Commentaire de texte : CIJ, avis consultatif du 22 juillet 2010 (déclaration d’indépendance du Kosovo)

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Auteur du commentaire : Timothée Peraldi

Depuis sa création en 1945, plus de 80 anciennes colonies et 11 territoires sous tutelle ont acquis leur indépendance ou sont parvenus à l’autodétermination selon l’Organisation des Nations unies, qui se targue d’avoir joué un rôle majeur dans ce processus, en se fondant sur l’application du droit international ; l’article premier de la Charte des Nations unies établit en effet le “principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes”.

Ce document, qui est un extrait d’un avis consultatif rendu le 25 février 2019 par la Cour internationale de justice, organe législatif principal de l’ONU ayant pour rôle de se prononcer sur des différends entre États, intitulé Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, illustre bien ce rôle joué par le droit international dans le processus de décolonisation et les difficultés qui l’accompagnent. Cet avis, demandé en 2017 par l’Assemblée générale des Nations unies, porte sur le conflit opposant le Royaume-Uni et la République de Maurice depuis l’indépendance de cette dernière en 1968 au sujet de la souveraineté de l’archipel des Chagos, dans l’océan Indien. “L’île Maurice et ses dépendances” ont en effet été sous le contrôle continu du Royaume-Uni entre 1814 et 1968, quand Maurice a accédé à son indépendance et est devenu un État souverain. L’accord de Lancaster House du 23 septembre 1965 conclu entre le Royaume-Uni et le conseil des ministres de Maurice, alors encore une colonie sous l’autorité du Royaume-Uni, avait auparavant organisé le détachement de l’archipel des Chagos du territoire mauricien pour le passer sous l’administration du Royaume-Uni, avec la condition que cet archipel “soit restitué à Maurice ultérieurement”. Cet accord a ensuite été dénoncé par le gouvernement mauricien, qui réclame la restitution de l’archipel. Les habitants de l’archipel ont quant à eux été progressivement expulsés entre 1968 et 1973, et nombre d’entre eux réclament encore aujourd’hui le droit de retourner y vivre, accentuant ainsi les tensions entre les deux pays.

Dans cet avis du 25 février 2019, la Cour internationale de justice s’interroge sur le droit à l’autodétermination des peuples et ses limites dans le contexte du processus de décolonisation, ainsi que sur la responsabilité des puissances colonisatrices en cas de décolonisation illicite ou incomplète. Si cet avis peut sembler tardif, plus de 50 ans après les faits et alors que la période de décolonisation est généralement considérée comme achevée, elle est importante dans un contexte où les tensions relatives à la décolonisation persistent, voire tendent à s’envenimer.

Quelles solutions la Cour internationale de justice propose-t-elle pour résoudre ce conflit lié à une décolonisation contestée car jugée incomplète ?

La CIJ, dans le contexte de ce conflit opposant Maurice et le Royaume-Uni sur la question de l’archipel de Chagos, réaffirme expressément le droit international prohibant des actions telles que celles prévues par l’accord de Lancaster House, sans pour autant parvenir à proposer de solutions réalistiquement applicables pouvant conduire à la résolution de ce conflit. Dans un premier temps, nous étudierons la façon dont la Cour réaffirme le principe du droit à l’autodétermination des peuples (I) ; nous nous intéresserons ensuite à l’application floue de ce principe au cas d’espèce (II).

I – Le principe : le droit à l’autodétermination des peuples

Dans cet avis, la Cour internationale de justice réaffirme le caractère obligatoire du principe du droit à l’autodétermination des peuples, à travers le prisme du respect de l’intégrité territoriale (A), avant d’examiner la possibilité de détachement d’une partie d’un territoire non autonome en cas de volonté du peuple (B).

A – L’obligation du respect de l’intégrité territoriale

Grandes idées :

Le cas d’espèce étudié par la Cour porte sur le détachement par une puissance coloniale (le Royaume-Uni) d’une partie du territoire d’une de ses colonies (Maurice) avant l’indépendance de cette dernière, afin d’en conserver le contrôle, c’est pourquoi elle étudie le droit à l’autodétermination sous l’angle de la condition de respect de l’intégrité territoriale.

La Cour établit le principe qu’un peuple doit pouvoir exercer son droit à l’autodétermination sur l’ensemble de son territoire : “les peuples des territoires non autonomes sont habilités à exercer leur droit à l’autodétermination sur l’ensemble du territoire, dont l’intégrité doit être respectée par la puissance administrante” (l.10). Elle établit ce principe sur la base du paragraphe 6 de la résolution 1514 de l’Assemblée générale des Nations unies, mais également sur la base du “droit à l’intégrité territoriale d’un territoire non autonome”, qu’elle estime confirmé par la coutume, c’est-à-dire à la fois par la pratique des États lors du processus de décolonisation et par l’opinio juris, c’est-à-dire la conscience d’être lié par une obligation juridique ; elle fonde cette solution sur le principe d’équivalence des sources du droit international, en vertu de laquelle la coutume internationale a la même valeur qu’un traité conclu entre États tel que celui de Lancaster House.

La Cour conclut donc qu’un détachement d’une partie d’un territoire non autonome entre en contradiction directe avec le droit à l’autodétermination, mais établit néanmoins une exception : un tel détachement reste possible en cas de volonté du peuple.

B – L’exception en cas de volonté du peuple

Grandes idées :

La Cour internationale de justice rappelle néanmoins qu’un détachement d’une partie d’un territoire non autonome reste néanmoins possible s’il est “fondé sur la volonté librement exprimée et authentique du peuple du territoire concerné” (l.13). Elle tente ensuite de limiter la portée de cette exception, en affirmant que la simple acceptation par les représentants d’une colonie ne constitue pas une expression de la volonté du peuple de celle-ci conforme aux dispositions de la résolution 1514. Une réelle consultation du peuple, et non le simple accord de ses représentants, est donc nécessaire pour effectuer un tel détachement ; un référendum, par exemple, pourrait ici être envisagé.

Après avoir ainsi établi ce principe et ses limites, la Cour l’applique à ce conflit portant sur l’archipel des Chagos.

II – Une application floue de ce principe au cas d’espèce

Dans cet avis, la Cour internationale de justice détermine que le Royaume-Uni a violé le principe d’autodétermination des peuples, en détachant illégalement l’archipel des Chagos du territoire mauricien, engageant ainsi sa responsabilité (A), mais la portée de cet avis reste incertaine (B).

A – En l’espèce, une violation du droit international applicable

Grandes idées :

La Cour, après avoir rappelé que Maurice était encore sous l’autorité du Royaume-Uni lorsque l’accord de Lancaster House a été signé, conclut que “il n’est pas possible de parler d’un accord international” et que le détachement de l’archipel de Chagos organisé par celui-ci “n’a pas été fondé sur l’expression libre et authentique du peuple”.

Elle souligne également que l’Assemblée générale des Nations unies, dans sa résolution 2066 du 16 décembre 1965, a rappelé au Royaume-Uni son obligation de “respecter l’intégrité territoriale de Maurice”, en l’invitant à revenir sur l’accord de Lancaster House passé quelques mois plus tôt.

De ces deux éléments, la Cour conclut que le détachement de l’archipel des Chagos du territoire mauricien était “illicite”, et que par conséquent la décolonisation de Maurice a été réalisée en violation du droit des peuples à l’autodétermination. Le Royaume-Uni est donc, selon la Cour, dans l’obligation “dans les plus brefs délais, de mettre fin à son administration de l’archipel des Chagos” (l.53). Elle souligne également que cette administration au mépris du droit international “engage la responsabilité internationale” (l.49) du Royaume-Uni, ce qui signifie que le Royaume-Uni pourrait être tenu de réparer le tort causé à Maurice et/ou aux habitants expulsés de l’archipel de Chagos.

Cet avis n’étant néanmoins que consultatif, sa portée semble incertaine.

B – Un avis à la portée incertaine

Grandes idées :

La Cour rappelle qu’elle ne donne qu’un avis consultatif et que les modalités de mise en œuvre de l’achèvement de la décolonisation du territoire mauricien doivent être déterminées par l’Assemblée générale des Nations unies.

Il semble donc peu probable que cet avis, et la résolution qui en découle, permettent la fin de ce conflit, puisque malgré le rappel par la Cour de la fonction de coopérer du droit international affirmée par la résolution 2625 de l’Assemblée générale (« Tout Etat a le devoir de favoriser […] la réalisation du principe de l’égalité de droits des peuples et leur droit à disposer d’eux-mêmes »), les Nations unies ne semblent pas en mesure de forcer le Royaume-Uni à appliquer les décisions de l’Assemblée générale relatives à l’archipel de Chagos.

Enfin, la CIJ refuse de se prononcer sur les dispositions relatives au retour des habitants de l’archipel.

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