Chapitre 6 : L’élaboration de la loi

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La loi est la règle votée par le Parlement selon un protocole défini par la Constitution et qui relève d’une des matières mentionnées dans la Constitution.
Triple critère pour définir la loi sous la 5e République : organique, formel, matériel.
Aujourd’hui, on retient le critère matériel.

Des dizaines d’années de pratique républicaine aboutissent à un nouveau déséquilibre qui entraîne une crise de la fonction parlementaire. En 2008, le constituant a donc tenté de “rénover” le processus législatif.

Section 1 : Le domaine de la loi

L’innovation du constituant de 1958 est d’aller vers une conception matérielle de la loi : on assiste à une répartition des compétences entre le domaine législatif et le domaine réglementaire, organisée par les articles 34 et 37 de la Constitution.

Article 37 : “les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère réglementaire” → la compétence normative de droit commun est donc le pouvoir réglementaire.

Article 34 : définit le domaine de la loi.
+ les lois de programmations (qui “déterminent les objectifs de l’Etat”) et les lois de finances relèvent de la loi.

⚠️ La compétence du législateur ne se limite pas à l’article 34 : plusieurs autres dispositions dans la Constitution réservent des domaines à l’intervention de la loi.
Exemple : l’article 35 dispose que “la déclaration de guerre est autorisée par le Parlement” = relève de la loi.
Exemple : l’article 66 établit que “l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi” → la loi est la garantie de la liberté individuelle.

L’article 37 al 2 distingue 2 possibilités en cas d’empiètement du législateur sur le domaine réglementaire :

  • Soit la loi est entrée en vigueur avant 1958, donc avant l’instauration même du domaine de la loi : on considère que l’acte adopté sous forme de loi peut être directement modifié par décret, après avis du Conseil d’État.
    → possibilité de retrouver la compétence du gouvernement par la voie d’un décret après avis du Conseil d’État
  • Soit l’acte a été adopté sous la forme législative après 1958 : le Conseil constitutionnel est compétent pour constater l’empiètement du législateur sur le domaine réglementaire et vérifier le caractère réglementaire de la disposition, préalablement à sa modification par décret après avis du Conseil d’État.

Dans les 2 cas, l’acte est “déclassé” : juridiquement, il perd son caractère législatif.
Il est formellement adopté comme une loi, mais il est matériellement un acte réglementaire et peut donc être modifié par la voie réglementaire.

L’article 41 établit une irrecevabilité constitutionnelle en cas d’empiètement du législateur dans le domaine réglementaire.
Il s’agit ici d’un mécanisme préventif, pendant la procédure législative.
Le gouvernement ou le président de l’assemblée concernée peut soulever cette irrecevabilité.

S’il n’y a pas d’accord entre le gouvernement et le président de l’assemblée, le Conseil constitutionnel tranche cette irrecevabilité dans un délai strict de 8 jours.
→ le Conseil constitutionnel intervient au cours de la procédure législative, en se prononçant par décision L ou FNR

Le gouvernement n’a pas forcément intérêt à faire respecter son domaine réglementaire : il peut laisser passer des dispositions législatives sur lesquelles il est d’accord sur le fond.
Il est aussi souvent plus facile de laisser faire le Parlement.

Cette frontière entre loi et règlement peut donc être neutralisée du fait de l’usage, du gouvernement, etc.

Le Conseil constitutionnel a plutôt tendance à donner raison au président de l’assemblée.
L’irrecevabilité constitutionnelle n’a donc pas été jugée très efficace.
Dans sa décision “Blocage des prix” du 30 juillet 1982, le Conseil constitutionnel affirme que : “la Constitution n’a pas entendu frapper d’inconstitutionnalité une disposition de nature réglementaire contenue dans une loi”. Il ne censure donc pas la loi pour non-respect des articles 34 et 37.
Dans une décision du 21 avril 2005, il constate le caractère réglementaire d’’une loi à l’occasion d’un contrôle de constitutionnalité, sans la censurer.

En conclusion, cette délimitation de la loi est symboliquement marquante.
Au fond, le législateur a quand même – pour des raisons politiques comme juridiques – débordé de son domaine, en intervenant régulièrement dans le champ de compétences du gouvernement.
Les interventions du gouvernement dans le domaine de la loi se sont aussi multipliées, en particulier avec le recours aux ordonnances de l’article 38.

Section 2 : La procédure législative

§ 1. Le circuit d’adoption des lois

L’article 39 de la Constitution donne l’initiative législative au Premier ministre et aux membres du Parlement.

Si le Premier ministre est à l’initiative, on parle de “projet de loi”.
Un projet de loi est obligatoirement soumis pour avis au Conseil d’État.
Certains sont également soumis au Conseil économique, social et environnemental.
Après délibération en Conseil des ministres, un projet de loi est définitivement arrêté et déposé sur le bureau de l’une des assemblées.

Depuis la réforme constitutionnelle de 2008, un projet de loi ne peut être déposé que s’il remplit certaines conditions définies par la loi organique du 15 avril 2009.
Celle-ci prévoit notamment une étude d’impact obligatoire, préparée en même temps que le projet de loi pour évaluer les effets attendus du projet de loi déposé.

Une proposition de loi est rédigée par les services des assemblées : assistants parlementaires, groupes politiques…

L’article 39 de la Constitution dispose que les projets de loi sont obligatoirement soumis au Conseil d’État, mais pas les propositions de loi.
Depuis 2008, le Conseil d’État peut également émettre des avis au profit des propositions de loi – cette pratique n’est cependant pas généralisée.

Article 39 : les lois de finances sont obligatoirement soumises d’abord à l’Assemblée nationale. Le Sénat reçoit en priorité les textes relatifs à l’organisation des territoires.

Les projets et propositions de lois sont ensuite examinées en commission.
Cet examen se fait sur les fondements de l’article 43.
Il est effectué, sauf demande contraire du gouvernement ou de l’assemblée, par des commissions permanentes, qui ont pour rôle d’examiner en profondeur le texte posé pour le préparer au débat parlementaire.
Le lourd travail effectué en commission est probablement le travail essentiel en matière législative.

Le rapporteur est celui qui travaille de manière approfondie sur le texte.
Avec ses services, il rédige un rapport qu’il présente devant la commission.
Plusieurs réunions auront lieu pour permettre au texte du rapporteur d’être présenté devant l’assemblée.

Avant 2008, le texte brut du projet de loi était examiné.
Depuis 2008, c’est le texte qui sort de commission qui est rapporté ; le gouvernement doit donc négocier beaucoup plus fort avec les parlementaires des commissions pour que le texte présenté soit un texte qui lui convienne.
Exception : pour les lois de finance, on débat encore le texte du gouvernement pour des raisons d’efficacité.

Depuis 2008, on garantit un délai minimum pour que les commissions puissent effectuer leurs travaux :
> 6 semaines pour la 1ère assemblée (généralement l’Assemblée nationale)
> 4 semaines pour la 2nde
(article 48)

4e étape : inscription à l’ordre du jour.
Organisée par l’article 48 de la Constitution (réformé en 2008).
Le temps parlementaire est partagé entre le gouvernement et les assemblées :

  • 2 semaines de séance sur 4 sont réservées au gouvernement ;
  • 1 semaine de séance est réservée au contrôle de l’action du gouvernement et à l’évaluation des politiques publiques ;
  • 1 jour de séance est réservé aux groupes d’opposition ;
  • 1 séance par semaine est consacrée aux questions/réponses.

On vient redonner la maîtrise de l’ordre du jour aux assemblées, en mettant en place un nouveau partage du temps parlementaire.

Les textes prioritaires (notamment les projets de loi de finances), mentionnés par l’article 48, vont se gérer en dehors de cette répartition de l’ordre du jour.
Ces textes ne sont pas soumis au délai garanti aux commissions.
Les textes concernés par la procédure accélérée de l’article 45 constituent aussi une exception.

Lors de la présentation devant l’assemblée, on examine d’abord le texte de façon générale, puis article par article.
Les rapporteurs (et le représentant du gouvernement, généralement le ministre pertinent, lorsque c’est applicable) prennent la parole, puis les parlementaires.
Chaque assemblée adopte respectivement un règlement intérieur qui organise le travail législatif (ex : temps de parole).

L’article 44 établit le droit d’amendement.
Il a été drastiquement encadré, notamment par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui a tenté de limiter les abus (travail d’obstruction).
Dans sa décision 532 DC du 19 janvier 2006, le Conseil constitutionnel :

  • sanctionne d’inconstitutionnalité les cavaliers législatifs (= dispositions qui vont au-delà de l’objet de la loi), pour raison de clarté ;
  • applique la règle de l’entonnoir : toute adjonction au texte après la 1ère lecture doit être en lien avec les dispositions qui restent.
    → plus on avance dans l’examen du texte, plus son objet doit être étroit

Il faut que le texte soit adoptés en termes identiques par les 2 assemblées.
Le processus (dépôt devant une commission, nomination d’un rapporteur, etc.) est donc reproduit, mais sur la base du texte modifié qui a été transmis à l’issue de la 1ère lecture.
→ on n’examine que ce qui reste (logique de l’entonnoir)

À l’issue de la 2ème lecture, si tout n’a pas été voté en termes identiques (= s’il reste des points de désaccord), on convoque une commission mixte paritaire (CMP).
La CMP est réunie sur convocation du Premier ministre, ou par le président d’1 des 2 assemblées.

La CMP est une structure chargée de trouver un compromis entre les 2 assemblées, pour aboutir à un vote identique.
Elle est mixte (composée de députés et de sénateurs) et paritaire (dans un nombre égal : 7 et 7).
En principe, le gouvernement n’est pas présent : la CMP se tient à huis clos entre les parlementaires.

En général, la CMP aboutit à un compromis qui met un terme définitif à la navette parlementaire. On soumet le texte de la CMP aux 2 assemblées pour approbation définitive.
Mais si un compromis n’est pas trouvé : dernière lecture de l’Assemblée nationale, qui a le dernier mot. Elle statue définitivement sur la base du texte qu’elle a elle-même amené, ou sur la base du texte de la CMP.
→ bicamérisme inégalitaire

La promulgation de la loi est faite par le Président de la République (article 10), dans un délai maximal de 15 jours après l’adoption du texte.
Ce délai de 15 jours peut être suspendu dans le cas d’une demande de nouvelle délibération, ou dans le cas d’une saisine du Conseil constitutionnel (qui a 1 mois pour se prononcer).

Une fois qu’elle est promulguée, la loi entre en vigueur.
Elle est publiée au Journal Officiel → entre entièrement dans l’ordre juridique.

§ 3. L’intervention du pouvoir exécutif dans la procédure législative

L’article 49 alinéa 3 en est l’outil le plus visible.
Idée : dire aux parlementaires de prendre leur responsabilité (”si vous voulez éviter que ce texte passe, vous devez censurer le gouvernement”).

Le “49-3” est une arme très puissante de rationalisation du parlementarisme.
Permet au gouvernement d’obliger les députés à se positionner sur la base d’un texte que le gouvernement considère comme central.

Pour rééquilibrer les institutions, l’article 49 al 3 a été modifié en 2008, pour n’autoriser qu’un seul recours au 49-3 par session parlementaire, sauf sur les projets de lois de finances (= qui organisent les ressources et les dépenses budgétaires) ou de financement de la sécurité sociale.

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