Chapitre 5 : Le salarié

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet de Relations individuelles de travail (L3).

Ce chapitre vise à explorer la sensibilité du droit du travail depuis le début du 20ème siècle à la personne du salarié.

Section 1 : Les droits et libertés du salarié

Le texte emblématique quand on parle des droits et libertés du salarié est l'article L1121-1 du Code du travail. Il dispose que :

"Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché".

Cet article fait entrer la prise en compte des droits et libertés dans la relation de travail, mais il a un défaut : il présente comme un tempérament ce qui doit être l'exception.
Ce texte protège tous les droits et libertés, et pas seulement les droits et libertés qui sont liés à la qualité de salarié (tels que le droit de grève, la liberté syndicale…).

§ 1. Le droit au respect de la vie privée

Ce droit repose sur l’article 9 du Code civil et sur l’article 8 de la Convention EDH : il n’y a pas de règle particulière dans le Code du travail.

Le droit au respect à la vie privée prend une allure singulière dans les relations du travail, puisqu'il y est dénommé droit au respect de la vie personnelle.
Il correspond au right to be let alone des systèmes juridiques anglosaxons.

Il faut savoir que le salarié a droit au respect de sa vie personnelle aussi bien en dehors de l'entreprise qu'au sein de l'entreprise.
Tout salarié a droit au respect de sa vie personnelle.

Idée : dans les relations de travail, la protection de la vie privée est plus large qu'en droit civil.
→ Tout ce qui n'a pas un rapport avec la relation de travail ne regarde pas l'employeur.

Par exemple, la jurisprudence prohibe le recours à un détective pour contrôler le salarié en dehors de son temps de travail (c’est souvent le cas lorsqu'il est suspecté de concurrence déloyale).

De même, si une personne est arrêtée dans la rue en état d'ébriété un samedi soir, que son employeur l'apprend et qu’il décide de licencier le salarié, la Cour de cassation refuse le licenciement, quand bien même l'action ne relève pas de la vie privée du salarié.
→ La notion de vie personnelle est plus large que celle de vie privée.

Une autre jurisprudence prohibe les clauses de résidence ou de domiciliation (qui stipulent que le salarié doit résider à proximité de l'entreprise).
Ces clauses étaient très pratiquées, mais elles ont ensuite été interdites sur le fondement de la vie privée.

Qu'en est-il au regard de l'utilisation des réseaux sociaux ?
L'employeur peut-il se prévaloir d'un document posté sur un réseau social qui témoignerait d'une faute commise par l'employeur ?

Les réseaux sociaux relèvent de la vie privée du salarié, d'autant plus si le compte est paramétré en visibilité privée.
On retrouve ici la balance des intérêts que l'on a vu entre le respect du droit à la preuve et le respect de la vie personnelle.
La jurisprudence dit qu'il faut mettre en balance le droit à la preuve de l'employeur avec le droit au respect de la vie professionnelle du salarié.

Il y a actuellement une tendance – alimentée par la CEDH et la Cour de cassation – à fondamentaliser les droits.
C'est dans cette logique relativement nouvelle que la Cour de cassation a reconnu en 2016 un caractère fondamental au droit de la preuve.
Il n'y a pas de hiérarchie entre les droits fondamentaux, qui ont la même valeur normative ; c'est pour cela que l'on doit effectuer une balance des intérêts.

Cass. soc, 30 septembre 2020, Petit bateau :
À partir du moment où l'élément de preuve a été valablement communiqué à l'employeur, les juges doivent rechercher si cet élément de preuve est nécessaire au droit à la preuve et si l'atteinte qui en résulte au droit à la vie privée du salarié est proportionnée au but recherché.
Autrement dit, il faut que la production de la preuve soit indispensable à l'exercice du droit à la preuve et que l'atteinte qui en résulte à la vie personnelle du salarié soit proportionnée au but recherché.

En l'espèce, une employée de la marque de prêt-à-porter Petit Bateau avait publié sur sa page Facebook personnelle une image d'une nouvelle collection, pas encore présentée au public. L'un de ses amis transfère les photographies à l'employeur, qui licencie la salariée qui n'a pas respecté la clause de confidentialité dans son contrat.
Certes, l'employeur avait valablement accédé à l'élément de preuve, mais sa production portait atteinte à la vie privée d'un salarié. La Cour de cassation considère ici que l'atteinte à la vie privée est proportionnée au but recherché.

Cass. soc., 4 octobre 2023 :
Deux photographies sont diffusées sur Facebook Messenger. L'employeur a connaissance de photographies sur lesquelles figurent une infirmière, pendant son temps de service dans une clinique privée, sur laquelle elle apparaissait en maillot de bain pendant une soirée festive organisée un soir. Il sanctionne la salariée.
Dans 2 arrêts du 4 octobre 2023, la Cour de cassation franchit un pas supplémentaire : elle reconnaît que la preuve est illicite, mais considère que l'illicéité d'un moyen de preuve n'entraîne pas nécessairement son rejet des débats.
Elle suit le même raisonnement : elle vérifie si l'atteinte à la vie privée est proportionnée au but recherché.

§ 2. Le droit de se vêtir à sa guise

Pendant longtemps, c'était un non sujet : on considérait que l'employeur pouvait imposer une tenue au salarié.

La Cour de cassation considère que le salarié a le droit de se vêtir comme il le souhaite mais que l'employeur peut restreindre ce droit si la restriction est justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché.

L’arrêt fondamental en la matière est l’arrêt dit Bermuda (Cass. soc., 28 mai 2003).
En pratique, le critère est généralement le contact avec la clientèle.

L’article L1121-1 du Code du travail dispose que :
"Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché”.
→ Double condition.

§ 3. La liberté d’expression

Pour la CEDH, même s'il n'y a pas de hiérarchie des droits fondamentaux, la liberté d'expression est plus importante que les autres libertés : elle considère que la presse est le "chien de garde de la démocratie".

La chambre sociale se fait la défenseur de la liberté d'expression des salariés : même en situation de travail, un salarié est libre de s'exprimer.

Cass. soc., 21 septembre 2022 :
Un salarié critiquait les directives que lui donnaient sa supérieure hiérarchique.
Le salarié n'a pas abusé de sa liberté d'expression.

Cass. soc., 28 septembre 2022 :
Une salarié exprimait les craintes de ses collègues de travail à l'égard d'un projet de réorganisation décidé par la direction.
Le salarié n'a pas abusé de sa liberté d'expression.

Comme tous les droits et libertés, il y a un contrôle de l'abus.
Depuis très longtemps, l'abus est défini par la Cour de cassation comme étant des propos injurieux, diffamatoires ou excessifs.
L'injure et la diffamation sont des délits incriminés pénalement ; mais "l'excessif" laisse beaucoup de liberté au juge.

Exemple d'un arrêt qui retient l'abus de la liberté d'expression :
Cass. soc., 20 avril 2022, Tex :
L'animateur de l'émission Les z'amours fait une blague lors d'une interview sur une autre chaîne de télévision : "vous savez ce qu'on dit à une femme qui a déjà 2 yeux au beurre noir ? on lui dit plus rien, on vient déjà de lui expliquer 2 fois".
Il est ensuite licencié. La Cour de cassation relève qu'il y a eu abus de la liberté d'expression.

Cass. soc., 23 juin 2021 :
Un salarié avait publié sur son compte Facebook public une photographie qui le montrait nu, agenouillé dans une église, alors qu'il était directeur d'un établissement hébergeant des personnes handicapées.
Il est licencié et fait état de sa liberté d'expression. La Cour de cassation casse l'arrêt attaqué, en estimant qu'il n'y a pas eu d'excès.
→ La Cour de cassation est très soucieuse de la liberté d'expression.

Sans surprise, les réseaux sociaux sont le foyer de ces contentieux.
Est-ce que l'employeur peut se prévaloir d'un message publié sur les réseaux sociaux ?
Cass. soc., 12 septembre 2018, Facebook :
Pose la règle que les propos publiés sur un réseau social sont protégés au titre de la vie privée lorsqu'ils constituent des conversations privées.
Pour savoir ce qui constitue une conversation privée, la Cour de cassation pose 2 critères :
1- Il faut que le compte soit paramétré de façon à en limiter l'accès.
2- Il faut que les personnes habilitées à y accéder forment un cercle restreint.
Les juges intègrent le langage utilisé sur les réseaux sociaux.

Aimer un message ne semble pas constituer une appropriation de celui-ci, mais un salarié qui repartagerait un contenu s'en approprierait le contenu.

Ainsi, la jurisprudence est très favorable à la liberté d'expression.
Si le compte est limité à quelques personnes, peu importe que le contenu soit diffamatoire ou injurieux, l'employeur ne peut pas s'en prévaloir.

§ 4. La liberté religieuse

La liberté religieuse est une liberté fondamentale, consacrée sous le nom de liberté de conscience à l'article 11 de la Convention EDH.

Il convient de distinguer le principe de laïcité et le principe de neutralité :

  • Le principe de laïcité est un principe de respect de toutes les religions.
    Toute personne doit pouvoir librement suivre la religion de son choix, mais pas l'État, qui doit rester neutre.
  • Le principe de neutralité interdit de manifester ses convictions religieuses au travail.
    Il ne s'applique qu'aux agents de l'État ou aux travailleurs de droit privé travaillant dans des structures investies d'une mission de service public.

Cass. soc., 19 octobre 2022 :
Rappelle que le principe de laïcité et de neutralité sont applicables à l'ensemble des services publics, y compris lorsqu'ils sont assurés par des organismes de droit privé.

La Cour de cassation veille à ce que le principe de neutralité soit limité à la manifestation de convictions religieuses.
Un arrêt a été rendu le 7 juillet 2021 concernant un agent de la RATP (soumis au principe de neutralité) : pour l'obtention de certains postes, une ancienne loi prévoit que l'agent doit prêter serment. Toutefois, une personne récemment recrutée par la RATP refuse : "ma foi m'interdit de jurer".
La Cour de cassation estime que l'on ne peut pas imposer à un salarié de jurer, au regard de la liberté d'expression.

→ Le principe de neutralité n'est pas appliqué de façon absolue.

Dans les entreprises qui ne sont pas soumises au principe de neutralité, le principe de laïcité s'applique : toute personne peut manifester ses convictions religieuses.
Cependant, il est admis que la neutralité soit imposée aux salariés par une clause du règlement intérieur, à condition que les restrictions soit "justifiées par les nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise et qu'elles soient proportionnés au but recherché" (article L1321-2-1 du Code du travail, introduit par la loi Travail de 2016).

Cass. soc, 22 novembre 2017 :
Après une question préjudicielle à la CJUE, la Cour de cassation pose plusieurs critères :

  1. Si l'employeur peut prévoir des restrictions aux manifestations de convictions religieuses par une clause du règlement intérieur, il faut que la clause de neutralité interdise, de manière générale, tout signe visible politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail.
    → On ne peut pas viser uniquement la religion.
  1. La restriction ne peut s'appliquer qu'aux salariés qui sont en contact visuel avec la clientèle.
    Qu'est-ce que le contact avec le clientèle ? Cela se discute.
  1. Lorsque le salarié est au contact avec la clientèle et refuse de retirer le signe visible de croyance, l'employeur doit d'abord rechercher s'il existe, au sein de l'entreprise, un poste disponible qui n'est pas au contact avec la clientèle.

CJUE, 15 juillet 2021 :
La CJUE va plus loin. Elle reprend d'abord la jurisprudence de 2017 : cette restriction peut être justifiée par "le besoin de l'employeur de se présenter de façon neutre à l'égard des clients" ; mais elle ajoute un élément nouveau : "ou de prévenir des conflits sociaux".

La CJUE admet désormais qu'il peut y avoir 2 intérêts justifiant qu'un employeur restreigne la liberté de religion :

  1. L’intérêt de l'employeur ;
  1. La prévention de conflits sociaux.

La Cour de cassation admet aussi que le salarié qui ne respecte pas les prescriptions de l'employeur lorsqu'elles sont légitimes peut être sanctionné jusqu'au licenciement.

Exemple : Cass. soc., 19 janvier 2022 :
Un salarié d'une entreprise de propreté et de ramassage de déchets avait été affecté au ramassage des déchets dans un cimetière.
Ce salarié était hindouiste et sa conviction religieuse l'empêchait de travailler à proximité des défunts ; l’employeur propose un site de remplacement, mais salarié refuse ; le salarié conteste son licenciement, en faisant valoir qu'atteinte à sa liberté religieuse ; juge considère qu'ici l'employeur avait un motif légitime de sanctionner le salarié.
La jurisprudence apparaît aujourd'hui moins abondante qu'auparavant, puisque la loi de 2016 conduit à prévenir un certain nombre de litiges (auparavant, il n’y avait pas de règles qui encadraient restrictions éventuelles à la liberté religieuse).

§ 5. Le droit à la protection des données personnelles

Depuis la loi du 6 janvier 1978, il y a des règles législatives qui protègent les personnes physiques contre l'utilisation de leurs données à caractère personnel.

En 1978, ce droit vient du développement de l'informatique, à une époque où l'informatique commence à permettre de créer des fichiers.
Le législateur craint alors que ces fichiers portent atteinte aux libertés des citoyens et protège leurs données identifiantes (nom, prénom, …).

Le 27 mars 2016, le Règlement général sur la protection des données personnelles (RGPD) est adopté.
Il entre en vigueur en mai 2018 dans tous les pays de l’Union européenne.

D’une part, la notion de donnée à caractère personnel est étendue très largement : "toute information se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiable".
Elle concerne même les données identifiant indirectement la personne.
Exemple :
Cass. soc., 25 novembre 2020 : une adresse IP est une donnée à caractère personnel (ne tombe pas forcément sous le sens…).

CJUE, 4 mai 2023 : considère qu'un avis ou une évaluation portant sur une personne est une donnée personnelle.
Cela est important en droit du travail, parce que ça signifie que l'avis dont un salarié fait l'objet est une donnée à caractère personnel.

D’autre part, le RGPD adopte une conception très large du traitement de données à caractère personnel.
Selon le RGPD, toute opération relative à des données personnelles est un traitement de données → le seul fait de collecter des données est un traitement !

Tous les traitements, même manuels, sont soumis au RGPD. Il n'est pas nécessaire d'avoir un traitement automatisé.

Autrement dit, en entreprise, on fait du traitement de données en permanence.
Cela explique que le droit des données a aujourd'hui une importance considérable en droit du travail.

Le principe d'accountability (que l’on peut traduire par "responsabilisation") signifie que le responsable de traitement (→ dans les relations de travail, l'employeur) doit être en mesure de justifier de la conformité des traitements qu'il réalise avec le RGPD.
Autrement dit, il n'y a pas de formalité de déclaration quand on met en place dans une entreprise un système de traitement ; mais il peut y avoir un contrôle à tout moment et l'employeur doit justifier que les traitements qu'il réalise sont justifiées.

L'autorité administrative chargée du contrôle est la CNIL.
C'est une autorité administrative indépendante, mais elle n'est sous la tutelle d'aucun ministère.
Elle est investie de 3 prérogatives :

  1. Un pouvoir de contrôle : les agents de la CNIL peuvent procéder à des contrôles à tout moment.
  1. Un pouvoir de sanction : elle peut infliger une amende administrative dont les montants ont été révisés par le RGPD et sont très élevés (entre 10 et 20 millions d'€ selon les manquements, ou entre 2 et 4% du chiffre d'affaires mondial de l'entreprise).

    La CNIL peut d'abord mettre en demeure.
    Jusqu’à présent, les entreprises font l'objet d'une mise en demeure ; ce n'est que si elles ne respectent pas la mise en demeure qu'elles peuvent faire l'objet de sanctions pécuniaires.

  1. Un pouvoir de régulation : la soft law (droit souple), qui vise à orienter et guider.
    La CNIL produit beaucoup de droit souple, mais comme elle est en même temps l'autorité de contrôle et de sanction, les entreprises ont intérêt à respecter ses recommandations.

Quelles sont les règles du RGPD au regard des relations de travail ?

Tout d'abord, il faut qu'un traitement soit licite.
Pour qu'il soit licite, il faut qu'il repose sur une base juridique.
La 1ère base juridique à laquelle on songe est le consentement ; dans la pratique, c'est la base juridique la plus souvent utilisée.
Mais en droit du travail cette base juridique n'est pas opérante, parce que la CNIL dit que le consentement du salarié n'est jamais réellement libre (→ relation subordonnée).

Autre base juridique : lorsque le traitement est nécessaire à l'exécution d'un contrat.
La plupart des traitements sont justifiés dès lors qu'ils sont nécessaires à l'exécution du contrat.
Par exemple, lorsqu'il y a un dispositif de surveillance, c'est un traitement de données pour lequel on ne demande pas l'accord du salarié.

Même si le traitement est licite, il doit encore respecter un certain nombre de principes :

  1. Le principe de finalité : le traitement doit être réalisé dans une ou plusieurs finalités précises et déterminées.
  1. Le principe de transparence, qui se concrétise par une obligation d'information : les salariés doivent être individuellement informés de l'existence et de la finalité du traitement.
    Par exemple, si une entreprise installe une caméra dans ses locaux et met un autocollant avec une caméra, mais que cet autocollant n'informe pas sur la finalité, ça ne respecte pas le principe de transparence.
    Il faut plus précisément informer les salariés de la ou les modalités dans lesquelles les images seront utilisées (aucune formalité n’est requise pour cette information).
  1. Le principe de loyauté : on ne peut pas utiliser les données à d'autres fins que celles qui ont fait l'objet de l'information aux salariés.
    Si l’employeur le fait, la preuve est illicite.
  1. Le principe de proportionnalité, aussi appelé principe de minimisation des données : seules les données qui sont strictement nécessaires à la finalité poursuivie peuvent être traitées.
  1. Le principe de limitation de la conservation des données : les données personnelles ne peuvent être conservées que le temps nécessaire à la réalisation de la finalité.

Il y a aussi des droits subjectifs → des droits individuels qui sont garantis à chaque salarié :

  1. Le droit d'accès est le droit d'accéder à ses données personnelles ; le salarié peut demander à l'employeur de lui communiquer les données personnelles qu'il traite.
  1. Le droit de rectification ;
  1. Le droit d'opposition ;
  1. Le droit à l'effacement.

Aujourd’hui, le droit d'accès fait l'objet d'une dérive : il est aujourd'hui utilisé par d'anciens salariés pour se faire communiquer des documents à des fins probatoires.
C’est une dérive, parce que la communication des données n'a normalement pas un but probatoire ; mais cette dérive se développe et ne connaît pas de parade.

CJUE, 4 mai 2023 : le droit d'accès porte sur les données et non sur les documents – mais les données doivent être communiquées de manière intelligible, donc contextualisée…

Ce que l'entreprise peut faire, c’est occulter dans le document tout ce qui n'est pas nécessaire à l'intelligibilité des données personnelles ; mais c'est un travail faramineux qui a un coût faramineux.
Dans la pratique quotidienne, quand un salarié demande son droit d'accès, l'entreprise envoie tout sans avoir le temps de faire le tri.

Le droit à une intervention humaine lors d’une décision automatisée (ou droit de ne pas faire l’objet d’une décision entièrement automatisée) est un droit que l'on aura de plus en plus à solliciter, mais qui reste anecdotique aujourd’hui.

Ce droit est-il très important en raison de l’utilisation accrue des outils d'intelligence artificielle dans les relations de travail, pour le recrutement, l’évaluation des salariés…
→ Évolution vers une gestion algorithmique du travail.

À partir du moment où le règlement européen sur l'intelligence artificielle sera adopté, ces systèmes vont fortement se développer, puisqu'ils seront juridiquement licites.
Le professeur Grégoire Loiseau y voit un grand danger : la décision algorithmique bénéficie d'une présomption d'exactitude.

Le RGPD prévoit des exceptions à l'intervention humaine lorsque la décision algorithmique est nécessaire à la conclusion ou à l'exécution du contrat.

💡
La protection des données personnelles est un droit fondamental, consacré à l'article 8 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

Section 2 : Les principes protégeant la personne du salarié

§ 1. Le principe d'interdiction du harcèlement

Il y a 2 sortes de harcèlement qui sont prévus par notre droit (il s'agit de délits pénaux) :

  1. Le harcèlement moral, prévu aux articles L1152-1 et suivants du Code du travail ;
  1. Le harcèlement sexuel, prévu aux articles L1153-1 et suivants du Code du travail.
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Ce cours n'étudiera pas l'aspect pénal, puisque les plaintes au pénal sont relativement rares dans les relations de travail.

Le harcèlement moral existe depuis 2002.
Il est défini comme des "agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d'entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits ou à la dignité du salarié, d'altérer sa santé physique ou mentale, ou de compromettre son avenir professionnel".
→ Définition large.

Il faut au moins une répétition : un fait isolé ne peut pas être du harcèlement moral.
Pour le reste, la Cour de cassation est très libérale.

Le plus souvent, on pense au harcèlement descendant (le supérieur hiérarchique à l'égard des subordonnés) ; mais on rencontre aussi du harcèlement ascendant.

La jurisprudence retient comme étant du harcèlement ce que l'on appelle le "harcèlement managérial", qui tient aux méthodes de gestion du personnel.
En effet, il y a encore beaucoup de managers qui ne sont pas formés au management et qui manient l'insulte ou des propos qui portent atteinte à la personne.
Il s’agit de harcèlement moral, même s'il n'y a pas de volonté de dégrader les relations de travail.
→ Le harcèlement peut être non intentionnel, lié aux méthodes de gestion.

Le harcèlement sexuel est défini à l'article 1153-1 comme "des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste portant atteinte à la dignité ou créant une situation intimidante ou hostile".
En principe, il faut que les comportements ou propos soient répétés, sauf en cas de pressions exercées dans le but d'obtenir un acte de nature sexuelle.

La définition a récemment été modifiée : sont désormais visés les propos ou comportements à connotation sexuelle, mais désormais également les propos et comportements à connotation sexiste, ce qui élargit très largement le champ du harcèlement sexuel.

On a aujourd'hui tendance à qualifier de harcèlement ce qui n'en constitue pas forcément.
Par exemple, certains salariés ont tendance à considérer que la pression hiérarchique constitue du harcèlement.

Parmi les clauses du licenciement, il y a le harcèlement.
Devant les juridictions prud'hommales, on constate que le harcèlement est de plus en plus invoqué, même dans des situations où ça n'est pas pertinent.

C’est un sujet grave, à prendre au sérieux.
Une "dégradation dans les conditions de travail" n'est pas une simple contrariété !

La loi du 2 août 2021, qui a étendu la définition du harcèlement sexuel, a introduit dans le Code du travail la notion de "harcèlement de meute" ou "cyberharcèlement".
Ce type de harcèlement n'est prévu que pour le harcèlement sexuel, et pas pour le harcèlement moral.

Le harcèlement est caractérisé par sa répétition ; mais pour le harcèlement de meute, la répétition des faits vient de personnes différentes.
Exemple : un salarié poste sur les réseaux sociaux un message violent, puis un autre, puis un autre…
Cela existait en droit pénal, mais pas en droit du travail ; ce manque a été réparé uniquement pour le harcèlement sexuel.

Une 3ème forme de harcèlement est le harcèlement institutionnel.
Ici, c'est l'organisation de l'entreprise qui est anxiogène et qui peut être considéré comme du harcèlement.

Le harcèlement institutionnel n’a pour l'instant été reconnu que dans 1 seule affaire, qui fait l'objet d'un pourvoi devant la Cour de cassation, il convient donc de rester prudents.
CA Paris, 30 septembre 2022 : dans l’affaire France Telecom, qui a conduit à 30 suicides, la cour d’appel de Paris retient le harcèlement institutionnel.
Est-ce que la chambre criminelle de la Cour de cassation suivra ?

Selon que le harcèlement soit moral ou sexuel, les règles applicables sont les mêmes.

L’employeur a d’abord une obligation en matière de harcèlement, à la fois de prévention et de faire cesser les faits de harcèlement.
Exemple : avoir un référent harcèlement auquel les salariés peuvent aller s'adresser anonymement.
Exemple : avoir un numéro vert.

Très souvent, le harcèlement moral n'est pas volontaire : le manager n'a pas appris à manager.

À partir du moment où l'employeur est informé, il a une obligation de faire cesser les faits de harcèlement.
Ces obligations incombent à l'employeur au titre de l'
obligation de sécurité.

En cas de manquement, l'employeur est responsable !
C’est pour cela que, dans le contentieux, c’est toujours une action du harcelé contre l'employeur.
Aux prud'hommes, le salarié harcelé n'agit pas contre son harceleur : il agit contre l'employeur au titre de l'obligation de sécurité qui lui incombe.
Dans des arrêts de 2016, la Cour de cassation a admis que l'employeur puisse rapporter la preuve qu'il a satisfait à son obligation de prévention et de cessation → la responsabilité n'est pas automatique.

La Cour de cassation impose à l'employeur de recourir à une mesure d'enquête pour établir la réalité du harcèlement.
Cette mesure d'enquête est aujourd'hui de fait obligatoire, mais ça n'est pas écrit dans les textes.

L’enquête peut être une enquête interne : l'employeur désigne des personnes à même de mener cette enquête.
L’enquête peut également être conduite avec des élus du personnel.
L’enquête peut également être externe (souvent menée par des avocats spécialisés), ce qui a l'avantage de la rendre plus objective.

La Cour de cassation considère que l'enquête constitue un moyen de preuve, même si la personne suspectée de harcèlement n'a pas été entendue.
C’est important, parce que parfois la victime de harcèlement craint des représailles et n'acceptera de participer que si l'auteur du harcèlement n'est pas lui-même entendu.

Toujours dans l'obligation de sécurité qui incombe à l'employeur, il y a l'exigence de sanctionner l'auteur du harcèlement.
C’est le seul cas où le Code du travail prévoit que l'employeur doit sanctionner.
Il s'agit à la fois de punir l'auteur du harcèlement, mais aussi de l'éloigner de la victime ; c'est pour ça que, la plupart du temps, la sanction du harcèlement sera le licenciement.

Les choses ne sont pas toujours idéales : dans certaines entreprises, on s'aperçoit que, quand le harcèlement est le fait du supérieur hiérarchique, c'est indirectement la victime qui est sanctionnée (la victime mutée sur un autre site).

La Cour de cassation condamne ce type de pratiques : dans un arrêt du 17 février 2021, elle considère que "le fait pour un employeur de s'être contenté de sanctionner l'auteur d'un harcèlement par un simple avertissement sans prendre aucune mesure pour l'éloigner du poste occupé par la victime caractérise un manquement à l'obligation de sécurité".

Le salarié qui dénonce des faits de harcèlement ne peut pas être licencié pour ce motif, sauf s'il est de mauvaise foi → protection prévue par les textes.
La mauvaise foi ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu'il dénonce.

C’est une protection du salarié dont on comprend le sens : le salarié peut penser subir un harcèlement qui finalement n'en est pas réellement un.
L’objectif est d’éviter qu'un salarié n'ose pas dénoncer des faits de harcèlement.

  • Petit aparté sur la protection des lanceurs d'alerte

    La loi du 21 mars 2022 concerne la protection des lanceurs d'alerte.
    La protection des lanceurs d'alerte est très largement appliquée, puisqu'il suffit que le signalement porte sur "toute violation d'une règle légale ou règlementaire".
    Le professeur Grégoire Loiseau considère que "cette amplitude du texte sera probablement mise à profit par des lanceurs d'alerte de mauvaise foi".

    Le texte prévoit plusieurs procédures de signalement :

    1. Le salarié peut faire un signalement interne, auprès du supérieur hiérarchique ou d'une personne désignée comme référente dans les très grandes entreprises ;
    1. Le salarié peut faire un signalement externe, auprès d'une autorité judiciaire ou administrative (inspecteur du travail, Défenseur des droits…).

    La loi prévoit la possibilité de divulgation publique des informations si ces signalements (interne comme externe) restent sans suite.

    La divulgation publique peut être effectuée sans signalement interne ou externe préalable en cas de danger imminent pour l'intérêt général ou en cas de risque de représailles pour le salarié.

    Un lanceur d'alertes ne peut pas être sanctionné pour avoir lancé une alerte, sauf s'il est de mauvaise foi.

    Dans un arrêt du 1er février 2023, la Cour de cassation renforce la protection des lanceurs d'alerte : elle admet qu'en cas de licenciement du lanceur d'alerte, la personne peut saisir le juge des référés peut ordonner la réintégration du lanceur d'alerte au regard de la nullité du licenciement.
    Le juge des référés est le juge de l'urgence, il ne peut pas trancher au fond ; or, ici, il tranche déjà au fond → cela lui donne un pouvoir considérable, que l'on comprend, parce qu'il faut environ 2 ans pour attendre un jugement au fond.

§ 2. Le principe de non discrimination

Le droit des discriminations tel qu'on le connaît est un droit qui vient de l'Union européenne, qui définit la discrimination comme une “inégalité de traitement fondée sur un élément de l'individualité du salarié”.

Les articles L1131-1 et suivants du Code du travail sont relatifs aux discriminations.
Ils définissent la discrimination comme une "différence de traitement qui n'est pas justifiée par une cause objective".

Il y a une trentaine de motifs de discrimination prohibés.
Certains ont trait à l'individualité de la personne ; le plus fréquent est celui en fonction du sexe (il faut noter que la loi mentionne désormais "l'identité de genre", ce qui en fait la seule disposition du droit français qui fait référence au genre — pas encore de jurisprudence).

L’apparence physique est un motif de discrimination : à l'origine, cela désignait le faciès, mais aujourd'hui la jurisprudence retient une conception beaucoup plus large, avec par exemple les discriminations relatives à la taille ou au poids de l'individu.

Cass. com., 23 novembre 2022 :
L’interdiction faite aux stewards masculins par le règlement relatif au port de l'uniforme de la compagnie aérienne Air France de porter une coiffure constituée de tresses africaines nouées en chignon, alors que cette coiffure est autorisée pour les stewards féminins caractérise une discrimination fondée sur l'apparence physique en lien avec le sexe.

Ce qui est intéressant dans cet arrêt, c’est que la Cour de cassation poursuit en notant que "la perception sociale n'est pas un critère objectif justifiant une différence de traitement entre les femmes et les hommes".
Autrement dit, la représentation sociale genrée qu'on se fait n'est pas un critère objectif.
Concrètement, si demain un salarié vient en jupe et qu’on lui demande de mettre un pantalon, ça sera une discrimination.

Malheureusement, il y a encore énormément de discriminations liées au fait qu'un salarié soit syndiqué, ou par rapport à l'âge.

La discrimination en fonction de la religion est aussi visée par la loi.
Lorsqu’il n'y a pas de clause de neutralité objectivement appliquée, le fait de traiter différemment les salariés en fonction de leur religion est une discrimination interdite et sanctionnée.

Enfin, une discrimination récemment ajoutée est la discrimination en fonction du domicile.

  • Il y a discrimination directe lorsqu'un salarié est traité différemment comparé à un autre dans des situations identiques ou analogues.
  • Il y a discrimination indirecte lorsqu'une règle est en apparence neutre, mais que son application conduit à des différences de traitement entre salariés placés dans des situations identiques.

Exemple : le salarié à temps partiel, qui travaille sur une partie de la durée de travail : il n'est pas rare que des règles appliquent des règles différentes aux salariés à temps partiel et aux salariés à temps complet, par exemple pour le calcul de la rémunération congé parental ou pour l’éligibilité à un complément de retraite.
La Cour de cassation retient une approche statistique : elle note que 80% des salariés à temps partiel sont des femmes, donc la différence de traitement est une discrimination à l'égard des femmes.

Par exemple, à la SNCF, une règle est appliquée aux femmes ayant élevé au moins 3 enfants, mais elle pas appliquée aux hommes : en 2019, la Cour de cassation relève que c'est une discrimination à l'égard des hommes.

Cass. soc., 14 décembre 2022 :
Les juges admettent une analyse statistique réalisée par le salarié lui-même.
⚠️ Les analyses statistiques sur l'origine des personnes sont interdites en France.

L’article 145 du Code de procédure civile permet de saisir le président d'une juridiction (ici, le président du conseil des prud'hommes) pour obtenir des mesures en vue d'un éventuel futur litige.
En matière de discriminations, ces mesures vont consister à ordonner à l'employeur de produire tous les éléments permettant au salarié qui s'estime victime de discrimination de se comparer avec les autres salariés de l'entreprise.

Illustration : Cass. com., 8 mars 2023 :
Une salariée femme estimait être discriminée par rapport à ses collègues hommes ; elle demande la production des bulletins de salaires et contrats de ses collègues masculins non anonymisés.
C’est important parce que ces documents concernent la vie personnelle des autres salariés !
La Cour de cassation fait ici prévaloir le droit à la preuve et effectue une balance des
intérêts avec l’atteinte au droit au respect de la vie privée.

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