1 – L’empire de la rigueur et du formalisme : les contrats de droit strict de l’époque archaïque

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet d’histoire du droit des obligations (L2).

Gaïus expliquait qu’il y a 2 types d’obligations : les obligations contractuelles et les obligations délictuelles.
Il classe ensuite les contrats en 4 genres suivant leurs modes de formation :

  1. les contrats qui se forment par la remise de la chose (res) ;
  1. les contrats qui se forment par des paroles solennelles (verbis) ;
  1. les contrats qui se forment par les lettres (litteris) ;
  1. les contrats qui se forment par le seul consentement (consensu).

Cela nous dit beaucoup sur la manière dont on doit comprendre le droit romain des contrats.
Il existe des contrats consensuels (4 types : vente, louage, société, mandat), mais ils sont tout à fait marginaux.
En réalité, le droit romain des contrats ne se construit pas autour de l’idée de l’autonomie de la volonté, mais autour de l’idée que la seule volonté manifestée par les parties serait capable de nouer le lien de droit / de faire naître l’obligation.

Gaïus constate qu’en dehors de ces 4 contrats consensuels, il faut des formalités pour s’engager juridiquement et créer une obligation contractuelle.
→ Le droit romain des contrats n’est pas un droit consensuel, mais un droit formaliste.

Le droit romain des contrats est un empilement de contrats spéciaux, qui naissent à différentes époques et qui vont s’empiler comme des strates archéologiques.
Certains contrats tombent en désuétude, tandis que d’autres traversent l’histoire de la loi des Douze Tables jusqu’à Justinien.

Chaque contrat a un régime juridique spécifique très largement déterminé par l’action en justice qui le sanctionne.

La 1ère génération de contrats est à peu près contemporaine à la loi des Douze Tables de l’époque archaïque.
Ces contrats archaïques sont tous sanctionnés par une catégorie d’actions en justice que l’on appelle les actio(nes) stricti juris (= les actions de droit strict).

D’un point de vue technique, les contrats archaïques et les actions de droit strict ne sont pas très élaborées, mais ils répondent à des besoins juridiques et économiques très élémentaires.

Section 1 : Le vinculum juris noué par la vertu de gestes ou de paroles

Parmi les contrats de l’époque archaïque, aucun n’est consensuel. Il règne un important formalisme contractuel ; si ce formalisme n’est pas respecté, on n’a pas accès au préteur.

Le pacte est un simple accord de volontés, qui ne donne jamais accès au préteur (à l’époque archaïque).
Par principe, le consensualisme contractuel est condamné par la pratique.
→ Les romains ne pensent pas comme nous.

§ 1. Ex nudo pacto, actio non nascitur : l’impossible consensualisme

Pactum est synonyme de conventio.

A – La distinction essentielle entre la conventio et le contractus

La convention ne correspond pas à la notion de contrat, parce que le contrat est ce qui fait naître une obligation, or une convention ne fait pas naître d’obligation.

L’ancien article 1134 du Code civil est un plagiat complet d’un passage du traité Les lois civiles dans leur ordre naturel de Jean Domat, jurisconsulte clermontois.
”Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites”.

La réforme de 2016 a corrigé cet article, pour mettre fin à la querelle doctrinale pour savoir si, dans l’esprit du législateur de 1804, “contrat” et “convention” étaient synonymes.
Aujourd’hui, le Code civil dispose que “le contrat est un accord de volontés” = ce que les romains appelaient une “convention”.

À Rome, il est clair que l’assimilation de l’un à l’autre est impossible. Par définition, il n’y a que quelques contrats consensuels (4).

Les formalités sont une réminiscence de ce qu’est originellement le droit : pour que naisse quelque chose de juridique (pour rattacher ce que l’on fait au jus), il faut qu’un rituel soit accompli.
Il faut que des actes connus par tous manifestent la création de ce lien entre débiteur et créancier et la possibilité de comparaître devant le préteur en cas de contentieux.

Si l’on a pas pris le soin d’effectuer les rituels imposés par la loi (= si l’on n’a pas posé le formalisme exigé par le droit de la cité), ce dont on a convenu n’a pas été tiré du champ du fait pour le poser dans le droit, donc on ne pourra rien exiger de l’autre en justice.

B – Les rapports essentiels entre la conventio et le contractus

Les romains sont très conservateurs dans l’approche qu’ils ont du droit et du respect des formes et des coutumes.
L’excès de formalisme peut conduire à des résultats aberrants.

Illustration :

Varro, un grammairien romain du 12ème siècle, donne l’hypothèse de l’acteur qui, sur scène, va respecter le formalisme de parole qui permet de s’engager.
Si l’on fait confiance au formalisme jusqu’au bout, on doit admettre que c’est la seule vertu des paroles rituelles qui noue le lien de droit.
C’est un raisonnement par l’absurde, qui signale l’absurde d’un excès de formalisme : ici, il est clair que l’acteur n’a pas agir pour s’engager, mais pour mimer l’engagement.
→ Apparence de manifestation de volonté, mais il n’y a pas de véritable volonté.

La conventio pose un obstacle à l’efficacité des paroles.

Le juriste Pedius affirme que le substrat de tout contrat, c’est la convention.
Idée : il n’y a pas de contrat si, d’abord, il n’y a pas eu de volonté.

⚠️ Ce n’est pas la volonté qui noue l’obligation, mais c’est la volonté manifestée dans la conventio qui rend efficace le formalisme contractuel et permet de générer l’obligation.
Ce n’est pas du consensualisme, mais juste de la psychologie de base, parce que le contrat est un acte de la vie civile qui doit être dominé par la raison.

Pedius dit bien que “il n’y a aucun contrat, aucune obligation, qui ne comporte en soit une convention”.
C’est sur cette affirmation que la doctrine romaine va admettre la possibilité de sanctionner l’erreur.

Ulpien : “ne sont pas présumés consentir ceux qui se trompent”.
L’erreur annule la convention, donc l’absence de convention rend inefficace le formalisme.
→ L’absence de formalisme fait tomber le contrat et donc la convention.

Les romains admettent l’erreur plus facilement que nous.

§ 2. Re, verbis, litteris : le recours nécessaire au formalisme

À l’époque archaïque, il n’y a pas de contrat consensuel : tous les contrats sont formalistes !
Le droit des contrats, à l’époque archaïque, est une accumulation de plusieurs contrats spéciaux qui répondent à tel ou tel besoin très spécifique de la société (patriarcale) et de l’économie romaine (essentiellement agraire).

Certains contrats disparaissent très vite.
Par exemple, le nexum (idée : on finit esclave très vite, sans passer par la case “exécution sur ses biens”), n’est pas aboli, mais tombe vite en désuétude.

Gaïus indique, dans son énumération des formes du contrat, que certains contrats formalistes sont des contrats solennels et que d’autres sont des contrats réels.

A – Les contrats solennels

Ce formalisme correspond à des paroles codifiées ou à des jeux d’écriture recueillis dans un livre particulier.

1) Les contrats verbis (par la parole)

Ici, c’est un dialogue codifié entre le créancier et le débiteur qui fait naître l’obligation.

On connaît plusieurs contrats verbis archaïques.
Exemple : le serment de liberté = promesse solennelle exprimée dans des paroles codifiées par lesquelles l’esclave qui va être affranchi promet des journées à son (futur ex-) maître.

La stipulatio est un contrat verbis d’un usage courant qui a connu une grande pérennité.
Il existe dans 2 formes différentes, en fonction de la qualité des parties au contrat :

  • quand les 2 parties à l’acte sont des citoyens romains, on est face à une sponsio ;
  • quand l’une des parties est un non-romain (un pérégrin), on recourt à la fidepromissio.
    On fait intervenir la déesse Fides (divinité des engagements).

Dans l’un et l’autre cas, on exige – à peine d’invalidité – l’emploi de termes prédéfinis par les parties présentes l’une et l’autre accomplissant le rituel dans un trait de temps.

Pour la sponsio, le créancier pose la question : “spondesne (”promets-tu”)… ?” et le débiteur répond “spondeo” (”je promets”).
Il faut que ces 2 termes soient présents + il faut une parfaite superposition des termes employés.

Le terme de sponsio est tiré aussi du vocabulaire religieux.
C’est un rituel religieux, qui a été sécularisé par la loi des Douze Tables.
Idée : la loi des Douze Tables a tiré ce dialogue dans le champ du droit.

Cette pureté de principe originelle va rapidement être altérée par la pratique, qui montre bien qu’on croit de moins en moins en l’efficacité intrinsèque des paroles prononcées.
L’utilisation d’une autre langue que le latin naît, avec par exemple le grec (qui est alors la langue de commerce).
Ce qui va compter : la parfaite concordance matérielle entre la question et la réponse.

Pour permettre des stipulations (stipulatio) entre absents, on va rédiger l’instrument et le sceller, pour qu’il atteste de l’accomplissement valide des formalités alors que les formalités n’ont jamais été accomplies.

À la fin de l’époque classique, on passe au-dessus de l’efficacité des paroles rituelles.
Devant le tribunal de l’empereur, il est interdit de prouver contre la stipulation telle qu’elle a été recueillie par l’instrument.
→ Sortie de cet univers mental où on lie l’efficacité du contrat verbal au verbi.

La stipulatio est appelée le moule à contrats : la forme des paroles rituelles peut accueillir tout type d’opération juridique, quel que soit le but juridique envisagé.
Dès qu’on recourt à la stipulatio, ce qu’on y met acquiert une force obligatoire qui nous permet d’agir en justice en cas de contentieux.
→ Tout ce qu’accueille le formalisme est obligatoire.

La stipulatio est donc un contrat qui est d’une grande souplesse.
Ce n’est pas du consensualisme, parce que le respect du formalisme reste nécessaire ; mais une fois que le formalisme est accompli, tout est possible.


2) Les contrats litteris (par les lettres / par les écritures)

Ici, c’est le jeu d’écritures qui crée l’obligation.
L’écrit ne prouve pas une obligation préexistante : l’écrit amène l’obligation à l’existence.

Tout ce qui entre et tout ce qui sort est noté dans le commerce, soit en crédit, soit en débit. Du point de vue comptable, on retrouve en crédit ou en débit ce qui m’a été avancé et ce que j’ai décaissé.
Ce sont ces écritures comptables symétriques qui rendent créancier ou débiteur ceux qui sont acteurs de l’opération.

Ce contrat litteris disparaît au début de l’Empire : la force des écritures s’amenuise et on constate un recul du formalisme de l’écrit.

B – Les contrats réels

Les contrats réels sont les contrats où le lien de droit (= l’obligation) se noue par la remise de la chose (res).

Le contrat archaïque réel le mieux connu est le mutuum, qui est un contrat de prêt à la consommation.
Idée : je m’engage, dès que j’ai reçu la chose, à rendre l’équivalent → situation banale de la vie juridique, dans un monde encore agraire.

Le mutuum concerne toujours des biens consomptibles (= qui se détruisent par le premier usage).
Exemple : blé, argent…
≠ biens fongibles.

Le prêt romain exclut par hypothèse de restituer davantage que ce que l’on a reçu.
Le contrat de prêt est un contrat de bienfaisance : c’est un service qui est rendu.

La tentation est alors forte de prévoir un intérêt, en ajoutant au contrat de mutuum une stipulation d’intérêts qui prévoit de donner / payer une certaine somme d’argent (ou un surcroît de blé, de vin, d’huile…).
Ce taux d’intérêt va très vite être réglementé à 12%, mais il ne concerne pas les professionnels.
Cette opération complexe, qui lie le contrat réel de mutuum et le contrat verbal de stipulation d’intérêt, est appelée l’usure.

Section 2 : Le vinculum juris sanctionné par l’actio stricti juris

L’approche réaliste du droit des obligations par les romains implique la nécessité d’avoir une action pour pouvoir se dire réellement créancier d’une obligation.
Le formalisme de l’époque archaïque permet de donner l’accès au créancier si jamais le débiteur ne s’exécute pas.

Tous les contrats de l’époque archaïque sont sanctionnés par une catégorie d’actions que les juristes de la fin de l’époque classique appelleront actions de droit strict.
actions de bonne foi = deuxième génération de contrats, qui naissent au début de l’époque classique.

Cette catégorie des actions de droit strict renvoie à un schéma procédural commun extrêmement rigoureux.

§ 1. La diversité des actions de droit strict

Ces actions de droit strict naissent à la fin de l’époque archaïque, pour éclipser des actions formalistes beaucoup plus anciennes.

A – L’éclipse des anciennes actions de la Loi

À l’origine, en matière de contrat, on plaidait sur le fondement du sacramentum, qui est une action de la loi.

Cette action de la loi par le sacramentum suppose l’accomplissement d’un rituel judiciaire réalisé devant le préteur.
Il existait 2 formes de sacramentum :

  1. in personam, lorsque l’on plaidait sur le fondement d’un droit personnel ;
  1. in rem, lorsque l’on plaidait sur le fondement d’un droit réel.

Le sacramentum in personam est très mal connu : ce sont les Institutes de Gaïus qui décrivent cette procédure archaïque.
Il semble que les parties au procès procédaient à des déclarations solennelles devant le magistrat. Celui qui se présentait comme créancier déclarait que l’autre devait lui donner ou faire quelque chose, et le prétendu débiteur niait cette déclaration solennelle du prétendu créancier → qui provoque l’autre au procès = au sacramentum.
C’est ensuite le judex qui dit qui a dit vrai devant le préteur et qui prononce une condamnation contre celui qui a menti, qui succombe à l’action (amende).

Dès l’époque archaïque, il y a une alternative au sacramentum in personam : la judicis arbitrive postulatio, qui est utilisée lorsque le recours au sacramentum est inefficace.
Un arbitre est désigné par le magistrat et a la possibilité de moduler la sentence.

B – La création de deux nouvelles actions

Au 3ème siècle, de nouvelles actions s’ajoute aux autres : la condictio et l’action ex stipulatu.
Puisque ces nouvelles actions sont plus efficaces que le sacramentum, elles le condamnent à la désuétude.

Les juristes désignent tardivement ces actions comme des actions de droit strict, parce que le judex a une très faible marge d’appréciation pour déterminer le montant de la condamnation à partir de la réforme de la lex aebutia.

Même si la condictio est très efficace, elle ne peut pas s’adapter à des hypothèses plus complexes, où certains faits entrent en jeu ou lorsque l’on ne connaît pas précisément le montant de la créance ou l’objet qui doit être livré par le débiteur.
Dans ces hypothèses, on utilise le schéma procédural de la condictio et on ajoute au début de la formule une demonstratio, où l’on indique le caractère incertain de la formule, ce qui contraint le judex à se prononcer plus tard sur la valeur de la créance avant de décider d’une condamnation.

§ 2. La spécialisation des actions de droit strict

L’usage pratique amène à recourir à la condictio quand la créance est juridiquement certaine, et à l’action ex stipulatu quand elle est juridiquement incertaine.

A – Une créance certaine, la condictio

Lorsque la créance porte sur une somme ou une chose d’argent certaine et déterminée, on dit qu’elle est certaine.

  1. On utilise la formule condictio certae pecuniae :
    1. lorsque quelqu’un a promis de payer une somme d’argent clairement définie ; ou
    1. lorsque, dans 2 codex, on a fait mention de la même somme d’argent en crédit ou en débit.

    Exemple : pour le mutuum (crédit de consommation).

  1. On utilise la formule condictio certae rei lorsqu’une chose est juridiquement certaine.
    Idée : une chose est juridiquement certaine lorsqu’il s’agit d’un corps certain (ex : blé).

B – Une créance incertaine : l’action ex stipulatu

On est ici face à une difficulté pour régler la question de la teneur de l’obligation (→ la teneur de l’obligation est un litige).
Le schéma des 2 formes de condictio n’est pas du tout adapté ici, puisqu’il faut y faire mention de la cause de l’obligation pour que le judex s’engage dans l’instruction.

On considère aussi qu’une créance est juridiquement incertaine lorsqu’elle porte sur une obligation de faire quelque chose.
Dans ce cas, le juré doit pouvoir déterminer la valeur de la prestation qui fait l’objet de la stipulatio.
La demonstratio qui est ajoutée dans la formule lui permet d’accomplir cette tâche.

Le caractère strict de l’action ex stipulatu est marqué par l’alternative dans laquelle le juré est engagé : soit il condamne, soit il déboute.

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