5 – Les sûretés personnelles et réelles

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet d’histoire du droit des obligations (L2).

Sûreté = garantie.

Ce que veut un créancier, c’est être payé.
En droit romain, c’est l’action qui débouche sur une condamnation qui permet d’être payé si le débiteur ne le fait pas spontanément.
Avantage : on peut recourir aux voies d’exécution.
Problème : on peut être confronté à l’insolvabilité du débiteur.

Le patrimoine du débiteur constitue le gage général de ses créanciers.
Pour être certains d’être payés, les créanciers peuvent être amenés à exiger des garanties.

Techniquement, la garantie que l’on peut apporter peut être personnelle ou réelle.
Sûreté personnelle : on a 2 patrimoines qui servent de gage général au créancier.
Sûreté réelle : on extrait du patrimoine un bien qui sert de garantie à la dette.

À l’origine, les romains ont plutôt tendance à recourir aux sûretés personnelles, parce que la Rome ancienne est une société dans laquelle les solidarités familiales/claniques/politiques sont très fortes, donc il est assez simple de trouver quelqu’un qui se portera caution à nos côtés.
Plus tard, ces solidarités s’affaiblissent, donc mécaniquement les sûretés réelles vont avoir plus d’efficacité.

Section 1 : Les sûretés personnelles : la solidarité passive et le cautionnement

La caution est la forme la plus ancienne et la plus courante de sûreté personnelle.
La caution s’engage à côté du débiteur principal : l’obligation de la caution est donc une obligation accessoire et subsidiaire (la caution ne paie que si le débiteur fait défaut).

Dans les faits, à Rome, la pratique ne permet pas d’obtenir ce résultat.
En pratique, le cautionnement n’est pas vraiment accessoire ni subsidiaire et il a tendance à se rapprocher de la solidarité passive, qui permet d’actionner directement et pour le tout celui qui s’est engagé solidairement.

§ 1. Une distinction difficile entre corréalité et sûreté dans la pratique

La corréalité désigne la situation particulière d’un codébiteur subsidiaire qui, en théorie, est distinct de la situation d’une simple caution, qui répond à titre subsidiaire d’une obligation qui est l’accessoire de la créance principale.

Dans la pratique, la solidarité passive et le cautionnement se constituent au moyen d’une stipulatio.

En pratique, le créancier qui a le moindre doute sur la solvabilité du débiteur principal va avoir tendance à assigner la caution directement.

C’est une législation spéciale de la fin de l’époque républicaine qui imposera une distinction plus nette entre caution et codébiteur solidaire.

A – La rigueur de la solidarité passive

Ce qui caractérise la solidarité, c’est l’unicité de l’obligation + la pluralité des débiteurs quand il s’agit d’une solidarité passive.
Idée : 1 créancier a 1 obligation, et l’obligation lie plusieurs codébiteurs solidaires.

Cette solidarité passive est constituée grâce au recours au moule à contrats qu’est la stipulatio.
La stipulatio est un contrat verbal formaliste ; le lien d’obligation est noué grâce à ce dialogue codifié.
Il suffit pour le créancier de poser dans le même trait de temps la même question à chacun des codébiteurs solidaires, qui répondront positivement avec la même réponse.

Le créancier a contre chacun des codébiteurs solidaires l’action du contrat, et il peut réclamer à chacun le tout, parce que chacun a promis la même chose.

La corréalité passive ne présente à première vue que des avantages pour le créancier qui, en cas de besoin, dirigera son action contre celui qui paraît le plus solvable, et pourra lui réclamer le tout.

Le problème vient de la procédure, et de ce qu’on appelle l’effet novatoire de litis contestatio (= l’ultime étape de la 1ère phrase du procès in jure).
En effet, le litis contestatio a un effet novatoire → la novation a un effet extinctif et créateur.
Le litis contestatio à Rome éteint la créance qui fonde l’action en justice et crée un droit pour le demandeur : le droit d’obtenir des dommages et intérêts en cas de condamnation du défendeur.

Idée : mon droit est éteint, mais il est remplacé par le droit d’obtenir une condamnation.
Si j’obtiens une condamnation sur le fondement de la créance qui a été éteinte, et si cette condamnation ne peut pas être exécutée parce que le débiteur est insolvable, j’ai beau être le créancier d’une obligation in solidum, cette créance a été éteinte quand j’ai introduit l’action.
→ La condamnation d’1 des codébiteurs solidaires a libéré les autres.
→ Je ne peux pas faire exécuter la décision.

💡 Suivant le principe non bis in indem, on ne peut pas intenter, à raison d’une même créance, la même action plusieurs fois.


L’autre difficulté de maniement de la corréalité concerne les débiteurs solidaires eux-mêmes.
Imaginons que le créancier mette en demeure l’un des débiteurs corréels. S’il paie le tout, ce paiement va naturellement éteindre l’obligation et délivrer tous les autres codébiteurs.

Celui qui a payé et a libéré tous les autres en payant peut espérer voir les autres contribuer.
Mais difficulté : posséder une action en justice qui fonderait ce recours contributoire de celui qui a payé contre ceux qui ont été libérés par le paiement.
→ Celui qui a payé n’a aucun moyen de se retourner contre les codébiteurs solidaires.

Si on analyse la situation, on constate qu’il n’y a qu’une seule obligation qui lie les débiteurs corréels au créancier.

À l’époque classique, le préteur va examiner la raison pour laquelle celui qui a payé a payé.

Idée : si les codébiteurs ont accepté la solidarité passive, c’est peut-être parce qu’existait en amont un contrat de société qui les liait les uns aux autres.
On estime que, quand ce contrat de société existe, le codébiteur qui a payé utilisera l’action du contrat de société (pro socio) pour intenter ce recours contributoire.
La société est un contrat consensuel, donc on peut interpréter l’attitude des codébiteurs solidaires pour présumer l’existence d’une volonté de s’associer.
+ L’action pro socio est une action de bonne foi, et il serait contraire à la bonne foi qu’un associé refuse de s’associer au paiement d’une créance qui était liée à l’objet social de la société.

Quand il n’y a pas de société, on peut envisager l’existence d’un mandat tacite, puisque le contrat de mandat est aussi un contrat consensuel sanctionné par une action de bonne foi.

En pratique, le régime de la solidarité passive n’est pas très éloigné du régime du cautionnement, quand bien même le cautionnement fait naître une obligation accessoire distincte de l’obligation principale.

B – L’apparition d’une sûreté personnelle accessoire : l’adpromissio

Adpromissio signifie littéralement “la promesse à côté”.
Ici, on désigne l’obligation de la caution, qui s’engage à côté du débiteur principal et qui fournit sa garantie dans l’hypothèse où ce débiteur principal ferait défaut.

À première vue, cette forme de cautionnement qu’est l’adpromissio marque en elle-même le caractère accessoire et subsidiaire de la garantie personnelle.
En réalité, dans la pratique, ce double caractère accessoire et subsidiaire n’est pas vraiment assuré.

L’adpromissio est un mode de cautionnement solennel qui suppose le recours à la stipulatio (contrat verbal de droit strict) dans ses 2 formes (sponsio ou fidepromissio).
En présence du créancier, le débiteur principal et la caution procèdent à des déclarations solennelles qui nouent les liens d’obligation :
> dans une 1ère stipulatio, le débiteur principal s’engage à l’égard du créancier ;
> dans un 2nd temps, le créancier se tourne vers la caution et il l’interroge (idem spondesne? – “t’engages-tu à la même chose ?”) ; elle répond par la positive.

En pratique, les 2 stipulatio ont une identité d’objet.
Cela a des conséquences lorsque le créancier, confronté à une apparence insolvabilité du débiteur, réfléchit à engager des poursuites.

Si le créancier engage des poursuites, et que le débiteur se révèle insolvable, le créancier, en intentant son action, a vu sa créance principale s’éteindre par l’effet extinctif de la litis contestatio.
Le débiteur principal étant insolvable, la décision judiciaire est évidemment inutile.

Pour cette raison, le créancier a tendance à actionner directement la caution, pour peu qu’elle ait des apparences de solvabilité, sans s’assurer préalablement dans le cadre d’une action judiciaire de la solvabilité du débiteur principal.
Raison : actionner le débiteur principal en premier lui ferait perdre son titre et la possibilité, en cas de défaut, d’actionner la caution.

En pratique, ce mode de cautionnement qu’est l’adpromissio n’est donc pas très différent de la solidarité passive.

Entre le 2ème et le 1er siècle avant J.-C., le législateur intervient pour renforcer le caractère réellement accessoire et subsidiaire de l’obligation de la caution, avec 3 lois :

  1. La lex publia oblige le débiteur à rembourser la caution dans les 6 mois si elle a été actionnée directement.
    S’il ne le fait pas, la caution dispose de la possibilité de saisir des éléments du patrimoine du débiteur principal.
  1. La lex appuleia traite du cas où il y a une pluralité de cautions.
    Si l’une des cautions a été actionnée directement et a payé la totalité de la créance, il ne possède à priori aucune action fondant un recours contributoire contre les autres cautions ; en effet, chaque caution est liée au créancier mais les cautions ne sont pas liées entre elles par un lien d’obligation → pas d’action.

    La loi appuleia présume l’existence d’une société entre les différentes cautions.
    Cela permet de donner à la caution qui a payé l’action du contrat de société contre chacune des autres cautions pour leur réclamer leur part dans le paiement de la créance.
    En effet, si l’on présume que ces cautions entretiennent entre elles un rapport juridique fondé sur un contrat de société, chacune des cautions possède une action contre chacune des autres cautions.

  1. La lex furia est beaucoup plus complète et aboutie.
    Elle introduit une prescription libératoire : dans les 2 ans qui suivent la date d’exigibilité de la créance, les cautions sont libérées si elles n’ont pas été actionnées par le créancier.

    Cette loi contraint aussi le créancier poursuivant à diviser ses poursuites en cas de pluralité de cautions : il ne doit pas demander à chacun caution le paiement du tout, ou de davantage que sa part.
    La caution dispose contre le créancier de voies d’exécution pour réclamer le trop-plein perçu par le créancier.

Ces 3 lois de circonstances sont destinées à protéger la caution et à lui offrir des recours → contre le débiteur principal, contre le créancier, contre les autres cautions.
Mais comme souvent en droit, l’excès de protection conduit les praticiens à chercher les moyens de contourner ces législations protectrices :

§ 2. Le perfectionnement des techniques de cautionnement

Les lois républicaines s’appliquent à la forme de cautionnement que l’on connaît à cette époque : l’adpromissio.
Les juristes, pour éluder les dispositions de ces lois, inventent d’autres techniques de cautionnements.
On voit ainsi s’ajouter à l’adpromissio 3 autres techniques ; il y a donc 4 formes de cautionnement, qui répondent à des régimes juridiques parfois très différents, que Justinien unifiera plus tard.

A – La diversification des modes de cautionnement à l’époque classique

Dans un premier temps, les praticiens romains recourent au formalisme pour créer, à côté de l’adpromissio, un autre cautionnement formaliste qui n’est pas concerné par les 3 lois de protection de la caution.
+ À côté de ce nouveau mode de fonctionnement formaliste, les juristes romains imaginent de détourner des techniques contractuelles pour les transformer en modes non formalistes de cautionnement.

Ce nouveau mode de cautionnement formaliste est la fide-jussio.
On y fait appel à la fides, comme la fidepromissio.
Ce qui est demandé à la caution, c’est d’apporter son soutien ou son approbation à une obligation préexistante, qu’on appelle le jussus.

L’obligation principale qui est garantie peut naître de n’importe quel contrat, et non plus exclusivement de la stipulatio comme pour l’adpromissio.
Le formalisme ne concerne que l’obligation de garantie.

Pour faire naître la fide-jussio, on a recours à nouveau à un dialogue formaliste où la caution promet de payer en cas de défaut du débiteur principal.

Comme l’opération est différente de l’adpromissio, toutes les garanties légales dont bénéficiait la caution en matière d’adpromissio ne sont pas applicables.
Le créancier est donc libéré de toutes les obligations légales que les 3 lois avaient ajouté
: il peut à nouveau poursuivre directement et pour le tout le fide jussor.
En cas de pluralité de fide jussor, aucun recours contributoire légal n’est prévu.

Cette opération est donc très intéressante pour le créancier, mais pas intéressante du tout pour la caution.
Elle est aussi destinée à favoriser les affaires (le sort du créancier est stabilisé : c’est un calcul économique).

Cependant, la doctrine perçoit très bien ce qu’il y a de malhonnête dans l’intervention de la fide-jussio (son objectif est de contourner la loi).
Elle commence à chercher des moyens indirects pour protéger la caution contre ce qu’il y a de plus choquant.

La doctrine conseille aux parties de faire précéder leurs poursuites d’une phase de négociation, qui doit permettre aux créanciers de s’assurer que le débiteur principal est bel et bien insolvable.
Objectif : faire en sorte que la situation du fide jusseur soit celle d’une personne qui est tenue à une obligation subsidiaire et accessoire.
Dès lors, le créancier qui actionnerait directement sans négocier commettrait une injure (délit civil) → le fide jusseur disposerait d’une action pénale contre le créancier qui l’aurait actionné directement.

Le créancier peut craindre que, s’il commence par actionner le débiteur principal et qu’il constate qu’il est insolvable, il se voie opposer l’effet extinctif de la litis contestatio.
La doctrine suggère donc, lors de la conclusion de la fide-jussio, de mieux distinguer formellement l’obligation principale de l’obligation de cautionnement.
Objectif : il faut que ces obligations aient des objets différents, pour que l’effet extinctif de la litis constatio ne puisse pas être évoqué.

Le fide jusseur ne va pas promettre de payer la créance principale si le débiteur principal fait défaut, il promet d’indemniser le créancier en cas de défaillance du débiteur principal.
→ On disjoint l’obligation principale de l’obligation de cautionnement.
→ Aménagements par la doctrine, qui renforce les caractères accessoires et subsidiaires qui caractérisent le cautionnement.

En cas de pluralité de fide jusseurs (= pluralité de cautions), il faut trouver les moyens d’offrir un recours contributoire à la caution qui aurait payé.
La pratique suggère de recourir à l’idée de subrogation personnelle → le fide jusseur assigné en paiement se voit subrogé aux droits du débiteur principal → il peut exercer en ses droits et actions contre les autres cautions.

La solution la plus simple reste de contraindre le créancier poursuivant à diviser ses poursuites, pour que chacun des co-fide jusseurs ne se voie pas réclamer davantage que sa part.
C’est le législateur impérial, via l’empereur Hadrien, qui réintroduit le bénéfice de division, à condition que ce soit la caution elle-même qui l’invoque, et que les autres cautions soient solvables.
→ L’insolvabilité ne doit pas peser sur le créancier.

À côté, on voit apparaître 2 modes non formalistes de création du cautionnement.
Enjeu : détourner certaines techniques contractuelles – voire certains contrats – afin qu’ils servent à couvrir une opération de cautionnement.

Par exemple, on détourne le contrat de mandat de sa finalité initiale (”on confie au mandataire le soin d’accomplir une obligation juridique quelconque”) : la pratique invente le mandatum pecuniae credendae, qui est une technique de cautionnement à base de mandat.

On demande à celui qui offre de se porter caution de donner un mandat au créancier de prêter au débiteur principal une certaine somme d’argent.
Cette technique sert en général à garantir le contrat réel de prêt, dont on confie la tâche à quelqu’un de réaliser l’opération.

2 opérations juridiques distinctes s’emboîtent : le prêt + le mandat.
En cas d’impayé, le créancier du contrat de prêt va simplement utiliser l’action du contrat de mandat en sa qualité de mandataire de celui qui est la caution du contrat de prêt.
Donc le créancier met en avant sa qualité de mandataire pour se retourner contre la caution.

Cette technique était habile parce qu’elle permet de contourner l’effet extinctif de la litis contestatio.
En effet, on a ici 2 contrats absolument distincts l’un de l’autre, même s’ils sont emboîtés : ils font naître des obligations totalement différentes.
La litis contestatio ne concerne donc pas le contrat symétrique (idée : je ne plaide pas contre la caution sur le fondement du contrat de prêt, mais sur le fondement du contrat de mandat).

L’autre mode non formaliste consiste à recourir au pacte.
Il s’agit de l’hypothèse où un débiteur demande à son créancier un délai de répit, mais le créancier ne lui accorde un délai que si et seulement si le débiteur lui offre une caution.
Dans ces hypothèses qui concernent la vie des affaires, on se contente d’un simple engagement verbal / d’un simple pacte.
C’est le préteur qui protège la situation du créancier et lui offrir une action prétorienne contre la caution qui s’est proposée de rembourser en cas de défaillance du débiteur principal au terme du délai de répit.
Pacte de constitut, protégé par le préteur.

Cette technique permet aussi de contourner l’effet extinctif de la litis contestatio, parce que la litis contestatio est une technique civile, et que l’action que délivre le préteur dans le cadre du pacte de constitut est une action prétorienne.
Quant bien même le créancier aurait actionné le débiteur principal, et que cette action aurait éteint la créance, l’action prétorienne pourrait quand même être délivrée, parce qu’elle ne repose pas sur le droit civil, mais sur un fait.

À la fin de l’époque classique, il y a donc plusieurs techniques de cautionnement avec des régimes procéduraux très différents.
À chaque fois, la caution ne se trouve pas engagée aux mêmes conditions, en fonction de l’acte juridique qui a donné raison au cautionnement.

B – L’unification des régimes de cautionnement à l’époque postclassique

Justinien engage au 6e siècle une refonte du régime de cautionnement à Rome.
En pratique, l’adpromissio a disparu, et seules subsistent les autres techniques.

L’économie générale de la législation de Justinien consiste à renforcer les traits caractéristiques du cautionnement, qui doit être une obligation accessoire et subsidiaire.

Justinien décide de supprimer l’effet extinctif de la litis contestatio.
La caution qui se verrait assignée par le créancier après que le créancier a assigné le débiteur principal ne pourra pas invoquer l’effet extinctif de la litis contestatio pour échapper aux poursuites (ce qui était la crainte de tout créancier jusque-là).

L’autre réforme de Justinien consiste à généraliser les bénéfices de discussion et de division, qui étaient juste là par des lois spéciales.

Le bénéfice de discussion oblige le créancier poursuivant à intenter son recours d’abord contre le débiteur principal.
Ici, il n’y a plus d’obstacles pratiques, à cause de la disparition de l’effet extinctif de la litis contestatio.
La caution qui est assignée directement invoque le bénéfice de discussion et le créancier doit d’abord réorienter ses poursuites contre le débiteur principal.
→ La caution est consacrée dans son caractère d’obligation accessoire et subsidiaire.

Justinien renforce le bénéfice de division quand il y a pluralité de cautions.
Ce bénéfice avait été dessiné par la législation républicaine et affiné par Hadrien ; il contraint le créancier à diviser ses poursuites et à ne réclamer à chaque caution que sa part, et pas plus.

Il y a donc, à partir du 6e siècle, un régime du cautionnement, qui correspond pour l’essentiel au régime qui a été enregistré par le codificateur napoléonien.

Dans une société archaïque, les rapports de solidarité familiale et sociale sont très présents → il est très facile de se trouver une caution.
Plus tard, il devient plus facile de recourir à un autre type de garantie :

Section 2 : Les sûretés réelles : fiducie, gage et hypothèque

L’économie générale de la sûreté personnelle, c’est d’avoir à côté du patrimoine du débiteur le patrimoine de la caution ; un patrimoine étant le gage général du créancier.


La sûreté réelle consiste à isoler une res – une chose de valeur dans le patrimoine de son débiteur – et à assigner cette chose au paiement de la créance.
Si le débiteur fait défaut, le créancier doit pouvoir mettre la main sur cette chose, se l’approprier, la vendre et se payer sur le prix.

Plus la maîtrise du créancier sur la chose sera grande, plus la sûreté réelle sera efficace de son point de vue.
L’idéal, pour le créancier, c’est d’être propriétaire de cette chose dès le début, comme ça il pourra la conserver si le débiteur fait défaut.

Mais ce qui est favorable à un créancier n’est pas forcément favorable à l’économie en général.
Les affaires exigent que l’on puisse tirer tout le crédit possible d’éléments de valeur de patrimoine.

Le créancier va vouloir comme garantie un bien de valeur dont la valeur est égale ou supérieure au montant de la créance.
Si on a une créance de 1 000, et qu’on est obligé de mobiliser une chose de 1 500, on perd 500 qu’on pourrait mobiliser pour avoir du crédit avec quelqu’un.
Donc plus la maîtrise sur la chose est grande pour le créancier, moins la capacité de tirer tout le crédit possible de la chose est grande pour le débiteur.

C’est cette logique économique qui explique pourquoi on invente le pignus = le gage, qui n’accorde au créancier gagiste que la possession, et non plus la propriété.

On finit par constater que même la perte de possession peut se révéler handicapante d’un point de vue commercial et économique ; donc les romains inventent un gage sans dépossession que nous appelons l’hypothèque.

§ 1. Les inconvénients du transfert de la chose au créancier

Ce transfert n’a aucun inconvénient pour le créancier ! De son point de vue, il présente l’intérêt de mettre la chose de valeur qui garantit sa créance à l’abri des initiatives des autres créanciers ou du débiteur lui-même.

A – La perte de la propriété par le débiteur : la fiducia

La fiducie est un contrat réel de bonne foi.

La remise de la chose offerte en garantie au créancier fiduciaire par le débiteur entraîne un transfert de propriété qui peut parfois faire appel à des opérations juridiques annexes.
Le créancier fiduciaire devient propriétaire de la chose → elle entre dans son patrimoine.

Il a donc l’action pétitoire (= l’action en revendication).

La remise de la chose fait néanmoins peser sur le créancier fiduciaire l’obligation personnelle de rendre la propriété de la chose au débiteur quand celui-ci aura payé.
Si le débiteur fait défaut, le créancier reste propriétaire – il peut vendre la chose et s’indemniser sur le prix, ou même conserver la chose → tout va bien pour lui.

Mais si le débiteur paie et que le créancier fiduciaire résiste et tarde à lui restituer la chose en pleine propriété, le débiteur scrupuleux n’a à sa disposition qu’une action personnelle de bonne foi, qui débouche sur le prononcé de dommages-intérêts.

On voit ici tous les dangers de l’opération : le débiteur perd la propriété, et donc l’action en revendication.
La caractéristique du droit réel, c’est le droit de suite = la possibilité de récupérer la chose en quelque main qu’elle se trouve.

Si la créance n’est pas payée, le créancier gagiste propriétaire a pu transférer la chose à un tiers, la vendre, la donner à titre de libéralité, ou même la détruire.
Si le créancier est insolvable alors même que le débiteur principal a payé la créance, on ne lui rendre même pas l’équivalent en valeur de la chose qu’il avait accordée à titre de fiducie + il ne peut plus mettre la main sur cette chose, où qu’elle soit.

Pour contourner cette difficulté de la perte de la chose + de la perte du droit de suite, les romains imaginent de laisser la droit de propriété au débiteur et de n’abandonner au créancier que la possession :

B – La perte de la possession par le débiteur : le pignus

C’est à la fin de la République qu’on voit naître cette technique de sûreté réelle qu’est le gage.
Il est possible qu’on se soit contentés pendant longtemps d’un simple pacte, mais à l’époque classique le contrat de gage est classé parmi les contrats réels de bonne foi.

Idée : le débiteur remet la chose au créancier gagiste, mais il se réserve la propriété ; le créancier gagiste n’est que le simple possesseur de la chose.

Cette situation est très confortable pour les 2 parties :

  • le créancier gagiste a entre ses mains la chose, qu’il peut protéger judiciairement → il peut empêcher le débiteur de faire n’importe quoi au détriment de ses intérêts ;
  • quand le débiteur a payé, il est resté propriétaire → si le créancier gagiste tarde à restituer la chose, l’action en revendication permet au débiteur d’aller chercher la chose en quelque main qu’elle se trouve.

Le contrat de gage étant un contrat de bonne foi, le débiteur dispose de l’action de bonne foi pour obtenir des dommages-intérêts à proportion des intérêts qui ont été lésés par le créancier gagiste.

Par ailleurs, on considère que le créancier est protégé en cas d’impayé, puisqu’il peut vendre la chose sans la réclamer à quiconque.

Le créancier gagiste ne pourra jamais acquérir la chose en pleine propriété par l’effet de l’usucapion.
On parle de tradition nue pour désigner cette remise de la chose qui ne permet pas d’enclencher le délai d’usucapion.

Il reste cependant une difficulté d’ordre économique : même s’il abandonne une chose en gage à un créancier qui n’en sera que possesseur, le possesseur a une maîtrise directe et physique sur toute la chose.
Ce surcroît de valeur s’évapore par l’effet du gage – on ne peut pas la mobiliser pour garantir une autre créance.

Il faut donc imaginer un gage sans dépossession :

§ 2. La naissance d’un gage sans dépossession

La dépossession peut parfois compromettre les intérêts même du créancier gagiste.
Dans des cas extrêmes, le créancier n’a aucun intérêt à priver son débiteur d’une chose de valeur si cette chose de valeur est la condition pour le débiteur du paiement de la créance.

C’est cette contradiction que cherche à dépasser le préteur Servius, qui s’inspire de techniques issues du droit rural pour donner naissance à l’hypothèque.

A – Un élargissement du domaine originel de l’action servienne

Dans le cadre du paiement des fermages, ce qui fait souvent la fortune de l’agriculteur qui doit payer les fermages, c’est le matériel agricole (esclaves, instruments aratoires…).
Si le bailleur exige une sûreté réelle (s’il veut être créancier gagiste), il exige de son fermer qu’il se dépossède d’un esclave, d’un bœuf… qui sont des choses qui sont indispensables à l’exploitation agricole.

Dans la pratique rurale, on procède à des engagements / à des pactes, par lesquels le bailleur accepte, même s’il est créancier gagiste, de laisser les instruments aratoires à la disposition du fermier.
Il est donc un gagiste sans gage, parce qu’il a laissé la chose gagée au débiteur gagiste, ce qui naturellement n’est pas sans difficultés.

Un autre préteur, Salvius, accorde un interdit possessoire = un ordre inconditionnel qui oblige son destinataire à rendre la chose au créancier.
→ Il offre une action réelle au bailleur qui avait accepté de laisser la maîtrise du bien gagé à son débiteur.

L’action servienne est une action réelle, qui suppose un droit de suite et la possibilité pour le fermier d’assigner le possesseur actuel de la chose pour qu’il la restitue.
La contrepartie inventée par Salvius au renoncement par le créancier gagiste d’être mis en possession du gage est de lui reconnaître un droit réel sur la chose.

💡
Droit réel = action réelle = droit de suite = possibilité d’aller chercher la chose en quelque main qu’elle se trouve.

Cela permet au bailleur de récupérer le gage, de le vendre et de se désintéresser sur le prix.

Ce gage sans dépossession qui fait naître un droit réel sur la chose au profit du créancier concerne à l’origine des meubles (esclave, bœuf…).
Dans la pratique courante, on s’aperçoit vite de toute l’utilité que peut avoir ce gage sans dépossession, en matière rurale comme dans des pratiques juridiques totalement différentes.

On accorde l’action servienne bien au-delà de son champ d’application originel : on parle de l’action quasi-servienne.

Utilité de cette nouvelle technique de garantie : une même chose peut supporter plusieurs droits réels concurrents (= supporter plusieurs droits de gagistes différents).
Il devient possible d’offrir une même chose en gage à plusieurs personnes → de tirer tout le profit économique possible d’une chose de valeur.

Ce gage sans dépossession, qui accorde au créancier gagiste un droit réel autant sur les meubles que les immeubles, devient le gage hypothécaire, ou tout simplement l’hypothèque.

C’est une technique parfaitement pragmatique ; son régime juridique se construit à chaque fois qu’une difficulté nouvelle est soulevée pour l’adapter aux besoins du commerce.

B – Le déploiement d’un régime autonome pour le gage sans dépossession

Ce gage sans dépossession qu’est l’hypothèque vient résoudre toute une série de difficultés juridiques et économiques.
Grâce à l’hypothèque, le débiteur reste en possession de la chose gagée, mais le créancier hypothécaire possède un droit réel sur la chose offerte comme sûreté réelle.
Il a un droit réel et un droit de suite
: il peut récupérer la chose en quelque main qu’elle se trouve, si le débiteur ne respectait pas les droits du créancier hypothécaire.

Comme le débiteur reste le possesseur de la chose économiquement, il ne se prive pas de toute la valeur de la chose en l’offrant en garantie.
Il est possible d’offrir à plusieurs créanciers hypothécaires une seule et même chose, et du même coup d’en tirer tout le crédit possible (contrairement au gage).

Les romains acceptent d’utiliser la technique de l’hypothèque aussi bien pour les meubles que pour les immeubles ; aujourd’hui, l’hypothèque exclut en principe les meubles, mais c’est le résultat d’une longue évolution du droit médiéval coutumier (adage “meubles n’ont pas de suite par hypothèque”).

L’hypothèque peut grever des biens meubles ou immeubles + des biens corporels comme incorporels.
Les romains admettent en effet l’existence d’une quasi-possession des choses incorporelles ; par conséquent, une créance peut être grevée d’hypothèque.

L’hypothèque peut être générale ou spéciale.
> Hypothèque spéciale : celle où l’on offre un bien.
>
Hypothèque générale : celle où l’on offre une universalité de biens (tous ses meubles, tous ses immeubles, tous ses biens…).
À l’époque postclassique, on peut même hypothéquer tous ses biens à venir.

Toutes ces techniques sont au service de la mobilisation du crédit → support du développement économique et de la banque à Rome.

L’hypothèque peut être créée / instituée par un acte juridique quelconque : par un contrat, un testament, par une simple convention…

Le législateur s’empare naturelle de cette technique pour défendre les intérêts de l’État, avec la création de la technique de l’hypothèque classique par les constitutions impériales → garantie des droits du fisc.
Par ailleurs, le tuteur, dans l’exercice de sa charge, est censé – par la volonté du législateur – avoir offert son patrimoine en hypothèque dans l’hypothèse où sa gestion tournerait en défaveur de la personne protégée.

Problème : la technique de l’hypothèque se retrouve très vite victime de son succès.
On peut constituer plusieurs hypothèques à raison d’un même bien, et il existe des hypothèques classiques grevant certains biens par la seule volonté de la loi.
Or, à la différence de ce qui existe aujourd’hui, il n’y a pas à l’époque romaine d’équivalent à un espèce de registre où l’on inscrivait les hypothèques.

Ce système du registre connaît une sorte d’esquisse dans les provinces orientales de l’empire romain.
En Egypte et en Grande Grèce, il arrive que certains fonds de terre hypothéqués soient marqués par un signe distinctif indiquant qu’un droit réel grève cette terre ; mais c’est exceptionnel : la plupart du temps les hypothèques qui grèvent un bien sont parfaitement occultes.

L’hypothèque permet de tirer tout le crédit d’une chose, mais un débiteur indélicat peut être tenté de tirer du crédit d’un élément de son patrimoine en l’hypothéquant, pour garantir des créances dont la somme dépasse de beaucoup la valeur du bien.
Ce caractère occulte soulève de nombreuses difficultés le jour où plusieurs créanciers qui ne sont pas payés vont chercher à mettre la main sur la chose et la vendre pour se désintéresser.

L’action quasi-servienne offre 2 droits au créancier hypothécaire : le jus possidendi et le jus distrahendi :

  1. Le jus possidendi permet au créancier d’être en possession de la chose.

    Le défendeur à l’action hypothécaire (qui n’est pas nécessairement le débiteur) pourra repousser la demande du créancier hypothécaire en invoquant le bénéfice de discussion personnelle → il est en droit d’exiger que le créancier commence par actionner les cautions qui mettent en œuvre les sûretés personnelles avant de mettre en œuvre la sûreté réelle.

    Quand le créancier hypothécaire l’emporte, il est mis en possession de la chose par la vertu de l’action quasi-servienne, et le jus possidendi débouche sur :

  1. Le jus distrahendi = le droit de vendre la chose et de se payer sur le prix.
    Il n’y a pas, à Rome, de vente judiciaire comme on en connaît aujourd’hui.

    C’est seulement si la chose ne trouve pas acquéreur que le créancier hypothécaire pourrait demander des rescrits à l’empereur (= la permission de conserver la chose).

C’est là où la pluralité des créanciers hypothécaires pose une difficulté.
Aujourd’hui, il y a une procédure d’ordre où, en cas de liquidation d’un bien hypothéqué, les créanciers hypothécaires se déclarent et l’on procède par ordre (”prior tempore, potior jure”).

À Rome, cette procédure d’ordre n’existe pas. Chaque créancier hypothécaire agit pour ses propres droits et se paie sur la vente de la chose.
Simplement, sa situation risque d’être compromise si un créancier hypothécaire plus ancien se manifeste, prouve qu’il a un titre hypothécaire plus ancien et lui réclame la somme.

Dans l’absence d’un enregistrement des titres hypothécaires : procédure en chaîne, recours à n’en plus finir…
Imaginons qu’il y ait 3 hypothèques : la 3ème hypothèque la plus récente se paie sur le prix, la 2ème réclame la somme au 3ème créancier, s’aperçoit qu’il y a tout juste assez pour se désintéresser et laisse un léger reliquat au 3ème, le 1er assigne les 2 autres…

C’est un dégât collatéral, qui démontre les limites de la technique (qui, économiquement, se révèle très efficace).

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