Chapitre 12 : Les règles générales relatives aux dispositions communes du droit de la filiation

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Qu’elle soit contentieuse ou non contentieuse, la filiation doit être prouvée, parce qu’il s’agit d’un lien juridique.

Le lien de filiation n’est pas fondé sur le lien biologique, mais quand il est contesté l’existence ou l’inexistence d’un lien biologique devient essentielle.

La preuve de la maternité

Le droit exige la preuve que tel enfant est né de telle femme qui a accouché.
Spécificité : la grossesse et l’accouchement sont des faits biologiques, qui sont facilement repérables.

Mater semper certa est : “la mère est toujours certaine”.
→ le fait même de la naissance désigne la mère avec certitude

Sous réserve de l’accouchement sous X, la maternité d’une femme à l’égard d’un enfant est établie par :
> la date de l’accouchement ;
> l’identité de la mère.

La preuve de la paternité

Pater semper incerta est : “le père est toujours incertain”.

La science permet de connaître le père avec certitude, mais on ne veut pas porter atteinte à la paix des familles.
Encore aujourd’hui, le droit a recours à des présomptions pour établir la paternité.

I – Les présomptions

Une présomption est un raisonnement qui permet de déduire un fait inconnu en partant d’un fait connu.

Le droit de la filiation a été construit à une époque où beaucoup de faits biologiques étaient inconnus.
Il établit donc 2 présomptions :
> une relative à la période légale de conception ;
> une relative à la date précise de la conception.

A – Le contenu des présomptions

Hypothèse : le seul fait connu est la date de naissance de l’enfant.

La présomption de la période légale de conception est prévue par l’article 311 du Code civil.
”La loi présume que l’enfant a été conçu pendant la période qui s’étend du 300e au 380e jour, inclusivement, avant la date de la naissance.”
Idée : pour le droit, l’enfant a été conçu entre 6 mois et 9 mois avant sa naissance.

Cette approximation permet de fixer les limites temporelles entre lesquelles un enfant est réputé avoir été conçu, mais il peut être utile de savoir exactement à quelle date l’enfant a été conçu :

La présomption de la date précise de la conception est aussi prévue à l’article 311 (alinéa 2).
”La conception est présumée avoir eu lieu à un moment quelconque de cette période, suivant ce qui est demandé dans l’intérêt de l’enfant.”

L’enfant est réputé avoir été conçu omni meliore momento (”au meilleur moment”).

B – L’autorité des présomptions

Une présomption peut être simple ou irréfragable ; ici, elles sont clairement simples.

Si l’intérêt de l’enfant commande telle ou telle date, on ne considère pas que la science doit s’incliner devant cet intérêt supérieur de l’enfant.

C’est à celui qui invoque une date différente d’en apporter la preuve.
Cette preuve contraire peut être apportée par tout moyen, puisqu’il s’agit de prouver la date de la conception de l’enfant, qui est un fait juridique.

II – Les moyens de preuve classiques de la filiation

A – Le titre

Jean Carbonnier parlait de “vérité officielle”.
En matière de filiation, la preuve préconstituée est l’acte de naissance, ou l’acte de reconnaissance (qui doit être porté en marge de l’acte de naissance).
(article 310-3 du Code civil)

L’acte de naissance doit respecter les exigences posées par la loi.

B – La possession d’état

Jean Carbonnier parlait de “vérité vécue”.
La possession d’état est un fait qui produit des effets juridiques, parce qu’on considère que la plupart du temps ce fait est conforme au droit.
Exemple : en général, le possesseur d’un bien en est le propriétaire.

Il s’agit d’un ensemble de faits connus qui présentent l’enfant comme issu de tel ou tel parent.
À partir d’une vérité sociologique, la loi déduit l’existence d’un fait inconnu : le rapport le filiation entre un individu et le parent auquel cet enfant prétend être rattaché.

C’est l’article 311-1 qui fixe les conditions d’établissement de la possession d’état.
Il faut que l’enfant ait été traité comme tel (tractatus), qu’il soit reconnu comme tel (fama) et qu’il porte le nom de ses parents (nomen).

L’établissement de la possession d’état permet l’établissement d’un lien de filiation, qui fait entrer l’enfant dans la famille du parent.

Il s’agit de faits : les juges du fond apprécient donc souverainement si on peut déduire de cette réunion de faits une possession d’état.
Il faut que la possession d’état soit “continue, paisible et non équivoque” (article 311-2).

En l’absence de titre, la possession d’état est un mode autonome d’établissement de la filiation.

En présence d’un titre (si un enfant a un titre et une possession d’état) :

  • Soit le titre et la possession d’état convergent : la filiation devient inattaquable ;
  • Soit le titre et la possession d’état divergent : la filiation devient très fragile.

La possession d’état repose sur des faits, qui ont une dimension subjective et qui sont appréciés souverainement par un juge.
Elle joue un rôle considérable en droit de la famille.

Depuis 2005, il ne suffit plus que le juge constate une réunion de faits pour en tirer une possession d’état ; il faut que cette possession d’état ait été officiellement constatée par un acte de notoriété (article 310-3 du Code civil).
L’article 317 dispose que “chacun des parents ou l’enfant peut demander à un notaire que lui soit délivré un acte de notoriété qui fera foi de la possession d’état jusqu’à preuve contraire”.

C – Les techniques biologiques

La preuve scientifique/biologique n’est admissible que lorsqu’un procès a été engagé, visant soit à établir un lien de filiation soit à contester un lien de filiation.

1) L’accès limité à la preuve biologique

3 conditions :

  1. Pour avoir accès à une expertise, il faut que le juge l’ordonne ;
  1. Lorsque le juge ordonne une expertise génétique, il la confie à un établissement agréé (article 16-12) ;
  1. Le consentement est requis.
    Principe d’inviolabilité du corps humain établi par l’article 16-5.

2) Les problématiques liées à la preuve biologique

Que se passe-t-il si l’on veut faire établir un lien de filiation vis-à-vis de quelqu’un déjà décédé ?

Dans l’affaire Yves Montand, la cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 6 novembre 1997, a ordonné l’exhumation d’un homme dont une femme prétendait être la fille.

La loi bioéthique de 2004 a modifié l’article 16-11 du Code civil, pour y mentionner que : “Sauf accord exprès de la personne manifesté de son vivant, aucune identification par empreintes génétiques ne peut être réalisée après sa mort.”

Cet ajout illustre la difficulté de concilier les 2 principes de l’intérêt à faire établir un lien de filiation et du respect dû aux morts et au cadavre.

Que se passe-t-il si, au nom de l’intégrité du corps humain, je refuse de consentir au prélèvement ?

Le juge peut, en se fondant sur le droit commun de la preuve, tirer souverainement les conséquences du refus, à partir du moment où le refus est corroboré par d’autres éléments, et établir un lien de filiation.
(article 11 du Code de procédure civile)

3) Le rôle du juge

Les progrès génétiques permettent au juge de connaître avec certitude les parents biologiques des enfants. Les empreintes génétiques sont aujourd’hui utilisées en matière civile comme en matière pénale.

Civ 1, 28 mars 2000 : arrêt de principe + revirement de jurisprudence.
Propose une solution qui sera ensuite consacrée par la loi : l’expertise biologique est de droit en matière de filiation, sauf s’il existe un motif légitime de ne pas y procéder.

En France, l’expertise génétique n’est admise que dans un cadre judiciaire.
Depuis 2000, le juge ne peut pas refuser d’ordonner une expertise biologique si une partie lui demande, sauf s’il y a un motif légitime de ne pas le faire.

Par “motif légitime”, on entend une impossibilité matérielle de procéder à ces expertises, par exemple si le père prétendu n’est pas localisable.

Certaines décisions mettent en avant le motif légitime lorsqu’une 1ère expertise sanguine avait donné des résultats concluants et que des plaideurs sollicitent une 2e expertise.

L’article 310-3 alinéa 2 établit la liberté de la preuve : “par tout moyen”.

À partir de 2000, des plaideurs ont essayé de se servir des analyses génétiques dans différents contentieux proches de la filiation (ex : l’établissement de la nationalité d’un enfant).
Réponse : l’analyse génétique est cantonnée aux actions relatives à la filiation.

Les modes de preuve sont de nature très variable.
L’acte de naissance est la preuve standard lors d’un contentieux ; elle est par définition juridique.
Les techniques biologiques sont quant à elles limitées aux actions contentieuses.

La possession d’état est une réunion de faits qui emporte des conséquences juridiques.
Elle est en principe informelle, mais est désormais officialisée par l’acte de notoriété.

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