Commentaire de texte complet : les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme (2011)

Ce commentaire de texte a été proposé aux étudiants de L1 dans le cadre d’un cours d’Introduction au droit international public. Il porte sur les Principes de Ruggie.
Auteur : Timothée Peraldi


“Les entreprises opérant en Russie et au Bélarus pourraient se retrouver liées à de graves violations du droit international [et doivent donc faire] preuve d’une extrême diligence et, si nécessaire, retirer ou geler certains de leurs investissements”. C’est par ces mots que la Fédération internationale des droits de l’homme, organisation non gouvernementale fondée en 1922, relance le débat de la responsabilité des entreprises en cas d’atteintes aux droits de l’homme dans le cadre de leurs activités, dans le contexte de l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022 qui a poussé de nombreuses firmes transnationales d’importance, telles que Microsoft, Apple, McDonald’s ou Coca-Cola, à interrompre leurs activités commerciales en Russie.

Ce document, qui est un extrait des Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme : mise en œuvre du cadre de référence “protéger, respecter et réparer” des Nations Unies, illustre cette volonté de la société internationale de responsabiliser les entreprises face aux potentielles violations des droits de l’homme engendrées par leurs activités. Ce texte de droit souple, composé de 31 principes ayant pour objectif “d’améliorer les normes et les pratiques concernant les entreprises et les droits de l’homme afin d’obtenir des résultats tangibles pour les individus et les collectivités concernés”, a été adopté à l’unanimité par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies (CDH) le 16 juin 2011.

Ces principes, qui ne sont contraignants juridiquement ni pour les États, ni pour les entreprises, visent “toutes les entreprises indépendamment de leur taille, de leur secteur, de leur cadre de fonctionnement, de leur régime de propriété et de leur structure”, c’est-à-dire toutes les organisations ayant pour objectif de produire et de vendre des biens ou des services. Les droits de l’homme sont quant à eux définis dans le Vocabulaire juridique de l’Association Henri Capitant comme un “ensemble de facultés et prérogatives considérées comme appartenant naturellement à tout être humain dont le droit […] s’attache à imposer le respect et la protection en conformité avec certains textes de portée universelle”.

Dans un contexte de vigilance accrue des États, des ONG et de l’opinion publique sur les potentielles atteintes aux droits de l’homme dont certaines entreprises se rendraient coupables ou complices, notamment dans le cadre des conflits syriens et ukrainiens ou dans celui de la répression des Ouïghours en Chine, il convient de s’interroger sur la portée concrète des initiatives telles que celle à l’origine de ce document.

Dès lors, comment le Conseil des droits de l’homme des Nations unies s’attache-t-il dans cette déclaration de principes à rendre les entreprises plus soucieuses des droits de l’homme ?

Si le CDH s’attache, par ces principes, à établir une responsabilité incombant aux entreprises de respecter les droits de l’homme, la portée de ce texte reste incertaine en l’absence de contraintes juridiques. Nous étudierons d’abord comment le CDH rappelle l’obligation pour l’État de protéger les droits de l’homme (I) ; nous nous intéresserons ensuite à la manière dont il tente d’établir une responsabilité morale de protection des droits de l’homme pour l’entreprise (II).

I – Le rappel pour l’État de son obligation de protection des droits de l’homme

Le texte commence par rappeler l’obligation de protection des droits de l’homme de l’État, qui est fondée sur le droit international des droits de l’homme (A) mais qui ne s’étend pas nécessairement aux activités des entreprises (B).

A – Une obligation fondée sur le droit international des droits de l’homme

Grandes idées :

Cette déclaration de principes part de l’obligation des États de protéger contre les potentielles atteintes aux droits de l’homme sous leur juridiction : on note l’utilisation des mots “ont l’obligation”. Il s’agit ici de la seule obligation juridique du texte, qui découle du droit international des droits de l’homme.

Il faut néanmoins souligner que les États ne sont pas, aux yeux du droit international, directement responsables des atteintes aux droits de l’homme commises par des personnes privées. On peut uniquement déduire du droit international des droits de l’homme l’obligation pour les États de prendre toutes les “mesures appropriées pour empêcher ces atteintes”. On remarque également une référence à l’obligation pour les États de protéger et de faire progresser l’État de droit (“de lois, de règles et de procédures judiciaires”) qui peut se déduire du droit international des droits de l’homme.

Ce texte n’a néanmoins pas comme objectif d’établir les obligations des États en matière de respect des droits de l’homme, mais celles des entreprises.

B – Une obligation qui ne s’étend pas nécessairement aux activités des entreprises

Grandes idées :

Les États ne sont pas obligés par le droit international des droits de l’homme, ou par toute autre convention internationale – de réglementer les activités des entreprises en dehors de leurs territoires, même lorsque ces entreprises sont domiciliées sur leur territoire ou juridiction. Cela n’est pas pour autant interdit, si l’État dispose d’un titre de compétence territoriale ou personnelle sur l’entreprise ; il s’agit ici du cas de figure envisagé par le texte : “Les États doivent énoncer clairement qu’ils attendent de toutes les entreprises domiciliées sur leur territoire et/ou sous leur juridiction qu’elles respectent les droits de l’homme”.

La mise en œuvre de cette obligation que pourraient imposer les États pourrait prendre plusieurs formes : l’obligation pour les “sociétés mères” de rendre compte de l’ensemble des activités de l’entreprise à travers le monde ; le conditionnement du versement d’investissements au respect effectif des droits de l’homme ; quand l’État est partie prenante à une entreprise, il peut l’exiger directement ; etc.

L’application concrète de cette obligation nous amène à nous interroger sur les critères concrets qui devraient être utilisés pour contrôler le respect effectif par les entreprises des principes établis ici en matière de droits de l’homme.

II – La responsabilité morale de protection des droits de l’homme pour l’entreprise

Le CDH établit ici une responsabilité morale de protection des droits de l’homme pour les entreprises, en la précisant et en donnant des clés d’application concrètes de celle-ci (A) ; l’absence de contraintes juridiques rend néanmoins la portée de ce texte incertaine (B).

A – La précision de ce principe

Grandes idées :

Le texte précise la définition des droits de l’homme visée par le texte, en s’appuyant sur des listes internationalement reconnues : “à savoir, au minimum, ceux figurant dans la Charte internationale des droits de l’homme et les principes concernant les droits fondamentaux énoncés dans la Déclaration relative aux principes et droits fondamentaux au travail de l’Organisation internationale du Travail”. Il faut noter ici l’utilisation des mots “au minimum”, qui sous-entend que les entreprises pourraient envisager d’autres normes quand les circonstances l’imposent ; on peut ici penser par exemple au droit humanitaire international ou aux conventions sur les apatrides ou les migrants.

Pour mettre en œuvre les principes listés, le CDH établit pour les entreprises la nécessité de déclarer publiquement leur engagement dans une déclaration de principe mise à la disposition du public, mais aussi communiquée aux partenaires commerciaux et institutionnels de l’entreprise : “les entreprises doivent formuler leur engagement de s’acquitter de cette responsabilité par le biais d’une déclaration de principe”. Les dispositions comprises dans cette déclaration doivent ensuite être appliquées en pratique dans les actions et travaux de l’entreprise : “est reprise dans les politiques et procédures opérationnelles”. Pour cela, l’entreprise doit mener un travail d’identification et d’évaluation de l’impact réel et potentiel de l’entreprise sur les droits de l’homme (“diligence raisonnable”) tout au long de sa chaîne de valeur (“afin d’être incorporée d’un bout à l’autre de l’entreprise”).

Il convient néanmoins de rappeler que ce texte est dépourvu de force obligatoire, comme rappelé par le site internet du CDH : “Aucun élément des Principes directeurs ne doit être interprété comme instituant de nouvelles obligations en vertu du droit international” ; il convient dès lors de s’interroger sur l’applicabilité concrète de ces principes.

B – Un texte à la portée incertaine

Grandes idées :

On note, tout au long du texte, l’utilisation du conditionnel (“devraient”). Les principes établis dans ce texte sont en effet des normes de conduite qui ne s’imposent pas aux entreprises et qui ont été établies dans un but incitatif. Le CDH semble néanmoins ici ambitieux, en établissant la nécessité pour les entreprises de non seulement respecter les droits de l’homme, mais aussi de “remédier à toutes les incidences négatives sur les droits de l’homme qu’elles peuvent avoir ou auxquelles elles contribuent” ; il est ici question de réparations.

Dès lors, la portée du texte semble limitée : les entreprises devraient réparer leurs torts en matière d’atteintes aux droits de l’homme, mais elles n’y sont pas obligées ; son application concrète semble donc improbable. L’intérêt du texte pourrait résider dans l’incitation, pour les États, d’établir une législation contraignante en la matière en se fondant sur les principes qui sont établis ici. On peut ici citer comme exemples la loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre en France, ou la résolution du Parlement européen adoptée en mars 2021 en faveur d’une diligence raisonnable obligatoire en matière de droits de l’homme.

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