Chapitre 8 : Le soutien au marché : les aides d’État

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Le droit des aides d’État est un pan européen du droit de la concurrence.
C’est la 3ème branche du droit de la concurrence, qui présente des ressemblances et des dissemblances avec les 2 autres branches.

Ressemblance entre le droit des aides d’État et le contrôle des concentrations : c’est un contrôle ex ante (les aides d’État doivent être notifiées), à la différence du droit des pratiques anticoncurrentielles (contrôle ex post).

Différence entre droit des aides d’État et les 2 autres composantes : le sujet.
En droit des aides d’État, c’est l’État qui est visé par les interdictions, là où le droit des pratiques anticoncurrentielles et le contrôle des concentrations ont pour sujet les entreprises.

Comme souvent, le droit de l’Union ne prévoit pas d’interdiction de principe des aides d’État.
Il prévoit un principe d’incompatibilité des aides d’État au droit de l’UE, mais prévoit d’importantes exceptions.

Les aides d’Etat demeurent légitimes en tant qu’instruments économiques entre les mains des États membres.
Elles font l’objet d’un contrôle attentif, parce qu’elles peuvent être sources de distorsions de concurrence.

En droit de l’UE, 2 dispositions encadrent ces aides :

  1. L’article 107 du TFUE pose des principes de fond : pose le principe d’incompatibilité des aides avec le marché européen (§1), puis des dérogations (§2).
  1. L’article 108 du TFUE concerne toutes les règles de procédure

Les enjeux pour les États membres sont très importants, notamment parce que les aides d’État sont soumises à une obligation de notification à la Commission européenne.

Si l’aide n’est pas notifiée à la Commission européenne, elle est illégale.
Si l’aide est notifiée à la Commission européenne, elle est légale ; en revanche, elle pourra encore être déclarée incompatible avec le marché intérieur par la Commission.

⚠️
Il faut bien distinguer entre aide illégale (versée sans avoir été notifiée) et aide incompatible (notifiée, mais porte atteinte au droit de l’UE).

Section 1 : La notion d’aide d’État

C’est à l’article 107§1 que l’on trouve les critères d’une aide d’État, qu’il faut combiner à la lecture qu’en fait le juge de l’Union (CJCE, 21 mars 1990, Belgique c. Commission).
Il en découle 4 critères cumulatifs qui permettent d’identifier une aide d’État :

  1. La mesure doit procéder d’une intervention de l’État ou être versée au moyen de ressources d’État ;
  1. La mesure procure un avantage au bénéficiaire ;
  1. L’intervention est susceptible d’affecter les échanges entre États membres ;
  1. Elle fausse ou menace de fausser la concurrence.

De plus, il y a un critère préalable : il faut que l’entité bénéficiaire de l’aide soit une entreprise au sens du droit de la concurrence (CJCE, 22 mai 2003, Freskot).

§ 1. Une aide accordée par un État ou au moyen de ressources d’État

Ces notions sont entendues de manière extrêmement large.

La notion d’État inclut les collectivités infra-étatiques (CJCE, 14 octobre 1987, RFA c. Commission) ainsi que les entreprises publiques.

La notion de « ressources d’État » signifie que l’aide doit être versée au moyen de « ressources publiques ».
Cela inclut les avantages accordés directement par l’État, mais aussi les avantages accordés par l’intermédiaire d’un organisme public ou privé institué par l’État pour gérer l’aide (exemple : la Caisse des dépôts et consignations).

§ 2. L’avantage économique

Pour être une aide d’État, la mesure doit accorder un avantage économique à son bénéficiaire.

A – Un avantage anormal

L’idée d’anormalité est au cœur de cette notion.
Les autorités européennes ont rapidement forgé un test : celui de l’intervention « dans des conditions normales de marché ».

Est-ce que la personne publique adopte un comportement rationnel, proche de celui qu’aurait adopté un investisseur privé cherchant à faire une bonne opération ?
→ Test de « l’investisseur privé en économie de marché ».

Si la réponse est positive, alors l’aide n’est pas une aide d’État.

Exemple : CJUE, 4 septembre 2014, SNCM :
La CJUE utilise ici ce test de « l’investisseur privé en économie de marché ».
Dans cette affaire, l’Etat français n’a pas passé ce test.

B – Un avantage sélectif

L’article 107§1 du TFUE vise les avantages accordés à « certaines entreprises ou certaines productions ».

C – Une absence de contrepartie

L’aide suppose une absence de contrepartie.
Il n’y aura pas d’aide d’État :

  • Si la mesure rémunère une prestation ;
  • Si la mesure compense les charges que l’organisme supporte du fait de sa mission de service public.

→ Dans ces cas, il y a une contrepartie.

1er cas : la rémunération d’une prestation :

La rémunération d’une prestation n’est pas une aide d’État, parce qu’il y a une contrepartie. On considère donc qu’il n’y a pas d’avantage économique.

Attention : si la personne publique paie la prestation à un prix excessif, le risque d’aide d’État subsiste.
Exemple : Conseil d’État, 27 février 2006, Ryanair :
La CCI de Strasbourg avait payé à Ryanair des activités de promotion touristique de la région à un prix excessif.

2ème cas : la compensation des charges générées par des obligations de service public

On rencontre souvent cette hypothèse face à une entreprise chargée d’une mission de service public.

CJCE, 24 juillet 2003, Altmark :
Les compensations versées aux SIEG ne sont pas des aides d’État, car elles n’octroient pas à leur bénéficiaire un avantage : elles compensent juste les chargées liées au service public.

On a eu très peur que le service public « à la française » soit complètement menacé par le droit de l’UE.
Cet arrêt permet de mettre le financement du service public à l’abri du droit de la concurrence.

Pour être considérées comme des compensations et non des aides d’État, il faut qu’elles remplissent 4 conditions :

  1. Les obligations de service public sont clairement définies.
  1. La compensation repose sur des critères objectifs et transparents.
  1. Il n’y a pas de surcompensation.
  1. Une condition alternative :
    • Soit le service public a été attribué via une procédure de mise en concurrence ;
    • Soit la compensation est déterminée sur la base des coûts que supporterait, pour l’exécution de la même mission, une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement équipée.

    → Critère d’efficience

Application : Conseil d’État, 13 juillet 2012, Communauté de communes d’Erdre et Gesvres :
Il était question de la construction de l’aéroport Notre-Dame des Landes.
Cette construction a été considérée comme une compensation d’obligations de service public en application des 4 critères.

§ 3. L’aide affecte les échanges entre les États membres

Cette condition remplie dès que l’entreprise exerce une activité économique qui fait l’objet d’échanges entre les pays de l’UE, ou qu’il n’est pas exclu que l’entreprise entre en concurrence avec des opérateurs européens.

Attention : même une aide de faible importance peut affecter les échanges entre États membres (CJCE, 26 septembre 2002, Espagne c. Commission).
Des règlements de minimis permettent d’écarter du droit des aides d’État les petits financements.

§ 4. L’aide fausse ou menace de fausser la concurrence

Là encore, l’interprétation de cette condition est extensive, puisqu’une simple menace d’atteinte à la concurrence suffit.

Section 2 : Les dérogations

💡
La jurisprudence Altmark n’est pas une dérogation, puisque lorsqu’elle s’applique, on sort du champ des aides d’État.

§ 1. Panorama des dérogations

Plusieurs mécanismes permettent de déroger à l’article 107 §1 :

A – Dérogations de plein droit

Les dérogations de plein droit sont prévues à l’article 107 §2.
Elles visent par exemple les aides destinées à remédier aux dommages causés par les calamités naturelles ou d’autres événements extraordinaires.

B – Aides pouvant être déclarées compatibles

Il existe plusieurs types de dérogations individuelles :

  • Article 107 §3 : peuvent être déclarées compatibles certaines aides attribuées aux régions défavorisées (a), destinées à favoriser la réalisation d’un projet important d’intérêt européen commun ou à remédier à une perturbation grave de l’économie d’un État membre (b), destinées à promouvoir la culture et la préservation du patrimoine (d).
  • Article 106 §2 du TFUE : la dérogation générale fondée sur la présence d’un SIEG s’applique aussi en matière d’aides d’État.
  • Article 93 du TFUE : permet une dérogation en matière de transports.

§ 2. Les assouplissements liés à la crise de la Covid-19

Certains articles du TFUE ont pu être utilisés pour aider les entreprises lors de la crise du Covid-19 : les articles 107§2b et 107§3b.

Exemple : Tribunal de l’UE, 17 février 2021, Ryanair DAC c. Commission :
Le juge s’est prononcé sur l’application, dans le contexte de la crise du Covid-19, des articles 107§2b et §3b, à propos de mesures françaises et suédoises.
En l’espèce, il était question d’une mesure notifiée par la France à la Commission en mars 2020, sous la forme d’un moratoire sur le paiement de la taxe d’aviation civile.
La Commission a confirmé que l’épidémie de Covid consistait un « évènement extraordinaire » au sens de l’article 107§2.
Ryanair saisit le Tribunal de l’UE, qui confirme que cette crise était bien un « évènement extraordinaire ».

Section 3 : La procédure de contrôle des aides d’État

§ 1. Le rôle de la Commission européenne (contrôle de compatibilité de l’aide)

Le TFUE octroie à la Commission européenne une compétence exclusive pour apprécier la compatibilité des aides avec le marché intérieur.

Ce qui rend possible le contrôle de la Commission, c’est la notification : l’article 108 §3 prévoit une obligation de notification du projet d’aide.

La Commission européenne peut prendre plusieurs types de décisions :

  • La mesure n’est pas une aide ;
    Par exemple, si on est face à un service public qui entre dans la qualification de SIEG et que les 4 conditions de la jurisprudence Altmark sont remplies.
  • La mesure est une aide compatible ;
  • La mesure est une aide incompatible.

Si l’aide a malgré tout été versée, le bénéficiaire a l’obligation de la restituer.

§ 2. Le rôle du juge national (contrôle de la légalité de l’aide)

CJCE, 11 décembre 1973, Lorenz :
Le juge national a un rôle à jouer, car l’article 108 §3 du TFUE (qui impose aux Etats membres de notifier les projets d’aide) est d’effet direct.

En France, c’est le juge administratif qui est compétent. Il va donc pouvoir vérifier le respect de la procédure de notification.

De prime abord, la répartition des rôles entre Commission européenne et juridictions nationales est simple :

  • Les juridictions nationales sont chargées de vérifier la légalité procédurale : l’aide a-t-elle bien été notifiée ?
  • La Commission européenne intervient sur le fond : l’aide est-elle compatible ?
💡
La Commission européenne est toujours placée sous le contrôle du juge européen.

En réalité, les choses sont un peu plus complexes : le juge national a bien d’autres pouvoirs qu’un rôle purement procédural. Il intervient à divers titres :

  • Qualifier la mesure d’aide d’État ;
    C’est son seul moyen de dire si l’aide aurait dû être notifiée ou non.
  • Identifier les aides illégales ;
  • Suspendre le versement des aides, ordonner la récupération de l’aide, accorder des dommages et intérêts aux entreprises concurrentes du bénéficiaire…

    Exemple : CAA Marseille, 22 février 2021, Collectivité de Corse c. Société Corsica Ferries France, n°17MA01582 et n°17MA01583.
    C’est une nouvelle forme de private enforcement : le juge administratif vient indemniser le préjudice de Corsica Ferries du fait de l’aide illégale accordée à Corsica Linea (ex SNCM).

Le rôle du juge national a été retracé de manière très complète dans une communication de la Commission européenne du 25 février 2009.

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