Chapitre 6 : L’établissement d’un système de sécurité collective sous l’égide du Conseil de sécurité des Nations Unies

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Au titre du chapitre 6 de la Charte des Nations Unies, il est prévu que le Conseil de sécurité et l’AGNU jouent un rôle actif dans le règlement pacifique des différends.

Pouvoirs du Conseil de sécurité :
> pouvoir d’enquête
> pouvoir de recommandation des termes de règlement des différends (= rôle de médiateur)

Pouvoirs de l’AGNU :
> pouvoir de discussion
> pouvoir de recommandation
(rôle pas aussi explicite que celui du Conseil de sécurité)

Le chapitre 7 de la Charte établit le système de sécurité collective.
Seul le Conseil de sécurité intervient dans le cadre de ce système.
L’article 24 de la Charte dispose que le Conseil de sécurité a la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales.
En pratique, l’AGNU a pu interpréter assez largement ces compétences pour se substituer à cet organe en cas de blocage, notamment depuis la résolution Acheson de 1950 (dans le contexte de la guerre de Corée).

Les États ont renoncé à leur droit de faire la guerre, et conféré au Conseil de sécurité des pouvoirs pour rétablir la paix et la sécurité internationales.
Le plus important de ces pouvoirs est celui de faire usage de la force à leur place ; le Conseil de sécurité dispose du monopole du recours à la force (sauf hypothèse de légitime défense).

Depuis l’adoption de la Charte en 1945, les dispositions du chapitre 7 sont restées inchangées, mais le système de sécurité collective a connu de profondes mutations, en raison de l’évolution du contexte politique, mais aussi de la nature des menaces qui pèsent sur la paix et la sécurité internationales.

Contenu

Section 1 : Le système de sécurité collective prévu par la Charte des Nations Unies

I – Le fonctionnement du système de sécurité collective

A – Les pouvoirs octroyés au Conseil de sécurité

1) La constatation d’une menace contre la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression (article 39)

Il y a 3 situations que le Conseil de sécurité doit constater avant de pouvoir agir sur le fondement des articles 41 et 42 :
1- une menace contre la paix
2- une rupture de la paix
3- un acte d’agression

Ces 3 situations ne peuvent pas donner lieu au recours à la légitime défense (seul un acte d’agression peut le justifier).

2) L’adoption des mesures non coercitives (article 40)

L’article 40 de la Charte prévoit la faculté pour le Conseil de sécurité d’adopter des “mesures provisoires” ; par exemple : inviter les États intéressés à respecter un cessez-le-feu.

“En cas de non-exécution de ces mesures provisoires, le Conseil de sécurité tient dûment compte de cette défaillance” → il peut ensuite prendre des mesures de coercition (= sanctions) au vu des articles 41 et 42.

3) L’adoption des mesures non militaires (article 41)

L’article 41 de la Charte prévoit la faculté pour le Conseil de sécurité d’adopter des sanctions non militaires. Celles-ci sont privilégiées en cas de non-respect des mesures provisoires.
Exemple : embargo, rupture des relations diplomatiques.

La nature des sanctions adoptées dépend de la situation.

4) L’adoption des sanctions militaires (article 42)

L’article 42 de la Charte prévoit la faculté pour le Conseil de sécurité d’adopter des sanctions militaires.

B – Les capacités militaires du Conseil de sécurité

L’article 47 de la Charte dispose que : “Il est établi un Comité d’état-major chargé de conseiller et d’assister le Conseil de sécurité pour tout ce qui concerne les moyens d’ordre militaire nécessaires au Conseil pour maintenir la paix et la sécurité internationales, l’emploi et le commandement des forces mises à sa disposition […]”.

La limite principale de ce système de sécurité collective est qu’il est supervisé par les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale, à qui on a confié la mission de garantir la paix et la sécurité internationales en leur conférant un privilège décisionnel.

II – Les faiblesses du système de sécurité collective

A – Le privilège décisionnel des membres permanents du Conseil de sécurité

L’ONU est fondée sur l’accord des “5 grands”, à qui on a confié la mission de garantir la paix et la sécurité internationales en leur conférant un privilège décisionnel.
Aux termes de l’article 27 de la Charte, toute décision du Conseil de sécurité (sauf les décisions de procédure) sont adoptées à la majorité des 9 voix, dont les voix des 5 membres permanents.
→ Le Conseil de sécurité apparaît comme un organe hiérarchisé, à la représentation profondément inégalitaire.

Les modalités de vote ont été assouplies par la pratique ultérieure : si un membre s’abstient, cela n’empêche pas, en vertu de l’avis consultatif rendu par la CIJ en 1975 dans l’affaire de la Namibie.

Le système de sécurité collective a été activé pour la 1ère fois en 1950 lors de la guerre de Corée.
Dans le contexte de la guerre froide, le droit de veto a fait l’objet d’un usage immodéré.

💡 En vertu des articles 5 et 6 de la Charte, pour exclure un membre permanent, il faut son accord.

B – Le maintien du droit naturel de légitime défense

Le recours à la force est encadré : l’usage de la légitime défense demeure sous le contrôle du Conseil de sécurité, à travers le devoir d’information établi à l’article 51 de la Charte.

La légitime défense est cantonnée à la riposte immédiate à une agression ; elle doit être provisoire et proportionnée.

⚠️ Elle n’est en aucun cas soumise à l’autorisation du Conseil de sécurité.

I – La paralysie du système jusqu’à la fin de la guerre froide

A – Les causes et manifestations de la paralysie

L’abus du droit de veto a conduit à une paralysie du système de sécurité collective.

De plus, il n’y a pas eu de formation d’état-major, ni de mise à disposition de moyens militaires, comme prévu par la Charte.
Ce n’est donc pas le Conseil de sécurité qui agit militairement, mais les États membres et/ou organisations régionales de défense et de sécurité collective qui interviennent.
Le Conseil de sécurité habilite les États membres à intervenir militairement.

Le Conseil de sécurité a pu agir dans le contexte de la guerre de Corée :

Rappel historique :
Depuis 1948, 2 régimes se partagent la Corée, sur fond de désaccord entre URSS et États-Unis.
En juin 1950, l’armée nord-coréenne pénètre au sud. Le Conseil de sécurité, dans sa résolution 82 du 25 juin 1950, demande la cessation des hostilités et le retrait des troupes nord-coréennes.

Cette résolution n’est pas respectée, le Conseil de sécurité en adopte donc d’autres : la résolution 84 “recommande aux membres de l’ONU d’apporter à la [Corée du Sud] toute l’aide nécessaire pour repousser les assaillants et rétablir la paix et la sécurité internationales”.

De même, dans le cadre de l’invasion du Koweït par l’Irak, le Conseil de sécurité habilite les États membres à intervenir militairement : “autorise les États membres à user de tous les moyens nécessaires pour rétablir la paix et la sécurité internationales dans la région”.

Si le Conseil de sécurité a pu statuer dans le contexte de la guerre de Corée, c’est en raison du contexte exceptionnel.
Au cours de la guerre froide, un autre exemple est la Rhodésie du Sud, contre laquelle le Conseil de sécurité avait adopté des sanctions de nature économique.

B – Les conséquences de la paralysie

1) L’affirmation du rôle de l’AGNU en matière de maintien de la paix

Le blocage du Conseil de sécurité a pour conséquence le renforcement du rôle de l’AGNU en matière de maintien de la paix.
L’AGNU a interprété de manière extensive les compétences qui lui sont dévolues par la Charte.

Les articles 11 et 12 disposent que la compétence de l’AGNU en matière de maintien de la paix est subsidiaire. Elle peut émettre des recommandations et n’a pas de pouvoir décisionnel.

L’AGNU s’est émancipée de la lettre en interprétant de manière souple les articles 11 et 12, notamment dans le cadre de la résolution 377 (V) “Union pour le maintien de la paix”, dite “résolution Acheson”, adoptée le 3 novembre 1950.
Dans cette résolution, l’AGNU se substitue au Conseil de sécurité en cas de blocage de celui-ci.

Elle constate d’abord l’existence d’une menace.
Ici, “blocage” signifie l’absence d’unanimité → recouvre l’hypothèse où l’un des membres décide de faire usage de son droit de véto.
→ Elle crée un système de sécurité collective parallèle, non prévu par la Charte.

Si l’AGNU ne siège pas à ce moment-là, une session extraordinaire est convoquée, soit à la demande du Conseil de sécurité, soit au vote d’une majorité d’États membres.

La résolution Acheson a ensuite été appliquée ; c’est une sorte de coutume qui modifie la Charte.

L’AGNU s’est réunie 11 fois en session extraordinaire d’urgence, dans le contexte d’un blocage du Conseil de sécurité du fait de l’absence d’unanimité des membres permanents.
Elle l’a été pour la dernière fois en mars 2022, dans le contexte de l’agression russe contre l’Ukraine.
(Le 27 février 2022, le Conseil de sécurité constatait l’absence d’unanimité l’empêchant d’exercer sa fonction principale, et convoquait l’AGNU.)

2) Le développement des opérations de maintien de la paix

Face à l’impossibilité de mettre en œuvre le chapitre 7, l’ONU s’est tournée vers les opérations de maintien de la paix (= casques bleus), qui ne sont pas prévues par la Charte.

Leur mission originelle est de garantir un cessez-le-feu sur le terrain.
Elles ne constituent pas une violation de la souveraineté des États, parce qu’elles sont instituées avec l’accord des États concernés, et qu’elles ne peuvent pas exercer de coercition militaire.

Certains ont parlé de “chapitre 6,5”, parce que les opérations de maintien de la paix se trouvent au carrefour des chapitres 7 et 8.

Par exemple, la Force d’urgence des Nations unies (FUNU) est une opération de maintien de la paix déployée en Égypte lors de la crise du canal de Suez (1956) puis suite à la guerre du Kippour (1973).

3) L’invocation du droit naturel à la légitime défense

Plusieurs alliances défensives régionales se sont constituées afin de mettre en oeuvre des systèmes de défense collective, qui prévoient que si l’un des États membres fait l’objet d’une agression, alors ses alliés peuvent intervenir en sa faveur.

Les États ont invoqué dès la guerre froide leur droit à la légitime défense.
Exemple : les États-Unis lors de la guerre du Vietnam.

Israël a invoqué un “droit de légitime défense préventive” pour intervenir militairement en Égypte en 1967 (guerre des Six Jours), mais cette revendication n’est pas fondée en droit international.

II – La réactivation et l’élargissement du système durant les années 1990

A – Le cas emblématique du la guerre du Golfe (1990-1991)

À la suite de l’invasion du Koweït par l’Irak en août 1990, le Conseil de sécurité a fait usage des pouvoirs conférés par la Charte au titre des articles 40, 41 et 42.

Dans sa résolution 660, après avoir constaté une rupture de la paix et de la sécurité internationales, le Conseil de sécurité a exigé le retrait des troupes irakiennes et des négociations entre les 2 pays.
Cette résolution n’a pas été respectée.

Dans sa résolution 661, le Conseil de sécurité a adopté des sanctions économiques à l’encontre de l’Irak, qui comportaient notamment un embargo et des restrictions financières importantes.

Par sa résolution 678, le Conseil de sécurité lance un dernier ultimatum à l’Irak.
Il y “autorise les États membres” “à user de tous les moyens nécessaires pour faire respecter et appliquer la résolution 660 […] et pour rétablir la paix et la sécurité internationales dans la région”.
→ illustre le recours à la force

La résolution 687, prise à la suite de la libération du Koweït, a imposé à l’Irak plusieurs obligations de désarmement (mais le régime irakien est resté en place).
Dans une résolution ultérieure, le Conseil de sécurité a aussi autorisé l’assistance humanitaire sur le territoire irakien.

Cet exemple de la guerre du Golfe illustre non seulement la réactivation du système de sécurité collective bloqué depuis les années 1950, mais aussi la progressivité des mesures collectives employées pour rétablir la paix et la sécurité internationales.

💡
Progressivité des mesures collectives :
1- Mesures provisoires
2- Sanctions non militaires
3- Autorisation pour les États membres à intervenir militairement
4- Obligations de désarmement + assistance humanitaire

B – Le développement des moyens d’action du Conseil de sécurité

Le Conseil de sécurité a constaté l’existence de nouvelles menaces à la paix et la sécurité internationales : ce ne sont plus uniquement des conflits internationaux, mais aussi des conflits internes.
En 1992, le président du Conseil de sécurité affirme que “la paix et la sécurité internationales ne découlent pas seulement de l’absence de guerre et de conflit armé”.
Le Conseil de sécurité a notamment pu considérer des épidémies (ex : Ebola) comme des menaces contre la paix et la sécurité internationales.
Le réchauffement climatique pourrait-il être concerné dans le futur ?

Le Conseil de sécurité a largement utilisé son pouvoir de sanction non militaire, notamment par le biais de sanctions économiques.

Les actions d’assistance humanitaire de grande envergure sont une autre manifestation de l’élargissement du système de sécurité collective : le Conseil de sécurité intervient dans des situations de catastrophes humanitaires, notamment dans le cadre de répressions de populations.
Dans ces cas-là, il n’y a pas d’autorisation d’action militaire, mais simplement l’autorisation d’actions d’assistance humanitaire.
Exemple : résolution 688 sur l’Irak ; résolution 770 sur la Bosnie-Herzégovine.

On constate aussi une accélération et un changement de nature des opérations de maintien de la paix.
Entre 1988 et 1992, il y a eu plus d’opérations de maintien de la paix que pendant les 40 années précédentes.
À l’origine, les missions de maintien de la paix ont seulement une mission d’interposition entre les belligérants, en faisant respecter un cessez-le-feu.
Désormais, les opérations de maintien de la paix interviennent au sein même des États, soit pour imposer la paix, soit pour rétablir la paix, notamment par la reconstruction des structures étatiques.
→ rupture avec la mission originelle des opérations de maintien de la paix

III – Vers un contournement du système depuis la fin des années 1990

A – Les interventions militaires unilatérales contre des États tiers

1) Le cas du Kosovo (1999)

Le Kosovo est une province située sur le territoire serbe, peuplée d’une minorité qui avait des velléités de faire secession.
Une opération militaire a été menée par la Serbie sans l’autorisation du Conseil de sécurité.

Suite au refus de la Russie et de la Chine, le Conseil de sécurité n’a pas autorisé de sanctions militaires. Sans habilitation explicite du Conseil de sécurité, l’OTAN est intervenue militairement pour mettre fin à ce conflit interne, et a organisé le déploiement d’une force internationale pour administrer la région.

L’OTAN ne pouvait pas invoquer la légitime défense, ni l’intervention sollicitée.
Elle a invoqué l’intervention militaire pour motifs humanitaires.

Néanmoins, la responsabilité principale de protéger la population civile revient à l’État territorial (ici, la Serbie), et ce n’est qu’en cas de carence de l’État territorial que la communauté internationale dans son ensemble peut intervenir.
Il peut donc y avoir une intervention militaire humanitaire, mais à la condition que l’État territorial soit défaillant.

2) Le cas de l’Afghanistan (2001)

Au lendemain des attaques du 11 septembre 2001, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 1368, dans laquelle il considère les attaques terroristes comme des menaces contre la paix et la sécurité internationales.

Les États-Unis ont préféré jouer la carte de la légitime défense plutôt que de passer par le Conseil de sécurité.

Pour établir la licéité de cette intervention, il faut se poser la question : peut-on considérer Al-Qaïda comme un agent de l’État afghan ?
La possibilité de rattacher des actes terroristes à un État est ouvert par la résolution 3314 de l’AGNU (qui définit l’agression).

3) Le cas de l’Irak (2003)

Les États-Unis sont intervenus unilatéralement sur le sol irakien en 2003.
Cette intervention a été fortement condamnée à l’époque, parce qu’elle est intervenue en l’absence de toute autorisation du Conseil de sécurité.

Les États-Unis ont utilisé l’argument de l’autorisation implicite par la résolution 1441 du Conseil de sécurité (2002), qui ne tenait pas la route.
Ils ont aussi invoqué la résolution 678, intervenue 10 ans auparavant ; cet argument ne fonctionne pas non plus, parce qu’elle autorisait le recours à la force armée dans le contexte bien particulier de l’invasion du Koweït.

Idée : les États-Unis ont agi en “légitime défense préventive”, qui n’est pas admise en droit international public.
L’intervention américaine en Irak de 2003 est donc totalement illicite au regard du droit international.

4) Le cas de l’Ukraine (2022)

Les justifications de la Russie ne sont pas claires.

B – Les interventions militaires unilatérales dans le contexte de la lutte contre le terrorisme transnational

Certains États ont tenté d’invoquer leur droit de légitime défense dans le contexte du terrorisme transnational.
Cette invocation est très discutable, dans la mesure où le droit à la légitime défense n’est admis qu’en cas d’agression armée des États → exclut les organisations transnationales.

Exemple :
Dans le cadre de la lutte contre Daesh, la France est d’abord intervenue militairement au motif de la légitime défense collective de l’Irak.
Après les attentats de 2015, la justification de la France a changé ; elle agit désormais dans le cadre de sa légitime défense individuelle.

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