Chapitre 14 : Les actions relatives à la filiation

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Il peut arriver que surgissent des conflits de filiation ; or il est essentiel de déterminer la filiation d’un enfant, parce qu’elle emporte des effets fondamentaux sur la vie d’un individu : effets successoraux, sur le nom, sur la nationalité, etc.

L’ordonnance de 2005 a harmonisé les actions en justice pour les enfants nés dans le mariage et hors mariage, mais a rendu beaucoup plus strictes les conditions auxquelles un lien de filiation peut être contesté.

Depuis les années 1950, et la découverte des groupes sanguins, on peut utiliser la preuve scientifique, mais les juges étaient contraints par le cadre légal et ne pouvaient pas facilement l’ordonner.

Aucune action n’est reçue quant à la filiation d’un enfant qui n’est pas né viable ; pour reconnaître un enfant, il faut qu’il ait acquis une personnalité juridique (💡 même s’il est mort après quelques heures).

Le tribunal compétent est le tribunal judiciaire (avant : tribunal de grande instance).
Le tribunal territorialement compétent est celui du lieu où habite le défendeur.

Article 1149 du Code de procédure civile : le jugement est rendu en audience publique, mais les débats ont lieu en privé.

Les jugements relatifs à la filiation sont opposables aux tiers de plein droit : à partir du moment où le jugement est rendu, les tiers ne peuvent pas l’ignorer.
Ils ont une autorité absolue car ils sont opposables erga omnes.

Article 324 al 2 : “Les juges peuvent d’officer ordonner que soient mis en cause tous les intéressés auxquels ils estiment que le jugement doit être rendu commun.”

Article 61-3 : “L’établissement ou la modification du lien de filiation n’emporte cependant le changement du nom de famille des enfants majeurs que sous réserve de leur consentement.”

L’article 323 propose une vision plus restrictive de l’indisponibilité du lien de la filiation : “Les actions relatives à la filiation ne peuvent faire l’objet de renonciation.”
Cela ne signifie pas que la filiation est indisponible (même si on ne peut pas passer de contrat sur sa filiation), mais simplement qu’on ne peut pas, par avance, renoncer à contester son lien de filiation, ou à ne jamais faire établir un lien de filiation.

I – Les règles générales gouvernant les actions relatives à la filiation

A – Le principe chronologique

L’article 320 du Code civil pose le principe chronologique : “Tant qu’elle n’a pas été contestée en justice, la filiation légalement établie fait obstacle à l’établissement d’une autre filiation qui la contredirait.”

Le principe chronologique est, depuis 2005, un principe préventif de solution de conflits.
Idée : un lien de filiation légalement établi fait obstacle à l’établissement d’un autre lien contraire, tant qu’il n’a pas été contesté et annulé par une décision définitive.

B – Les délais

La prescription extinctive fait qu’au-delà d’un certain temps, on ne peut plus exercer une action en matière de filiation.
Elle relevait auparavant du droit commun (30 ans). Depuis 2005, elle est réduite à 10 ans, pour équilibrer 2 impératifs contradictoires :
> sécuriser le lien de filiation ;
> permettre la contestation d’une filiation non conforme à la vérité.

La minorité suspend le délai en faveur de l’enfant : il peut donc agir jusqu’à 28 ans.

Les 10 ans commencent, pour les parents, au jour de la naissance de l’enfant.
L’action en contestation de paternité peut être exercée pendant 10 ans, à partir du moment où le père a commencé à jouir de l’état contesté.

II – Les règles spéciales relatives aux actions en matière de filiation

Aujourd’hui, il n’y a plus de distinctions entre les enfants nés dans le mariage et hors mariage.
Le critère n’est désormais plus celui de la légitimité des enfants, mais de la finalité de l’action.

A – Les actions ayant pour finalité l’établissement d’un lien de filiation

Cette partie traite à la fois de la maternité et de la paternité.

1) La preuve à apporter

L’action en recherche de paternité ou maternité naturelle n’est plus soumise au filtre des présomptions et indices et conditions préalables de vraisemblances.
L’article 310-3, commun aux actions, dispose que “la filiation se prouve et se conteste par tous moyens, sous réserve de la recevabilité de l’action”.
→ pose la règle de la liberté de la preuve, sous réserve que l’action soit recevable

Si l’action tend à l’établissement d’un lien de paternité, l’enfant doit prouver que le défendeur est son père (article 327).
Si l’action tend à l’établissement d’un lien de maternité, l’enfant doit prouver que le défendeur est sa mère (article 325). Il doit déterminer le jour et l’heure de l’accouchement, et l’identité de l’enfant.

Rien n’est dit de la maternité génétique : on n’a pas à prouver que l’on est issu des ovules de telle ou telle femme.
Civ 1, 2 décembre 2015, 15.18-312 : la Cour de cassation a refusé de transmettre au Conseil constitutionnel une QPC dans laquelle le demandeur prétendait que les articles 325 et 327 portaient atteinte au principe constitutionnel d’égalité entre les hommes et les femmes, parce que les actions relatives à l’établissement de la filiation maternelle et paternelle n’étaient pas rédigés de la même manière.

L’action en matière de filiation est une action attitrée : elle ne peut être intentée que par les personnes dont la loi prévoit qu’elles peuvent les intenter.
L’action en recherche de paternité et maternité est réservée à l’enfant. S’il est mineur, il peut être représenté par le parent à l’égard duquel la filiation est établie.

2) Les fins de non-recevoir

L’article 326 du Code civil prévoit l’accouchement sous X.
L’article L222-6 du Code de l’action sociale et des familles prévoit la procédure.
L’article 325 dispose que “à défaut de titre et de possession d’état, la recherche de maternité est admise” → signifie que, techniquement parlant, l’accouchement sous X ne constitue pas une fin de non-recevoir à l’action en recherche de maternité.
→ Ce n’est pas parce que la femme a accouché sous X que d’emblée le juge dit que l’action est irrecevable.

Le fait que la femme ait accouché sous X est néanmoins une complication de cette action.
Un système d’intermédiation est mis en place par le Conseil national d’accès aux origines personnelles (CNAOP).
L’article L147-7 du Code de l’action sociale et des familles dispose que “L’accès d’une personne à ses origines est sans effet sur l’état civil et la filiation. Il ne fait naître ni droit ni obligation au profit ou à la charge de qui que ce soit.”
→ Ce n’est pas parce que l’enfant accède à des informations sur sa mère qu’un lien de filiation est établi ; il doit procéder pour cela à une action en recherche de maternité.
Dans son arrêt Odièvre c France du 13 février 2003, la CEDH a déclaré le disposition français conforme à l’article 8 (droit au respect à la vie privée et familiale).

La justice doit parfois concilier l’intérêt de la femme qui accouche sous X et celui du père de l’enfant.
Exemple : affaire Benjamin, Civ 1, 7 avril 2006 : un père reconnaît prénatalement son enfant que sa femme met au monde anonymement. Solution de la Cour : “la reconnaissance prénatale avait établi la filiation paternelle de l’enfant avec effet au jour de sa naissance, de sorte que le conseil de famille des pupilles de l’Etat, qui était informé de cette reconnaissance, ne pouvait plus, le 26 avril 2001, consentir valablement à l’adoption de l’enfant, ce qui relevait du seul pouvoir de son père naturel”.

Le Conseil constitutionnel, dans une décision QPC du 16 mai 2012, a estimé que l’accouchement sous X n’était pas contraire aux droits fondamentaux.

B – Les actions en rétablissement de la présomption de paternité

En principe, les enfants nés pendant le mariage n’ont pas à prouver la maternité et paternité.

L’article 329 établit que, si la présomption de paternité a été écartée :

  • soit les époux agissent, et ils disposent de toute la majorité de l’enfant pour le faire ;
  • soit l’enfant agit, et il dispose de 10 ans après sa majorité.

C – Les actions en constatation de la possession d’état

💡
Rappel : la possession d’état est la situation apparente d’une personne, dont la façon dont elle est traitée (tractatus), sa réputation (fama) et la façon dont elle est nommée (nomen) attestent de composantes de son état civil.
Idée : lorsqu’une personne peut démontrer un certain nombre de faits qui vont à l’appui de sa revendication, le droit se contente parfois de cette démonstration de faits.

La loi de 2005 a maintenu l’action en constatation de la possession d’état, qui avait été inventée par la jurisprudence.
Elle peut être menée lorsque l’existence de la possession d’état est contestée par un tiers, ou lorsque toute autre personne (par ex : un héritier) a intérêt à faire constater la possession d’état.

L’article 330 dispose que : “La possession d’état peut être constatée, à la demande de toute personne qui y a intérêt, dans le délai de 10 ans à compter de sa cessation ou du décès du parent prétendu.”

Objectif : ne pas faire revivre, à des fins purement successorales par exemple, d’anciennes possessions d’état.

Débat doctrinal :
Hypothèse : un enfant qui n’a pas d’acte de naissance affirme qu’il est l’enfant d’untel. Sa filiation n’a pas été établie et cet enfant n’a pas exercé d’action en recherche de paternité, mais il estime que cet homme l’a traité comme son enfant et qu’il était connu comme son père.
Question : est-ce que le juge peut ordonner une expertise biologique ?
Réponse : non, parce que l’action porte sur l’existence de la possession d’état, qui est précisément un ensemble de faits non biologiques. Mais si l’objet de l’action tend à la fois à la constatation de la possession d’état et à l’établissement d’une filiation, alors la question de la vérité biologique de la filiation doit être débattue, parce que la preuve de la filiation est libre.

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