Chapitre 1 : La formation de la relation de travail

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Section 1 : La qualification du contrat de travail

Le contrat de travail est un contrat nommé, c’est-à-dire un contrat qui fait l'objet de règles particulières.
La qualification de contrat de travail emporte toute une série de règles qui vont au-delà du droit commun des contrats.

Le critère du contrat de travail est stable depuis qu'il a été défini par la jurisprudence il y a 90 ans.
Le législateur n'a jamais déterminé le critère du contrat de travail.
Aujourd'hui, des auteurs seraient favorables à ce que le contrat de travail soit défini dans le Code du travail…

Ce critère, c'est la subordination juridique.

Un débat a précédé l'adoption du critère par la Cour de cassation. Il y avait 2 écoles dans les années 1920 :

  1. La première conception, dite réaliste, prenait en compte la condition de l'ouvrier / du salarié pour retenir le critère de la dépendance économique.
    Le salarié est en situation de dépendance économique par rapport à l'employeur car il dépend de l'employeur pour vivre.

    Cependant, cette conception est datée.
    Par exemple, les cadres dirigeants ne sont pas en état de dépendance économique vis-à-vis de l’employeur.

  1. La seconde conception est proprement juridique : elle retient le critère de la subordination juridique.
    C’est par le droit que le salarié se trouve subordonné à l'employeur.
    Ce critère a l'avantage de correspondre à la notion du lien de préposition par rapport au commettant (subordination dite autrement).

La Cour de cassation se rallie au critère de subordination, car c’est un critère qu'elle connaît, plus abstrait que la situation de dépendance économique.
Elle affirme ainsi que "la situation juridique d'un travailleur à l'égard de la personne pour laquelle il travaille ne saurait être déterminée par la faiblesse ou la dépendance économique dudit travailleur, et ne peut résulter que du contrat conclu entre les parties ; la qualité de salarié implique nécessairement l'existence d'un lien juridique de subordination du travailleur à la personne qui l'emploie".

Il faut se rappeler qu'on est encore à une époque où le contractant est désincarné.
Depuis, certains auteurs ont préconisé de revenir au critère de l'indépendance économique, mais la Cour de cassation a dit qu'elle ne changerait pas de critère pour ne pas mettre le droit français en porte-à-faux avec le droit européen.

L’arrêt qui sert aujourd'hui encore de référence est beaucoup plus récent :
Cass. soc., 13 novembre 1996, Société générale :
La subordination juridique se traduit par 3 pouvoirs :

  1. Le pouvoir de donner des ordres ou des directives ;
  1. Le pouvoir de contrôler l'exécution du contrat ;
  1. Le pouvoir de sanctionner (→ pouvoir disciplinaire).

Parmi les faisceaux d'indices utiles pour déterminer le lien de subordination, on retrouve dans les arrêts sur les plateformes un indice : l'intégration dans un service organisé.

Cette jurisprudence est caractérisée par sa souplesse.
La Cour de cassation rappelle dans ses arrêts que les juges ne sont pas tenus par la qualification que les parties ont donné en contrat.

Exemple : une femme devient bonne sœur, puis rompt ses vœux et quitte le couvent ; devant le conseil des prud'hommes, elle est reconnue comme salarié (arrêt du 20 janvier 2010).

Jurisprudence L’Île de la tentation :
À l'issue du jeu, certains participants vont devant le conseil des prud'hommes en disant qu'ils obéissaient à des directives, qu'ils étaient contrôlés et qu'il y avait un pouvoir de sanction.
Dans un arrêt du 3 juin 2009, la Cour de cassation retient qu'il y avait bien un contrat de travail.

Dans un arrêt du 25 juin 2013, Mister France est reconnu comme salarié, mais son action est prescrite.
L’association Osez le féminisme ! tente de faire reconnaître les participantes à Miss France comme salariées. Elle affirme que le règlement de Miss France est illicite car discriminatoire.

La Cour de cassation a une conception du contrat de travail qui s'abstrait de la notion de travail : elle ne veut pas prendre parti sur la définition du travail.
Ainsi, toute sorte d'activité pourrait donner lieu à la reconnaissance d'un contrat de travail.

Section 2 : La conclusion du contrat de travail

En droit commun des contrats, il peut exister une obligation précontractuelle d'information.

Le droit du travail ne s'est doté qu'en 2023 d'une obligation précontractuelle d'information.
Sa consécration est la conséquence d'une directive de l'Union européenne du 20 juin 2019 qui impose aux États membres de prévoir toute une série d'informations devant être délivrées aux salariés jusqu'à 7 jours avant la conclusion du contrat.
Ces informations portent sur la rémunération, les fonctions, le lieu de travail, les éléments de protection sociale, le statut collectif du travailleur…

Cette directive a été transposée le 9 mars 2023 à l'article L1221-5-1 du Code du travail.
Cependant, le législateur a plus d'un tour dans son sac : il a affirmé que cet article s'appliquera suivant des conditions précisées par un décret en Conseil d'État, qui n’est pas encore paru → l’article L1221-5-1 ne ne s'applique pas encore.

Le contrat de travail naît de la rencontre d'une offre et d'une acceptation.
Pour former le contrat, l'offre doit contenir les éléments essentiels du contrat.

En ce qui concerne le contrat de travail, les éléments essentiels ont été posés par 2 arrêts du 21 septembre 2017.
Il y a 3 éléments essentiels qui sont cumulatifs pour que l'offre ait une valeur d'offre :

  1. L’emploi ;
  1. La rémunération ;
  1. La date d'entrée en fonctions.

Le modèle du contrat de travail est le modèle du CDI.
En pratique, il est ultra majoritairement écrit, mais un contrat de travail verbal reste valable.

Toutefois, il existe des contrats solennels (en droit du travail, on préfère parler de contrats formalistes, parce que la sanction n'est jamais la nullité) :

  • Le contrat à durée déterminée (CDD), qui a une durée maximale de 18 mois.

    Pour protéger le salarié, il y a des règles qui limitent le recours au CDD.
    Il doit être passé à l'écrit et signé ; sinon, il n’est pas annulé, mais le salarié passe en CDI (→ montre bien que le CDI est le modèle en droit du travail).

  • Le contrat de travail temporaire (CTT) ; on parle plus souvent dans le jargon commun d'intérim.

    Sanction : requalification en CDI, en contrat à temps partiel.
    Ici encore, il y a un souci de protection du salarié.

L’usage se pratique de + en + de conclure le contrat de travail par voie électronique.

💡
Le bulletin de paie électronique est prévu dans le contrat de travail : la loi l'admet depuis 2016.

Toutes les règles relatives aux contrats électroniques sont dans le Code de la consommation (où ils sont appelés contrats à distance).
Le Code civil comme le Code du travail ont été oubliés.

Dans le Code civil, on a 2 types de règles relatifs aux contrats conclus par voie électronique :

  1. Des règles relatives à la conclusion du contrat électronique (articles 1125 à 1127-4) ;
  1. Des règles relatives à la forme du contrat électronique (articles 1174 à 1176).

Le principe qui préside est celui de la neutralité technologique ou de l'équivalence fonctionnelle (depuis une directive européenne de 2000).
Ce principe veut que la technologie soit neutre.
Idée : les règles doivent adaptées pour permettre l'utilisation des outils numériques.

À partir de là, le législateur a, dans le Code civil, posé des règles relatives à l'offre et l'acceptation, qui ne s'appliquent en pratique qu'aux contrats conclus au moyen d'un site internet.
L’article 1127-3 du Code civil prévoit que ces règles ne s'appliquent pas aux contrats conclus par échange de courriels + ne s'appliquent pas aux règles conclues entre professionnels (or un contrat de travail est toujours conclu entre 2 professionnels).
→ Les dispositions du Code civil ne s'appliquent pas à la relation de travail.

L’article 1366 du Code civil prévoit que l'écrit électronique doit être conservé dans des conditions de nature à en garantir l'intégrité.
L’article 1367 prévoit la possibilité d'une signature électronique ; pour qu'elle ait la valeur juridique d'une signature, elle doit utiliser un procédé fiable d'identification.

Dans la relation de travail, on peut conclure un contrat par voie électronique par échange de courriels : c'est parfaitement valable !
L’un des courriels doit comporter les éléments essentiels valant offre + il faut qu'il y ait un courriel d'acceptation.

Cela pose toutefois des problèmes, puisque l'entreprise qui envoie un courriel n'a pas souvent conscience d'envoyer une offre de contracter…

Le contrat de travail est généralement un contrat d'adhésion, en ce qu'il est élaboré par l'employeur (et sert donc les intérêts de ce dernier).
L’intérêt de l'entreprise est de mettre des clauses qui vont dans son intérêt :

  • La clause d'essai, qui permet une période d'essai, pendant laquelle les parties vont pouvoir se tester et se séparer librement ;
    La Cour de cassation a jugé que la clause d'essai n'est valable que si elle figure dans un contrat signé (Cass. soc., 21 octobre 2020).
  • La clause de mobilité ;
  • La clause de non concurrence ;
  • La clause de confidentialité

Toutes ces clauses ont besoin d'un support écrit : ces clauses ne figureront pas dans le cas d'une acceptation par mail.

En pratique, l'employeur envoie un courriel pour manifester l'intérêt du contrat ; ce courriel a valeur d'une offre et fait l’objet d’une acceptation par email.
Le 1er jour, le salarié est invité à signer son contrat, sauf qu’il pourra répondre que “non, j'ai déjà accepté un contrat par courriel" → on voit la limite des courriels.

Certaines entreprises ont essayé d'écrire dans un courriel qu’il "n'a pas valeur d'engagement", mais la Cour de cassation a considéré que ça n’est pas valable (Cass. soc., 21 septembre 2020).

Sur la forme, l'écrit électronique a la même valeur que l'écrit papier, à condition d’être conservé dans des conditions qui en garantissent l'intégrité + à condition d'être signé avec une signature électronique.

Le Code civil dispose que la signature électronique doit employer un procédé fiable d'identification, mais n’en définit pas.
Le droit applicable résulte d’un règlement européen du 23 juillet 2014 "eIDAS", qui prévoit 2 types de signatures électroniques :

  1. La signature qualifiée suppose de recourir à un tiers de confiance.
    Elle certifie que la signature électronique est bien corrélée à celui pour laquelle elle est apposée sur le contrat.
    En 2023, il n’y a qu'1 seul fournisseur accrédité : Docusign.
  1. La signature avancée, pour laquelle il n’y a pas besoin de passer par un organisme certificateur : il suffit d'un logiciel de signature électronique.

La signature qualifiée est présumée fiable au sens de l'article 1367, par un décret du 28 septembre 2017, tandis que la signature avancée ne bénéficie pas de cette présomption : en cas de contestation, il faudra prouver qu'elle est issue d'un logiciel fiable.
Les juges se sont octroyés le pouvoir de vérifier la fiabilité du logiciel eux-mêmes, sauf qu'ils n'y connaissent rien, ce qui donne lieu à des contentieux délirants.

Lorsque le contrat est à durée indéterminée, utiliser une signature qualifiée ou avancée n'a pas vraiment d'enjeu, puisque c'est une question de preuve ; mais, pour un contrat formaliste, utiliser une signature seulement avancée est devenue dangereux.

Un 3ème type de signature n'a pas été prévu par le législateur : la signature scannée.
Dans un arrêt de la chambre sociale du 14 décembre 2022 à propos d'un CDD, la Cour de cassation a pris tout le monde de court en jugeant que "l'apposition d'une signature au moyen d'une image numérisée ne vaut pas absence de signature” → elle est valable.
Le CDD avait été conclu par un échange de courriels avec, en pièce jointe, le contrat avec la signature scannée.
Cette décision rabat tous les cartes.

Le contrat électronique a plusieurs intérêts : rapidité, facilité de stockage…
Toutefois, 15% de la population française est frappée d'illectronisme ; il y a un clivage générationnel, mais pas seulement.
L’avenir semble évoluer vers une gestion totalement automatisée de tout le processus contractuel.

L’exemple des CDD puisque, quand le CDD arrive à échéance, le salarié touche une indemnité de fin de contrat + un délai de carence entre 2 CDD (sauf exceptions).
La sanction, qui consiste en une requalification en CDI, coûte très cher aux entreprises.

Enfin, certains évoquent l’usage de la chaîne de blocs, mais personne n’y croit réellement.

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