Introduction au cours de Relations individuelles de travail (L3)

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Selon le professeur Loiseau, le droit ne peut être efficace que s’il est élaboré au niveau de l’Union européenne pour les enjeux modernes (par exemple, l’intelligence artificielle).

Le RGPD (avril 2016) s’est révélé efficace : malgré leurs réticences, les GAFAM se sont pliés à ces règles.
Pour le droit social, c’est la même chose : il doit se construire au niveau de l’Union européenne.

Le schéma du droit du travail en train de voler en éclats avec la plateformisation (autoentrepreneurs) → menace qui pèse sur le droit du travail, qui ne serait plus la norme (c’est le droit le plus protecteur pour les travailleurs en situation de subordination).

I – Propos historique

Le droit du travail est un droit récent.
Il n’existe pas en 1804 parce qu’il y a peu d’ouvriers (seulement quelques manufactures royales existent encore).

Dans les corps organisés où il y avait un travail hiérarchisé, il y avait les corporations ; ces corporations, qui auraient pu préfigurer un droit du travail, ont été interdites à la Révolution.
Il faudra attendre le 20ème siècle pour que la liberté d’association soit consacrée en France → le Code Napoléon est un code ultralibéral.

L’article 1781 du Code civil disposait que « le maître est cru sur son affirmation pour le paiement du salaire de l’année échue » → la parole de l’employeur suffisait !

La Révolution industrielle se développe en France à partir des années 1840.
Elle change le paysage économique : on assiste au passage d’une France agraire à une France industrielle, qui se développe sur le travail et le corps des ouvriers (le machinisme était la cause de nombreux accidents du travail).

Le législateur commence modestement à s’intéresser à la condition des ouvriers par les lois ouvrières. Elles tentent de protéger l’ouvrier, mais elles sont trompeuses : derrière les ouvriers, ce sont les corps de travail que l’on protège.

La 1ère loi sur le travail est datée du 22 mars 1841. Elle interdit le travail des enfants de moins de 8 ans. En 1874, on interdit le travail des enfants de moins de 13 ans et on règlemente le travail des femmes.
Ici encore, ce sont les corps de travail que l’on protège : en protégeant les enfants, on protège les corps des futurs adultes travailleurs. Idée : si on abîme le corps d’un enfant, on se prive du corps plus puissant d’un futur travailleur (dans le contexte de l’humiliation de la guerre de 1870).
La même chose peut être constatée pour la femme : ce n’est pas la femme qu’on protège, mais ses facultés reproductrices.

Ainsi, on ne peut pas vraiment parler de droit du travail, parce qu’on ne protège pas encore le travailleur pour lui-même.

Le 9 avril 1898, une loi est passée sur les accidents du travail (alors très nombreux).
Alors que la sécurité sociale n’existe pas encore, on prévoit la prise en charge automatique par la collectivité des accidents du travail.
Objectif : indemnisation automatique ; mais ici encore, cette loi est pernicieuse : la réparation est automatique, mais elle est forfaitaire → elle ne couvre pas tous les dommages
(c’est toujours le cas aujourd’hui).

La loi du 7 décembre 1909 garantit le versement du salaire à intervalles réguliers.
Ici, on peut dire que c’est une loi sociale, puisqu’elle ne poursuit pas d’autres intérêts que la protection des salariés.

Au départ, le Code du travail n’est qu’une compilation de lois.

Le droit du travail est un droit qui se préoccupe de protéger la partie faible dans le rapport inégalitaire – c’est sa raison d’être !
Il s’appuie sur une conception unique de l’ordre public : l’
ordre public social (on parle parfois d’ordre public de protection).
On ne peut y déroger uniquement que dans un sens plus favorable aux salariés.
→ En droit du travail, l’ordre public c’est le minimum ≠ article 6 du Code civil.

La force du droit du travail, c’est son uniformité / sa généralité : il y a, au niveau national, un minimum qui s’applique à tous les travailleurs.

Au fur et à mesure des réformes, le droit du travail a gonflé de manière excessive.
Aujourd’hui, le Code du travail compte 10 000 articles répartis en 6 livres ! Beaucoup pourraient être supprimés sans que cela n’affecte la protection des travailleurs.

Le professeur Grégoire Loiseau pense que le droit du travail est arrivé à son apogée dans les années 1990 et est à un degré de sophistication très avancé.
On constate qu’à partir des années 2010, le droit du travail a commencé à prendre en compte les intérêts des entreprises : par exemple, la loi du 8 août 2016 et l’ordonnance Macron du 22 septembre 2017 sont marquées par la volonté d’apaiser les inquiétudes d’entreprises étrangères.

Ainsi, le droit du travail se développe à partir du 20ème siècle en s’émancipant du droit commun.
Aujourd’hui encore, il y a des confrontations entre le Code civil et les codes du travail / de la consommation / … qui viennent assurer la protection de la partie faible.

Le droit du travail incarne le contractant salarié, d’abord par les lois ouvrières, en commençant par les enfants, puis les femmes, puis progressivement du salarié.
Alors que dans le Code civil, le contractant n’est jamais incarné…

Le salarié étant par nature dans une situation de subordination juridique face à son employeur, il fait logiquement office de partie faible.

Parmi les sources du droit du travail, il y a les accords collectifs de travail, qui existent depuis longtemps (mais restent une source marginale).
Le droit du travail s’est construit sur la base d’un droit légal impératif et général, applicable à tous les salariés de toutes les entreprises. C’est ce qui a fait sa force et sa fortune.
Mais aujourd’hui, le législateur cherche à dégager des espaces qui seront traités par les partenaires sociaux dans les entreprises.
Objectif : avoir un droit de l’entreprise, et pas simplement un droit du travail national → chaque entreprise a ses propres normes.

Ce sera un « droit de proximité », car la norme sera conçue dans l’entreprise, ce qui veut dire que le droit applicable serait différent d’une entreprise à une autre.
Cela tourne le dos à la philosophie nationaliste du droit du travail et à la conception d’un droit du travail impératif et général.

Ça n’est pas pour autant une déconstruction du droit du travail, mais ça aboutit à une différence de situation entre les salariés dans différents secteurs.

→ Arrivée vers un droit de l’entreprise.
Le droit du travail risque de devenir une branche du droit de l’entreprise.

Il faut faire attention aux lois de circonstance, qui ne font que polluer le paysage juridique.
La loi intelligente a besoin de prendre du recul par rapport aux phénomènes sociaux.

II – Les sources du droit du travail

Le droit du travail est l’un des droits qui compte le plus de sources : sources légales, prétoriennes et pratiques.

1) Les sources supranationales

En droit du travail, il y a de nombreuses sources supranationales :

  1. Les sources mondiales (ou internationales)

    Il existe une organisation au niveau mondial, satellite de l’ONU (= tous les États membres de l’ONU en font partie) : l’organisation internationale du travail (OIT).
    L’OIT élabore des conventions, qui sont ensuite ratifiées ou non par les États membres.
    Une convention de l’OIT ratifiée par la France prime sur le droit national.

    Par exemple, la convention n°158 a été utilisée pour combattre le « barème Macron », qui limite les indemnités en cas de licenciement illicite.
    (Cass. soc., 20 mai 2022 : le barème Macron a cependant été validé)

  1. Le droit de l’Union européenne

    La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne fait corps avec la législation européenne et fait donc partie de la législation française.

    La Charte des droits fondamentaux de l’UE commence à être utilisée en droit du travail.
    C’est un texte très général, ce qui le rend bien plus redoutable qu’un texte précis.

  1. Le droit du Conseil de l’Europe

    La Convention EDH garantit de nombreux droits importants comme le droit de grève, mais est rarement utilisée en droit du travail.

    La Charte sociale européenne est un instrument voté dans le cadre du Conseil de l’Europe.

2) La source jurisprudentielle

Le droit du travail a une particularité : il s’exerce dans une juridiction paritaire, constituée de conseillers qui ne sont pas professionnels : le conseil de prud’hommes.
Il est composé de représentants des salariés et de représentants des employeurs.

La justice prud’hommale est très décriée, car elle n’est pas rendue par des juristes.
Le conseil est compétent pour tout litige dans le cadre du travail ou né de la relation de travail.

En cas d’égalité, l’affaire est renvoyée devant un juge répartiteur, qui est un juge professionnel.

En cassation, particularité : il y a une chambre sociale, spécialisée dans les contentieux du travail.

La jurisprudence de droit du travail est particulièrement audacieuse, parce qu’historiquement le juge a été le protecteur de la partie la plus faible.

3) Les sources professionnelles

Les conventions collectives sont négociées par les salariés avec l’employeur.

Les usages et engagements unilatéraux de l’employeur sont aussi importants.
Un usage est une pratique constante, répétée et continue qui a autorité par sa répétition. Le juge a beaucoup de liberté pour identifier un usage.

On voit aujourd’hui se développer le droit souple (ou droit mou), qui sont des normes qui ne sont pas prescriptives, qui ne s’imposent pas et qui ne sont pas sanctionnées.
Ce sont des recommandations, des orientations…
C’est un droit très pratique car informel : il peut s’adapter facilement.
Par exemple, le ministère du travail publie régulièrement des questions/réponses.

III – La conception de la relation de travail

💡 Ici, on ne parle pas du contrat de travail, mais on parle de la relation de travail.

En effet, la condition de salarié naît du contrat, mais elle dépasse le contrat.
Pour autant, alors qu’une relation contractuelle ordinaire est régie par le contrat, la relation de travail est régie par d’autres normes que le contrat (par exemple, les accords collectifs de travail).

De plus, la relation de travail, c’est aussi un statut : en droit français, le statut de salarié a des avantages sociaux.

Puisque le droit du travail a été conçu dans un sens de protection du travailleur, avec qui plus est ce statut qui lui est associé, la jurisprudence est conduite à favoriser la reconnaissance d’un contrat de travail et donc d’une relation de travail.
Tout cela conduit à faire de la relation de travail le modèle d’organisation des relations professionnelles.

Concrètement, cela veut dire que, si on ne veut pas être salarié, on a la liberté de ne pas l’être (commerçant, libéral, fonctionnaire), mais cela impose de choisir son régime.
Sinon, on est salarié : c’est le régime le plus avantageux et le plus protecteur (chômage, sécurité sociale…).

Cette conception de la relation de travail qui favorise la reconnaissance du contrat de travail est aujourd’hui remise en cause par l’émergence d’un nouveau modèle économique : le phénomène de plateformisation du travail, apparu dans les années 2010.
Les plateformes numériques ont recours à des auto-entrepreneurs → recours à une autre main d’œuvre qui n’a pas le statut de salarié.

C’est l’épreuve à laquelle est soumis le droit du travail pour les prochaines années.
La loi du 8 août 2016 leur reconnaît le droit de se syndiquer et le droit de grève → reconnaissance très fragile.

C’est la jurisprudence qui va les reconnaître et les protéger.
La Cour de cassation a choisi d’aller sur le terrain de la requalification en contrat de travail
alors même que les juges du fond n’y étaient pas favorables (ils trouvaient qu’ils ont trop d’autonomie).

Le législateur n’est cependant pas resté inactif face à la prolifération des plateformes et de ce mouvement de “désalarisation.
À terme, c’est tous les travailleurs en intérim qui pourraient être concernés.
On n’a pas de catégorie juridique qui correspondent à ces travailleurs → zone grise dont profitent les plateformes.

💡
On parle parfois de plateformes de microtravail.

Que faire ?
La Cour de cassation tente d’aller sur le chemin du salariat, mais les juges du fond résistent, donc la solution ne viendra pas de la jurisprudence.
Le législateur ne veut pas casser le modèle économique des plateformes, donc la solution ne viendra pas du législateur. Ce dernier privilégie les négociations collectives entre travailleurs et plateformes, alors même que c’est une menace qui pèse sur le salariat.

La solution viendra peut-être de l’Europe !
Un projet de directive devrait être adopté fin 2023 / début 2024 et prévoir une présomption de contrat de travail.

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