Chapitre 7 : Les modalités d’exécution de la relation de travail

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet de Relations individuelles de travail (L3).

Section 1 : Le temps de travail

Sous l'impulsion de la CJUE, la Cour de cassation a réécrit en 2023 une grande partie des règles relatives au temps de travail.

La question du temps de travail est très règlementée en droit français ; c'est une question sous haute surveillance, puisqu’elle a des enjeux économiques.
Il y a toujours l'idée que la durée du travail peut être un levier pour favoriser le plein emploi. C'est cette idée qui a été défendue par Martine Aubry au début des années 2000.
L'expérience montre que cela n'a pas fonctionné : cette réforme n'a pas créé d'embauches massives.
Aujourd'hui, le débat s'oriente vers la semaine de 4 jours.

La durée hebdomadaire du travail est actuellement de 35 heures.

Derrière les problématiques de temps de travail se logent des problématiques de santé et de sécurité au travail.
Nous sommes à une époque où le droit au repos, considéré par un droit fondamental par la CJUE, est un moyen de reconsidérer toute une série de règles relatives au temps de travail.

§ 1. Les temps du travail

Il y a différents temps dans l'entreprise, qui ne sont pas tous des temps travaillés.

L'article L3121-1 du Code du travail définit le temps de travail effectif :
"La durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles".
La CJUE utilise l'expression plus moderne "sans pouvoir gérer librement son temps".

Il y a ici une forte intrication du droit interne avec le droit européen.
Toutes les règles viennent du droit européen et de la jurisprudence de la CJUE.

À côté du temps de travail effectif, il existe des temps de travail périphériques, qui sont soumis à des régimes intermédiaires :

A – Le temps d'astreinte

Le temps d'astreinte est défini à l'article L3121-9 du Code du travail comme le temps durant lequel "le salarié, sans être sur son lieu de travail et sans être à la disposition permanente et immédiate de l'employeur, doit être en mesure d'intervenir pour accomplir un travail au service de l'entreprise".

Ce temps est très contraignant pour le salarié : il n'exécute pas une prestation, mais il doit rester à proximité de l'entreprise pour pouvoir intervenir à la demande de l’employeur.

Cependant, seul le temps d'intervention est du temps de travail effectif.
Le Code de travail prévoit une contrepartie, soit d'ordre financier soit sous forme de repos (au choix de l’employeur, mais cela est souvent défini par un accord collectif dans les grandes entreprises).
⚠️ La contrepartie financière n’est pas du montant du salaire !

Il faut noter une 1ère évolution, que l'on doit à la CJUE dans 2 arrêts du 9 mars et du 11 novembre 2021, dans lesquels la CJUE interprète ce qu'est le temps d'astreinte au regard de la directive temps de travail (4 novembre 2003) dans un sens extrêmement favorable aux salariés.
La CJUE reconnaît un caractère fondamental que les juges européens au droit au repos.
Elle juge que ce qui n'est pas du temps de repos est du temps de travail → inversion du raisonnement (jusqu'à présent, on raisonnait en définissant ce qu'était du temps de travail).

La CJUE affirme que le salarié doit pouvoir disposer de manière effective, en dehors des périodes d'intervention, de la la liberté de consacrer son temps à ses propres intérêts.

Pour que le temps de non-intervention soit qualifié de temps de travail, il faut que la ou les contraintes qui résultent de l'organisation de l'astreinte affectent objectivement et très significativement la faculté de gérer librement le temps non professionnel.

Pendant longtemps, on considérait qu'était du temps de repos ce qui n'était pas du temps de travail ; désormais, on considère qu'est du temps de travail ce qui n'est pas du temps de repos.

La CJUE a introduit une gradation pour éviter que les astreintes ne soient systématiquement requalifiées en temps de travail effectif : il faut que les contraintes soient objectives et très significatives.
Par "objectivement appréciée", la CJUE entend, qu'en fonction du contexte, la liberté de gérer son temps n'est pas forcément la liberté de pouvoir faire ce que l'on veut de ses loisirs.
Il y a donc :

  • Le temps de travail réellement effectif : c'est le temps d'intervention ;
  • Le le temps d'astreinte assimilé à du temps de travail effectif, parce que la contrainte est très forte → il doit être payé comme le temps d'intervention ;
  • Il y a le temps de repos contraint, qui correspond aujourd'hui à la notion d'astreinte → il doit faire l'objet d'une contrepartie ;
  • Il y a le temps de repos effectif, pendant lequel le salarié fait vraiment ce qu'il veut.

Cette jurisprudence de la CJUE a été adoptée récemment par la chambre sociale de la Cour de cassation, dans 2 arrêts du 26 octobre 2022 et 21 juin 2023.
À propos de périodes d'astreintes pendant lesquels les employés d'une société de dépannage autoroutier devaient se tenir en permanence à proximité des locaux de l'entreprise pour répondre sans délai, la chambre sociale reprend le raisonnement de la CJUE : elle regarde si les contraintes étaient telles qu'elles affectaient objectivement et très significativement la faculté de gérer librement le temps des salariés et constituaient donc du temps de travail effectif, qui doit être rémunéré par du salaire.

B – Le temps d’habillage et de déshabillage

Un autre temps de travail accessoire prévu par le Code de travail est le temps d'habillage et de déshabillage.
Ce temps doit faire l'objet d'une contrepartie, financière ou en temps de repos.

C – Le temps d’attente

Un autre temps de travail accessoire est le temps d'attente, lorsque le salarié est contraint d'attendre avant de pouvoir réaliser la prestation.
Par exemple, un chauffeur routier pendant que l'on charge son camion.
En l'absence de texte, la Cour de cassation raisonne par analogie et considère que ce temps doit faire l'objet d'une contrepartie.

D – Le temps de douche

Jusqu'en 2016, le droit du travail consacrait comme temps de travail accessoire le temps de douche pour les métiers salissants.

E – Les temps de pause et de restauration

Les temps de pause et temps de restauration sont des temps non contraints et ne donnent donc pas lieu à une contrepartie.
Le Code du travail oblige à 20 minutes successives de pause toutes les 6 heures.

F – Le temps de trajet

Le temps de trajet ne donne lieu à aucune contrepartie, sauf s'il dépasse le temps normal entre le domicile et le lieu de travail habituel.

Ici encore, la CJUE a frappé, et sa jurisprudence a été adoptée par la Cour de cassation dans un arrêt du 4 novembre 2022 relatif aux salariés itinérants, qui n'ont pas de lieu de travail fixe et qui sont amenés à se déplacer pour les besoins de leur activité.
Le trajet du domicile au lieu où se situe le premier client + le trajet retour du lieu du dernier client au domicile constituent-t-ils du temps de travail ?

La Cour de cassation raisonne en vérifiant si, pendant ce temps de trajet, le salarié est à la disposition de l’employeur sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles.
Si tel est le cas, le temps de trajet est assimilé à du temps de travail.
La Cour de cassation regarde aussi si l’itinéraire est imposé par l’employeur et si, pendant ce temps de trajet, l’employeur peut ordonner au salarié de changer de parcours et d’aller voir un autre client.

Dans un arrêt du 7 juin 2023, la chambre sociale étend cette jurisprudence au cas d’un salarié qui travaille dans une entreprise qui se trouve dans l'enceinte d'un site nucléaire.
Celui-ci doit faire 15 minutes de marche de l'entrée du site à l'entreprise, où il ne pouvait pas vaquer à ses occupations personnelles.

Cet élargissement du temps de travail vient d'une plus grande attention portée à la notion de temps de repos → perspective inversée, sur le modèle de la CJUE.

Un arrêt du 25 octobre 2023 a écarté la qualification de temps de travail s'agissant d'un salarié itinérant, en retenant que le planning fourni par l’employeur n’était qu’indicatif → il n’y a pas d’automatismes.

§ 2. Le temps de travail effectif

La durée du travail est normée en France : elle est fixée à 35 heures par semaine.

Cela n'interdit pas à un salarié de travailler plus, parfois à la demande de l'employeur, en effectuant des heures supplémentaires, donnant lieu à une majoration de salaire d'au moins 10%, dans la limite de 9 heures par semaine.
Un accord collectif peut également prévoir, plutôt qu'une rémunération majorée, un
repos compensateur équivalent.

La Cour de cassation admet que des heures supplémentaires soient rendues nécessaires par la charge de travail à accomplir du salarié.
Pourquoi cette précision ? Parce qu'en pratique, l'employeur ne demande pas toujours au salarié d'effectuer des heures supplémentaires.

L’article L3171-4 du Code du travail prévoit que la charge de la preuve incombe à la fois à l'employeur et au salarié.
Mais ce texte a été quasiment balayé par la jurisprudence de la chambre sociale ces dernières années : l'employeur ayant l'obligation de contrôler la durée du travail, si l'employeur ne rapporte pas objectivement la preuve que les heures effectuées par le salarié n'ont pas été effectuées, ce sont des heures supplémentaires qui n'ont pas été payées.
→ Jurisprudence extrêmement favorable aux salariés.

Le professeur Grégoire Loiseau y voit un problème dans le droit du travail : "on fait peser cette charge sur l'employeur, sans forcément lui laisser les moyens d'exercer ce contrôle".

Avec l’évolution vers un travail numérique plutôt qu’industriel, le législateur essaye de trouver d’insuffler de la flexibilité dans l’organisation du temps de travail. En effet, les 5 jours par semaine avec 35 heures de travail ne correspondent plus au fonctionnement de beaucoup d’entreprises.

Il existe donc des possibilités de modulation du temps de travail, qui supposent un accord collectif, qui peut par exemple prévoit que des salariés travailleront plus à certains moments de l’année que d’autres.
Le dispositif le plus répandu est le dispositif de forfaitisation du temps de travail : le salarié a un forfait, c’est-à-dire une enveloppe d’heures à effectuer, qui peut être mensuel comme annuel.

En pratique, le forfait est souvent annuel ; très peu d’entreprises pratiquent le forfait mensuel, qui suppose un accord écrit entre l’employeur et le salarié.

  • Dans un forfait annuel en jours, le salarié doit travailler tant de jours dans l'année ;
  • Dans un forfait annuel en heures, le salarié doit travailler tant d'heures dans l'année.

Le forfait permet une certaine autonomie : le salarié peut organiser son travail en fonction des besoins. Il est donc réservé aux salariés ayant une certaine autonomie dans l'organisation de leur travail et de leurs horaires.

Il est quasiment systématique que les cadres soient au forfait.
Pour les entreprises, le forfait est un avantage considérable, car sous couvert de l'autonomie du salarié dans l'organisation de son temps, le salarié au forfait ne peut pas bénéficier d'heures supplémentaires.

La jurisprudence s'est montrée très diligente dans l'application de ce régime du forfait.
Cette jurisprudence a été codifiée par la loi du 8 août 2016 ; on trouve aujourd’hui ces règles dans le Code du travail, aux articles L3121-64 et suivants. Ceux-ci posent plusieurs exigences :

  1. Pour recourir au forfait annuel, il faut un accord collectif + l'accord du salarié.
  1. L’employeur doit prévoir des mesures pour assurer l'évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié.
    Autrement dit, l’employeur doit faire en sorte que les salariés ne soient pas en surcharge de travail. C’est l'accord collectif qui prévoit le forfait qui doit prévoir ces mesures (par exemple : entretiens, droit à la déconnexion).

Si ces conditions sont non respectées, le forfait est inopposable au salarié.
Il y a beaucoup de contentieux sur les forfaits.

§ 3. Le temps de repos

Il y a 10 ans, le temps de repos n'avait pas l'importance qu'il a aujourd'hui.
Aujourd’hui, l'organisation du temps de travail se fait autour du temps de repos.

Le Code de travail fixe une durée maximale journalière de 10 heures de travail effectif (article L3121-18) et une durée maximale hebdomadaire de 48 heures de travail effectif, heures supplémentaires comprises (la durée normale est de 35 heures).

Des temps de repos sont imposés :

  • Le repos est de 11 heures minimum par jour + l'amplitude journalière ne peut pas dépasser 13 heures.
  • L’article L3132-1 du Code du travail dispose : "Il est interdit de faire travailler un même salarié plus de six jours par semaine".
  • Article L3132-2 : "Le repos hebdomadaire a une durée minimale de vingt-quatre heures consécutives auxquelles s'ajoutent les heures consécutives de repos quotidien […]".
  • Article L3132-3 : "Dans l'intérêt des salariés, le repos hebdomadaire est donné le dimanche".

Cette conception du temps de travail ne correspond plus forcément à la société de travail d'aujourd'hui.
Cass. com., 26 octobre 2022 :
Puisqu'il y a des automates, et que les seuls salariés présents sont des employés de sociétés de gardiennage, l'hypermarché peut ouvrir le dimanche après-midi → pas besoin d'autorisation.

À chaque fois qu'un salarié travaille 6 heures d'affilée, il a le droit à 20 minutes successives de pause.

La preuve du respect de ces règles incombe à l'employeur (principe réaffirmé par l’arrêt Cass. soc., 25 octobre 2023).
En pratique, il suffit donc pour le salarié de venir dire qu'il n'a pas eu droit à ses temps de pause. Cette preuve est très difficile pour l'employeur.
Ici encore, il y a un paradoxe : on impose aux entreprises de contrôler le temps de travail de manière de plus en plus fine, mais on leur interdit d'utiliser des technologies intrusives pour ce faire.

Cass. soc., 13 septembre 2023 :
La Cour de cassation décide de transposer la jurisprudence de la CJUE, face à l'inaction du législateur, concernant l'acquisition des droits à congés payés, considéré par la CJUE comme un "principe fondamental essentiel" du droit du travail de l'Union européenne.

En principe, les salariés acquièrent 2 jours et demi de congés ouvrables par mois.
Ce droit à congés a historiquement été conçu par un droit acquis par le travail effectif : on considérait qu'en cas d'arrêt maladie le salarié n'acquiert pas de droits à congés, sauf en cas de maladie professionnelle ou d'arrêt du travail.
La CJUE et la Cour de cassation donnent un coup de pied à cette conception : un salarié en arrêt maladie acquiert des droits à congés.
Depuis le 13 septembre 2023, un salarié malade acquiert des congés payés pendant le temps où il est malade.

La Cour de cassation écarte ainsi partiellement les dispositions de l'article L3141-3.
Le coût de cette jurisprudence est évalué entre 3 et 5 milliards d’euros pour les entreprises, ce qui fait beaucoup grincer des dents et est emblématique de la manière dont le droit européen met en avant le droit au repos.
15 jours après, la cour d'appel de Paris faisait déjà application de cette jurisprudence !

Section 2 : Le lieu de travail

Pendant longtemps, la question ne se posait pas : le lieu de travail était l'entreprise et le salarié se devait d'y être présent.
Récemment, l'apparition du télétravail a dépoussiéré cette question.

Juridiquement, le télétravail a pour origine un accord national interprofessionnel (ANI) du 19 juillet 2005. Un nouvel accord est conclu le 26 novembre 2020.

Il faudra attendre 2012 pour que le télétravail apparaisse dans le Code du travail, avant que les règles ne soient modifiées par l'ordonnance du 22 septembre 2017, qui introduit les articles L1222-9 à L1222-11 du Code du travail.

C’est la pandémie qui a entraîné une explosion du télétravail, même si la France est en retard par rapport au reste de l’Union européenne.
Dans les faits, on constate que les PME sont encore très réservées voire hostiles au télétravail.

🚧
Il faut garder à l'esprit que plus d'1 salarié sur 2 ne peut pas télétravailler (une étude indique que 46% des salariés le peuvent).

Les grandes entreprises ont largement développé le télétravail depuis 2020, notamment pour réaliser des économies immobilières.

L'article L1222-9 du Code du travail définit le télétravail :
"Le télétravail désigne toute forme d'organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l'employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l'information et de la communication".

Le télétravail peut être réalisé hors du domicile du salarié. On parle par exemple des tiers-lieux, pour désigner tout ce qui n'est pas l'entreprise (espaces de coworking…).
Le lieu doit être aménagé, aux frais de l'employeur.

Le télétravail repose sur un double volontariat de l'entreprise + du salarié.
Autrement dit, l'entreprise n'est jamais tenue de recourir au télétravail.
Exception : en cas d'inaptitude, si le seul moyen de conserver le salarié inapte est de le mettre en télétravail, l'employeur est tenu de mettre en place le télétravail.
Exception : dans des circonstances exceptionnelles (par exemple, une pandémie), l'employeur peut imposer le télétravail.

Aujourd'hui, des entreprises stipulent des clauses de télétravail (ce dont les salariés ne veulent pas forcément !).

Le Code du travail prévoit que le télétravail peut être organisé par un accord collectif ou, à défaut d'accord collectif, par une charte.
S’il n'y a aucun des 2, il est toujours possible de conclure un simple accord individuel.

Ici, il y a une liberté totale pour organiser le télétravail.
Parfois, on fixe le nombre de jours en entreprise.

Les critères d'éligibilité sont importants, parce que le télétravail repose sur le volontariat.
Il n'existe pas de droit au télétravail, et ce même si le télétravail est institué dans l'entreprise pour d’autres salariés.
Cependant, lorsque l'employeur refuse le télétravail à un salarié qui le souhaite et qui y est éligible, il doit motiver son refus.

La durée du télétravail dépend de l’accord conclu dans l'entreprise.

Il y a actuellement un débat pour savoir si le télétravailleur a-t-il droit à des tickets restaurants.
Il y a aussi un autre débat sur les accidents du travail. En effet, il y a une présomption d'accident du travail lorsqu'un accident se produit sur le lieu de travail + pendant le temps de travail.
Étonnamment, le législateur a décidé d'appliquer cette présomption aux télétravailleurs.

On peut s'interroger sur l’avenir du télétravail, avec par exemple le développement des métavers, qui commencent à être utilisés par certaines entreprises.

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *