinte à l’intégrité physique ou psychique.

Le mobile n’est donc en aucun cas révélateur du dol spécial ni du dol général.

À retenir :
Ponctuellement, lorsque l’infraction est formelle, il peut être utile d’identifier, au-delà d’un dol général (= la volonté du comportement), un dol spécial (= la volonté d’atteindre le résultat redouté par le législateur lorsqu’il a incriminé ce comportement), même si la preuve de l’obtention de ce résultat n’est pas nécessaire à la consommation de l’infraction formelle en question.

B – Les autres dols

Les autres dols évoqués par la doctrine n’intéressent que la catégorie des infractions matérielles.
Ils sont donc appréciés par rapport aux résultats effectivement produits par le comportement incriminé.
Ils ne se conçoivent pas en l’absence d’un tel résultat.

En principe, le dol requis par ces infractions matérielles est un dol déterminé → l’autorité de poursuite doit pouvoir démontrer que l’agent a agi ou s’est abstenu d’agir afin de provoquer le résultat normalement redouté au titre de son comportement.

Exemple : si l’on commet un vol, on a conscience de s’emparer d’une chose dont on n’est pas propriétaire – les magistrats n’hésiteront pas à en déduire la preuve qu’on a voulu s’approprier frauduleusement une chose qui appartient à autrui, mais il arrive que tout en recherchant un résultat déterminé l’agent ne soit pas en mesure d’en évaluer par avance toutes les conséquences.

Lorsque le dol est dépassé, il devrait s’ensuivre la relaxe ou l’acquittement de l’agent, car on ne peut alors pas démontrer qu’il a voulu produire le résultat redouté au titre de l’incrimination.

Exceptionnellement, toutefois, le législateur renonce à faire produire cet effet au dol dépassé, au motif qu’un dol indéterminé peut être suffisant pour caractériser l’infraction – notamment en matière de violences volontaires.
Dans cette hypothèse, il n’est pas possible à l’agent de déterminer par avance quel va être le résultat de son acte.

Le dol dépassé exclut donc le dol général et empêche de caractériser l’intention, sauf lorsqu’un dol indéterminé est admis, qui permet au juge d’établir une intention générique.

Aucune de ces notions n’a été consacrée par la jurisprudence, ce sont simplement des clés d’interprétation doctrinale.
En tout cas, lorsque l’élément moral de l’infraction peut être démontré, les conditions de la responsabilité pénale semblent réunies.
Il ne reste plus au juge saisi d’un fait imputable qui apparaît fautif ou intentionnel qu’à vérifier si ce fait correspond à une infraction totalement consommée ou tentée, puis ensuite d’établir le mode de participation de l’agent (voir leçons suivantes).

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