Chapitre 5 : Les sources du droit européen

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Depuis quelques décennies, le droit européen s’est imposé comme une source importante du droit administratif.
→ Mouvement d’européanisation du droit administratif.

Avant de voir quelles formes prend cette européanisation du droit administratif, il faut se mettre d’accord sur ce qu’est le droit européen. Cela peut être source de confusion, car le “droit européen” n’existe pas : cette expression peut désigner à la fois le droit de l’Union européenne et le droit du Conseil de l’Europe.

Le droit de l’Union européenne est issu du traité de Rome du 25 mars 1957, qui institue à l’origine une union économique, devenue ensuite politique, qui a notamment pour projet de fixer des règles relatives à la coopération des États européens dans des domaines variés.
Le droit de l’Union européenne est assuré par la CJUE, qui se trouve à Luxembourg.

Le droit du Conseil de l’Europe est issu du traité de Londres du 5 mai 1949, édicté juste après la Seconde Guerre mondiale, qui se donne comme ambition de développer les droits de l’homme en Europe.
Son droit a pour objet la promotion des droits de l’homme. Il est principalement sanctionné par la CEDH, basée à Strasbourg.

Section 1 : Le droit de l’Union européenne

§ 1. Le droit originaire

A – La définition du droit originaire

À l’origine, le droit originaire est composé des différents traités relatifs aux communautés européennes :
> le traité de Paris (1951) institue la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) ;
> le traité de Rome (1957) institue la Communauté économique européenne (CEE) ;
> le traité EURATOM (1957, signé à Rome) institue la Communauté européenne de l’énergie atomique.

Ces traités vont être modifiés à de nombreuses reprises par d’autres traités européens :
> l’Acte unique européen (1986) ;
> le traité de Maastricht (1992) ;
> le traité d’Amsterdam (1997) ;
> le traité de Nice (2001).

On finit par se dire que c’est illisible parce qu’il y a trop de traités, donc on décide de simplifier le droit originaire de l’UE.
Le traité de Lisbonne (2007) entre en vigueur en 2009. Il constitue une étape très importante pour la définition du droit originaire européen, puisqu’il met fin aux communautés européennes originaires pour les remplacer par une organisation unique : l’Union européenne.
(+ la CJCE devient la CJUE)

Le traité de Lisbonne remplace les traités successifs par 2 traités de synthèse :

  1. Le traité sur l’Union européenne (TUE) affirme les grands principes de l’UE ;
  1. Le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) entre dans le détail des procédures et de la répartition des compétences.

Aujourd’hui, le droit originaire de l’UE renvoie à ces 2 traités.

B – L’invocabilité du droit originaire

L’invocabilité désigne la capacité à utiliser une norme à l’appui d’un recours.

1) La position de la CJUE

CJCE, 1964, Costa contre ENEL :
La CJCE considère que le droit de l’UE est d’une “nature spécifique et originale” dans la mesure où il constitue un ordre juridique propre, intégré aux systèmes juridiques des États membres.
→ Le droit originaire de l’UE s’intègre dans chacun des droits des États membres de l’UE.

La CEE est donc un ordre juridique dont les dispositions priment sur le droit national de manière irrévocable, dans le champ restreint où les États membres lui ont transféré une partie de leur souveraineté.

CJCE, 1963, Van Gend en Loos :
Le droit de l’UE, dans sa composante originaire (les traités), est invocable directement par les particuliers, aussi bien devant les juridictions européennes que devant les juridictions nationales.
Autrement dit, la CJCE affirme que toutes les stipulations des traités relatifs à l’Union européenne sont dotés de l’effet direct et peuvent donc être invoqués devant toute juridiction.

Pour qu’il en soit ainsi, les normes de droit originaire doivent respecter 2 conditions :

  1. Ces normes doivent être “claires, précises et inconditionnelles” : le sens à donner à ces normes ne doit pas être ambigu.
  1. Ces normes ne doivent pas “appeler de mesures complémentaires pour être appliquées” : les stipulations en question doivent être d’application directe.

Si l’une ou l’autre de ces 2 conditions n’est pas remplie, alors la stipulation n’est pas invocable devant une juridiction.

Pour savoir si une stipulation est “claire, précise et inconditionnelle”, ou si son sens est dépourvu d’ambiguïté, le juge peut saisir la Cour de justice pour qu’elle livre son interprétation de la stipulation.
On parle de question préjudicielle : une question de droit qui détermine la solution à donner au litige. Le renvoi préjudiciel est un mécanisme de juge à juge, qui permet à un premier juge de demander à une cour suprême de livrer son interprétation (ici, sur un traité européen).


2) La position du Conseil d’État

Le sens que le Conseil d’État donne à l’effet direct n’est pas tout à fait celui donné par la Cour de justice.
Aux yeux du Conseil d’État, l’essentiel pour invoquer une norme est qu’elle soit d’effet direct, c’est-à-dire qu’elle donne des droits à des personnes autres que les États signataires.

Comme souligné dans la décision Costa, le droit de l’Union européenne a une nature particulière. Les traités de l’UE ont vocation à s’inscrire dans un ordre juridique qui s’inscrit lui-même dans l’ordre juridique de chacun des États membres.
Il faut donc utiliser des outils qui ne sont pas ceux retenus habituellement par les juges internationaux. C’est pour cette raison que la décision GISTI considère que l’effet direct vaut pour tous les traités internationaux, sauf ceux de l’UE.

Conseil d’État, 1967, Société des établissements Petit Jean :
Le Conseil d’État reprend à son compte la position de la Cour de justice à propos de l’effet direct des stipulations du droit originaire européen.
Autrement dit, le Conseil d’État affirme que ces stipulations sont bien dotées de l’effet direct, à condition de respecter les 2 conditions :
1- ces normes doivent être claires, précises et inconditionnelles ;
2- ces normes ne doivent pas nécessiter de mesures complémentaires pour être applicables.

Il est donc possible d’invoquer les stipulations du droit originaire européen devant le juge administratif français, dès lors qu’elles répondent à ces 2 conditions.

Le Conseil d’État est à cet époque encore très souverainiste et attaché au droit français.
S’agissant du respect de la 1ère condition, il a quelques scrupules à considérer qu’une disposition d’un traité européen n’est pas claire. En effet, parce que ça fait longtemps qu’il interprète des traités internationaux, il va traîner des pieds pour poser des questions préjudicielles → théorie de l’acte clair.

Cette époque est aujourd’hui révolue.
La théorie de l’acte clair a laissé à la place au dialogue apaisé des juges : le Conseil d’État pose régulièrement des questions préjudicielles à son homologue européen pour être certain du sens à donner à certaines stipulations européennes.

C – La valeur du droit originaire

1) Par rapport aux lois

Conseil d’État, 1989, Nicolo :
💡 Il s’agit de l’arrêt le plus important de ce semestre.
Le Conseil d’État y affirme la supériorité des traités internationaux sur les lois, que la loi concernée soit antérieure ou postérieure au traité international.

Les faits de l’arrêt Nicolo concernaient les élections européennes : la décision portait sur le traité de Rome, l’un des symboles du droit originaire européen.

→ Les traités internationaux ont une valeur supérieure aux lois en droit interne, que celle-ci soit antérieure ou postérieure au traité en question.


2) Par rapport à la Constitution

Conseil constitutionnel, 2004, Traité établissant une Constitution pour l’Europe :
En s’appuyant sur l’article 54 de la Constitution, le Conseil constitutionnel affirme qu’elle est au sommet de l’ordre juridique.

→ Les normes constitutionnelles s’imposent aux traités internationaux en droit interne français.

⚠️ Cette solution ne vaut qu’en droit interne français.
Dans l’ordre juridique européen, la solution est différente : le droit originaire européen y est situé au sommet.

§ 2. Le droit dérivé

Le droit dérivé est le droit qui dérive du droit originaire, c’est-à-dire les normes rédigées par les institutions créées par les traités.
Il regroupe différentes catégories de normes élaborées par les institutions de l’UE :
> Commission européenne ;
> Conseil des ministres européen (”Conseil de l’Union européenne”) ;
> Parlement européen.

A – Les différentes catégories de normes de droit dérivé

L’article 288 du TFUE précise que la Commission, le Conseil des ministres et le Parlement peuvent, chacun de leur côté ou ensemble, édicter les 4 catégories de normes suivantes :

1) Les règlements

Le règlement a une portée générale : c’est la norme qui, au niveau européen, fixe une règle de portée générale susceptible de s’appliquer à toutes les personnes concernées.
Il est obligatoire dans tous ses éléments : tous les articles qui le composent ont une portée contraignante pour les institutions européennes et pour les États membres.

Il produit des effets juridiques et des obligations.
Il est directement applicable dans tout État membre : aucune adaptation n’est nécessaire pour que les normes qu’il fixe soient intégrées dans les droits des États membres.

Conseil d’État, 1978, Syndicat viticole des Hautes Graves de Bordeaux :
Le Conseil d’État affirme, en se fondant sur l’article 288 du TFUE, que le règlement se différencie de la directive européenne, dans la mesure où il s’intègre dans le droit français dès sa publication.


2) Les directives

L’article 288 dit que la directive lie tout État membre quand au résultat à atteindre, tout en laissant les instances nationales la compétence quand à la forme et aux moyens.

Ce caractère contraignant apparaît relatif, dès lors qu’il est laissé aux États membres une marge d’appréciation pour appliquer la directive.
Ils sont libres de la forme et du contenu des normes de transposition, qui doivent juste permettre d’atteindre les objectifs fixés par la directive.


3) Les décisions

L’article 288 affirme qu’une décision est obligatoire dans tous ses éléments, mais ne l’est que pour les destinataires qu’elle désigne.

C’est une norme obligatoire, qui s’impose aux États membres ; elle se différencie du règlement parce qu’elle ne vise que certaines personnes ou États → décision administrative individuelle.


4) Les recommandations et les avis

Les avis et les recommandations ne lient pas.
Ces 3 institutions peuvent en effet prendre position sur des sujets, sans vouloir que ça ne se traduire dans des normes obligatoires : recommander une action, donner un avis sur une situation en cours… sans obliger, interdire ni sanctionner.

B – L’exemple des directives européennes

Les directives européennes sont l’un des outils juridiques les plus utilisés par l’UE. Elles sont importantes de par leur nombre, mais aussi en raison de la nécessité pour les États de les transposer.

En droit français, ce sont soit des lois (loi de transposition) soit des décrets (décret de transposition).
Ce sont les articles 34 et 37 de la Constitution qui dispose si la matière concernée par la directive relève de la loi ou du règlement.

Aujourd’hui, ~40% des textes législatifs sont des lois de transposition des directives européennes. Une part non négligeable de l’activité du Parlement consiste donc à transposer.

1) L’obligation de transposer les directives

a) Le principe

La France, comme tout État membre, est tenue de transposer les directives européennes.
En effet, l’article 288 du TFUE pose l’obligation pour les États membres de prendre toutes les mesures nationales permettant d’atteindre les objectifs fixés par la directive.

À ce fondement européen s’ajoute aujourd’hui un fondement constitutionnel, incarné par une disposition de la Constitution de 1958 : l’article 88-1, inséré au début des années 2000 pour renforcer, au sein même de la Constitution, la dimension européenne de la France.

“La République participe à l’Union européenne, laquelle est constituée d’États ayant choisi librement d’exercer en commun certaines de leurs compétences.”

Cette disposition constitutionnelle est interprétée par nos juridictions suprêmes comme posant implicitement une obligation de transposer les directives européennes.

Conseil constitutionnel, 2004, Loi sur l’économie numérique :
Le Conseil constitutionnel affirme que “la transposition des directives européennes en droit interne résulte d’une exigence constitutionnelle”, tirée de l’article 88-1.

Intérêt : le Conseil constitutionnel peut opérer un contrôle de constitutionnalité des lois de transposition des directives, et donc sanctionner le législateur qui aurait mal transposé une directive.

Conseil d’État, 2007, Société Arcelor Lorraine :
”La transposition d’une directive européenne en droit interne résulte d’une exigence constitutionnelle”.
→ Reprend à son compte la formule du Conseil constitutionnel.

Intérêt : le juge administratif peut opérer un contrôle de constitutionnalité des mesures réglementaires de transposition.

Il résulte de la Constitution, du TFUE et de la jurisprudence du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel que l’État français a l’obligation de transposer les directives européennes en droit interne.

b) Les conséquences de l’irrespect du principe

Pendant très longtemps, la France a été mauvaise élève en matière de transposition des directives.
Elle ne les transposait pas, ou elle mettait trop longtemps à les transposer, parce qu’elle percevait le droit de l’UE comme un droit étranger invasif.

Le plus souvent, quand la Commission, le Conseil des ministres ou le Parlement établissent une directive, il fixent un délai pour la transposition (généralement entre 1 et 3 ans).
La France a souvent échoué à transposer les directives dans les délais, ce qui a 2 conséquences :

  1. Tout règlement contraire à une directive non transposée dans les délais est illégal.

    Conseil d’État, 1989, Compagnie Alitalia :
    Le Conseil d’État affirme qu’un règlement contraire à une directive non transposée dans les délais par la France est illégale de ce fait et doit donc être abrogée par l’autorité administrative compétente.

    ⚠️ Cela ne vaut que pour les règlements (pas les règlements européens, mais les actes administratifs réglementaires).
    Les actes administratifs individuels sont exclus, car ils n’ont pas la même importance.

    Le Conseil d’État précise que l’autorité administrative compétente doit abroger (= faire disparaître pour le futur) tout acte règlementaire illégal car contraire à une directive européenne non transposée.

    Si on signale à l’autorité administrative compétente un règlement contraire aux objectifs d’une directive non transposée et qu’elle n’abroge pas ce règlement, on peut faire un REP contre ce refus d’abroger.
    Si le juge administratif constate qu’en effet le règlement est contraire aux objectifs fixés par la directive non transposée, alors il annulera le refus et demandera l’abrogation de l’acte.

    💡 Les pouvoirs d’injonction et d’astreinte sont confiés au juge de l’excès de pouvoir depuis 1995.

  1. L’engagement de la responsabilité de l’État.
    Pour la Cour de justice, il ne fait aucun doute que les États membres qui ne transposent pas les directives dans les délais impartis commettent des fautes qui engagent la responsabilité de l’État fautif.
    → Possibilité d’obtenir des dommages et intérêts pour le préjudice subi.

    CJUE, 1995, Brasserie du pêcheur :
    La Cour de justice condamne l’État allemand au paiement de dommages et intérêts pour ne pas avoir transposé une directive dans les délais impartis, parce que cette absence de transposition a été à l’origine d’un préjudice pour le requérant.

    Le Conseil d’État va, pendant quelques années, tenter d’opérer une distinction entre les règlements de transposition et les lois de transposition :

    Conseil d’État, 1992, Société Arizona Tobacco Products :
    Pour la première fois, le Conseil d’État admet la possibilité d’engager la responsabilité de l’État français pour le préjudice résultant de l’absence de transposition d’une directive dans le délai imparti.
    Il condamne l’État français à payer des dommages et intérêts, en l’absence de règlement de transposition.
    C’est une manière de dire implicitement que, si la mesure de transposition aurait dû être une loi, il n’aurait pas été possible d’engager la responsabilité de l’État français.

    Le Conseil d’État réserve ainsi la possibilité d’engager la responsabilité de l’État uniquement dans l’hypothèse où la mesure de transposition aurait dû être un règlement, parce qu’il n’a pas envie d’être celui qui engage la responsabilité de l’État du fait des lois.

    Conseil d’État, 2007, Gardedieu :
    Le Conseil d’État reconnaît la possibilité d’engager la responsabilité de l’État en cas de méconnaissance par le législateur des engagements internationaux de la France.
    → Champ d’application dépasse les seules directives européennes.

    Il résulte de cette décision de principe qu’en cas d’oubli par le législateur de transposer la directive, cet oubli expose l’État français à se voir condamné à payer des dommages et intérêts, si cet oubli est à l’origine d’un préjudice.


2) L’invocabilité des directives

Si la directive a été transposée, elle devient en droit interne une loi ou un décret.
La jurisprudence fait une distinction entre l’État et les particuliers :

Conseil d’État, 1995, SA Lilly France :
Dans cette décision de principe, le Conseil d’État affirme que l’État ne saurait pas se prévaloir d’une directive qu’il n’a pas transposée dans les délais.
→ L’État ne peut pas se prévaloir de sa propre turpitude.

Conseil d’État, 1978, Ministre de l’Intérieur c/ Cohn-Bendit :
M. Cohn-Bendit conteste son expulsion vers l’Allemagne, en invoquant une directive non transposée dans les délais.
Le Conseil d’État affirme que les particuliers peuvent se prévaloir d’une directive non transposée dans les délais à l’appui d’un recours contre un acte administratif uniquement si le recours vise un acte administratif règlementaire.

Conseil d’État, 2009, Mme. Perreux :
Mme. Perreux contestait le refus du ministre de la Justice de la nommer en tant que responsable de l’ENM ; elle estime que c’est dû à son appartenance à un syndicat.
Le Conseil d’État opère un revirement de jurisprudence et affirme que désormais les directives non transposées dans les délais impartis peuvent être invoquées à l’appui de tout recours juridictionnel, que ce recours porte sur un acte réglementaire ou sur un acte individuel.

Cette décision reconnaît plus largement les possibilités d’invocabilité des directives européennes, mais pose 2 conditions :

  1. Il faut que le délai de transposition soit dépassé ;
  1. Les dispositions de la directive doivent être “claires, précises et inconditionnelles”.

Conseil d’État, 1992, SA Rothmans International France :
💡 On parle d’arrêt jumeau lorsque le Conseil d’État rend le même jour 2 décisions portant sur un même sujet (ici, SA Arizona Tobacco Products).
Le Conseil d’État affirme que les directives européennes non transposées dans les délais impartis sont supérieures aux lois.

Cette décision est rendue 3 ans après la décision Nicolo et utilise un raisonnement équivalent : le Conseil d’État vise l’article 55 de la Constitution et l’applique non à un traité international, mais à un autre engagement de la France, qui se matérialise par l’application des directives européennes.

Conseil d’État, 1990, Boisdet :
Le Conseil d’État affirme que, dans la hiérarchie des normes en droit interne, les règlements européens comme les traités internationaux sont supérieurs aux lois, que la loi soit antérieure ou postérieure au règlement.

On peut donc placer les directives et les règlements européens sur le même plan que les traités internationaux en droit interne.

Section 2 : Le droit du Conseil de l’Europe

Le Conseil de l’Europe est une organisation européenne créée après la Seconde Guerre mondiale (traité de Londres signé le 5 mai 1949) avec comme volonté de diffuser la paix et les droits de l’homme en Europe.
Aujourd’hui, le Conseil de l’Europe compte 47 États membres, dont tous les États membres de l’UE.

Aujourd’hui, la CEDH – au même titre que la CJUE – est devenue un acteur du droit administratif : par les décisions qu’elle a pu prendre, elle a conduit à faire évoluer un certain nombre de règles du droit administratif français.

§ 1. La Cour européenne des droits de l’homme, garante du respect de la Convention européenne des droits de l’homme

La Convention EDH est le principal traité qui a été élaboré dans le cadre du Conseil de l’Europe.
C’est un outil emblématique qui consacre un certain nombre de droits de l’homme au profit des individus présents dans les États membres qui ont ratifié cette convention.

Contrairement à la DDHC de 1789, la Convention EDH crée une juridiction pour faire respecter ces droits humains et sanctionner leur non-respect par les États ayant ratifié la Convention : la CEDH, qui siège à Strasbourg.

La CEDH est composée de juges élus par chacun des États membres, qui y siègent pendant 9 ans.

A – La procédure de saisine de la Cour

2 types de recours permettent de saisir la CEDH :

1) Le recours interétatique

Un État qui estime qu’un autre État signataire de la Convention EDH n’a pas respecté l’une ou l’autre des stipulations de la Convention et a donc contrevenu à ses obligations peut saisir la CEDH.

L’usage de ce recours est très rare : les États préfèrent la politique et la diplomatie – ils ne choisissent la voie contentieuse qu’en dernier recours.


2) Le recours individuel

Le recours individuel est très utilisé.
Il permet à un individu de faire sanctionner un État membre qui aurait contrevenu aux obligations de la Convention EDH.

a) Les conditions tenant au caractère subsidiaire du recours

Il faut respecter 2 conditions :

  1. Avoir épuisé toutes les voies de recours internes : il faut être allé jusqu’à la cour suprême de l’État concerné, ce qui peut parfois prendre plusieurs années.
  1. Invoquer le non respect par un État d’une stipulation de la Convention EDH → recours en substance.
    Autrement dit, dans le recours adressé à la CEDH, il faut pointer clairement quels sont les articles de la Convention qui n’ont pas été respectés.

    b) Les conditions tenant au requérant et à la requête

Ces conditions sont appréciées souplement : l’article 34 de la Convention EDH dispose que “toute personne peut saisir la CEDH”, ce qui inclut donc toute personne physique ou morale, privée ou publique, peu importe sa nationalité.

La personne qui saisit la Cour doit tenter de démontrer dans sa requête dans quelle mesure est-ce qu’elle est, à titre personne, victime du non respect d’une stipulation de la Convention.
Il y a donc une condition d’imputabilité : il faut que le requérant démontre que le non respect par un État membre de telle ou telle stipulation est à l’origine d’un préjudice qu’il a subi → que le comportement de l’État est à l’origine du préjudice.

B – La portée des décisions de la Cour

Il s’agit d’une question délicate, qui a fait l’objet de profondes évolutions.

1) Une portée juridique théoriquement limitée

La portée juridique d’une décision de la CEDH est en théorie limitée, parce qu’elle n’est pas une cour suprême.
Autrement dit, la CEDH n’a pas la possibilité de réformer une décision de justice. Elle n’a pas le pouvoir d’abroger, de modifier ou d’annuler un acte pris en droit interne, tel qu’un règlement, une loi ou un acte administratif.

L’article 41 de la Convention EDH dispose que la CEDH a le pouvoir de “déclarer l’existence d’une violation de la Convention par un État membre”.

L’article 46 de la Convention dispose que les États signataires “s’engagent à se conformer aux décisions de la Cour”.
Au titre de cet article 46, les décisions de la Cour ne sont pas des avis ou des recommandations, mais des décisions à portée obligatoire : l’État visé par la décision a l’obligation de la respecter + de la mettre en oeuvre.
Donc les décisions de la Cour n’ont de portée obligatoire qu’à l’égard de l’État partie au litige → ont un effet inter partes.


2) Une autorité effectivement importante

La CEDH, au fur et à mesure du temps, s’est reconnue la possibilité de rendre des décisions qui vont au-delà de ce qui avait été envisagé à l’origine.
Elle a estimé que les États doivent respecter les stipulations de la Convention telles qu’interprétées par la Cour.

CEDH, 2006, Scordino c/ Italie :
La Cour, de manière astucieuse, considère que les décisions par lesquelles elle interprète les stipulations de la Convention sont des décisions de principe (= valent pour tous).
Idée : elles font droit pour tous les destinataires, erga omnes. Lorsque la Cour condamne un État signataire pour avoir contrevenu à une stipulation de la Convention, les autres États doivent vérifier que leur droit interne est conforme.

§ 2. Illustrations de l’influence de la CEDH sur le droit administratif

Ces dernières décennies, la CEDH a rendu un certain nombre de décisions importantes qui intéressent le droit administratif.

A – L’article 6 §1 de la Convention

Il s’agit de l’article le plus connu de la CEDH, qui a donné lieu au plus de jurisprudence.

“Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial…”

1) Le champ d’application large de l’article

Dans cet article, où tous les mots sont importants, il y a 3 expressions utilisées qui pourraient laisser penser que le droit administratif n’est pas concerné par son champ d’application :
> “les droits et obligations à caractère civil” ;
> “les accusations en matière pénale” ;
> “tribunal”.
Mais la CEDH l’a interprété différemment.

“les droits et obligations à caractère civil”

Dans un premier temps, le Conseil d’État a interprété cette décision dans le sens du droit français, en considérant que les sanctions administratives n’étaient pas concernées par l’article 6 §1 de la Convention EDH.
Par exemple :
CEDH, 1981, Le Compte :
Une décision administrative n’est pas une décision qui affecte les droits et obligations civiles des individus au sens de l’article 6§1 de la Convention EDH.

Il y a donc eu, pendant quelques années, une divergence sur l’application de l’article 6 §1 de la Convention EDH entre le Conseil d’État et la CEDH.

Conseil d’État, 1996, Maubleu :
Les sanctions administratives entrent dans le champ de l’article 6 §1 de la Convention EDH, dès lors que les actes mettent en cause des droits à caractère privé.
→ Le Conseil d’État change d’avis.

“les accusations en matière pénale”

Là où le juriste français ne pensait pas que des actes administratifs puissent être susceptibles d’être considérés comme des accusations en matière pénale, la CEDH a dit que cette expression renvoie à tous les actes qui sanctionnent un individu pour ne pas avoir respecté une règle de droit.

Le Conseil d’État s’est rallié à cette expression :
Conseil d’État, 1999, Didier :
Les sanctions édictées par le Conseil du marché financier, une AAI qui n’existe plus, constituent des sanctions en matière pénale → l’article 6 §1 de la Convention EDH est applicable à ces situations.

“tribunal”

En droit français, un tribunal est une juridiction qui tranche des litiges en appliquant des règles de droit.
Pour la CEDH, ce qui est essentiel pour caractériser un tribunal au sens de l’article 6 §1, c’est d’une part la procédure suivie, et d’autre part l’objet de la procédure suivie.
Le mot “tribunal” est donc compris au sens matériel : il faut relever des éléments matériels qui permettent de distinguer un tribunal :
> la procédure suivie devant l’organisme (est-ce qu’elle ressemble à celle suivie devant une juridiction ?) ;
> est-ce que l’organisme applique des règles de droits pour trancher des différents ?

S’il applique des règles de droit à un cas individuel, il peut être assimilé à un tribunal au sens de l’article 6 §1.
La CEDH a donc retenu une interprétation large de cette expression, incluant dans son champ tous les organes qui appliquent des règles de droit et qui suivent une procédure quasi juridictionnelle.

Le Conseil d’État a fini par s’y rallier et a considéré que certains organes administratifs qui avaient à statuer sur la légalité de certaines sanctions peuvent être reconnus comme des tribunaux.
Dans son arrêt Didier de 1999, il affirme aussi que lorsque le Conseil des marchés financiers siège en formation disciplinaire, il est un tribunal au sens des dispositions de l’article 6 §1 de la Convention EDH.


2) L’article 6 §1 et le procès administratif

L’interprétation de cet article par la CEDH a conduit à l’évolution de l’organisation de la juridiction administrative française.

a) L’acceptation sous condition du dualisme statutaire du Conseil d’État

Le Conseil d’État peut-il être considéré comme impartial et indépendant au sens de la Convention EDH, dès lors qu’il conseille le gouvernement en même temps qu’il est juridiction suprême ?
La CEDH a largement admis que ce dualisme statutaire n’était pas contraire à la Convention :

CEDH, 1995, Procola c/ Luxembourg :
La CEDH devait se prononcer sur le dualisme statutaire du Conseil d’État luxembourgeois, qui ressemble beaucoup au modèle français.
Elle dit que son organisation est problématique, parce qu’elle conduit à faire participer des membres du Conseil d’État luxembourgeois à la rédaction d’un avis sur un texte, puis quelques années plus tard à faire participer ces mêmes membres à la formation juridictionnelle ayant statué sur la légalité de la norme en question.
→ Ce qui est problématique au regard de l’article 6 §1, c’est la participation des mêmes personnes, à la fois conseillers juridiques du gouvernement et juges sur les mêmes textes.

CEDH, 2006, Sacilor-Lormines c/ France :
La CEDH affirme, cette fois à l’égard du Conseil d’État français, que le dualisme statutaire n’est pas contraire à la Convention, à la condition qu’une même personne ne participe pas à la rédaction d’une norme puis participe au jugement.

Le Conseil d’État a tiré les conséquences de cette décision : le décret du 6 mars 2008 :

  • sépare encore davantage les formations de conseil des formations de jugement ;
  • pose le principe selon lequel un membre du Conseil d’État qui a participé au délibéré relatif à un avis concernant une norme ne peut pas participer à la formation de jugement d’un recours dirigé contre la norme en question ;
  • permet au requérant de s’assurer du respect de ce principe en demandant la liste des membres composant la formation ayant rédigé l’avis sur l’acte attaqué.

    b) La remise en cause du commissaire du gouvernement

Les audiences devant les juridictions administratives sont publiques.
Une fois que le juge considère que la phase écrite (échanges de mémoires entre les parties) est terminée, une audience orale est programmée et se déroule en 3 étapes :

  1. Le rapporteur lit un rapport, qui est une sorte de fiche d’arrêt : rappels des faits, de la procédure suivie, du contexte.
    Il ne fait pas de droit, mais il donne des éléments factuels qui permettent de situer la requête.
  1. À la fin, il se lève et lit ses conclusions, qui sont plus longues, juridiques et techniques.

    Conseil d’État, 1957, Gervaise :
    Cette décision de principe rappelle que le commissaire du gouvernement “a pour mission de formuler, en toute indépendance, dans des conclusions son appréciation des faits sur les circonstances de l’espèce et les règles de droit applicables, ainsi que son opinion sur les situations qu’appelle, suivant sa conscience, le litige soumis à la juridiction”.

    Il s’exprime en son nom propre, et non au nom du gouvernement (malgré son ancien nom…) ou de la société.
    Il tente de convaincre que la solution qu’il propose est la meilleure pour trancher le litige.

  1. Après avoir écouté les conclusions du rapporteur public, les juges se retirent. Le délibéré est secret.

CEDH, 2001, Kress c/ France :
La CEDH reconnaît que le commissaire du gouvernement est à la fois impartial et indépendant au sens de l’article 6 §1 de la Convention EDH.
Idée : il n’engage que lui-même par ses conclusions.

Elle considère en revanche que le fait que celui-ci participe au délibéré apparaît comme problématique au regard de l’article 6 §1.
Idée : le justiciable pourrait se dire que le procès n’est pas équitable, parce qu’il voit le commissaire du gouvernement se lever et partir avec les membres de la formation de jugement pour aller délibérer.
Cela constitue une atteinte à la théorie des apparences.
→ Ce qui est problématique, c’est le fait qu’il participe au délibéré de la formation de jugement.

Le décret du 19 novembre 2005 écrit que le commissaire du gouvernement assiste à la délibération, mais n’y participe pas.

CEDH, 2006, Martinie c/ France :
La CEDH insiste sur le fait que ce qui est dérangeant est le fait que le commissaire du gouvernement puisse prendre part au délibéré. Lorsque les parties le voient partir avec la formation de jugement lors du délibéré, cela peut porter atteinte à l’apparence d’impartialité.

Avec le décret du 7 janvier 2009 :

  1. Le commissaire du gouvernement (qui n’était pas un commissaire et n’agissait pas au nom du gouvernement…) devient le rapporteur public.
    (⚠️ ≠ le rapporteur, qui est lui chargé d’instruire une affaire)
  1. Il n’assite plus au délibéré.
  1. Les parties peuvent répondre aux conclusions du rapporteur public, soit en reprenant la parole après lui, soit en faisant une note en délibéré (= réponse à l’écrit).

B – L’article 11 de la Convention

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