Commentaire de texte : extrait du discours préliminaire sur le projet de Code civil de Portalis

Texte commenté :
« Les matières criminelles, qui ne roulent que sur certaines actions, sont circonscrites ; les matières civiles ne le sont pas. Elles embrassent indéfiniment toutes les actions et tous les intérêts compliqués et variables qui peuvent devenir un objet de litige entre les hommes vivants en société. Conséquemment, les matières criminelles peuvent devenir l’objet d’une prévoyance dont les matières civiles ne sont pas susceptibles. »
« Les lois pénales ou criminelles sont moins une espèce particulière de lois que la sanction de toutes les autres. Elles ne règlent pas, à proprement parler, les rapports des hommes entre eux, mais ceux de chaque homme avec les lois qui veillent pour tous. »

Portalis nous offre dans son Discours préliminaire au premier projet de Code civil sa conception des caractéristiques du droit pénal. Selon lui, il s’agit d’une discipline à la fois discontinue et accessoire aux autres branches du droit, et par conséquent subsidiaire. Mais Portalis ne va pas jusqu’à revendiquer une autonomie du droit pénal : en effet si certains mécanismes laissent entrevoir la spécificité de la sanction pénale, le droit répressif n’a pour finalité que la garantie de valeurs supérieures parfois extra-pénales.

Dès lors, il semble pertinent de se demander dans quelle mesure cet extrait du discours de Portalis permet d’illustrer les tensions à l’œuvre en droit pénal, entre un caractère subsidiaire et un caractère auxiliaire de la matière.

I – L’affirmation du caractère subsidiaire du droit pénal

A) La reconnaissance de la discontinuité du droit pénal comme une garantie de la liberté

« Les matières criminelles, qui ne roulent que certaines actions, sont circonscrites ; les matières civiles ne le sont pas. Elles embrassent indéfiniment toutes les actions et tous les intérêts compliqués et variable qui peuvent devenir un objet de litige entre les hommes vivant en société. »

  • Le droit pénal est subsidiaire (dernier recours) donc il est discontinu (les vides comptent plus que les pleins) contrairement aux autres branches du droit (civil, commercial, administratif).
  • La discontinuité permet la protection de la liberté individuelle de chacun ; il est possible ici de formuler une critique lorsque l’on songe à l’élaboration du Code pénal napoléonien de 1810 (« code de fer »).

B) La consécration de la nature accessoire d’un droit pénal dénué de portée normative

« Conséquemment, les matières criminelles peuvent devenir l’objet d’une prévoyance dont les matières civiles ne sont pas susceptibles. »

  • La discontinuité et la prévisibilité du droit pénal implique-t-elle une normativité de la discipline selon Portalis ? Il faut ici évoquer le cas des contraventions et l’inflation législative, qui remettent en cause cette portée prévisible et laissent supposer une certaine pédagogie du droit pénal.
  • Si la prévoyance peut avoir une vertu pédagogique, la portée normative du droit pénal est une théorie qu’il faut rejeter : il s’agit d’un droit nécessairement sanctionnateur, donc accessoire.

Transition : ce caractère accessoire lui donne-t-il une autonomie ?

II. Le rejet relatif du caractère autonome du droit pénal

A) La revendication de la fonction de garantie assurée par le droit pénal

« Les lois pénales ou criminelles sont moins une espèce particulière de lois que la sanction de toutes les autres. »

  • Loin de reconnaître une autonomie au droit pénal, Portalis semble lui accorder une fonction de garantie : le droit pénal défend des intérêts et des valeurs qui lui sont étrangers (positives ou naturelles).
  • Le droit pénal n’a pas de contenu substantiel : en principe donc, il doit se référer aux normes extra-pénales dont il assure la sanction (pas d’autonomie).

B) L’esquisse d’une autonomie latente de la discipline pénale due à la spécificité de sa
sanction

« Elles ne règlent pas, à proprement parler, les rapports des hommes entre eux, mais ceux de chaque homme avec les lois qui veillent pour tous. »

  • Mais Portalis reconnaît une certaine spécificité au droit pénal et principalement à la sanction pénale, qui n’a pas le même objet ni la même fonction que la sanction civile ; il admet ici une certaine autonomie du droit pénal qui ne peut pas toujours se référer au texte extra-pénal pour son efficacité.
  • Cependant, une fois cette spécificité admise, il ne s’agit pas de louer une quelconque autonomie du droit pénal qui serait délétère pour le principe de légalité (= la garantie de la liberté), d’autant plus que le phénomène apparaît aujourd’hui en reflux.

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