Chapitre 8 : Les variations de la relation de travail

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Le contrat de travail est un contrat à exécution successive, qui s’exécute dans le temps.
Ce temps peut être un temps long, pendant lequel certains évènements peuvent venir affecter la relation de travail, qui n’est pas figée à la situation au moment de la conclusion du contrat de travail.

Section 1 : La cession du contrat de travail

Il peut y avoir des recompositions de l’entreprise liées à des opérations telles que des fusions (fusions acquisitions, fusions absorptions…), qui conduisent à un changement d’employeur.
Pour assurer la permanence du lien de travail, le Code du travail pose un principe de
cession légale du contrat à l’article L1224-1 du Code du travail.

Ainsi, en cas de changement d’employeur, le contrat de travail se poursuit légalement avec le nouvel employeur. Ni le consentement du nouvel employeur ni le consentement du salarié lui-même ne sont requis (la démission reste toujours possible).

Lorsque les conditions d’une cession légale ne sont pas remplies, il n’y a pas de changement dans la situation juridique de l’employeur.
Il est alors toujours possible de transférer contractuellement un contrat de travail. Il faudra alors l’accord de tout les protagonistes : l’ancien employeur, le nouvel employeur et le salarié.
L’exemple le plus fréquent en pratique réside dans les cessions intra-groupes : quand un salarié passe d’une entreprise d’une groupe à une autre entreprise du même groupe de société.

Section 2 : La révision du contrat de travail

La question de la révision du contrat de travail devrait être réglée par l’application du droit commun des contrats, qui pose un principe d’intangibilité du contrat tiré de la force obligatoire du contrat.
En effet, l’article 1193 du Code civil dispose que :
“Les contrats ne peuvent être modifiés ou révoqués que du consentement mutuel des parties, ou pour les causes que la loi autorise”.
→ En droit civil, une partie ne peut pas modifier unilatéralement un contrat.

En droit du travail, appliquer un tel principe reviendrait à paralyser l’évolution de la relation de travail ou à la subordonner à l’accord individuel du salarié (qui n’est jamais acquis).
Conditionner toute modification à l’accord du salarié empêcherait l’employeur d’adapter les
conditions de travail et l’emploi aux évolutions de l’entreprise, alors même que la situation d’une entreprise ne peut pas être figée dans le temps, elle évolue.
→ L’immutabilité du contrat aurait un effet paralysant.

Le droit du travail a donc été conduit à aménager les principes du droit civil → il ne les méconnaît pas, mais il les aménage.
Pendant longtemps, la Cour de cassation a distingué selon l’importance de la modification : elle distinguait les modifications substantielles (les plus importantes), qui exigeaient l’accord du salarié, et les modifications non substantielles, qui pouvaient être imposées unilatéralement par l’employeur.

La Cour de cassation a abandonné cette distinction pour une autre distinction.
En juillet 1996, elle a rendu une série d’arrêts dans lesquels elle affirme que l’employeur ne peut pas modifier unilatéralement le contrat.
Elle respecte donc le Code civil, mais elle ajoute que l’employeur peut changer unilatéralement les conditions de travail.
Ainsi, la distinction est entre la modification du contrat – qui exige l’accord exprès du salarié – et le changement des conditions de travail – qui peut être décidé unilatéralement par l’employeur.

Cette solution présente l’avantage de garder l’immutabilité du droit commun tout en permettant une souplesse → c’est un compromis.
Le vocabulaire est ici essentiel : changement et modification n’ont pas du tout le même régime.

Le législateur n’a jamais entériné cette jurisprudence, mais personne ne la remet en cause aujourd’hui et elle est toujours appliquée.

§ 1. Les notions de modification du contrat et de changement des conditions de travail

La jurisprudence retient 3 éléments essentiels de la relation de travail / du contrat de travail :

  1. Le premier élément essentiel qui exige l’accord du salarié est la rémunération.
    L’employeur ne peut pas modifier de quelque manière que ce soit la rémunération du salarié.

    La Cour de cassation a une conception très large de la rémunération : cela s’étend aussi bien à la rémunération en argent qu’à la rémunération en nature.
    La rémunération est aussi la structure de la rémunération (elle peut être fixe, variable ou mixte) : l’employeur ne peut rien modifier de tout ces éléments sans l’accord exprès du salarié.

  1. Le second élément essentiel est la durée du travail.
    Travailler à temps complet ou à temps partiel n’est pas du tout la même chose.
  1. Le troisième élément essentiel sont les fonctions du salarié, qui se rapportent à ses qualifications et à ses responsabilités du salarié.
    Si les fonctions sont modifiées (à la baisse comme à la hausse), l’employeur doit obtenir l’accord du salarié.

À l’inverse, les éléments qui relèvent de la relation de travail et qui sont des conditions de travail peuvent être changées unilatéralement par l’employeur. On en distingue 3 :

  1. Les horaires de travail.
  1. Le poste ou la tâche à accomplir, c’est-à-dire ce que le salarié va réaliser concrètement.
    La jurisprudence admet que la tâche puisse être changée unilatéralement par l’employeur.

    En pratique, il peut être difficile de distinguer la modification des fonctions du changement de la tâche. La jurisprudence est abondante en la matière et il n’y a pas encore d’arrêt de principe.

  1. Le lieu de travail.

    La Cour de cassation limite le pouvoir de l’employeur à ce qu’elle appelle le “secteur géographique”. Autrement dit, un employeur peut changer le lieu de travail du salarié sans son accord dans la limite du même secteur géographique.
    Idée : si le changement de lieu est trop important, ce sera une modification du contrat de travail.

    Le secteur géographique est un périmètre autour de l’entreprise qui implique que les 2 lieux ne soit pas trop éloignés l’un de l’autre, en distance kilométrique ou en temps de transport.

    La Cour de cassation n’a jamais voulu définir le secteur géographique et laisse ainsi de la souplesse aux juges.

Dans certaines circonstances, le changement de condition du travail devient une modification du contrat soumise à ce régime :

  1. Si l’élément a été contractualisé.
    Par exemple, si les parties ont contractualisé les horaires, ou encore le lieu de travail, par une clause “claire et précise”.
    Cette formule retenue par la Cour de cassation manifeste la nécessité d’une volonté de contractualiser l’élément : une simple indication du lieu de travail ne suffit pas.
  1. Lorsque le changement d’un élément qui relève des conditions de travail affecte un élément essentiel.
    Cela n’est pas rare. Par exemple, le changement de lieu de travail qui ferait perdre au salarié une prime est une modification du contrat de travail, car il y a un impact sur la rémunération.
  1. Lorsque le changement des conditions de travail affecte “l’économie du contrat”.
    C’est le cas le plus important, d’autant plus qu’on ne sait pas vraiment ce qu’est l’économie du contrat.
    Par exemple, le passage d’un horaire de jour à un horaire de nuit est un changement d’horaire, mais qui modifie l’économie du contrat ; il faut donc l’accord du salarié.
    Il en est de même pour le passage d’un horaire continu à un horaire discontinu.

§ 2. Le régime

La qualification est essentielle, car le régime de la modification est opposé à celui du changement.

A – Le régime de la modification du contrat de travail

Le régime de la modification du contrat est assez simple : on applique l’article 1193 du Code civil, qui dispose que la modification exige l’accord préalable du salarié.
La Cour de cassation affirme que l’accord doit être exprès (ce n’est pas forcément un accord écrit, mais en pratique, ce sera souvent via la signature un avenant).
La Cour de cassation n’accepte pas le consentement tacite en la matière, contrairement au droit commun, ce qui se comprend, car la relation de travail est déséquilibrée.

Lorsque la modification du contrat repose sur un motif économique, le salarié a 2 mois pour faire connaître son refus.
S’il ne le fait pas, il est considéré avoir accepté la modification.
→ Dans ce cas particulier, il n’y a pas besoin d’accord exprès.

Si le salarié refuse, l’employeur doit normalement renoncer à la modification.
En pratique, ça n’est pas toujours le cas : il peut arriver que l’employeur persiste et que, se heurtant au refus du salarié, il le licencie.
La Cour de cassation, pour savoir le licenciement est alors justifié ou non, attend des juges du fond qu’ils recherchent si la raison de la modification était elle-même objectivement justifiée.

Ainsi, selon la Cour de cassation, la cause du licenciement est le motif de la modification ; si le motif est fondé, alors le licenciement le sera.
Ici, le cas pathologique est celui de la modification pour motif économique.

Cette jurisprudence peut être discutée, puisqu’en réalité c’est le refus du salarié qui est la cause du licenciement.

B – Le régime du changement des conditions de travail

Le régime du changement des conditions de travail est beaucoup plus simple : le changement des conditions relève du pouvoir unilatéral de l’employeur.
Le refus du salarié constitue une insubordination et donc une faute cause de licenciement.

Ainsi, un salarié qui refuse un changement des conditions de travail peut tout à fait être licencié.
La Cour de cassation précise que la faute n’est pas nécessairement une faute grave.

Ce régime très différent créée beaucoup d’insécurités : l’employeur ne sait pas toujours si il doit demander l’accord du salarié et le salarié ne sait pas toujours s’il peut refuser.

§ 3. La contractualisation de la révision du contrat

En droit commun, il est toujours possible de prévoir par une clause que l’une des parties pourra modifier unilatéralement le contrat.
La Cour de cassation a condamné les clauses de révision en droit du travail lorsqu’elles portent sur un élément essentiel, qui ne peut pas être modifié unilatéralement.
Ainsi, suivant une jurisprudence posée par la Cour de cassation en 1999, les clauses de révision sont nulles.

La clause de variation de rémunération est admise, à la condition que la variation “dépende d’éléments strictement objectifs”, c’est-à-dire qu’ils ne dépendent d’aucune manière de la volonté de l’employeur (Cass. soc., 27 février 2021).
On la trouve souvent dans les contrats des VRP et commerciaux.

Il y a des métiers où la clause de variation de rémunération est très pratiquée alors qu’elle souvent est illicite. C’est notamment le cas dans le domaine bancaire.

Pour les éléments qui relèvent des conditions de travail, il n’y a aucun intérêt à stipuler une clause, car le pouvoir unilatéral de l’employeur suffit.

Pour le lieu de travail, l’employeur peut avoir un intérêt à contractualiser le changement de lieu de travail au-delà du secteur géographique.
Ainsi, la clause de mobilité est très fréquente.
La Cour de cassation l’admet pour des raisons pratiques, tout en la subordonnant à certaines conditions.

La clause doit déterminer son secteur géographique d’application.
Elle doit déterminer quels sont les lieux dans lesquels le salarié pourra être muté, dans un souci de prévisibilité pour le salarié.

La Cour de cassation exigeait que cette zone géographique d’application corresponde à des lieux géographiques déterminés (des sites).
Les employeurs ont milités contre cette jurisprudence, en disant que les sites qui existent à un moment T n’existeront plus forcément plus tard.

En 2014, la Cour de cassation a admis que la zone géographique d’application puisse correspondre au territoire national, ce qui neutralise complètement la condition.

Elle n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer nettement sur le fait de savoir si la clause inclut les DOM-TOM.
Si les entreprises y ont des sites, elles mentionneront expressément les DOM-TOM.

Pour les salariés, cela peut être extrêmement contraignant.

Il y a une deuxième condition, qui tient à l’exercice de la clause : pour qu’elle puisse être appliquée valablement, l’employeur doit prendre en compte les conséquences de la clause sur la vie personnelle et familiale du salarié.
On retrouve ici le contrôle de l’article L1121-1 : la clause de mobilité est valable mais, comme elle restreint la vie personnelle, elle n’est valable que si elle est justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but poursuivi.

Il faut vraiment que l’impact bouleverse la vie personnelle et familiale, et pas simplement qu’elle cause des désagréments.

La Cour de cassation tenait en la matière une jurisprudence moins rigoureuse, jusqu’à un arrêt du 28 juin 2023 (on ne sait pas encore si c’est un simple arrêt d’espèce ou un vrai retour du contrôle), dans lequel elle admet une atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale.

En l’espèce, un salarié qui travaille à l’international pour Bouygues, salarié itinérant, a une clause de mobilité dans son contrat. On lui propose un choix entre Cuba et le Nigéria, mais il refuse les 2.
Il fait valoir que la mise en œuvre de la clause de mobilité porte atteinte à sa vie privée et familiale.
Les juges du fond rejettent l’argument, et la Cour de cassation casse.

Elle retient qu’il y a une atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale, car le salarié faisait valoir que les destinations qui lui étaient imposées ne permettaient pas une bonne scolarisation de ses enfants.
Cet arrêt pourrait témoigner d’un durcissement de la jurisprudence : il faudra attendre d’autres décisions pour savoir si c’est un simple arrêt d’espèce ou non.

§ 4. La contractualisation de la révision du contrat

Il est possible d’imposer une modification de contrat lorsque la modification est prévue par un accord collectif (on parle d’accord de performance collective, ou APC), qui est une création de l’ordonnance du 22 septembre 2017.

Idée : si la situation économique de l’entreprise est mauvaise, il y a des risques de suppression d’emploi → les salariés vont collectivement subir des sacrifices dans l'objectif de sauver l’entreprise.
Cela peut être une baisse de rémunération, la suppression d’une prime… qui sont des modifications du contrat.
Objectif : sauver l’entreprise et éviter des licenciement économiques.

Ce mécanisme a d’abord été intégré en France en 2013, mais ça n’a pas marché : les centrales syndicales n’ont jamais voulu signer un tel accord.
Le législateur s’est entêté, et la loi El Khomri a maintenu ces accords.

En 2017, on a introduit l’APC, qui est encore plus général.
L’APC peut être conclu quelque soit la situation de l’entreprise (même si l’entreprise en bonne santé financière), mais il doit répondre à “des nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise”, ce qui ne veut rien et est extrêmement vague…

Les modifications permises par les APC peuvent être de toutes espèces.
Ils sont parfois utilisés pour des mobilités géographiques ; on parle alors d’APC déménagement. L’APC permet ainsi de de passer outre le consentement des salariés lorsque l’entreprise déménage.

Les APC ont fonctionné, puisqu’il y en a en pratique.
L’intérêt de l’APC est que les mesures prévues dans l’accord s’appliquent aux salariés et se substituent aux clauses contraires des contrats individuels de travail (article L2254-2 du Code du travail).

Cette substitution est-elle pérenne ?
Si l’APC est à durée déterminée, elle prend fin quand l’APC prend fin.

L’accord du salarié n’est pas nécessaire mais les salariés peuvent s’opposer aux mesures de l’APC. Ils ont un délai de 2 mois à compter du jour où l’employeur les a informé de la conclusion de l’accord pour s’y opposer → passé ce délai, ils ne peuvent plus que démissionner.

Si les salariés s’y opposent, en pratique, l’employeur les licencie.
Le licenciement en droit français se fait soit pour motif personnel soit pour motif économique ; or le salarié qui refuse un APC n’est licencié ni pour motif économique ni personnel.
→ C’est un motif de licenciement dit sui generis (article L2254-2 du Code du travail).

La particularité de ce licenciement est qu’il repose sur un motif réel et sérieux, ce qui induit qu’iln’est pas contrôlé par le juge en principe.
La jurisprudence conditionne l’application de ces règles à la caractérisation de nécessités liées au fonctionnement de l’entreprises → il faut prouver que la modification justifiée par l’APC était bien nécessaire au fonctionnement de l’entreprise.

L’APC peut être dangereux pour l’employeur : si beaucoup de salariés refusent, il risque de vider l’entreprise de ses meilleurs salariés, d’autant plus que les salariés qui refusent l’APC sont souvent ceux qui savent qu’ils vont retrouver un emploi.
On trouve parfois des clauses résolutoires, qui prévoient que si un certain pourcentage de salariés refusent, on annule rétroactivement l’APC.

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