Portée de l’arrêt Retail (Conseil d’État, 1981)

Dans son arrêt Retail du 10 juillet 1981, le Conseil d’État affirme que le contrôle du juge s’exerce sur les autorités administratives indépendantes.

Il explique que, parce que le Médiateur de la République (qui est une ancienne autorité administrative indépendante) est nommé par décret du Président de la République, comme les hauts fonctionnaires, alors il est une autorité administrative, et donc les actes qu’il édicte peuvent être contestés peuvent être contestés devant le juge administratif.

Cette décision a ensuite été complétée par la décision Époux Kéchichian du Conseil d’État (2001).

Commentaire d’arrêt : Décision QPC n°2019-807 QPC du 4 octobre 2019

Lire la décision sur le site internet du Conseil constitutionnel.
Auteur : Timothée Peraldi


Faut-il fusionner les juridictions administratives et judiciaires ? Les partisans de cette solution affirment en effet que le partage des compétences entre le juge administratif et le juge judiciaire entraînerait un déséquilibre de la balance des intérêts au détriment des justiciables et serait un facteur important d’intelligibilité du droit. La décision n°2019-807 QPC rendue le 4 octobre 2019 par le Conseil constitutionnel illustre parfaitement la complexité induite par ce dualisme juridictionnel en France et les problèmes qui en découlent.

En l’espèce, un individu étranger séjourne irrégulièrement en France et est placé en rétention administrative en attendant son renvoi du territoire français. Au cours de sa rétention, il dépose une demande d’asile, mais l’administration décide de ne pas mettre fin à sa rétention dans l’attente de la décision de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA), chargé de se prononcer sur sa demande d’asile, sur la base de l’article L556-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

Cet individu décide de saisir le juge des libertés et de la détention pour demander que soit mise fin à sa rétention ; cette requête est rejetée par ordonnance, qui est confirmée ensuite par le premier président de la cour d’appel. Le demandeur se pourvoit alors en cassation, en soulevant une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à l’article L556-1 précité. Par son arrêt n°778 du 11 juillet 2019, la première chambre civile de la Cour de cassation juge la question “sérieuse” et la transmet au Conseil constitutionnel.

Les Sages de la rue de Montpensier devaient donc répondre au problème de droit suivant : la compétence exclusive du juge administratif pour statuer sur la décision de maintien en rétention d’un demandeur d’asile ayant formé sa demande d’asile en cours de rétention porte-t-elle atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, et notamment au principe de liberté individuelle et au droit à un recours juridictionnel effectif ?

Les juges du Conseil constitutionnel répondent par la négative et déclarent par conséquent les dispositions attaquées de l’article L556-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile comme conformes à la Constitution. En se fondant sur le principe à valeur constitutionnel selon lequel le juge administratif est seul compétent pour connaître du contentieux administratif, le Conseil constitutionnel estime qu’il n’y a en l’espèce pas d’atteinte au principe de liberté individuelle et au droit à un recours juridictionnel effectif garantis par la Constitution.

Cette solution s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence du Conseil constitutionnel comme de la Cour de cassation et explicite la répartition des compétences choisie par le législateur en la matière entre les deux ordres juridiques. Il conviendra d’abord d’étudier comment le Conseil constitutionnel retient l’absence d’atteinte au principe constitutionnel du juge judiciaire garant des libertés individuelles (I), avant de s’intéresser au rejet du moyen portant sur l’atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif (II).

I – L’absence d’atteinte au principe constitutionnel du juge judiciaire garant des libertés individuelles

Après avoir rappelé le principe de la compétence exclusive du juge administratif pour connaître des actes administratifs (A), le Conseil constitutionnel souligne qu’il n’est pas incompatible avec le contrôle du juge judiciaire en matière de libertés individuelles (B).

A – L’annulation et la réforme des décisions administratives, compétence réservée au juge administratif

Le Conseil constitutionnel commence par réitérer, dans le paragraphe n°6 de cette décision, sa décision n°86-224 DC du 23 janvier 1987 “Loi transférant à la juridiction judiciaire le contentieux des décisions du Conseil de la concurrence”, dans laquelle il affirme pour la première fois que constitue un principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR) la compétence du juge administratif seul « d’annuler et réformer” les décisions administratives.

Le rappel de ce principe est important puisque les Sages soulignent ensuite, dans les paragraphes n°7 et 8, que les dispositions contestées sont mises en œuvre par le biais de décisions administratives, qui doivent donc être contestées devant le juge administratif. Ils signalent également qu’il “résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que […] le juge judiciaire est incompétent pour connaître, à l’occasion de son contrôle de la rétention administrative, de toute contestation portant sur la légalité de l’arrêté de maintien en rétention”.

Après avoir constaté que le cadre légal en vigueur et son interprétation par la jurisprudence résultent en la compétence exclusive du juge administratif pour statuer sur la décision de maintien en rétention d’un demandeur d’asile ayant formé sa demande d’asile en cours de rétention, le Conseil constitutionnel s’interroge sur la constitutionnalité de celle-ci.

B – Le nécessaire contrôle du juge judiciaire en matière de libertés individuelles

L’article 66 de la Constitution française, qui dispose que la juridiction judiciaire est la gardienne de la liberté individuelle, a poussé le Conseil constitutionnel à juger de manière constante que, “si la décision de privation de liberté peut être prononcée par une autorité administrative, c’est à la condition que l’autorité judiciaire puisse contrôler ensuite cette privation de liberté” (décision n°92-307 DC du 25 février 1992), le poussant à formuler à plusieurs reprises des réserves d’interprétation sur le sujet, notamment en matière de droit des réfugiés.

C’est sur la base de cette jurisprudence abondante que le Conseil constitutionnel considère ici que la disposition contestée ne contrevient pas à l’article 66 de la Constitution. Il affirme ainsi, dans le paragraphe n°9, que “l’objet principal” de la décision de maintenir l’étranger en rétention au motif que sa demande d’asile a été présentée dans le seul but de faire échec à la mesure d’éloignement est de se prononcer sur le droit de l’étranger à bénéficier d’une autorisation provisoire de séjour au titre de sa demande d’asile. Il s’agit alors d’une décision administrative qui relève donc de la compétence du juge administratif. Les juges soulignent enfin, dans le paragraphe n°10, que cette décision administrative “n’affecte ni le contrôle [ni la compétence] du juge des libertés”, qui est libre d’interrompre à tout moment la prolongation du maintien en rétention, dès lors qu’il ne se fonde pas sur l’illégalité des décisions administratives concernées.

Une fois le grief tiré de la méconnaissance de l’article 66 de la Constitution écarté, les membres du Conseil constitutionnel s’interrogent sur celui tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif.

II – L’absence d’atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif

Pour rejeter le grief tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif, le Conseil constitutionnel commence par souligner l’effectivité du recours contentieux devant le juge administratif (A), puis affirme le caractère facultatif de l’unification de la compétence contentieuse par le législateur (B).

A – La reconnaissance de l’effectivité du recours contentieux devant le juge administratif

Le demandeur à l’origine de la question prioritaire de constitutionnalité soutient que l’attribution du contentieux des décisions relatives au séjour ou à l’éloignement des étrangers au juge administratif et non au juge des libertés, et la répartition de compétences entre les deux ordres de juridiction qui en découle, constituent une atteinte substantielle à son droit à un recours juridictionnel effectif, garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et ayant donc valeur constitutionnelle.

Le Conseil constitutionnel rejette cet argument, en rappelant que l’étranger peut contester la décision de maintien en rétention devant le juge administratif ; que, si aucune décision de maintien en rétention n’est prise, il est mis fin à la rétention de l’étranger ; et que, s’il n’a pas été mis fin à sa rétention malgré l’absence de décision, il peut saisir le juge administratif d’un référé-liberté. Les Sages mettent ici en avant l’effectivité du recours contentieux devant le juge administratif, qui dispose aujourd’hui des mêmes outils que le juge judiciaire, notamment dans le cadre du référé-liberté.

Si l’effectivité du recours contentieux devant le juge administratif permet au Conseil constitutionnel de démontrer qu’il n’y a pas d’atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif, celui-ci doit également se pencher sur l’argument de l’absence d’unification de la compétence contentieuse soulevé par le demandeur.

B – L’affirmation du caractère facultatif de l’unification de la compétence contentieuse par le législateur

Le Conseil constitutionnel rejette également ce grief invoquant une atteinte à un recours juridictionnel effectif en soulignant dans le paragraphe n°11 que, “si le législateur peut […] unifier les règles de compétence juridictionnelle au sein de l’ordre juridictionnel principalement intéressé, il n’est pas tenu de le faire”. Il semble ainsi affirmer que, pour caractériser une atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif, il est nécessaire que la répartition de compétences entre les deux ordres de juridiction entraîne des complications sérieuses pour les justiciables souhaitant faire valoir leurs droits.

À l’heure où l’on assiste à une augmentation rapide du contentieux, et où le législateur comme l’administration affichent une volonté de rendre la justice plus accessible, il est possible de s’interroger sur la portée de cette décision, qui encourage ainsi le maintien d’une dispersion qui pourrait être vue comme à la fois contraignante et coûteuse.

Dissertation complète : la naissance du droit administratif au XIXème siècle

Sujet de dissertation : « L’avènement du juge administratif au XIXème siècle ».
Auteur : Timothée Peraldi


« Défenses itératives sont faites aux tribunaux de connaître des actes de l’administration de quelque espèce qu’ils soient » : en rappelant ainsi, par son décret du 16 fructidor an III (1795), l’interdiction pour les tribunaux judiciaires de connaître des actes de l’administration, le législateur révolutionnaire souligne sa volonté de se prémunir contre toute tentative d’ingérence de la justice dans l’action administrative, qu’il avait déjà exprimée dans la loi des 16 et 24 août 1790.

Si l’on définit aujourd’hui le droit administratif comme l’ensemble des règles spéciales applicables aux activités de service public, il faut noter que cette définition est issue des bouleversements juridiques de la seconde moitié du 19ème siècle que nous étudierons aujourd’hui, et que la notion même de droit administratif n’existait pas auparavant. Par administration, on entendra ici toute organisation mettant en œuvre un service public.

Cette volonté appuyée du législateur de 1790 à ce que l’administration échappe à la juridiction des tribunaux s’explique probablement par le souvenir de l’affrontement entre le pouvoir royal et les parlements judiciaires, qui s’est étiré sur près d’un siècle. Il était en effet courant que ces derniers défient le pouvoir royal, notamment en refusant d’enregistrer des édits royaux, au mépris de l’idée alors communément répandue selon laquelle l’administration était plus apte à connaître des litiges naissant de son action que les juges, idée exprimée notamment par Portalis.

Si cette interdiction de toute immiscion du juge dans l’action administrative a subsisté pendant plus de 80 ans, la seconde moitié du 19ème siècle voit l’apparition et le développement de la notion de juge administratif. Il s’agit ici d’une évolution majeure qu’il convient d’étudier, puisque le droit administratif est un droit profondément inégalitaire opposant la puissance publique et les individus dans la recherche de l’intérêt général et qui impacte donc directement les droits et libertés des individus.

Il ne sera question ici que de l’évolution et de la conception du droit administratif tout au long du 19ème siècle en France, et non des évolutions antérieures ou postérieures ou prenant place dans d’autres régions.

Dès lors, comment le droit administratif naît-il et s’affirme-t-il en France au 19ème siècle ? Si le législateur refuse de reconnaître l’existence d’un juge administratif pendant la majeure partie du 19ème siècle, la loi du 24 mai 1872 constitue un bouleversement en la matière ; c’est ensuite la jurisprudence qui donnera naissance au droit administratif tel qu’on le connaît aujourd’hui.

Il sera d’abord question de la révolution engendrée par la loi du 24 mai 1872 (I) ; nous étudierons ensuite la naissance d’un droit administratif par la jurisprudence en 1874 (II).

I – La révolution de la loi du 24 mai 1872

Alors que le législateur a refusé de reconnaître l’existence d’une justice administrative pendant la majeure partie du 19ème siècle (A), il finit par le faire par la loi du 24 mai 1872 portant réorganisation du Conseil d’État qui bouleverse le paysage juridique français (B).

A – Avant 1872, le refus de reconnaître un juge administratif

Dans les lois des 16 et 24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, promulgués à la fin du 18ème siècle mais appliqués pendant la majeure partie du 19ème siècle, les révolutionnaires établissent que l’autorité judiciaire ne peut pas intervenir dans les affaires de l’administration. Les autorités administratives et judiciaires sont ainsi strictement séparées. Dès lors, un administré en conflit avec l’administration doit s’adresser directement à l’administration elle-même, et notamment au ministre concerné, qui est alors le juge de droit commun en premier ressort, avec la possibilité de faire appel de sa décision auprès du chef de l’État.

L’inconvénient de cette pratique réside dans le fait que le ministre est alors à la fois juge et partie, et qu’il est donc facile pour le justiciable d’imaginer qu’il ne puisse pas faire preuve d’une impartialité complète, ce qui confère une légitimité moindre à ses décisions. C’est ainsi probablement pour résoudre ce potentiel manque d’impartialité que le législateur républicain du début de la IIIème République, soucieux d’apporter plus de justice à la sortie de près de 30 ans de règne autocratique de Napoléon III, a choisi de légiférer sur la question.

C’est avec cet objectif de donner à l’administration un juge que la loi du 24 mai 1872 est ratifiée puis publiée au Journal officiel le 31 mai 1872.

B – En 1872, la reconnaissance par le législateur d’un juge administratif

La loi du 24 mai 1872 crée un dualisme juridictionnel en confiant au Conseil d’État, organe qui était jusqu’à présent chargé de conseiller juridiquement le gouvernement, la mission de trancher les litiges administratifs. Il peut dès lors prendre des décisions juridiquement contraignantes sans l’intervention du pouvoir exécutif. Si cette évolution majeure marque l’apparition de la justice administrative, le Conseil d’État reste dépendant de la compétence qui lui est attribuée par les textes législatifs, puisqu’il ne peut trancher de litiges que dans les domaines établis par la loi.

Par sa décision Cadot de 1889, le Conseil d’État se déclare compétent pour connaître de tout recours contre une décision administrative, sans qu’un texte ne soit nécessaire pour fonder cette compétence. Il abandonne ainsi la théorie du ministre-juge pour devenir le juge administratif de droit commun, ce qui lui permet d’achever ce processus de judiciarisation de l’administration.

Si cette loi du 24 mai 1872 et la décision Cadot qui en découle ont permis la création d’un juge administratif, il faudra attendre une décision du Tribunal des conflits pour que l’existence d’un droit administratif spécifique soit reconnue.

II – La naissance du droit administratif par la jurisprudence

Dans sa décision Blanco du 8 février 1873, généralement reconnu comme un fondement majeur du droit administratif français, le Tribunal des conflits consacre l’existence d’un droit administratif distinct du droit commun.

A – Un droit autonome et jurisprudentiel

Dans cette affaire, portée par les parents d’une fillette heurtée par un wagonnet près d’une manufacture de tabac opérée en régie par l’État, le Tribunal des conflits, institution supprimée en 1852 et restaurée en 1872 avec sa mission actuelle, rend une décision de principe dans laquelle il affirme que les dommages qui sont causés par l’État dans le cadre de l’exercice de ses missions de service public “ne peuvent être régis par les règles du Code civil”, qui n’ont vocation à s’appliquer aux relations entre particuliers. Il ajoute que la responsabilité administrative a “ses règles spéciales qui varient selon les besoins du service”.

En déterminant ainsi que le droit commun n’est pas applicable aux litiges impliquant l’administration au profit de “règles spéciales”, on peut considérer que le Tribunal des conflits crée le droit administratif français, suivant la définition établie précédemment. Il faut noter que, puisqu’il s’agit de “règles spéciales” qui sont dérogatoires au droit commun non applicable à l’administration, ce droit est autonome, en opposition avec les autres modèles existants à l’époque, tel que le système juridique anglo saxon où le droit commun s’applique pleinement à l’administration. Il convient également de souligner que ce droit administratif ainsi né de la décision du Tribunal des conflits est purement jurisprudentiel, puisque conçu sans l’intervention du législateur.

Si le Tribunal des conflits a choisi de procéder ainsi, à l’insu du législateur, c’est parce que la création de ce droit administratif s’imposait comme nécessaire pour les justiciables.

B – La réponse à une nécessité d’équilibre

La procédure résultant de la théorie du ministre-juge instaurait un rapport de force très inégal entre l’administration et les citoyens qui voulaient contester un acte administratif : ces derniers n’avaient pas accès à un avocat, les affaires étaient instruites par les bureaux des ministères dans le secret et le ministre-juge pouvait même choisir de garder le silence, empêchant ainsi les citoyens le souhaitant de faire valoir leurs droits correctement.

Dans les dernières années du Second Empire, la doctrine a alors justement souligné que cette théorie du ministre-juge était préjudiciable à l’image de la justice administrative auprès des citoyens. Le professeur de droit Didier Serrigny écrit ainsi en 1865 que les ministres “ne sont pas des juges à proprement dit : ce sont des administrateurs qui, dans le cours de leurs opérations, sont exposés à prendre des décisions qui blessent les droits privés”. Il est donc compréhensible que le législateur ait voulu corriger, à défaut d’effacer, ce flagrant déséquilibre entre l’administration et ses usagers, en permettant aux justiciables de saisir un juge, en théorie impartial, pour se protéger contre les potentiels abus de l’administration.

Exposé sur l’arrêt Meyet (Conseil d’État, 24 février 1999)

Cette fiche a été rédigée par Line (en maîtrise de droit des affaires).

INTRODUCTION

Si la régularité d’un acte s’apprécie au jour de sa signature, son opposabilité s’apprécie au jour où les administrés en ont eu connaissance par une publicité adéquate. Le problème de l’impact de la publicité pour l’opposabilité immédiate d’un acte administratif unilatéral va être soulevé par l’arrêt MEYET du 24 février 1999. En effet, à la suite d’une longue période de grève des routiers, le ministre de l’intérieur et celui des transports ont levé à titre provisoire l’interdiction de circulation des poids lourds du 30 novembre 1996 à 12h au 1er décembre 1996 à 24h. En plus d’un communiqué de l’Agence France-Presse qui rend publique les mesures précédemment énoncées, l’arrêté interministériel a été publié au J.O. du 29 novembre 1996 et prévoyait son entrée en vigueur pour le 30 novembre à 12h.
Monsieur Meyet, à la suite du rejet du recours gracieux qu’il avait entrepris auprès des ministres intéressés, a demandé au Conseil d’Etat d’annuler pour excès de pouvoir ledit arrêté. Le Sieur Meyet demande l’annulation d’un arrêté interministériel. Il s’agit d’un acte administratif unilatéral car ici, c’est le contenu et non pas le nombre d’auteurs de l’acte qui importe. L’acte régit le comportement de personnes qui sont étrangères à son édiction, c’est-à-dire qui sont des tiers par rapport à lui.
Le Conseil d’Etat statue, ici, en premier et dernier ressort, car nous sommes en présence d’un règlement de la plus haute importance : un arrêté interministériel. La formation de la juridiction sont les 10e/7e sous-sections réunies.
Dès lors il convient de se demander si un acte administratif, publié de manière irrégulière, peut être opposable immédiatement en raison de circonstances particulières ?
Le conseil d’Etat rejette la requête du sieur Meyet dans la mesure où il estime que le communiqué de l’AFP ayant rendu publique le contenu de l’arrêté a, étant donné l’urgence et l’objet des mesures, pu rendre celles-ci opposables immédiatement.

Si le Conseil d’Etat affirme l’existence du principe général de publicité (I.), il admet cependant que des circonstances particulières permettent d’y déroger (II.)

I. LE PRINCIPE GENERAL DE PUBLICITE

Si l’opposabilité d’un acte est conditionné par sa publicité (A.), il n’en demeure pas moins que sa validité y est également soustraite dans certains cas (B.).

A. L’opposabilité subordonnée à la publicité

1. Les modalités de publication

La publicité est une condition nécessaire à la mise en vigueur d’un acte administratif unilatéral. En effet, elle est la contrepartie de l’adage selon lequel « nul n’est censé ignorer la loi ».
L’acte administratif entre en vigueur du fait et à partir de son émission par l’autorité administrative mais il ne devient opposable aux administrés qu’à partir de sa prise de connaissance par eux. Cette prise de connaissance émane de la publication. La publication des actes est régit par le décret du 5 novembre 1870 qui prévoit la date d’entrée en vigueur du texte par le biais du Journal Officiel. L’entrée en vigueur de l’acte administratif unilatéral prend effet un jour franc après publication à Paris et un jour franc après que le J.O. soit parvenu au chef lieu du département.
En conséquence, un règlement publié au J.O. du 19 décembre entre en vigueur à Paris le 21 décembre à zéro heure (CE Sect. 27 mars 1936, Bonny). Cependant le procédé de publication peut varier suivant la nature de l’acte administratif. Ainsi on distingue plusieurs types de publication possible :

– les lois et décrets sont obligatoirement publiés au J.O. conformément au décret du 5 novembre 1870.
– Les décisions individuelles doivent simplement être notifiés aux intéressés par le biais d’une lettre avec accusé de réception. Cependant si le nombre d’intéressés est important la jurisprudence admet qu’une publication soit réalisée sans pour autant entreprendre une notification individuelle. Il en va de même lorsque les intéressés sont inconnus de l’administration.
– Le décret du 5 novembre 1870 énonce que les lois et décrets sont obligatoirement publiés au J.O. Mais quelle place doit être assignée aux actes publiés au J.O. qui n’ont pas les caractères ni de loi ni de décret ? Rappelons que, en ce qui concerne les actes interministériels, aucun texte ne prévoit expressément la forme de publication qui doit être utilisée.
Notons que dans l’arrêt Cazes 19 juin 1959, le Conseil d’Etat a admis conformément aux conclusions du commissaire adjoint au gouvernement Brébant, qu’un arrêté ministériel pouvait être publié aux JO afin de satisfaire à l’exigence de publicité de l’acte alors qu’une application stricte du premier article du décret du 5 novembre 1870 ne l’autorise pas.
Ici l’arrêté est publié dans le JO, en accord avec cette jurisprudence, mais ce sont les dates qui posent problème. .
– Les actes administratif autres que les lois et décrets peuvent être publiés dans les recueils administratifs ou dans la presse.(CE 23 mai 1938, Mimerskren)

Cependant dans ce cas, il appartient au juge d’apprécier dans les circonstances de l’espèce si les moyens de publicités utilisés sont suffisants pour rendre l’acte opposable aux tiers. (CE 15 novembre 1978, Vesque). Ce peut être dans un recueil administratif au sein des préfectures ou du départements qui publient les arrêtés préfectoraux. Ce peut être également par un bulletin municipal officiel, par voie d’affichage ou par la publication dans un journal régional.

2. Validité et opposabilité

Il convient donc dès à présent de distinguer l’opposabilité de l’acte de sa validité. En effet, la validité d’un acte découle de certaines exigences concernant la compétence de l’auteur, la motivation de l’acte ou encore de sa signature. En revanche l’opposabilité est la possibilité pour l’administration de contraindre un administré au respect d’un acte administratif et vis versa. Dés lors un acte valide n’est pas pour autant opposable aux administrés si les conditions de son entrée en vigueur n’ont pas été respectées ou mises en œuvre.

Après avoir vu que la publicité était une condition obligatoire pour rendre un acte opposable, il s’agit donc de comprendre qu’elle est l’impact de la publicité sur la validité de l’acte.

B. L’impact de la publicité sur la validité d’un acte administratif unilatéral

1. Les conséquences de la publicité sur la validité : un principe établi.

Les conditions de publication d’un acte administratif énoncé ci-avant sont, en principe, sans influence sur sa validité comme le rappelle l’arrêt dans son 2ème considérant (Laroche du 27 mars 1914). Aussi, les actes administratifs doivent répondre aux exigences du Décret du 5 novembre 1870 quant au délai de mise en œuvre d’un acte. Cependant, pour certains actes une 2ème condition s’impose pour rendre un acte valide. Ce sont les actes pris par les autorités locales qui en plus d’être publié, doivent être transmis aux représentants de l’Etat. Cette seconde exigence est énoncée par la loi du 2 mars 1982 relative à la Décentralisation.
Il en va autrement pour les actes prévoyant eux même la date de leur entrée en vigueur. Ces derniers n’entreront en vigueur que si les conditions de publication énoncé par le décret du 5 novembre 1870 ont été respectées. Dans le cas contraire, la publication irrégulière influerait sur la validité de l’acte.

2. Le principe confronté à l’espèce.

Dans le cas présent, l’arrêté ministériel précise de lui même sa date d’entrée en vigueur. D’ailleurs, l’arrêté énonce qu’il prendra effet le 30 novembre 1996 à 12h. Le problème qui se pose ici vient du fait que l’arrêté a été publié au J.O. le 29 novembre 1996 et que son entrée en vigueur était prévu le 30. Or, pour respecter les conditions imposés par le décret, la publication aurait dû avoir lieu au maximum le 28 novembre. Dés lors, les conditions de publication n’ayant pas été respectées, l’arrêté aurait dû être déclaré invalide.
Cependant, le décret du 5 novembre 1870 prévoit dans son article 2 alinéa 2 qu’un décret peut être immédiatement applicable (donc opposable) si une décision gouvernementale l’ordonne. En l’espèce, on peut se demander si le principe d’une décision gouvernementale est applicable à un arrêté ministériel. En exposant dans son 3ème considérant que l’arrêté ministériel du 29 novembre 1996 n’était pas subordonné à une décision gouvernementale et de plus, en indiquant que la publication au J.O. n’avait pas pu le faire entrer en vigueur le 30 novembre, le Conseil d’Etat reconnaît a contrario qu’un arrêté ministériel peut être rendu applicable immédiatement par le biais d’une décision gouvernementale. Ainsi on assiste donc à une extension de l’article 2 alinéa 2 du décret du 5 novembre 1870 aux arrêtés ministériels.
Aussi l’arrêté interministériel, en n’ayant pas été publié de manière régulière et en l’absence de décision gouvernementale à son encontre, aurait dû logiquement être déclaré non valide et de fait inopposable immédiatement aux administrés.

Mais l’arrêt Meyet se présent ici comme une exception à ce principe. Pour justifier sa décision, le Conseil d’Etat va se fonder sur la notion d’urgence et sur l’objet des mesures.

II. UNE DEROGATION JUSTIFIEE PAR LES CIRCONSTANCES DE L’ESPECE

Le cas de l’espèce constitue une dérogation à la solution traditionnelle de la jurisprudence justifiée par les conséquences attachées à l’urgence caractérisée par le Conseil d’Etat d’une part (A) et par l’objet particulier des mesures prises d’autre part (B).

A. Conséquences attachées à l’urgence

Après avoir présenté en quoi consiste l’urgence, nous nous efforcerons de démontrer les effets qu’elle a eu sur les faits de l’espèce.

1. La notion d’urgence

Le Conseil d’Etat utilise le terme d’urgence dans le 4ème considérant. Cette expression se rapporte à un concept bien défini du droit administratif. Il s’agit d’une des formes de dérogation au principe de légalité, avec notamment les circonstances exceptionnelles.
René Chapus défini de l’urgence de cette manière: « lorsque, dans des circonstances de temps et de lieux normales, il y a urgence à agir, l’acte accompli pourra être régulier dans les cas où, faute pour l’administration de pouvoir exciper de l’urgence, il aurait été irrégulier. »
Par exemple, dans le cas d’une exécution d’office, l’urgence à agir permet de rendre cette action légale alors que si elle n’était pas caractérisée elle serait illégale. Cette exemple nous amène inévitablement à envisager le cas de l’arrêt société immobilière Saint-Just (CE 2 décembre 1902) qui, a travers les conclusions du commissaire du gouvernement Romieu, est à l’origine de cette théorie jurisprudentielle.
Les conclusions de Romieu sont les suivantes: « il est de l’essence même du rôle de l’administration d’agir immédiatement et d’employer la force publique sans délai ni procédure, lorsque l’intérêt immédiat de la conservation publique l’exige ; quand la maison brûle, on ne va pas demander au juge l’autorisation d’y envoyer les pompiers ».
En l’espèce, on relève que la haute juridiction administrative évoque le terme d’urgence sans pour autant décrire la situation. Nous étudierons cette dernière plus tard.

Avant cela, il est essentiel de considérer quels sont les effets de l’urgence sur les faits de l’espèce.

2. Effets de l’urgence

Le Conseil d’Etat estime que la forme de publication employée associée à l’urgence a suffit à rendre l’acte opposable immédiatement.

Dans la mesure où aucun texte ne précise les moyens de publications nécessaires pour les actes interministériels, l’administration peut adopter tout autre mode de publicité, à charge pour elle d’établir qu’il a été satisfaisant, et sous réserve de l’acceptation du juge administratif. Dans le cas présent, la formule «n’est pas contesté » employée dans le 4ème considérant démontre que la pertinence du moyen utilisé n’est pas remise en question. L’Agence France-Presse est une agence de presse mondialement reconnue et, dans la mesure où il a été repris par les médias, un de ses communiqués semble, du moins par rapport à la finalité de la formalité de publication, être tout à faire apte à remplir sa mission.
En l’espèce, la haute juridiction juge que l’utilisation d’un communiqué suffit mais eu égard à l’urgence. Par conséquent, il est certain que la subordination à l’urgence met un frein au mouvement potentiel d’élargissement et de modernisation des techniques de publicité administrative. Faut-il pour autant refuser d’imaginer qu’il se dessine le début d’une évolution jurisprudentielle vers des moyens de publications plus en harmonie avec leur temps, ce n’est pas certain. La jurisprudence future nous éclairera sur ce point de droit à moins que le législateur ne décide de prendre les devant.

La conséquence essentielle de l’urgence est de permettre grâce à son association au communiqué de l’AFP l’application immédiate de l’arrêté interministériel.
L’originalité de l’arrêt n’est pas d’accepter l’application immédiate mais de reconnaître, eu égard à l’urgence de la situation, la valeur du moyen utilisé. Le Conseil d’Etat ne se prononce pas directement sur l’application dans le temps de l’acte administratif. Il se prononce uniquement sur la valeur du moyen de publication utilisé. Autrement dit, après avoir admis que celui-ci, conjugué à l’urgence, est valable, il applique une solution traditionnelle en matière d’application dans le temps des actes administratifs : l’application immédiate.
En effet, il est de principe que les règlements administratifs sont d’application immédiate. Il faut comprendre qu’ils s’appliquent, à compter de leur entrée en vigueur, d’une part, quant à la détermination de la compétence, de la procédure et des formes et d’autre part aux situations en cours, c’est-à-dire non réglées ou consolidées. A contrario, les situations constituées et les situations contractuelles échappent au principe de l’application immédiate des réglementations nouvelles.
Cela montre un refus de la part de haute juridiction administrative d’admettre la rétroactivité de l’acte. Le Conseil d’Etat aurait pu estimer que l’urgence à agir qu’il a caractérisé en l’espèce justifiait la rétroactivité de l’arrêté interministériel par rapport à la publication au JO et aux délais nécessaires.
Cette hypothèse n’a pas été retenue. Deux raisons semblent justifier cette position. D’une part, le principe est la non rétroactivité. Dans l’arrêt Société du journal l’Aurore (24 juin 1948) le Conseil d’Etat énonce en effet «le principe en vertu duquel les règlements ne disposent que pour l’avenir » et depuis il veille avec fermeté et régularité au respect de ce principe par le pouvoir réglementaire. Il existe toutefois des exceptions législatives, permises dans la mesure où seule la non rétroactivité de la loi pénale de fond est un principe à valeur constitutionnel, et des dérogations jurisprudentielles comme cela aurait pu être le cas en l’espèce.
D’autre part, la présence du communiqué permet à la haute cour administrative de justifier l’application de l’acte de manière à éviter de consacrer une exception au principe de non rétroactivité et d’étendre, sous réserve de la caractérisation de l’urgence, les catégories d’actes susceptible de faire office de moyen de publication.

A présent, maintenant que l’urgence et ses conséquences ont été étudiées, nous allons nous pencher sur la question de l’objet particulier des mesures.

B . L’objet particulier des mesures

L’objet de l’acte en question concerne la police administrative ; les circonstances dans le lequel il a été pris méritent d’être analysées attentivement.

1. La police administrative

Les mesures consistent en la levée d’une part de l’interdiction générale, sauf sur certaines autoroutes, de circulation des véhicules de transports de marchandises dont le poids total autorisé en charge est supérieur à 7,5 tonnes du samedi 30 novembre 1996 à 12 heures au dimanche 1er décembre à 22 heures, et d’autre part de l’interdiction de circulation des véhicules de transport de matières dangereuses du samedi 30 novembre 1996 à 12 heures au dimanche 1 décembre 1996 à 24 heures.
Cela relève de la police administrative. La police administrative a été reconnue comme figurant dans le pouvoir réglementaire du gouvernement à propos du Code de la Route à l’occasion de l’arrêt Labonne (CE 8 août 1919). Les principes dégagés de cet arrêt sont toujours valables et le Conseil d’Etat a jugé que l’article 34 de la Constitution de 1958 en donnant compétence au législateur pour fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques n’avait pas retiré au chef du gouvernement les pouvoirs de police qu’il exerçait antérieurement (22 janvier 1982 Auto Défense)
Le Ministre de l’intérieur ne détient pas de pouvoir réglementaires, sauf textes particuliers, et n’a donc pas de compétences propres en matière de police administrative. En cela il est dans la situation de tous les autres membres du gouvernement, mise à part le premier ministre bien entendu.
Les mesures de police administrative ne sont régulières que si elles sont prises en vue du maintien de l’ordre public. Traditionnellement, l’ordre public correspond à la tranquillité, à la sécurité et à la salubrité. Les mesures de police sont préventives, c’est d’ailleurs ce qui la distingue de la police judiciaire.

Intéressons nous maintenant au contexte factuel. Sa connaissance nous permet de mieux comprendre la décision de la haute juridiction.

2. Le contexte factuel

Bien que les faits de l’espèce ne figurent pas dans l’arrêt, leur importance est capitale. Ils aident à comprendre la logique de la haute cour administrative.
Le contexte était tout à fait singulier. Les chauffeurs routiers étaient en grève depuis la fin du mois d’octobre, soit près de 1 mois avant l’édiction de l’arrêté. Cela avait une conséquence très fâcheuse à l’encontre des consommateurs car les magasins étaient en rupture de stock et la situation, au fil des jours qui s’écoulaient, allait en empirant. Les grévistes votèrent la levée de la grève le vendredi 29 novembre. Cela étant, dans la mesure où il est interdit aux camions de rouler le week-end sur l’autoroute, la reprise du trafic n’aurait pu reprendre que lundi au plus tôt. Ainsi, empêcher aux camions de reprendre leur service aurait fortement aggravé la situation. Le gouvernement a donc décidé de lever les interdictions mais sa décision, c’est-à-dire l’arrêté en question, est prise trop tard pour que la publication au JO et les délais qui y sont attachés permettent son application dès le 30 novembre. Cependant, cette situation peut s’analyser, et c’est ainsi que le Conseil d’Etat le considéra, comme un cas où il y a urgence à agir. Cette urgence combinée au fait qu’un communiqué de l’AFP ait été envoyée suffira à rendre l’acte opposable immédiatement.

La solution du Conseil d’Etat semble donc logique et souhaitable. Par ailleurs, replacée dans ce contexte la dérogation au principe ne revêt pas une importance majeure. Cela nous permet également de rappeler que cette décision est un arrêt d’espèce, il est donc difficile de tirer des conclusions générales. Les expressions « qu’il ressort des pièces du dossier », « dans les circonstances de l’espèce » témoignent bien de cet aspect.

CONCLUSION

Déjà en 1959, dans les conclusions de l’arrêt Cazes, le commissaire adjoint au gouvernement M. Brébant déplorait l’archaïsme des textes en matière de publication. Ses reproches n’apparaissent aujourd’hui que plus justifiés encore car force est de constater qu’à l’aube du troisième millénaire, ce domaine est toujours régi par un décret du Gouvernement de la Défense Nationale.
D’aucuns peuvent s’accorder à penser que si une modification du droit doit avoir lieu, elle doit avant tout consister en une refonte du système juridique et matériel de publication en prenant en compte les avancées technologiques qui se sont produites ces 130 dernières années. Le commissaire adjoint Brébant ironisait sur cette situation en rappelant que les moyens de communications avaient fait quelques progrès depuis le temps du télégraphe de Chappes et des pigeons voyageurs. En effet, la radiodiffusion mais aussi les plus récentes avancées technologiques telles Internet pourraient jouer un rôle essentiel dans le domaine de la publication. Le potentiel de ces nouvelles techniques est considérable, elles pourraient grâce à leur échelle de diffusion redonner un véritable sens à la formalité de la publication. Il faut espérer que cette arrêt a quelque peu fait évoluer les choses.

Commentaire corrigé : « Rolin », Conseil d’État, 27 octobre 1999

Fiche rédigée par Olivier GAMARD, étudiant en 2ème année à Nancy II.

Cette copie a obtenu la note de 12/20 : le correcteur conteste apparemment certaines lacunes dans l’analyse et n’a pas apprécié les remarques sur les interprétations du Conseil d’État en matière de service public.
Ce plan est bien entendu à étoffer (ce commentaire a été réalisé en 1h30).


Introduction

Le présent arrêt de la section du contentieux du Conseil d’État nous confronte à un problème de nature des actes mis en cause par le requérant.
En effet, en l’espèce, suite à la décision du président de « la Française des jeux » de créer les jeux instantanés « Banco » et « Bingo », M Rolin lui demande de retirer de la circulation les billets de divers jeux. Suite à son refus implicite, M Rolin dépose une requête visant à annuler ces deux décisions devant le conseil d’Etat, qui, par le présent arrêt se déclare incompétent pour statuer sur la demande.
Ainsi, le juge administratif se refuse à statuer et estime que la mission que la Française des jeux assume n’est pas de service public et que les décisions attaquées ne sont donc pas de nature règlementaire.
Ainsi, le problème juridique qui s’est posé aux magistrats en l’espèce était de savoir si la mission de la Française des Jeux était ou non de service public afin de pouvoir statuer sur la nature des actes attaqués et donc sur ses compétences pour juger de leur légalité.
Dans une première partie, il conviendra donc de nous intéresser au refus de la demande par le conseil d’État ; puis, dans une seconde, nous verrons que cette décision s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel du Conseil d’État visant à encadrer la notion de service public.

I. Le refus du juge administratif de statuer sur la requête

Le Conseil d’État a depuis longtemps reconnu qu’une mission de service public peut être exercée par une personne privée. La première manifestation de ce fait a été marquée par l’arrêt « Etablissements Vézia » de 1935, confirmé de manière éclatante dans l’arrêt « Caisse primaire aide et protection » de 1938. afin d’encadrer ces services et de pouvoir les distinguer, le juge a donc commencé par définir des critères puis a permis que les actes des dirigeants des services publics aient un caractère règlementaire afin d’assurer leur fonctionnement.

A. Les conditions de la reconnaissance d’une mission de service public

L’arrêt Narcy de 1963 marque la volonté du conseil d’Etat de définir des critères du service public assumé par une personne privée. Il convient donc ici de vérifier si ces conditions sont remplies pour le juge.

Selon l’arrêt Narcy, pour qu’une personne privée, ici la Française des Jeux, reconnue personne privée par l’arrêt à la fin du premier considérant, soit reconnue comme investie d’une mission de service public, elle doit être investie d’une mission d’intérêt général par les personnes publiques, sous leur contrôle, et posséder des prérogatives de puissance publique. En l’espèce, le Conseil d’État refuse la qualification de service public à la Française des Jeux, mais ne justifie pas de l’application des critères sus-énoncés en se contentant d’une réponse vague selon laquelle « aucune disposition précise » n’a investi la Française des Jeux d’un service public.
Cette absence de qualification a logiquement pour conséquence de refuser la qualification d’actes réglementaires aux décisions attaquées.

B. L’absence de pouvoir réglementaire du président de la société.

Le Conseil d’État avait par le passé accepté de reconnaître un pouvoir règlementaire aux services publics, qu’ils soient administratifs (arrêt CE Monpeurt 1942) ou à caractère industriel et commercial (arrêt CE Epoux Barbier 1968). néanmoins, ce pouvoir n’était reconnu qu’aux dirigeants des organismes investis d’une mission de service public.
Or, en l’espèce, nous avons vu que cette mission de service public n’était pas caractérisée par le juge administratif au profit de la française des jeux, les magistrats revenant ainsi sur une jurisprudence « Angrand » de 1948 (date à vérifier).
Ainsi,, la Française des Jeux n’exerçant pas une mission de service public, les textes adoptés par son président n’ont pas la valeur d’actes administratifs et le juge administratif n’est donc de par là même pas compétent pour connaître des recours intentés contre eux, ce que le conseil d’etat explique dans le second considérant de l’arrêt (« les décisions prises par le président (…) n’ont pas le caractère d’actes administratifs ; (…) dès lors les conclusions de M Rolin (…) ne sont pas au nombre de celles dont il appartient à la juridiction administrative de connaître »).

Après avoir vu que le Conseil d’État se refusait à statuer sur cette demande, voyons à présent que cette décision participe de la volonté du juge administratif de limiter et d’encadrer la notion de service public.

II. La volonté d’encadrement de la notion de service public par le Conseil d’État.

Le Conseil d’État a tout d’abord eu à mettre en place des règles concernant la nation de service public, mais il s’est rapidement rendu compte que le développement de la notion nécessitait un encadrement plus rigoureux de la définition même du service public, et il semble qu’il aille dans cet arrêt jusqu’à limiter des règles qui avaient d’ores et déjà pour but d’encadrer la définition du service public.

A. La nécessité d’encadrement du service public et de sa définition.

Après avoir, par une jurisprudence conséquente, développé la notion de service public dans des secteurs divers, en particulier dans le secteur privé, et ce jusqu’à une date récente (arrêts Syndicat des exploitants de cinématographes de l’Oranie 1959, ville de Melun 1990, ordre des avocats à la cour d’appel de Paris 1997), le juge administratif a tenté en parallèle de mieux encadrer les conditions d’obtention du statut de service public pour les peronnes privées dans l’arrêt Narcy de 1963 qui édicte des critères que nous avons vus précédemment et sur lesquels nous reviendrons plus loin. De plus, par des arrêts récents, il revient sur des jurisprudences antérieures et retire le statut de service public à certains organismes, ce qui est le cas dans les présent arrêt.
Néanmoins, si le CE a d’abord défini des critères dans l’arrêt Narcy, il est peu à peu revenu sur cette jurisprudence en acceptant d’abord de qualifier une mission de service public même sans usage de prérogatives de puissance publiques. Il semble qu’il aille encore plus loin dans cet arrêt.

B. Un arrêt en contradiction avec la jurisprudence Narcy

Même si le juge administratif avait d’abord élargi la notion et assoupli les critères du service public dégagés dans l’arrêt Narcy, il va ici encore plus loin. En effet, il convient d’abord de voir que le Française des jeux exerce sa mission par une délégation textuelle règlementaire sous la forme du décret du 9/11/1978 qui lui confère dans ses articles 1er, 4, 5 et 8 l’obligation d’être soumise à un contrôle public sous différentes formes. De plus, l’article 7 prévoi que le présideznt de la société établit les règlements des jeux, ce qui lui confère une sorte de prérogatives de puissance publiques, et enfin, l’arrêt lui-même retient le caractère d’intérêt généal de la mission en ce que les fonds sont destinés à la caisse de solidarité pour les calamités agricoles, qui est, elle, un service public. Ici, le conseil d’Etat reconnaît explicitement les caractères dégagés dans l’arrêt Narcy qu’il néglige d’appliquer, ce qui marque peut-être la fin de ces critères et refuse de plus de reconnaître à une activité pûrement financière liée à un service public la qualification de service public.

En conclusion, on constate que la notion de service public est toujours difficile à cerner, même si la jurisprudence à ce sujet est abondante mais elle est également contradictoire. Ici, en effet, le juge refuse la qualification de service public à la Française des Jeux alors qu’il l’avait reconnue à un casino pour des activités voisines (arrêt CE « cille de Royan et SA du sieur Couzinet » 1966) mais présentant pour lui un caractère indispensable.
On en est donc réduit aujourd’hui à s’en remettre au juge et à donner une liste des activités qualifiées par lui de services publics, et ce selon les circonstances des différentes espèces.

Commentaire corrigé : « Commissaire de la République de l’Ille-et-Vilaine », Conseil d’État, 18 avril 1986

Fiche rédigée par Hugo.

Le sujet

CE 18 avril 1986 « Commissaire de la République d’Ille-et-Vilaine »

Sur la recevabilité du déféré du commissaire de la République de l’llle-et-Vilaine

Considérant qu’aux termes de l’article 3 de la loi n°82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, dans sa rédaction issue de la loi n° 82-263 du 22 juillet 1982 : « le représentant de l’Etat dans le département défère au tribunal administratif les actes mentionnés au paragraphe II de l’article précédent qu’il estime contraires à la légalité dans les deux mois suivant leur transmission  » ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que le commissaire-adjoint de la République de Fougères a adressé le 16 février 1984 au maire de cette commune une lettre par laquelle il lui exposait que la délibération du 12 janvier 1984 était entachée d’illégalité et lui demandait de soumettre à nouveau le barème de tarification des restaurants d’enfants au conseil municipal : qu’en l’absence de dispositions législatives ou réglementaires organisant une procédure particulière en la matière, cette demande doit être regardée comme constituant un recours gracieux qui, ayant été formé dans le délai du recours contentieux, a interrompu ce délai ; qu’ainsi le déféré du commissaire de la République de l’Ille-et-Vilaine, enregistré le 20 mars 1984 au greffe du tribunal administratif de Rennes, n’était pas tardif ; que c’est dès lors à tort que les premiers juges ont rejeté ce déféré comme irrecevable et que leur jugement, en date du 12 juillet 1984 doit être annulé ;

Considérant qu’il y a lieu d’évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par le commissaire de la République de l’Ille-et-Vilaine devant le tribunal administratif de Rennes :

Sur la légalité interne de la délibératioon du conseil municipal de Fougères, en date du 12 janvier 1984 :
Sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre moyen de la requête :

Considérant qu’aux termes de l’article premier de l’arrêté du commissaire de la République de l’Ille-et-Vilaine, en date du 28 décembre 1983 : « les prix des prestations de services à caractère administratif rendues par les collectivités locales (…) peuvent être majorés de 5 % à compter du 1er janvier 1984 ; cette hausse ne pourra être appliquée qu’aux prestations dont le dernier relèvement est antérieur au 31 août 1983 » ;

Considérant qu’il ressort des pièces versées au dossier que, par arrêté du 30 juin 1983 le maire de Fougères avait relevé le tarif des cantines scolaires à compter du 8 septembre suivant ; qu’ainsi, en vertu de l’arrêté préfectoral précité, une nouvelle hausse ne pouvait intervenir à compter du 1er janvier 1984 ; que la délibération du 12 janvier 1984, dès lors qu’elle a pour effet de relever les tarifs pour certains élèves, alors même que cette hausse serait accompagnée de la baisse du tarif appliqué à d’autres élèves, a donc contrevenu aux prescriptions de cet arrêté préfectoral et doit être annulée ;

Annulation.

Le « corrigé »

Note importante

« corrigé » est mis ici entre guillemets pour que toutes les précautions soient prises par le lecteur internaute. En effet, pour des raisons de droit d’auteur il nous est impossible de reproduire ici le corrigé d’un professeur ou d’un chargé de TD comme de toute autre personne autre que nous. C’est pourquoi nous mettons ici en ligne nos devoirs, avec les erreurs que nous avons pu commettre. Nous faisons cependant attention à ne pas prendre des devoirs jugés mauvais, ou hors sujet, et ne prenons que ceux qui nous ont satisfait le plus pleinement.

Ce devoir a n’a pas été rendu. Le plan de correction proposé par le chargé de TD était plus centré sur le recours gracieux et sa prorogation, alors que le plan proposé ici se découpe plus en sens-valeur-portée.

Introduction

Dans cet arrêt le Conseil d’Etat devait se prononcer sur un différent juridique opposant le commissaire de la République (préfet) de la région Bretagne et du département d’Ile et Vilaine à la commune de Fougères. Cette commune avait pris une décision d’augmentation des prix des restaurants scolaires le 12 janvier 1986 en méconnaissance d’un arrêté préfectoral du 28 décembre 1983 interdisant une telle décision, si une augmentation était intervenu après le 1er septembre de l’année concernée. Le préfet a tout d’abord demandé gracieusement le 16 février 1986 au maire de la commune de soumettre à nouveau à délibération le barème des restaurants scolaires. Puis finalement, il a décidé de déférer cette décision au tribunal administratif.

Le tribunal administratif, saisi donc de sa demande d’annulation de l’acte pour excès de pouvoir, estima que l’action était irrecevable car exercé hors des délais fixés par la loi pour l’exercice du déféré préfectoral. Estimant ce jugement non conforme au droit, le préfet a interjeté appel de ce jugement. C’est sur cet appel que le Conseil d’Etat se prononce dans cette décision.

Le commissaire de la République, le préfet, prétend que l’irrecevabilité prononcée n’est nullement justifiée, du fait de la demande qu’il avait adressé, en tant que recours gracieux, au maire de la commune et qui avait pour effet d’interrompre le délai dans lequel il pouvait déférer l’acte mis en cause. Il prétend de plus, que la décision d’augmentation des tarifs, prise par la commune est entaché d’illégalité du fait du non respect de l’arrêté préfectoral du 28 décembre 1983, et conclut donc à son annulation.
Au vue de ces prétentions le Conseil d’Etat doit se prononcer sur la question de savoir si un recours gracieux a pour effet, dans le délai du déféré préfectoral, d’interrompre le délai dans lequel un tel recours est recevable. Si tel est le cas, alors le Conseil se prononcera sur la légalité de la décision communale.

Dans son arrêt, le Conseil d’Etat estime que le recours gracieux a bel et bien pour effet d’interrompre le délai de recevabilité du déféré préfectoral, et qu’ainsi le commissaire de la République était en droit, en l’espèce, de déférer l’acte, que son action était recevable. Il estime de plus, suivant les conclusions du demandeur, que la décision de la commune est entachée d’illégalité et doit donc, de ce fait, être annulée.

Cet arrêt nous permet ainsi de dépasser une portée pratique déjà considérable du fait de l’exercice du déféré préfectoral. En effet, dans cet arrêt le Conseil d’Etat établi un principe, ou plutôt étend l’application du principe du recours gracieux à la procédure du déféré préfectoral. Cette reconnaissance, extension est loin d’être sans conséquence. Elle a une incidence considérable sur les délais dans lesquels une telle procédure est applicable. En cela, le Conseil d’Etat veut adapter le droit pour permettre au système institué par la décentralisation de prendre son maximum d’efficacité dans le respect des lois, même si cette jurisprudence peut paraître dangereuse car augmentant les pouvoirs du préfet, et se rapprochant ainsi de l’idée de tutelle.

Pour ces diverses raisons nous étudierons dans une première partie l’élargissement des pouvoirs du préfet dans le cadre du déféré préfectoral, avant d’aborder dans une seconde partie la justification de cet élargissement par la nécessité d’un contrôle de légalité efficace.

I – Un élargissement des pouvoirs du préfet dans le cadre du déféré préfectoral

Le déféré préfectoral est un recours juridictionnel, dont il faut d’abord préciser les modalités (A.) avant d’observer que le délai de ce recours est par cette décision prolongé (B.)

A – La procédure du déféré préfectoral

1) Une procédure nécessitée par l’État de droit
a. L’exercice des prérogatives de puissance publique réservées à l’État

– Etat est unitaire, c’est lui qui a le droit d’édicter des normes, d’user de la force… qui détient donc la puissance publique
– On ne peut tolérer exercice de prérogatives de puissance publique par collectivités sans contrôle de l’Etat

b. Il doit donc toujours pouvoir contrôler les pouvoirs qu’il délègue

– Etat doit être informé des décisions des collectivités locale. Cause d’inconstitutionnalité de loi de 1982 (Conseil Constitutionnel 25 février 1982.) Pour acte grave transmission obligatoire (loi du 2 mars 1982)
– Possibilité d’interrompre rapidement la violation de l’Etat de droit, grâce à demande de sursis à exécution.

2) Les conditions d’exercice
a. la procédure du déféré préfectoral

– Quand préfet estime que acte est illégal, il le défère au tribunal administratif. pour contrôle de la légalité (article 3 loi du 2 mars 1982). Possibilité de sursis à exécution si moyen sérieux. Sursis en urgence si moyen sérieux sur libertés
– Procédure limitée au seul représentant de l’Etat, en raison du caractère dérogatoire de l’action

b. délais identiques à recours pour excès de pouvoir : 2 mois

– Si procédure est dérogatoire elle se rapproche du régime du recours pour excès de pouvoir
– Ainsi délai de recours est limité à deux mois par le législateur

B – L’extension du délai de validité de cette procédure

1. La reconnaissance de la validité du recours gracieux
a. La pratique courante du recours gracieux, non limité au déféré

– le recours gracieux est un recours administratif (comme recours hiérarchiques), donc différent de contentieux. Peut être, et parfois doit être, exercé avant un recours contentieux..
– Ce recours est de plus en plus exercé et demandé avant les recours juridictionnels..

b. Une pratique efficace, car évite action en justice

– Cette exigence découle du fait que si ce le recours abouti, alors il n’y aura pas d’intervention du juge..
– D’où, économie pour la justice, gain de temps pour les intéressés…

2) Des conséquences importantes sur les délais de validité
a. Efficacité de cette pratique dépend de sa possibilité d’exercice

– Mais un tel recours n’aboutit pas forcément à une solution. Il n’est que supplétif, il faut donc ne pas pénaliser ceux qui l’utilisent..
– Cela entraîne qu’il faut admettre à ces personnes la possibilité d’agir juridictionnellement ensuite.

b. Elle a pour conséquence d’interrompre le délai de recours

– Possibilité d’agir suppose nouvelle condition de délai. Nécessité de pouvoir réfléchir sur la réponse implique interruption du délai et non suspension..
– Nouveau délai de deux mois, donc, après la réponse. Si réponse très longue à obtenir, cas des décisions implicites de rejet, alors, le délai peut atteindre 8 mois à partir de la prise de l’acte considéré illégal.

Cette augmentation du délai, par la reconnaissance de la validité du recours gracieux, a pour conséquence nécessaire un accroissement des pouvoirs du préfet en matière de déféré préfectoral. Cette augmentation peut paraître dangereuse pour le principe de décentralisation, mais elle est justifiée et ce danger apparaît limité.

II – Une justification par la nécessité du contrôle de légalité dans le cadre de la décentralisation

Cet accroissement des pouvoirs du préfet peut être envisagé comme un danger de retour vers un pouvoir de tutelle (A.). Cependant ce danger, limité, est justifié par le principe de légalité (B.)

A – Un danger de retour vers un pouvoir de tutelle

1) Recours gracieux peut devenir une menace
a. Par le recours gracieux annonce de l’opinion du préfet

– recours sera effectué sur motif d’illégalité, avec des motifs précis
– dans un recours pour excès de pouvoir connaissance des prétentions seulement au moment du recours, qui est irréversible

b. Pour éviter un éventuel conflit collectivité locale modifiera son acte

– Connaissance des motifs par recours  » amiable  » peut entraîner leur prise en compte dans l’effet d’éviter un recours  » sanction « 
– Mais actes ne sont pas forcément illégaux, on veut juste éviter le risque des effets d’un déféré préfectoral

2) Décisions sont alors  » confirmées  » par le préfet, qui n’a plus la contrainte de déférer
a. Cela implique alors une sorte de confirmation des actes de la commune

– Dès lors que le fait d’éviter ces risques devient une pratique courante alors le préfet est titulaire d’une sorte de pouvoir de confirmation ou d’annulation des actes de la commune
– Un tel pouvoir s’appelle le pouvoir de tutelle, le préfet se comportant comme juge de la légalité

b. Ce qui remet totalement en question le principe de décentralisation

– Or la décentralisation a pour principal but de supprimer ce pouvoir de tutelle, afin d’affranchir les collectivités territoriales de tout pouvoir hiérarchique
– Il y a donc remise en cause totale du principe de décentralisation

B – Un danger justifié et limité par la décentralisation

1. L’existence d’une possibilité de refuser les injonctions du préfet à respect de la loi
a. Recours gracieux ne créé pas d’obligation

– C’est juste une demande, aimablement présentée, elle n’a pas la force d’une décision juridictionnelle ou de la loi
– Elle n’a donc pas de caractère obligatoire, on peut refuser d’y faire droit

b. Il y a donc possibilité de faire stricte application de la loi

– Un refus serait une application stricte des dispositions de la loi de décentralisation, qui ne pourrait leur être reproché
– Les autorités décentralisées n’ont donc à faire face qu’à leur responsabilité, ne doivent que soutenir leur décision, si elle leur paraît légale, ce qui est dans la nature des choses.

2) La nécessité d’un contrôle efficace des actes des collectivités locales
a. L’inutilité d’une procédure contentieuse

– lorsque actes manifestement dûs à une erreur reconnue par son auteur, il est abusif de porter le litige devant le tribunal administratif
– Surcroît de travail qui empêche de contrôler plus précisément des actes plus délicats

b. La nécessité du délai supplémentaire

– Dialogue doit s’instaurer entre les collectivités locales et l’Etat, suppose donc possibilité de réfléchir à la réponse donnée par la collectivités locale
– Ce dialogue justifie donc le délai supplémentaire, et non l’inverse. Le recours contentieux ne doit pas être utilisé en vue d’avoir plus de temps pour estimer la légalité d’un acte (contraire à la loi qui a fixé un délai). Circulaire du 17.11.86, interprétant la décision du conseil va en ce sens.

Commentaire corrigé : Conseil d’État, 10 juin 1994, « R.O.C. »

Fiche rédigée par Hugo.

Le sujet

CE, 10 juin 1994, « R.O.C. » :

Considérant qu’il ressort clairement des stipulations de l’article 189 du traité du 25 mars 1957 que les directives du Conseil des communautés européennes lient les Etats membres « quant au résultat à atteindre » ; que si, pour atteindre ce résultat, les autorités nationales, qui sont tenues d’adapter leur législation et leur règlementation aux directives qui leur sont destinées, restent seules compétentes pour décider de la forme à donner à l’exécution de ces directives et pour fixer elles-mêmes, sous le contrôle des juridictions nationales, les moyens propres à leur faire produire leurs effets en droit interne, ces autorités ne peuvent légalement, après l’expiration des délais impartis, ni édicter des dispositions réglementaires qui seraient contraires aux objectifs définis par les directives, ni laisser subsister des dispositions réglementaires qui ne seraient plus compatibles avec ces objectifs, ni davantage se refuser à modifier des dispositions règlementaires dans l’hypothèse où une telle modification est nécessaire pour assurer la transposition dans l’ordre interne des objectifs prescrits par une directive ;
Considérant que selon les dispositions de l’article 4 de la directive du conseil n° 79-409 du 2 avril 1979 concernant la conservation des oiseaux sauvages publiée au Journal officiel des Communautés européennes du 25 avril 1979, les Etats membres ont l’obligation  » d’adopter des mesures de conservation spéciale concernant l’habitat des espèces d’oiseaux énoncées à l’annexe I afin d’assurer leur survie et leur reproduction dans leur aire de distribution  » ; que le bruant ortolan figure au nombre des espèces relevant de l’annexe I telle qu’elle a été complétée par la directive n° 85-411 du 25 juillet 1985 publiée au Journal officiel précité du 30 août 1985 ;

Considérant qu’indépendamment des objectifs définis dans son article 4, la directive impose, dans son article 5, aux Etats membres de prendre les mesures nécessaire pour instaurer un régime général de protection de toutes les espèces d’oiseaux vivant naturellement à l’état sauvage, comportant notamment l’interdiction de les tuer ou de les capturer intentionnellement, quelle que soit la méthode employée ; que si selon l’article 7 de la même directive, les espèces énumérées à l’annexe II, partie I peuvent néanmoins être chassées dans les Etats membres pour lesquels elles sont mentionnées, aucune de ces exceptions ne concerne le bruant ortolan ; que la chasse de cette espèce doit par suite être interdite, sans préjudice de la protection prévue à son profit par l’article 4 de la directive n° 79-409 ;

Considérant que l’arrêté du ministre de l’Environnement du 26 juin 1987, qui fixe limitativement la liste des espèces de gibier dont la chasse est autorisée, a pour conséquence nécessaire d’interdire la chasse de celle des espèces qui n’y sont pas mentionnées et en particulier celle du bruant ortolan ; que si se trouve par suite assuré, s’agissant de cette espèce, le respect des dispositions combinées des articles 5 et 7 de la directive n° 79-409, l’interdiction de chasser ne permet pas à elle seule de satisfaire aux objectifs spécifiques de protection découlant de l’article 4 de la directive ; qu’il suit de là que c’est en méconnaissance de ces objectifs que le ministre de l’Environnement a refusé de faire figurer le bruant ortolan parmi les espèces d’oiseaux auxquelles s’appliquent les mesures de protection fixées à l’article 2 de la loi du 10 juillet 1976, repris à l’article L. 211-1 du code rural, et visant l’interdiction de la destruction ou l’enlèvement des oeufs ou des nids ; que le « Rassemblement des Opposant à la Chasse » est par suite fondé à demander l’annulation pour excès de pouvoir de la décision du ministre de l’Environnement rejetant la demande qu’il avait présentée le 14 juin 1990 aux fins de compléter l’arrêté du 17 avril 1981 modifié fixant la liste des oiseaux protégés sur l’ensemble du territoire ;

Annulation.

Le « corrigé »

Note importante

« corrigé » est mis ici entre guillemets pour que toutes les précautions soient prises par le lecteur internaute. En effet, pour des raisons de droit d’auteur il nous est impossible de reproduire ici le corrigé d’un professeur ou d’un chargé de TD comme de toute autre personne autre que nous. C’est pourquoi nous mettons ici en ligne nos devoirs, avec les erreurs que nous avons pu commettre. Nous faisons cependant attention à ne pas prendre des devoirs jugés mauvais, ou hors sujet, et ne prenons que ceux qui nous ont satisfait le plus pleinement.

Ce devoir a été rendu le 6.12.1997 à la séance de td n° 5. Note : 9 – 10 ( / 20 ).
Des imprécisions et incompréhensions ont été relevées par le correcteur. On reproche également au devoir de ne pas avoir assez cité le texte de l’arrêt et d’omettre l’arrêt Alitalia (qui a été remis sur la version mis en ligne).
En « défense », il faut dire que la correction était sévère, peu de notes ayant été donnés au dessus de 11 en commentaire d’arrêt, et que l’arrêt Alitalia n’avait pas été vu en cours ou en td (comme quoi il faut bosser à coté du cours aussi). La note attribuée, au vu de ces précisions semble donc correcte.

Introduction

Une directive (modifiée par une autre, le 25 juillet 1985) est édictée en vue de la protection entre autre d’une espèce d’oiseau, le bruant ortolan, et de la conservation de son habitat en vue d’assurer sa survie et sa reproduction. Un arrêté (26 juin 1987) intervient pour interdire la chasse de cet oiseau, mais le ministre de l’Environnement refuse la demande d’une association contre la chasse tendant à inclure cet oiseau dans la liste, fixée par l’arrêté du 17 avril 1981 de ce même ministre, des espèces dont on ne peut détruire les oeufs et les nids.

Estimant cet arrêté illégal, le  » Rassemblement des opposants à la chasse  » forme un recours pour excès de pouvoir contre la décision du ministre de l’Environnement de rejet de la demande de cette association.
Le  » rassemblement des opposants à la chasse  » prétend que le ministre de l’Environnement a méconnu les objectifs de la directive du 2 avril 1979 en refusant de modifier la liste des oiseaux protégés. Le principe étant que les directives s’imposent aux Etats membres, le refus est donc par conséquent illégal et doit être annulé. Le ministre de l’Environnement estime quant à lui que si les directives s’imposent aux Etats membres, elles ne peuvent être invoquées par les ressortissants que lors de l’édiction d’un acte de transposition des objectifs de cette directive. Ainsi, elle sont inopposables à une décision refusant la modification d’un arrêté, dès lors qu’il n’y a pas par cette décision édiction d’un acte réglementaire. Le ministre estime de plus que les exigences de la directive ont été satisfaites par le droit français qui a interdit la chasse de cet oiseau. Le ministre conclu donc à la légalité de sa décision, parce que non saisie par le principe d’application des directives, et ainsi au rejet de la requête.

Il s’agit donc pour le Conseil d’Etat de statuer sur la question de savoir si une directive sur la protection d’une espèce d’oiseau ne fait obstacle qu’à l’édiction de nouvelle norme contraire aux dispositions de cette directive ou oblige également les autorités à répondre à toutes demandes relatives à la mise en conformité du droit interne avec cette norme européenne.

Dans son arrêt, rendu le 10 juin 1994, le Conseil d’Etat énonce que si comme il a déjà été dit la directive s’impose aux Etats et que toutes décisions contraires seraient écartées ou annulées, le principe de la supériorité du droit international sur le droit interne interdit aux autorités de l’Etat de refuser la modification d’un acte contraire aux stipulations d’une directive. En l’espèce le Conseil d’Etat estime que si l’arrêté du 26 juin 1987 est bien conforme aux exigences de la directive, la décision de refus de l’arrêté du 17 avril 1981 est quant à elle contraire aux dispositions de la directive. Le Conseil d’Etat décide donc d’annuler la décision de refus.

Cet arrêt est ainsi très intéressant car il s’attache à distinguer deux problèmes distincts pour leur donner la même solution. Dans la première partie de sa décision le Conseil d’Etat rappelle le principe de l’opposabilité des objectifs des directives aux actes de transpositions contraires, puis dans une seconde partie étend ce principe considérablement en disposant que les autorités ne peuvent refuser de modifier ou abroger une disposition contraires à une directive sans que leur refus soit entaché d’illégalité. L’étude de cet arrêt nous permettra ainsi de dégager les modalités de ces deux types de contrôle, qui conduisent à la même affirmation : le droit communautaire doit prédominer sur le droit interne, ici plus particulièrement sur les règlements.

Nous verrons donc dans une première partie, un arrêté d’interdiction de chasse pris conformément à la directive européenne, pour aborder dans une seconde partie, un arrêté de protection d’espèce protégées laissé en non conformité aux dispositions de la directives.

I. Un arrêté d’interdiction de chasse pris conformément à la directive européenne

Le Conseil d’Etat s’attache tout d’abord à définir la hiérarchie des normes (A.) avant d’énoncé les sanctions que cette hiérarchie implique concernant la sanction des règlements nouveaux (B.) sanction qui n’a pas lieu d’être en l’espèce.

A. Le principe de la supériorité de la directive sur le règlement interne

1) Le principe de la supériorité du traité sur le règlement
a. L’application directe du traité
  • Un principe indépendant de la supériorité du traité sur la loi
  • Une reconnaissance de ce principe dans l’arrêt du Conseil d’Etat  » Dame Kirkwood  » de 1952
b. Le problème de l’application directe du droit dérivé
  • Pas de problème pour le droit international originaire parce que ratifié
  • Mais le droit dérivé est directement émis par les organes européens
2) Une supériorité étendue à la directive
a. Une lente reconnaissance du droit dérivé par le juge administratif
  • Le droit dérivé a été pris en compte par la juridiction administrative très tôt par la reconnaissance des règlements communautaires (Arrêt de Conseil d’Etat du 22 décembre 1978  » Syndicat viticole des Hautes Graves de Bordeaux  » )
  • Reconnaissance ensuite des directives dans l’arrêt Palazzi de 1991. Le Conseil d’Etat reconnaîtra même la supériorité du droit dérivé sur les lois (Arrêts Boisdet de 1990 et Rothman de 1992)
b. Les caractères de cette supériorité des directives
  • Des caractères définis par le traité international (traité de Rome du 25 mars 1957, article 189) : directives lient les Etats quant au résultat à atteindre.
  • Ces dispositions ne sont pas de simples déclarations d’intentions, elles ont des conséquence très pratiques

B. Une sanction des actes réglementaires édictés contrairement aux dispositions d’une directive

1) Un principe établi avec la jurisprudence Cohn Bendit du 22 décembre 1978 (reprise par Palazzi 8.7.1991)
a. L’énoncé de ce principe dans l’arrêt
  • Parce que les directives doivent être efficaces, utiles, elles doivent avoir une application en droit interne
  • Une formulation constante dès arrêt Cohn Bendit 22.12.78 :  » autorité ne peuvent légalement, après expiration des délais, édicter des dispositions réglementaire qui seraient contraires aux objectifs définis par les directives « 
b. Le respect de la jurisprudence Cohn-Bendit du Conseil d’Etat du 22 décembre 1978
  • L’arrêt Cohn-Bendit interdisait invocation d’une directive contre un acte individuel. Il ne reconnaissait pas d’effets  » directs  » à la directive
  • Ici sanction seulement des actes édictants des dispositions générales contraire aux objectifs d’une directive, donc reconnaissance uniquement d’effets indirects
2) Un principe non appliqué en l’espèce à l’arrêté du 26 juin 1987
a. L’existence d’une obligation générale d’interdiction de chasse
  • L’énoncé de la directive du 25 avril 1979 complétée par son annexe de 1985
  • Une directive interdisant la prise de mesure permettant la chasse de cette espèce
b. La non violation de ce principe par l’arrêté du 26 juin 1987
  • Arrêté fixe limitativement les espèces que l’on peut chasser donc entre dans le champ d’application de cette directive
  • Il exclu ainsi de la chasse, en ne l’y faisant pas figurer, l’espèce protégée. Il n’est donc pas contraire à la directive.

Cependant si cet arrêté n’est pas contraire au principe de non édiction d’acte contraire à une directive, il semble que la décision refusant la modification de l’arrêté de 1981 soit elle entachée d’illégalité par l’effet d’une conséquence de ce principe.

II. Un arrêté de protection d’espèce protégées laissé en non conformité aux dispositions de la directive.

En effet si la directive énonce des mesures de protection générale contre la chasse elle énonce également des mesures spéciales. Le Conseil d’Etat estime sanctionnable une décision de refus de modification d’un arrêté non conforme à une directive (A) pour mieux s’attacher ensuite à vérifier cette confirmation dans le cas d’espèce (B)

A. Une obligation sanctionnable de mise en conformité du droit interne au droit européen

1) Le rappel du principe de l’arrêt Alitalia
a. Un principe sanctionnant une non conformité postérieure
  •  » ni laisser subsister  » différent de  » légalement prendre « , ici on met en oblige à mettre en conformité ce qui est différent du fait d’obliger à respecter.
  • Ainsi on sort ici du principe même d’effet indirect des directives pour utiliser, de manière complémentaire, le principe dégagé par l’arrêt Alitalia.
b. Un principe existant déjà pour la hiérarchie des normes en droit interne
  • Un principe : la théorie du changement de circonstance (fait/droit) énoncé dans l’arrêt Despujol du Conseil d’Etat du 10 janvier 1930
  • Principe ancien destiné aux lois et règlement est appliqué aux règlement interne et directives
2) Les justifications d’un tel principe
a. L’effectivité incomplète des directives
  • Principe de non édiction de normes contraires évite juste les nouvelles entorses au droit européen fixé par les directives
  • Principe n’empêche pas de laisser le droit en contradiction, jusqu’à ce que l’Etat décide de prendre compte de la directive
b. Un nécessaire complément à cette effectivité
  • Principe de arrêt Palazzi (non édiction d’acte contraire) laisse subsister des inégalités au sein de la communauté européenne
  • Le principe rappelé ici écarte cet inconvénient et oblige les autorités à prendre les mesures nécessaires à la transposition sous peine de l’intervention du juge administratif pour l’y contraindre

B. Un arrêté de protection devenu illégal du fait du changement des circonstances de droit

1) Un changement de circonstance de droit
a. Les conditions d’un tel changement
  • Une modification du droit de référence : la loi ou en l’espèce le droit communautaire dérivé. La directive ayant des objectifs, ceux ci doivent être appliqués.
  • Une modification de ce droit de référence postérieure à l’acte contrôlé
b. L’existence d’un tel changement en l’espèce
  • Un arrêté de 1981 s’appliquant sur une directive de 1979.
  • Mais une annexe modifiée par une directive de 1985 change les circonstance de droit
2) Une contradiction entre la directive et l’arrêté conséquente
a. Des dispositions européennes non appliquées
  • La protection de l’habitat des espèces et de leurs oeufs ordonnées par la directives
  • Un arrêté ministériel ne tenant pas compte de cette exigence
b. Un refus de mise en conformité sanctionné
  • Une demande du 14 juin 1990 de modification de cet arrêté ministériel refusée sans doute tacitement
  • L’application du principe entraîne, logiquement, l’annulation de ce refus. L’arrêté est donc reconnu illégal.