Chapitre 5 : Le principe d’interdiction du recours unilatéral à la force armée dans les relations internationales

Cliquer ici pour retourner au sommaire du cours.

Section 1 : Un principe consacré par la Charte des Nations Unies

Cette section porte sur 2 des mythes fondateurs des Nations Unies :
1. la mise hors-la-loi de la guerre
2. la consécration de la paix par le droit
→ objectif de l’ONU : le maintien de la paix et de la sécurité internationales

La chapitre 6 de la Charte des Nations Unies porte sur le règlement pacifique des différends.
Le chapitre 7 porte sur l’action en cas de menace de la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression.
L’article 2 de la Charte interdit l’usage de la force armée et impose le règlement des différends par la voie pacifique.

I – La mise “hors la loi” de la guerre

A – L’origine de l’interdiction

Le droit international classique (16e au 18e siècle) n’a jamais restreint le recours à la guerre : les États jugeaient seuls si la guerre était envisageable ou pas.
Jusqu’à l’adoption du pacte de la Société des Nations, la guerre est vue comme une manifestation normale de la souveraineté des États.

On faisait néanmoins la distinction entre la guerre dite “juste” et la guerre “injuste” : les guerres “injustes” sont celles déclenchées par surprise, sans déclaration de guerre.

La Convention de La Haye de 1907, aussi dite “Convention Drago-Porter”, constitue une première tentative de limitation du recours à la guerre.
La limitation du recours à la force ne s’applique cependant pas si l’État débiteur refusait les modes de règlement pacifiques des différents.

Lorsque le Pacte de la Société des Nations est établi en 1919, les États ne sont pas encore prêts à restreindre de manière drastique l’usage de la force armée dans les relations internationales.
Seules certaines guerres sont expressément considérées comme illicites (ce qui signifie que les autres demeurent licites) :
> les guerres d’agression ;
> le recours à la force armée lorsque les différends n’ont pas été soumis à une procédure de règlement pacifique des différends.

La mise hors la loi ne résulte pas du pacte de la Société des Nations en tant que tel ; le pas décisif en la matière est le Pacte de Paris de 1928, en vigueur depuis 1929, souvent appelé Pacte Briand-Kellogg.
Il réunit quasiment tous les États et est donc quasiment universel.

Dans ce traité, les États renoncent à recourir à la guerre en tant qu’instrument de politique extérieure.
→ les États renoncent à leur possibilité de faire la guerre

Sa sanction et son efficacité n’ont pas été garanties → Seconde Guerre mondiale.

Il faut attendre l’épreuve de la Seconde Guerre mondiale pour que soit explicitement affirmée une interdiction générale du recours à la force armée dans les relations internationales.
Son fondement juridique se trouve à l’article 2 paragraphe 4 de la Charte des Nations Unies :
”Les Membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations unies.”

L’affirmation de cette prohibition générale s’accompagne de l’obligation de régler pacifiquement les différends.

On peut formuler 2 remarques :

  1. La notion de “force” est plus forte que celle de “guerre” (qui n’est pas mentionnée), mais il apparaît au vu du comportement des États qu’elle recouvre la notion de force armée, et non les contraintes économiques ou psychologiques.
  1. Cet article ne s’applique pas uniquement à l’usage de la force armée ; il recouvre l’hypothèse de la guerre, mais pas uniquement : “la menace”.
    + “de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies” : sous-entend qu’il y a des hypothèses d’emploi de la force qui sont compatibles avec les buts des Nations Unies.

Dans l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua de 1986, la CIJ a considéré qu’il y avait bien lieu de distinguer entre les formes les plus graves de l’emploi de la force armée et les autres modalités moins brutales.
→ la notion de force ne se résume pas uniquement à un acte d’agression armée

Cette prohibition établie par l’article 2 paragraphe 4 a une valeur coutumière et est une norme impérative. Si un État ne respecte pas ces interdictions, il verra sa responsabilité internationale engagée.

Les situations établies à la suite d’un recours à la force armée sont considérés comme nulles et non avenues ; la résolution 2625 de l’AGNU (💡 qui énonce les principes structurants de l’ordre juridique international) établit une obligation de non-reconnaissance qui s’impose aux États tiers.
Idée : les États n’ont pas le droit de maintenir ou de conforter la situation qui a été créée de manière illicite.

L’article 2 paragraphe 3 de la Charte édicte une obligation de règlement pacifique des différends.
”règlent leurs différents” : présent de l’indicatif → obligation.
Le Pacte Briand-Kellogg (1928) énonçait déjà la nécessité d’un règlement pacifique des différends.

B – Le libre choix du mode de règlement pacifique des différends

Les États ont la liberté de choisir le mode de règlement pacifique qu’ils estiment le plus approprié.

Le mode de règlement juridictionnel constitue une solution imposée.
Le mode de règlement diplomatique constitue une solution négociée.

1) Les modes diplomatiques

L’article 33 de la Charte des Nations Unies évoque différents modes diplomatiques de résolution des conflits :

  1. La négociation est le mode le plus utilisé ; elle constitue une obligation coutumière en droit international. Les discussions ont lieu directement entre les parties au litige (ne fait pas intervenir un tiers).
  1. La conciliation, la médiation, les bons offices impliquent l’intervention d’un tiers.
    Dans la médiation, le tiers a davantage un rôle dans la solution.
    La conciliation se fait de manière plus institutionnalisée.
  1. L’enquête vise à établir des faits.

Il n’y a pas de hiérarchie au niveau temporel : rien n’empêche les parties de saisir un juge international tout en continuant à négocier en même temps.
→ la distinction entre modes juridictionnel et diplomatique peut être brouillée

Ces modes de règlement diplomatique peuvent aussi intervenir sous les hospices des organisations internationales.

2) Les modes juridictionnels

Les États peuvent, pour régler leurs différends, faire intervenir un tiers, qui a le pouvoir de donner une décision qui aura autorité de chose jugée.

L’arbitrage a longtemps prévalu. Il laisse aux États la liberté de choisir les arbitres, la procédure et le droit applicable.

L’apparition des juridictions internationales permanentes est liée à l’institution des organisations internationales.
Elles se sont considérablement développées, notamment dans certaines branches matérielles du droit international public.

La liberté de choix est fixée à l’article 33 de la Charte.
L’article 33 indique aussi que le Conseil de sécurité de l’ONU peut inviter les parties à régler leurs différends et suggérer un moyen.

Section 2 : L’exception prévue par la Charte des Nations Unies : le cas de légitime défense

I – Le droit de légitime défense des États prévu par la Charte

Le droit de légitime défense a une valeur coutumière en droit international. La légitime défense est inhérente à tout système juridique.
Ses conditions ont pu être développées par la jurisprudence.

L’article 51 (au sein du chapitre 7) de la Charte établit le droit de légitime défense.
L’ajout de cet article a été négocié par les autres États qui n’étaient pas membres permanents du Conseil de sécurité et qui avaient une confiance limitée dans l’efficacité du système de sécurité collective.
Il s’agit d’une exception au monopole du recours à la force armée du Conseil de sécurité → a une importance significative.

L’expression “droit naturel” témoigne de l’importance accordée à ce droit.
Idée : ce droit existe indépendamment de toute consécration conventionnelle ou coutumière.
Dans l’affaire sur les activités militaires au Nicaragua (qui traite du recours à la force armée), la CIJ a considéré que l’expression “droit naturel” impliquait l’existence d’un droit coutumier de légitime défense.

Cette légitime défense peut s’exercer individuellement, mais aussi collectivement : un État victime d’un acte d’agression peut l’exercer seul, ou demander le concours d’autres États.
Exemple : l’Ukraine a sollicité en 2022 l’aide d’autres États ou organisations régionales dans sa légitime défense (qui n’ont pas répondu par l’affirmative).

A – Les conditions du recours à la légitime défense

1) Les conditions énoncées à l’article 51 de la Charte

La mise en œuvre du droit à la légitime défense n’est pas conditionnée à l’autorisation du Conseil de sécurité, puisqu’il s’agit d’un “droit naturel”).
Il y a quand même une condition de nature procédurale : l’État est dans l’obligation d’informer immédiatement le Conseil de sécurité.

Il y a une condition matérielle : la constatation d’une “agression armée” d’une certaine gravité.

Cette légitime défense doit être provisoire : “jusqu’à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales”.

2) Les précisions apportées par les organes de l’ONU

Le terme “agression armée” n’est pas précis.
Il peut paraître étonnant qu’une notion aussi importante n’ait pas été définie jusqu’à l’adoption par consensus le 14 décembre 1974 de la résolution 3314 “Définition de l’agression”.
Cette résolution donne une liste non exhaustive de ce qui constitue un crime d’agression.

La coutume est venue encadrer ce recours à la légitime défense, en posant des conditions qui ont été constatées par le juge international.
Dans l’affaire sur les activités militaires au Nicaragua, la CIJ a rappelé le 27 juin 1986 que le recours à la légitime défense était soumis aux conditions de proportionnalité et de nécessité.

B – L’interprétation extensive des conditions du recours à la légitime défense par les États dans le cadre de la lutte contre le terrorisme transnational

1) La condition relative à l’auteur de l’agression

Quand l’acte d’agression est commis par une personne privée (acte terroriste), les États font usage de leur droit de légitime défense.
Cette interprétation n’est pas conforme à la résolution 3314, ni à l’interprétation de la CIJ dans l’affaire Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé (2004), selon laquelle l’agression armée doit correspondre à l’emploi de la force armée par un État.

Dans sa résolution 1368 de 2001, le Conseil de sécurité qualifie les menaces terroristes de menaces à la paix et à la sécurité collective, mais reconnaît aussi le droit à la légitime défense.

Dans sa résolution 2249 de 2015, adoptée à la suite des attentats terroristes en France, le Conseil de sécurité “demande aux États membres qui ont la capacité de le faire de prendre toutes les mesures nécessaires […] en vue de prévenir et de faire cesser les actes de terrorisme”.
Enjeu : court-circuiter le système de sécurité collective.

2) La condition relative à la survenance de l’agression

Les États-Unis et Israël ont invoqué un droit de légitime défense préventive, qui n’est autorisé ni par les conditions posées par l’article 51 ni par la coutume internationale.

II – Les autres exceptions invoquées par les États, non prévues par la Charte

A – L’intervention militaire humanitaire

L’intervention d’humanité a pu être invoquée dès le 19e siècle, pour permettre aux grandes puissances européennes de l’époque d’intervenir dans un pays étranger pour protéger leurs ressortissants qui y résidaient.

Elle prend aujourd’hui la forme de l’intervention humanitaire, qui consiste à intervenir pour protéger toute population civile contre un État territorial qui commettrait des exactions à son encontre.

L’intervention humanitaire n’est parfois qu’un prétexte qui dissimule mal des objectifs politiques.
Exemple : l’intervention russe en Ukraine (2022).
La CIJ est claire : dans son arrêt de 1949 dans l’affaire du détroit de Corfou, elle affirme que “le droit d’intervention ne saurait trouver aucune place dans le droit international”.
→ la licéité de telles interventions n’est pas admise, même si la pratique n’est pas encore arrêtée

Faute de consentement de l’État sur le territoire duquel elle se déploie, l’intervention est condamnable, dans la mesure où elle porte atteinte à la souveraineté de l’État.

⚠️ Il faut distinguer l’intervention militaire humanitaire de l’assistance humanitaire.
L’assistance humanitaire, qui consiste en l’envoi de secours privés ou publics auprès de populations victimes de situations d’urgence, ne met pas en jeu la force armée.
Si une partie de la doctrine a pu parler de “droit d’ingérence humanitaire”, la qualification est impropre, puisqu’il s’y a accord de l’État territorial, il n’y a pas d’ingérence.
L’assistance humanitaire n’est pas non plus subordonnée à la nationalité des personnes secourues.

Dans la résolution 43/131 relative à l’assistance humanitaire en cas de catastrophes naturelles et de situations d’urgence du même ordre, l’AGNU a invité les États concernés à en faciliter la mise en oeuvre.

L’AGNU conditionne l’assistance :
> à l’existence d’un cas d’urgence
> à l’accord préalable de l’État du territoire sur lequel l’assistance se déploie
> à l’action prioritaire des ONG et organisations internationales plutôt que celle des États
> à une intervention uniquement à titre subsidiaire (lorsque l’État affecté ne peut pas intervenir)
→ il n’y a pas de droit d’ingérence humanitaire

La résolution 44/100 vise à consacrer l’établissement de pouvoirs d’urgence humanitaire.

Dans un rapport de 2001, la Commission internationale indépendante de l’intervention et de la souveraineté des États établit la “responsabilité de protéger”.
Idée : c’est à l’État territorial de protéger sa population civile ; un État n’est pas seul maître chez lui, sa souveraineté ne lui permet pas de faire ce qu’il veut : il a l’obligation de respecter le droit international des droits de l’homme.

C’est à la communauté internationale d’intervenir quand l’État territorial est défaillant.
→ La responsabilité de protéger contribue à la redéfinition de la souveraineté : elle ne consacre pas un droit d’ingérence pour les États tiers, mais une obligation pour l’État de protéger sa population civile.

Dans l’hypothèse où un État contreviendrait aux obligations qui lui incombent, cette responsabilité de protéger reviendrait à la communauté internationale, qui pourrait alors le sanctionner, mais uniquement via le Conseil de sécurité sur la base du chapitre 7 de la Charte.

B – L’intervention militaire sollicitée

On parle d’intervention militaire sollicitée quand un État intervient militairement à la demande d’un autre État, dans l’hypothèse où il est confronté à des difficultés internes.
Idée : tant que cette sollicitation ne vise pas à porter atteinte à l’intégrité de l’État, elle n’est pas interdite.

L’intervention sollicitée soulève néanmoins de nombreuses interrogations, puisque la sollicitation d’un État ne peut pas rendre une intervention armée licite au regard du droit international.
Exemple : le droit international n’autorise pas les États à solliciter l’assistance militaire dans le contexte des guerres civiles (c’est contraire aux droits des peuples à disposer d’eux-mêmes).

Toutefois, il en va différemment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.
Exemple : l’opération Serval, menée par la France au Mali en 2013, avait permis à la France d’intervenir sur le sol malien pour soutenir le gouvernement dans sa lutte contre les mouvements terroristes. À la demande du gouvernement malien, la France est intervenue militairement sur le territoire de cet État tiers.

Il est important d’essayer de limiter les hypothèses du recours à la force, dans l’intérêt de la communauté internationale.
Le recours à la force armée reste le monopole du Conseil de sécurité.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *