Commentaire d’arrêt : CEDH, Soros contre France (6 octobre 2011)

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Introduction

Cet arrêt a été rendu par la Cour européenne des droits de l’homme le 6 octobre 2011 et porte sur le principe de légalité des délits et des peines au sens de l’article 7 de la Convention européenne.

En l’espèce, un investisseur a réalisé des opérations boursières en ayant eu connaissance d’une information privilégiée et a fait l’objet de poursuites devant les juridictions répressives françaises pour délit d’initié. Il est condamné par le tribunal correctionnel par un jugement, confirmé en appel. Son pourvoi en cassation est ensuite rejeté.

Il forme alors un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme en alléguant une violation du principe de légalité criminelle tel qu’il résulte de l’article 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

En effet, le requérant estime que le délit d’initié, tel qu’il était prévu, défini et réprimé par le droit français au moment des faits, ne répondait pas aux exigences de précision de la norme pénale et de prévisibilité des sanctions pénales qui découlent de l’article 7 de la Convention.

La Cour européenne des droits de l’homme rejette le recours du requérant, considérant qu’eu égard au contenu du texte d’incrimination du délit d’initié, de son domaine, de la qualité professionnelle du requérant condamné et des précisions apportées par la jurisprudence sur la portée de l’incrimination, celle-ci était suffisamment prévisible de sorte qu’aucune violation de l’article 7 de la Convention ne pouvait être établie.

Il faut noter que la Cour estime ici que le principe conventionnel de légalité des délits et des peines n’implique pas une définition complète et précise des incriminations et donc des cas dans lesquels une personne peut voir sa responsabilité pénale engagée à raison des faits qu’elle commet. La jurisprudence
joue un rôle décisif dans la délimitation des contours de la responsabilité pénale, tant que celle-ci demeure raisonnable et en rapport avec le texte d’incrimination. De plus, la Cour considère que le principe de prévisibilité de la norme répressive découlant de la Convention EDH doit prendre en considération le destinataire de la norme. Dès lors que ce dernier est un professionnel averti, l’incrimination n’a pas à être absolument précise et intelligible pour répondre aux exigences européennes.

Il convient dès lors de se demander dans quelle mesure cette décision de la Cour européenne des droits de l’homme vient bouleverser le strict principe de légalité criminelle pour le métamorphoser en principe de prévisibilité de la norme pénale.
Pour ce faire, il conviendra d’abord de s’intéresser au rôle normatif affirmé au profit de la jurisprudence des tribunaux répressifs par la CEDH participant à l’affirmation d’un principe de prévisibilité pénale (I) ; il faudra ensuite s’interroger sur l’attention toute particulière que porte la CEDH à la qualité du destinataire de la norme pénale afin de conclure à la prévisibilité ou à l’imprévisibilité de la norme pénale (II).

I – L’admission de la Cour d’une légalité criminelle laissant une large place au rôle interprétatif de la jurisprudence des tribunaux répressifs

A – L’acceptation d’un assouplissement de la légalité criminelle admettant une normativité raisonnable de la jurisprudence répressive

Paragraphes 33 et 34 de la décision : appréciation par la CEDH de l’état de la jurisprudence criminelle relative au délit d’initié.

  • La Cour admet qu’en l’espèce, l’infraction pénale n’était pas strictement définie par la loi et la jurisprudence : le requérant a été condamné alors même que les précédentes condamnations ne concernaient pas des personnes comme lui (lien professionnel avec la société) ;
  • Mais la Cour considère que la jurisprudence peut combler les incertitudes, voire dégager des solutions nouvelles, tant que cela demeure raisonnablement prévisible.

B – L’incertain encadrement du rôle normatif de la jurisprudence répressive

Paragraphe 34 de la décision : quid de l’interprétation raisonnable de la jurisprudence ?

  • La Cour pose comme limite à l’interprétation extensive de la jurisprudence la notion d’interprétation raisonnable : il s’agit d’une interprétation qui demeure en lien avec l’infraction, son domaine, le contenu du texte, …
  • Si une telle limite peut apparaître salutaire, on peine à bien comprendre dans quels cas une interprétation jurisprudentielle peut apparaître sans rapport avec l’infraction et donc déraisonnable. En souhaitant sortir des carcans traditionnels de la légalité pénale, la CEDH devient vectrice d’insécurité juridique…

II – L’affirmation par la Cour d’un principe de prévisibilité de la norme pénale prenant en compte la qualité de ses destinataires

A – Le remplacement d’une légalité textuelle par une prévisibilité normative conditionnée à la personne du destinataire de la norme répressive

Paragraphes 35 et 36 de la décision : le requérant est le premier justiciable à être poursuivi pour le délit d’initié sans être en lien avec la société ; mais au regard de sa qualité professionnelle, il aurait dû faire preuve de prudence.

  • La CEDH remplace la légalité textuelle objective telle qu’elle était entendue traditionnellement, notamment dans la Déclaration de 1789, par un principe de sécurité juridique, de prévisibilité normative subjective, qui doit donc prendre en compte les destinataires de la norme : la CEDH tente de se placer dans la tête du destinataire de la norme afin de savoir s’il aurait pu légitimement s’attendre à être poursuivi et condamner.
  • On bascule d’un principe juridique objectif à un droit fondamental subjectif qui dépend de la personne en cause. Objectif : s’affranchir de la rigidité du principe de légalité.

B – Le dévoiement des fondements libéraux de la légalité criminelle au profit d’une prévisibilité normative incertaine

Paragraphe 36 : la CEDH estime que le professionnel était averti et qu’il a été en mesure de peser les risques de son comportement.

  • Le principe de légalité criminelle est garant des libertés : il s’agit de savoir ce qui est interdit afin de pouvoir connaître par défaut ce qui est autorisé. Or la CEDH semble renverser le principe.
  • Elle impose une obligation de prudence et de connaissance aux professionnels alors même que la norme peut être considérée comme floue, incertaine. En conséquence, ceux-ci doivent donc s’abstenir de faire des choses qu’ils estimeraient interdites alors même qu’une telle interdiction n’est pas établie clairement. L’interdiction devient le principe et la liberté l’exception…

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