Chapitre 7 : Le contrôle de la structure du marché

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Les pouvoirs publics disposent de 2 méthodes principales pour contrôler la structure d'un marché :

  1. Établir un monopole ou accorder des droits exclusifs ;
  1. Mettre en place un contrôle des concentrations.

Établir un monopole ou accorder des droits exclusifs :

On dit que les droits exclusifs "confèrent une exclusivité sur le marché, un monopole".

⚠️ Droits exclusifs ≠ monopole :

  • Le monopole renvoie à une situation économique, là où le droit exclusif serait plutôt la traduction juridique de cette situation économique.
  • Par ailleurs, tout droit exclusif ne place pas son bénéficiaire en situation de monopole ; par exemple, parce qu'il ne s’étend pas à l'ensemble du marché.

Le droit de l'UE ne prohibe pas les monopoles et les droits exclusifs, mais il les contrôle par le biais de 2 dispositions :

  1. L'article 37 du TFUE prévoit que "les États membres aménagent les monopoles nationaux présentant un caractère commercial, de telle façon que soit assurée […] l'exclusion de toute discrimination".

    Cet article a un champ d'application extrêmement limité ; on le trouve dans le chapitre relatif à la libre circulation des marchandises (LCM) et il ne vise que les monopoles susceptibles d'y porter atteinte.
    À l'origine, le contrôle était concentré sur le respect du principe de non discrimination ; désormais, ce sont toutes les entraves qui sont censurées.

  1. Article 106§1 du TFUE : "les États membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n'édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles des traités, notamment à celles prévues aux articles 18 [principe de non discrimination] et 101 à 109 inclus [pratiques anticoncurrentielles]".
    Il est contrôlé au regard du droit de la concurrence.
    Exemple : le droit exclusif place l'entreprise en situation d'abuser automatiquement de sa position dominante.

Le contrôle des concentrations :

Pourquoi avoir mis en place un contrôle des concentrations ?
Idée : le développement de groupes trop puissants nuit à la concurrence.

Le contrôle des concentrations est donc, à l'inverse du droit des pratiques anticoncurrentielles, un contrôle ex ante : il repose sur une obligation de notifier l'opération de concentration à l'autorité de concurrence.
Il faut attendre le feu vert de l'autorité pour pouvoir procéder à la concentration.

C'est original : en général, le droit économique laisse les entreprises libres d'agir et organise un contrôle ex post.

En France, la mise en place d'un contrôle des concentrations a été beaucoup plus tardive qu'aux États-Unis.
Aux États-Unis, dès 1890, le Sherman Act a prohibé les ententes illicites et la monopolisation. Le Clayton Act (1914) a poursuivi sur cette voie.
En France, il a fallu attendre une loi du 19 juillet 1977 pour voir apparaître un contrôle des concentrations ; mais ce contrôle était politique, puisque placé entre les mains du ministre de l'Économie.
Ensuite, la loi NRE du 15 mai 2001 a établi l'économie générale du dispositif actuel.
Enfin et surtout, la loi LME du 4 août 2008 a transféré le pouvoir de décision en matière de contrôle des concentrations à l'Autorité de la concurrence.
Toutefois, le ministre de l'Économie conserve certains pouvoirs
(voir suite du cours).

Ce contrôle existe aussi bien en droit français qu'en droit de l'UE :

  • En droit français, il est prévu par les articles L430-1 et suivants du Code de commerce ;
  • En droit de l'UE, il est prévu par le règlement n°139/2004 du 20 janvier 2004.

Ces 2 corpus juridiques se font écho, comportant des règles extrêmement similaires.

Section 1 : Le champ d’application du contrôle

§ 1. La notion de concentration économique

La notion de concentration renvoie à l’avènement d'une entreprise nouvelle, gouvernée par des entreprises préexistantes, et dont la puissance met potentiellement en danger la concurrence sur le marché.

La concentration renvoie à 3 hypothèses, qui ont toutes un point commun : le changement de contrôle d'une entreprise :

  1. La fusion entre 2 entreprises indépendantes.
    C'est la forme de concentration la plus évidente, mais aussi la plus rare.

    Exemple : projet de fusion entre TF1 et M6, finalement abandonné en septembre 2022. L'Autorité de la concurrence menée par Isabelle de Silva était particulièrement défavorable à cette fusion, contrairement au gouvernement.

  1. Acquisition : la prise de contrôle d'une entreprise indépendante sur une autre.
    Elle peut prendre plusieurs formes : acquisition de la majorité du capital, de la majorité des droits de vote…
    Ici, la personne qui fait l'objet de l'acquisition ne disparaît pas.

    Exemple : Autorité de la concurrence, 15 juillet 2022, n°22-DCC-126 : sur la prise de contrôle des sociétés TFX et M6 Génération par le groupe Altice France.

  1. La création d'une entreprise commune par 2 entreprises indépendantes.
    Ici, 2 entreprises indépendantes créent une filiale commune.

    Attention : cette création ne sera pas concernée par le contrôle des concentrations qu'à la condition que la filiale créée soit une entreprise autonome ("entreprise de plein exercice").
    Exemple : Conseil d’État, 31 mai 2000, Société Cora : l'entité n'avait pas d'activité autonome et n'était donc pas une entreprise commune.
    Exemple de création d'une entreprise commune :Autorité de la concurrence, 12 août 2019 : autorise la création de l’entreprise commune "Salto" par TF1, M6 et France TV.

Ces 3 opérations sont différentes, mais ont un point commun : la concentration est réputée réalisée si un changement durable du contrôle est opérée.

La notion de concentration repose ainsi sur la notion de contrôle, qui est définie à l'article L430-1 du Code de commerce comme la possibilité d'exercer une influence déterminante sur l'activité d'une entreprise.

CJUE, 7 septembre 2018 :
Définit la notion de concentration de manière très large :
"La notion de concentration doit être définie de telle sorte qu'elle couvre les opérations entraînant un changement durable du contrôle des entreprise concernées et donc de la structure du marché".

§ 2. Le franchissement des seuils

Le droit des concentrations est marqué par le système du "guichet unique".
À la question "qui connaît d'une opération de concentration ?", la réponse est simple :
> soit la Commission européenne (appliquant le droit de l’UE) ;
> soit l'Autorité nationale de concurrence (appliquant le droit français).

Le critère de répartition des compétences est le franchissement de certains seuils de CA.
En effet, on considère que la puissance de marché s'exprime en termes de CA.

A – Les principes

1) Les concentrations de dimension communautaire

Seul le règlement 139/2004 est applicable et seule la Commission européenne est compétente.

Il faut encore que l'opération franchisse certains 2 seuils :

  1. Un seuil principal : il faut que le CA total de l'ensemble des entreprises concernées par l'opération soit supérieur à 5 milliards d'euros.
  1. Un seuil de minimis : il faut aussi que le CA réalisé dans l'UE par au moins 2 entreprises concernées par l'opération soit supérieur à 250 millions d'euros.

2) Les concentrations de dimension non communautaire

Seul le droit français est applicable et seule l'Autorité de la concurrence est compétente.

Il faut encore que l'opération remplisse 3 conditions cumulatives :

  1. Un seuil principal : le CA mondial de l'ensemble des entreprises parties à la concentration est supérieur à 150 millions d'euros ;
  1. Un seuil de minimis : le CA réalisé en France par au moins 2 entreprises est supérieur à 50 millions d'euros.
  1. L'opération ne doit pas entrer dans le champ d'application du contrôle européen.

B – Les mécanismes correcteurs

Par un renvoi descendant, prévu aux articles 4 et 9 du règlement 139/2004, une opération de dimension communautaire peut être renvoyée à un État membre.

Par un renvoi ascendant, prévu à l'article 22 du règlement 139/2004, une opération de dimension nationale peut être renvoyée à la Commission européenne.

Section 2 : La procédure de contrôle des concentrations

§ 1. Le déclenchement du contrôle

En droit français comme en droit européen, le contrôle des concentrations est un contrôle à priori (ex ante), qui repose la notification obligatoire et préalable de l'opération à l'autorité compétente.
Cette obligation incombe aux entreprises qui souhaitent se concentrer.

Exemple : le 17 février 2022, Bouygues (qui contrôle TF1) a notifié à l'Autorité de la concurrence son projet d'acquisition de M6.

Conséquences de la notification :

  • Pour l'Autorité de la concurrence : déclenchement du contrôle ;
  • Pour les tiers : information, ce qui leur permet d'intervenir ou de la contester ;
  • Pour les parties : suspension de leur opération jusqu'à la décision de l'AC.

§ 2. Le déroulement du contrôle

A – Les phases du contrôle

En droit de l'UE comme en droit français, le contrôle de la concentration peut se faire en 1 seule phase ; un contrôle plus approfondi est aussi possible.

1) La Phase 1 : la procédure légère

La phase 1 est un examen de routine.
L'Autorité de la concurrence a 25 jours pour se prononcer à compter de la réception de la notification.

À l'issue de cet examen, elle peut faire 3 choses :

  1. Considérer que l'opération ne relève pas du champ du contrôle des concentrations.
  1. Autoriser l'opération.
    C'est la grande majorité des cas.
    Éventuellement, l'opération peut être autorisée sous réserve d'engagements de la part des parties.
  1. En cas de "doute sérieux d'atteinte à la concurrence" : enclencher la phase 2.

2) La Phase 2 : l’examen approfondi

La phase 2 est une procédure approfondie, qui dure 65 jours devant l'Autorité de la concurrence ou 90 jours devant la Commission européenne.

L'autorité peut ensuite :

  1. Interdire l'opération ;
  1. Autoriser l'opération ;
  1. Autoriser l'opération sous réserve d'engagements.

B – Les modalités de contrôle

Le contrôle des concentrations est un moyen de préserver par anticipation (contrôle ex ante) le respect d'une libre, saine et loyale concurrence.

Le problème, c'est que ce contrôle est difficile, car il est prospectif.
Il se déroule en plusieurs étapes :

1) La délimitation du marché pertinent


2) Le bilan concurrentiel et économique de l’Autorité de la concurrence

L’Autorité de la concurrence met en œuvre la méthode du bilan, suivant l’article L430-6 du Code de commerce. Elle recherche :

  1. Est-ce que l'opération porte atteinte à la concurrence ?
    Un bilan concurrentiel est mené.
  1. Est-ce que l'atteinte peut être compensée par les gains d'efficacité économique de l'opération ?
    Un bilan économique est mené.

3) Le pouvoir d’évocation du ministre de l’économie

Le ministre de l'Économie concerne un pouvoir d'évocation.
Depuis la loi LME de 2008, l'article L430-7-1 du Code de commerce lui donne le pouvoir d'évoquer une affaire de concentration pour des motifs d'intérêt général.

Dans un délai de 25 jours à compter de la réception de la décision de l'Autorité de la concurrence, le ministre peut évoquer l'affaire et statuer sur l'opération en cause pour des motifs d'intérêt général autres que le maintien de la concurrence.
Ainsi, le droit français admet clairement que l'atteinte à la concurrence puisse être régularisée en raison de motifs d'intérêt général.
Concrètement, il peut autoriser une opération interdite, assouplir les engagements…

En avril 2024, ce pouvoir n'a été mis en œuvre qu'une seule fois, dans une décision du 21 juin 2018 (affaire Cofigeo-Agripole), dans laquelle le ministre a assoupli les engagements des entreprises "au regard de motifs d'intérêt général tels que le maintien de l'emploi et le développement industriel".

C – Les recours

Quand l'opération est nationale et que c'est l'Autorité de la concurrence qui a pris la décision, le juge administratif peut être saisi.

Il y a là une vraie différence avec le droit des pratiques anticoncurrentielles : les décisions de sanction de l'AC sont contestées devant la cour d'appel de Paris.
→ Éclatement du contentieux des décisions de l'AC.

Le Conseil d’État exerce un contrôle assez étendu, à tel point qu'on a pu se demander si le juge administratif n'allait pas devenir un juge économiste.
En effet, il est conduit à définir le marché pertinent, évaluer les effets de l'opération sur la concurrence, examiner les engagements des parties…
Exemple : Conseil d’État, 20 juillet 2005, Fiducial Informatique.

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