Chapitre 2 : Le recrutement

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En droit du travail, c'est très rare qu'il y ait des pourparlers.
Le contrat de travail est le plus souvent un contrat d'adhésion, prérédigé par l'employeur.

La phase de recrutement est une phase de choix par l'employeur des candidats à l'emploi qui se manifestent.
À partir du moment où on est sur de l'unilatéralisme, il y a des risques d'arbitraire : le droit s'emploie donc à protéger le candidat à l'emploi.

Cependant, les règles sont souvent inappliquées : il y a un décalage très fort entre la règle de droit et la pratique.
De surcroît, les dommages et intérêts en cas d'irrégularités (par exemple, en cas de discrimination) sont très faibles (entre 500 et 1000€).

Le principe est celui de la liberté de choix par l'entreprise du candidat à l'emploi (→ corollaire de la liberté contractuelle).
Le principe du libre choix du salarié a même valeur constitutionnelle ! Il a été reconnu par une décision du Conseil constitutionnel du 20 juillet 1988, s'appuyant sur la liberté d'entreprendre : le Conseil parle du principe de choisir librement ses collaborateurs.

La 1ère limite est légale. L’article L5212-2 prévoit une limite au libre choix dans un cas très particulier : la discrimination positive (= qui consiste à favoriser une catégorie de personnes pour rétablir un équilibre rompu en fait).
Les entreprises d'au moins 20 salariés ont l’obligation légale d’avoir au moins 6% de salariés en situation de handicap. Si le taux de 6% n’est pas atteint, l'entreprise peut verser une compensation financière.

La CJUE est favorable aux discriminations positives.
Ici, la liberté de choix de l'employeur est contrainte, mais elle n'est pas supprimée : parmi les personnes éligibles, il choisit librement.

Cette liberté de choix est aussi restreinte par les discriminations négatives : l’employeur a l’interdiction de procéder à des discriminations à l'embauche.
Cependant, les discriminations à l'embauche sont extrêmement difficiles à détecter.
De plus, elles ne donnent lieu qu’à l’octroi de dommages-intérêts limités (montants de 10 000 € environ), puisque la jurisprudence et la loi n'admettent pas la réparation du préjudice négatif, mais seulement du préjudice moral.

Attention : il n’y a pas de discrimination si la société a besoin d'un mannequin, d'un acteur…

Le concept d’entreprise de tendance repose sur l’idée qu'au regard de l'objet social de l'entreprise, celle-ci a une tendance qui justifie qu'elle puisse exercer des différences de traitement à l'embauche.
Par exemple, on pourrait imaginer qu’une école privée catholique n'embauche pas de salariés non catholiques.
Ce concept est très utilisé en droit germanique, mais pas trop en France.

Dans une affaire où un homme a postulé à la SNCF, en refusant de donner sa date de naissance (demandée pour des raisons administratives), la Cour de cassation a relevé une discrimination selon l'âge → l'entreprise n'avait pas à lui demander sa date de naissance.

Puisque les discriminations sont invisibles et ne donnent que rarement lieu à des actions en justice, des associations sont autorisées à procéder à du testing. Cela consiste à envoyer plusieurs candidatures légèrement différentes pour voir quelle candidature est retenue pour la suite du recrutement.
L’institution qui a pratiqué le
testing était la Haute autorité de lutte contre les discriminations (Halde), qui était extrêmement puissante en France. Elle a été dissoute en 2011 et ses prérogatives ont été transférées au Défenseur des droits.
En France, on pratique assez peu la technique du
name and shame, mais elle reste possible.

Face à ce problème, on a inventé l’outil du CV anonyme au début des années 2000.
Ses modalités devaient être déterminées par un décret en Conseil d’État, qui n'est jamais paru, et il a finalement disparu avec la loi Macron en 2015.

Il y a des règles qui encadrent et règlementent les méthodes de recrutement aux articles L1221-6 et suivants du Code du travail.
Ces règles sont datées, mais il y en a 3 principales.

  1. L’article L1221-6 dispose que :
    "Les informations demandées, sous quelque forme que ce soit, au candidat à un emploi ne peuvent avoir comme finalité que d'apprécier sa capacité à occuper l'emploi proposé ou ses aptitudes professionnelles".

    Toutefois, il y a un écart entre la théorie et la pratique, et un effet pernicieux : un candidat qui refuse de donner des informations ne sera probablement pas embauché.

  1. L’article L1221-8 dispose que :
    "Les méthodes et techniques d'aide au recrutement ou d'évaluation des candidats à un emploi doivent être pertinentes au regard de la finalité poursuivie."

    Quand cette règle est conçue en 1992, on pense au tarot, à la numérologie, au marc de café…
    Cette règle peut aujourd’hui avoir un intérêt vis-à-vis des technologies de recrutement utilisées aujourd'hui, tels que des systèmes d'intelligence artificielle.
    Certains de ces systèmes sont basiques (systèmes de tri), tandis que d'autres sont plus puissants : par exemple, le logiciel HireVue analyse les micro-expressions du candidat pour en tirer des qualités ou des défauts.

  1. L’article L1221-9 dispose que :
    "Aucune information concernant personnellement un candidat à un emploi ne peut être collectée par un dispositif qui n'a pas été porté préalablement à sa connaissance."
    Cette règle ne semble plus avoir un grand intérêt aujourd'hui.

La CNIL est l'autorité administrative qui contrôle la bonne utilisation des informations personnelles.
Dans son Guide du recrutement, paru le 30 janvier 2023 et qui comporte plus de 100 pages, elle détaille ces nouvelles méthodes de recrutement.

Elle y émet notamment des réserves contre les "systèmes d'analyse des émotions", mais n’interdit pas leur utilisation.
En effet, un règlement européen dit AI Act, déjà rédigé mais pas encore adopté, prévoit des dispositions qui concernent le droit du travail. Cet AI Act prévoit de classer les systèmes d'analyse des émotions parmi les systèmes d'IA à haut risque → qui font l'objet d'une règlementation, mais ne sont donc pas interdits.
Cela explique pourquoi la CNIL est aussi prudente.

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