Commentaire d’affirmation : « Le concubinage est une situation de fait emportant des effets de droit »

Auteur : Alexandre Lefebvre.


Le couple n’est pas à proprement parler défini par la loi. Longtemps, le couple n’a été appréhendé que par le biais du mariage. Effectivement, avant 1999, le mariage était la seule forme de couple reconnue par le droit civil (le droit social, lui, ainsi que le droit de la santé publique connaissaient le concubinage). Le pacs n’était pas encore né, et le concubinage n’était pas une catégorie juridique. Bonaparte disait d’ailleurs « Les concubins se passent de la loi, la loi se désintéresse d’eux ». 

 Même si la loi du 15 novembre 1999 a défini le concubinage (art. 515-8 CC), celui-ci ne bénéficie pas d’un statut juridique du concubinage. C’est pourquoi la doctrine oppose la situation de fait que constitue le concubinage et les deux situations de droit que sont le mariage et le Pacs. L’article 515-8 du code civil précise que le concubinage est une « union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en couple ». Le concubinage est constitué d’une communauté de vie comme dans toute vie de couple, il doit y avoir un minimum de partage c’està-dire une communauté matérielle et affective. La communauté de vie comprend également la communauté de lit. Le concubinage est également constitué d’un caractère de stabilité et de continuité. En effet, le « concubinage notoire » sous-entend une communauté de vie et d’intérêts et suppose une relation stable hors mariage, comme connue des tiers[1] .

Sans donner au concubinage un statut juridique, la loi et la jurisprudence sont intervenues progressivement pour prendre en compte les conséquences de cette forme de conjugalité. Outre la loi du 15 novembre 1999 que nous avons mentionnée, la loi du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale et l’ordonnance du 4 juillet 2005 ont achevé de supprimer les distinctions entre la famille que l’on qualifiait de « naturelle » et celle que l’on appelait « légitime ».  Enfin, les lois du 4 avril 2006 et du 9 juillet 2010 entraînent une aggravation des peines pour les violences commises au sein d’un couple, y compris par un concubin ou un ancien concubin pour la première, puis un renforcement des mesures pouvant être prises par le juge en cas de violences exercées au sein du couple ou par un ancien conjoint, partenaire ou concubin pour la seconde loi.

Par conséquent, le concubinage reste une  une situation de fait qui emporte de plus en plus d’effets de droit. 

I  – Le concubinage une situation de fait : le principe d’autonomie des concubins

Plusieurs éléments permettent d’affirmer que le concubinage est une situation de fait n’ayant pas de conséquences en droit :

  • Les devoirs civils du mariage rejetés 

Le concubinage est caractérisé par un rejet des devoirs civils du mariage. 

En effet, le certificat de concubinage n’a pas d’effet de droit. Enfin, la réparation d’un préjudice est possible uniquement sur le fondement de la responsabilité civile délictuelle. Le concubinage ne crée pas de lien avec la famille de l’autre donc il n’y a pas d’obligation alimentaire envers les parents ou les enfants de l’autre. La présomption de paternité des enfants n’existe pas. Les devoirs mutuels que le mariage crée ne s’appliquent pas, notamment le devoir de fidélité. 

Par conséquence, il est possible parler de l’indépendance personnelle des concubins.

  • L’absence de solidarité ménagère et de contribution aux charges du mariage

Plusieurs arrêts attestent que les concubins ne sont pas soumis aux articles 214 et 220 du code civil.

Chaque concubin doit supporter les frais qu’il a exposés sans recours contre l’autre, sauf toutefois accord contraire entre eux par exemple le loyer sauf si le bail a été souscrit aux deux noms. Il est possible d’évoquer plusieurs décisions évoquant qu’il n’y a pas de contributions aux charges de la vie commune[2][3] [4]. En réalité, ni l’article 214 ni l’article 220 n’ont leur équivalent en matière de concubinage. 

Remarque : 

L’arrêt Civ 1er, 17 octobre 2000 pose le principe selon lequel il n’y a pas de contribution aux charges de la vie commune dans le concubinage imposé par le législateur, mais que les concubins restent toujours libres de prévoir, par convention une telle contribution, laquelle prendra les formes et la répartition qu’ils souhaitent. Or justement, le pourvoi de l’arrêt Civ 1er 28 juin 2005 tente de démontrer la présence d’une telle convention réglant la contribution aux charges de la vie commune. Effectivement il cherche à montrer que l’engagement de l’un des concubins à assumer une quote-part des dépenses afférant à la vie commune doit être interprété comme une convention organisant une contribution aux charges de la vie commune. 

  • La rupture du concubinage : l’unique faute civile possible

La rupture du concubinage entraine uniquement une faute possible sur le fondement de l’article 1240 du code civil. En effet, en vertu de l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 7 avril 1998, la seule rupture du concubinage n’est pas de nature à entraîner l’octroi de dommages et intérêts. En revanche des circonstances de la rupture_peuvent être constitutives d’une faute au sens de l’article 1240 du code civil.  

On retrouve dès lors le même raisonnement que dans le cadre de la rupture des fiançailles : si la rupture en elle-même n’est pas une faute, les circonstances de la rupture peuvent conduire à l’octroi de dommages et intérêts, dès qu’il résulte de ces circonstances une faute et un préjudice. En effet, Il faut un préjudice, d’une part, une faute, d’autre part, que l’on peut caractériser le cas échéant en examinant les circonstances de rupture, et un lien de causalité[5]. Par exemple, le fait que la mère d’un enfant ait su que son amant était marié et père de plusieurs enfants légitimes n’est pas de nature à la priver du droit de demander réparation du préjudice qu’elle a subi en raison du comportement fautif de son amant à son égard[6]

De plus, l’obligation naturelle est parfois retenue pour admettre un « devoir de conscience » de l’auteur de la rupture[7].

  • L’inapplicabilité de la notion de prestation compensatoire 

Ils sont libres dans l’union, ils sortent libres de la désunion. La prestation compensatoire susceptible d’être versée par l’un des ex-époux à l’autre est inapplicable dans le cadre du concubinage. Cela est justifié par le caractère purement factuel du concubinage.

II  – Le concubinage emportant des effets de droit : les tempéraments au principe

  • L’atténuation de l’indépendance des concubins 

L’atténuation de l’indépendance des concubins se manifeste à l’égard du devoir d’assistance et de respect.

  • Concernant le devoir d’assistance, le concubin peut être le tuteur ou le curateur de celui avec lequel il est lié par l’état de concubinage comme l’évoque l’article 449 al 1 du code civil. De même, l’art 494-1 du code civil, relatif à l’habilitation familiale, compte le concubin parmi les personnes susceptibles d’être habilitées à effectuer des actes au nom de son compagnon ou compagne hors d’état de manifester sa volonté́. 
    • Concernant le devoir de respect, auquel les époux sont tenus, devrait s’appliquer aux concubins. En ce sens  l’article 515-9 du code civil prévoit la délivrance par le JAF d’une ordonnance de protection en cas de violences exercées au sein du couple par un ancien concubin. 
  • La reconnaissance d’un « contrat de concubinage »

Le régime matrimonial en concubins n’existe pas. Actuellement, il arrive à l’heure actuelle que, lors de l’achat d’un bien, les concubins passent devant notaire une sorte de contrat de « quasimariage » réglant leurs relations. Certains professionnels proposent même une formule de « contrat de concubinage » destiné à régir de façon générale les rapports patrimoniaux, à la manière d’un contrat de mariage.

Exemples :

  • Il est  possible d’admettre une solidarité conventionnelle à certaines conditions, lorsque celle-ci est par exemple manifeste[8].
  • L’existence d’un accord entre les concubins : contrat de participation aux dettes[9]
  • Le juge peut même reconnaitre l’existence d’une convention tacite entre les concubins[10]
  • Les correctifs imaginés par la jurisprudence pour tempérer les résultats du principe de l’autonomie 

▪     L’admission d’une contribution aux charges du ménage

Sous couvert d’appréciation souveraine des juges du fond, les juges retiennent parfois un ersatz obligation de contribution aux charges du ménage. En effet, la Cour de cassation a admis une sorte d’obligation de contribution aux charges du ménage pour les concubins : « La Cour d’appel a souverainement estimé qu’il avait participé au financement des acquisitions immobilières de sa concubine dans son propre intérêt, pour loger la famille qu’il formait avec celle-ci et leurs enfants et que, pour le surplus, les règlements qu’il avait effectués correspondaient aux frais de la vie commune ».[11]

De plus, si les concubins ont créé une « apparence de mariage », une solidarité pourrait être reconnue par les juges et pourrait donc jouer dans le cadre de l’obligation à la dette. Cette solution suppose que le tiers ait pu légitimement croire que le couple était marié, ce qui implique le plus souvent des manœuvres de la part des concubins; le seul fait de déclarer que l’on est marié ne suffit pas[12]

Par conséquent, la justice est appelée toutes les fois où il est reproché un manque de contribution de la part d’un concubin, et la jurisprudence a été conduite à reconnaître une insuffisance de participation à ce qu’elle considère comme une obligation naturelle de contribuer aux charges d’un ménage. Ainsi, la jurisprudence en reconnaissant a posteriori une telle obligation de contribuer aux charges considère nécessairement que cette obligation existe a priori.

En droit positif, il est possible de parler d’une reconnaissance d’une contribution aux charges du ménage. La jurisprudence a été conduite à reconnaître une insuffisance de participation à ce qu’elle considère comme une obligation naturelle de contribuer aux charges d’un ménage. Cette reconnaissance est critiquable.

  • L’application possible de la société crée de fait

La société créée de fait est constitué de 3 éléments cumulatifs : un apport, la volonté de réaliser une activité commune (affectio societatis) et une intention de partager les résultats (une communauté de vie ne suffit pas). La Cour de Cassation applique strictement les trois critères cumulatifs de cette notion[13]

Cette réticence des juges est également perceptible concernant l’enrichissement sans cause. Ce dernier est un autre correctif imaginé par la jurisprudence pour tempérer le principe d’autonomie entre les concubins.

  • L’enrichissement sans cause 

L’enrichissement sans cause est une action subsidiaire quand l’un a participé à l’activité de l’autre en dehors de toute rémunération, de toute intention libérale et de contribution normale aux dépenses de la vie courante.

Comme pour l’application de la société créée de fait, les juges sont également réticents concernant l’application de cette notion[14].

  • L’engagement de la responsabilité du tiers auteur du décès 

Le concubin étant considéré comme une victime par ricochet du décès de son concubin causé par un tiers, il peut agir sur le fondement de 1240 à l’égard du tiers auteur du décès.

Cette règle s’applique quelle que soit la forme prise par le conubinage (personnes de même sexe ou de sexe différent, consubinage « simpe » ou adultérin…). Tant le préjudice moral (dépression d’un concubin à la suite du décès de l’autre concubin par exemple) que le préjudice matériel (perte de revenus liée au fait que le concubin défunt subvenait aux besoins de l’autre) peuvent être invoqués à cet égard. 

  • L’indivision  

En principe, l’absence de régime matrimonial entraine que chaque concubin reste propriétaire des biens qu’il possédait avant le concubinage, voire après le concubinage, sauf si un achat a été fait en indivision[15]

  • L’exercice de l’autorité parentale 

Les concubins exercent en commun l’autorité parentale à l’égard de l’enfant dès lors que la filiation est établie à l’égard des deux parents. 

Conclusion en droit positif :

De plus, l’absence de statut général entraîne que, selon la rédaction de chaque texte particulier, le concubinage est ou non assimilé au mariage. Bien qu’il soit possible de s’interroger sur le possible alignement du pacs vers le mariage, le concubinage semblant dès lors être encore laissé de côté. Cette affirmation est à nuancer, car on observe parallèlement un mouvement qui tend, non pas à rapprocher toutes les formes de conjugalité sur une seule, mais bien de créer un ensemble de règles qui serait commun à toutes les formes de couples, et même qui seraient applicables au couple comme entité juridique indépendamment de la forme qu’il prend en termes d’union. 

Dans ce sens on peut citer : 

  • L’ensemble des règles issues de la loi de 2006 sur les violences conjugales, qui traitent de la situation indifféremment de l’union : articles 515-9 et suivants du Code civil
  • L’ensemble des règles relatives à l’aide médicale à la procréation : articles 311-20 et suivants du Code civil
  • La désignation de l’époux, partenaire ou concubin comme tuteur ou curateur : article 449 Civ. 

[1] Paris, 16 janv. 2001, Civ. 1ère, 28 févr. 2006

[2] Civ 1er 11 janvier 1984, n° 82- 16198.

[3] Civ 1er 17 octobre 2000, n°98-19527.

[4] Civ 1er 28 juin 2005, n°02-12767.

[5] Cass, civ., 30 mai 1838

[6] Cass. civ. 1re, 15 mai 1990.

[7] K. Brellis, « Pour un principe de refus des remboursements et indemnités à la séparation d’un couple de concubins », AJ famille, novembre 2021, p. 620 et s.

[8] CE, 9 juillet 2003, n°2551103

[9] Cass. civ. 1er, 19 avril 2005

[10] CA Paris, 17 septembre 2015.

[11] Cass. civ. 1er, 28 mars 2015

[12] CA Rouen, 30 octobre 1973

[13] Civ 1er 20 janvier 2010, n°08-16105

[14] Civ. 1er, 11 mars 2014, n°12-28224

[15] Art 815 et suivants

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