Commentaire corrigé : Conseil d’État, 10 juin 1994, « R.O.C. »

Fiche rédigée par Hugo.

Contenu

Le sujet

CE, 10 juin 1994, « R.O.C. » :

Considérant qu’il ressort clairement des stipulations de l’article 189 du traité du 25 mars 1957 que les directives du Conseil des communautés européennes lient les Etats membres « quant au résultat à atteindre » ; que si, pour atteindre ce résultat, les autorités nationales, qui sont tenues d’adapter leur législation et leur règlementation aux directives qui leur sont destinées, restent seules compétentes pour décider de la forme à donner à l’exécution de ces directives et pour fixer elles-mêmes, sous le contrôle des juridictions nationales, les moyens propres à leur faire produire leurs effets en droit interne, ces autorités ne peuvent légalement, après l’expiration des délais impartis, ni édicter des dispositions réglementaires qui seraient contraires aux objectifs définis par les directives, ni laisser subsister des dispositions réglementaires qui ne seraient plus compatibles avec ces objectifs, ni davantage se refuser à modifier des dispositions règlementaires dans l’hypothèse où une telle modification est nécessaire pour assurer la transposition dans l’ordre interne des objectifs prescrits par une directive ;
Considérant que selon les dispositions de l’article 4 de la directive du conseil n° 79-409 du 2 avril 1979 concernant la conservation des oiseaux sauvages publiée au Journal officiel des Communautés européennes du 25 avril 1979, les Etats membres ont l’obligation  » d’adopter des mesures de conservation spéciale concernant l’habitat des espèces d’oiseaux énoncées à l’annexe I afin d’assurer leur survie et leur reproduction dans leur aire de distribution  » ; que le bruant ortolan figure au nombre des espèces relevant de l’annexe I telle qu’elle a été complétée par la directive n° 85-411 du 25 juillet 1985 publiée au Journal officiel précité du 30 août 1985 ;

Considérant qu’indépendamment des objectifs définis dans son article 4, la directive impose, dans son article 5, aux Etats membres de prendre les mesures nécessaire pour instaurer un régime général de protection de toutes les espèces d’oiseaux vivant naturellement à l’état sauvage, comportant notamment l’interdiction de les tuer ou de les capturer intentionnellement, quelle que soit la méthode employée ; que si selon l’article 7 de la même directive, les espèces énumérées à l’annexe II, partie I peuvent néanmoins être chassées dans les Etats membres pour lesquels elles sont mentionnées, aucune de ces exceptions ne concerne le bruant ortolan ; que la chasse de cette espèce doit par suite être interdite, sans préjudice de la protection prévue à son profit par l’article 4 de la directive n° 79-409 ;

Considérant que l’arrêté du ministre de l’Environnement du 26 juin 1987, qui fixe limitativement la liste des espèces de gibier dont la chasse est autorisée, a pour conséquence nécessaire d’interdire la chasse de celle des espèces qui n’y sont pas mentionnées et en particulier celle du bruant ortolan ; que si se trouve par suite assuré, s’agissant de cette espèce, le respect des dispositions combinées des articles 5 et 7 de la directive n° 79-409, l’interdiction de chasser ne permet pas à elle seule de satisfaire aux objectifs spécifiques de protection découlant de l’article 4 de la directive ; qu’il suit de là que c’est en méconnaissance de ces objectifs que le ministre de l’Environnement a refusé de faire figurer le bruant ortolan parmi les espèces d’oiseaux auxquelles s’appliquent les mesures de protection fixées à l’article 2 de la loi du 10 juillet 1976, repris à l’article L. 211-1 du code rural, et visant l’interdiction de la destruction ou l’enlèvement des oeufs ou des nids ; que le « Rassemblement des Opposant à la Chasse » est par suite fondé à demander l’annulation pour excès de pouvoir de la décision du ministre de l’Environnement rejetant la demande qu’il avait présentée le 14 juin 1990 aux fins de compléter l’arrêté du 17 avril 1981 modifié fixant la liste des oiseaux protégés sur l’ensemble du territoire ;

Annulation.

Le « corrigé »

Note importante

« corrigé » est mis ici entre guillemets pour que toutes les précautions soient prises par le lecteur internaute. En effet, pour des raisons de droit d’auteur il nous est impossible de reproduire ici le corrigé d’un professeur ou d’un chargé de TD comme de toute autre personne autre que nous. C’est pourquoi nous mettons ici en ligne nos devoirs, avec les erreurs que nous avons pu commettre. Nous faisons cependant attention à ne pas prendre des devoirs jugés mauvais, ou hors sujet, et ne prenons que ceux qui nous ont satisfait le plus pleinement.

Ce devoir a été rendu le 6.12.1997 à la séance de td n° 5. Note : 9 – 10 ( / 20 ).
Des imprécisions et incompréhensions ont été relevées par le correcteur. On reproche également au devoir de ne pas avoir assez cité le texte de l’arrêt et d’omettre l’arrêt Alitalia (qui a été remis sur la version mis en ligne).
En « défense », il faut dire que la correction était sévère, peu de notes ayant été donnés au dessus de 11 en commentaire d’arrêt, et que l’arrêt Alitalia n’avait pas été vu en cours ou en td (comme quoi il faut bosser à coté du cours aussi). La note attribuée, au vu de ces précisions semble donc correcte.

Introduction

Une directive (modifiée par une autre, le 25 juillet 1985) est édictée en vue de la protection entre autre d’une espèce d’oiseau, le bruant ortolan, et de la conservation de son habitat en vue d’assurer sa survie et sa reproduction. Un arrêté (26 juin 1987) intervient pour interdire la chasse de cet oiseau, mais le ministre de l’Environnement refuse la demande d’une association contre la chasse tendant à inclure cet oiseau dans la liste, fixée par l’arrêté du 17 avril 1981 de ce même ministre, des espèces dont on ne peut détruire les oeufs et les nids.

Estimant cet arrêté illégal, le  » Rassemblement des opposants à la chasse  » forme un recours pour excès de pouvoir contre la décision du ministre de l’Environnement de rejet de la demande de cette association.
Le  » rassemblement des opposants à la chasse  » prétend que le ministre de l’Environnement a méconnu les objectifs de la directive du 2 avril 1979 en refusant de modifier la liste des oiseaux protégés. Le principe étant que les directives s’imposent aux Etats membres, le refus est donc par conséquent illégal et doit être annulé. Le ministre de l’Environnement estime quant à lui que si les directives s’imposent aux Etats membres, elles ne peuvent être invoquées par les ressortissants que lors de l’édiction d’un acte de transposition des objectifs de cette directive. Ainsi, elle sont inopposables à une décision refusant la modification d’un arrêté, dès lors qu’il n’y a pas par cette décision édiction d’un acte réglementaire. Le ministre estime de plus que les exigences de la directive ont été satisfaites par le droit français qui a interdit la chasse de cet oiseau. Le ministre conclu donc à la légalité de sa décision, parce que non saisie par le principe d’application des directives, et ainsi au rejet de la requête.

Il s’agit donc pour le Conseil d’Etat de statuer sur la question de savoir si une directive sur la protection d’une espèce d’oiseau ne fait obstacle qu’à l’édiction de nouvelle norme contraire aux dispositions de cette directive ou oblige également les autorités à répondre à toutes demandes relatives à la mise en conformité du droit interne avec cette norme européenne.

Dans son arrêt, rendu le 10 juin 1994, le Conseil d’Etat énonce que si comme il a déjà été dit la directive s’impose aux Etats et que toutes décisions contraires seraient écartées ou annulées, le principe de la supériorité du droit international sur le droit interne interdit aux autorités de l’Etat de refuser la modification d’un acte contraire aux stipulations d’une directive. En l’espèce le Conseil d’Etat estime que si l’arrêté du 26 juin 1987 est bien conforme aux exigences de la directive, la décision de refus de l’arrêté du 17 avril 1981 est quant à elle contraire aux dispositions de la directive. Le Conseil d’Etat décide donc d’annuler la décision de refus.

Cet arrêt est ainsi très intéressant car il s’attache à distinguer deux problèmes distincts pour leur donner la même solution. Dans la première partie de sa décision le Conseil d’Etat rappelle le principe de l’opposabilité des objectifs des directives aux actes de transpositions contraires, puis dans une seconde partie étend ce principe considérablement en disposant que les autorités ne peuvent refuser de modifier ou abroger une disposition contraires à une directive sans que leur refus soit entaché d’illégalité. L’étude de cet arrêt nous permettra ainsi de dégager les modalités de ces deux types de contrôle, qui conduisent à la même affirmation : le droit communautaire doit prédominer sur le droit interne, ici plus particulièrement sur les règlements.

Nous verrons donc dans une première partie, un arrêté d’interdiction de chasse pris conformément à la directive européenne, pour aborder dans une seconde partie, un arrêté de protection d’espèce protégées laissé en non conformité aux dispositions de la directives.

I. Un arrêté d’interdiction de chasse pris conformément à la directive européenne

Le Conseil d’Etat s’attache tout d’abord à définir la hiérarchie des normes (A.) avant d’énoncé les sanctions que cette hiérarchie implique concernant la sanction des règlements nouveaux (B.) sanction qui n’a pas lieu d’être en l’espèce.

A. Le principe de la supériorité de la directive sur le règlement interne

1) Le principe de la supériorité du traité sur le règlement
a. L’application directe du traité
  • Un principe indépendant de la supériorité du traité sur la loi
  • Une reconnaissance de ce principe dans l’arrêt du Conseil d’Etat  » Dame Kirkwood  » de 1952
b. Le problème de l’application directe du droit dérivé
  • Pas de problème pour le droit international originaire parce que ratifié
  • Mais le droit dérivé est directement émis par les organes européens
2) Une supériorité étendue à la directive
a. Une lente reconnaissance du droit dérivé par le juge administratif
  • Le droit dérivé a été pris en compte par la juridiction administrative très tôt par la reconnaissance des règlements communautaires (Arrêt de Conseil d’Etat du 22 décembre 1978  » Syndicat viticole des Hautes Graves de Bordeaux  » )
  • Reconnaissance ensuite des directives dans l’arrêt Palazzi de 1991. Le Conseil d’Etat reconnaîtra même la supériorité du droit dérivé sur les lois (Arrêts Boisdet de 1990 et Rothman de 1992)
b. Les caractères de cette supériorité des directives
  • Des caractères définis par le traité international (traité de Rome du 25 mars 1957, article 189) : directives lient les Etats quant au résultat à atteindre.
  • Ces dispositions ne sont pas de simples déclarations d’intentions, elles ont des conséquence très pratiques

B. Une sanction des actes réglementaires édictés contrairement aux dispositions d’une directive

1) Un principe établi avec la jurisprudence Cohn Bendit du 22 décembre 1978 (reprise par Palazzi 8.7.1991)
a. L’énoncé de ce principe dans l’arrêt
  • Parce que les directives doivent être efficaces, utiles, elles doivent avoir une application en droit interne
  • Une formulation constante dès arrêt Cohn Bendit 22.12.78 :  » autorité ne peuvent légalement, après expiration des délais, édicter des dispositions réglementaire qui seraient contraires aux objectifs définis par les directives « 
b. Le respect de la jurisprudence Cohn-Bendit du Conseil d’Etat du 22 décembre 1978
  • L’arrêt Cohn-Bendit interdisait invocation d’une directive contre un acte individuel. Il ne reconnaissait pas d’effets  » directs  » à la directive
  • Ici sanction seulement des actes édictants des dispositions générales contraire aux objectifs d’une directive, donc reconnaissance uniquement d’effets indirects
2) Un principe non appliqué en l’espèce à l’arrêté du 26 juin 1987
a. L’existence d’une obligation générale d’interdiction de chasse
  • L’énoncé de la directive du 25 avril 1979 complétée par son annexe de 1985
  • Une directive interdisant la prise de mesure permettant la chasse de cette espèce
b. La non violation de ce principe par l’arrêté du 26 juin 1987
  • Arrêté fixe limitativement les espèces que l’on peut chasser donc entre dans le champ d’application de cette directive
  • Il exclu ainsi de la chasse, en ne l’y faisant pas figurer, l’espèce protégée. Il n’est donc pas contraire à la directive.

Cependant si cet arrêté n’est pas contraire au principe de non édiction d’acte contraire à une directive, il semble que la décision refusant la modification de l’arrêté de 1981 soit elle entachée d’illégalité par l’effet d’une conséquence de ce principe.

II. Un arrêté de protection d’espèce protégées laissé en non conformité aux dispositions de la directive.

En effet si la directive énonce des mesures de protection générale contre la chasse elle énonce également des mesures spéciales. Le Conseil d’Etat estime sanctionnable une décision de refus de modification d’un arrêté non conforme à une directive (A) pour mieux s’attacher ensuite à vérifier cette confirmation dans le cas d’espèce (B)

A. Une obligation sanctionnable de mise en conformité du droit interne au droit européen

1) Le rappel du principe de l’arrêt Alitalia
a. Un principe sanctionnant une non conformité postérieure
  •  » ni laisser subsister  » différent de  » légalement prendre « , ici on met en oblige à mettre en conformité ce qui est différent du fait d’obliger à respecter.
  • Ainsi on sort ici du principe même d’effet indirect des directives pour utiliser, de manière complémentaire, le principe dégagé par l’arrêt Alitalia.
b. Un principe existant déjà pour la hiérarchie des normes en droit interne
  • Un principe : la théorie du changement de circonstance (fait/droit) énoncé dans l’arrêt Despujol du Conseil d’Etat du 10 janvier 1930
  • Principe ancien destiné aux lois et règlement est appliqué aux règlement interne et directives
2) Les justifications d’un tel principe
a. L’effectivité incomplète des directives
  • Principe de non édiction de normes contraires évite juste les nouvelles entorses au droit européen fixé par les directives
  • Principe n’empêche pas de laisser le droit en contradiction, jusqu’à ce que l’Etat décide de prendre compte de la directive
b. Un nécessaire complément à cette effectivité
  • Principe de arrêt Palazzi (non édiction d’acte contraire) laisse subsister des inégalités au sein de la communauté européenne
  • Le principe rappelé ici écarte cet inconvénient et oblige les autorités à prendre les mesures nécessaires à la transposition sous peine de l’intervention du juge administratif pour l’y contraindre

B. Un arrêté de protection devenu illégal du fait du changement des circonstances de droit

1) Un changement de circonstance de droit
a. Les conditions d’un tel changement
  • Une modification du droit de référence : la loi ou en l’espèce le droit communautaire dérivé. La directive ayant des objectifs, ceux ci doivent être appliqués.
  • Une modification de ce droit de référence postérieure à l’acte contrôlé
b. L’existence d’un tel changement en l’espèce
  • Un arrêté de 1981 s’appliquant sur une directive de 1979.
  • Mais une annexe modifiée par une directive de 1985 change les circonstance de droit
2) Une contradiction entre la directive et l’arrêté conséquente
a. Des dispositions européennes non appliquées
  • La protection de l’habitat des espèces et de leurs oeufs ordonnées par la directives
  • Un arrêté ministériel ne tenant pas compte de cette exigence
b. Un refus de mise en conformité sanctionné
  • Une demande du 14 juin 1990 de modification de cet arrêté ministériel refusée sans doute tacitement
  • L’application du principe entraîne, logiquement, l’annulation de ce refus. L’arrêté est donc reconnu illégal.

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