Chapitre 3 : Le public

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Depuis l’ordonnance du 23 octobre 2015, qui crée le CRPA, il faut utiliser “le public” pour désigner ceux qui sont en contact avec l’administration.

Section 1 : De l’administré au “public”

§ 1. Les caractéristiques traditionnelles des relations entre l’administration et les administrés

A – La mise à distance des administrés

Le style de l’administration est celui de la bureaucratie.
Idée fondamentale : ceux qui entrent en contact avec l’administration doivent être tenus à distance.
L’administration bureaucratique est, par tradition, largement inaccessible et secrète.

Cette inaccessibilité est destinée à protéger l’administration des pressions externes.
Elle se traduit par les modes de contact : les interlocuteurs ne décident pas comment entrer en contact, c’est très codifié, ce qui incarne la distance.
Internet n’a pas tout changé : pour entrer en contact avec l’administration, il faut généralement passer par un formulaire choisi par celle-ci, ce qui incarne aussi la mise à distance.

Il y a aussi un anonymat : on ne sait pas qui nous écrit, ni qui est le décideur.
Le formalisme est aussi important : les décisions administratives peuvent faire peur. Quand l’administration édicte un acte de manière unilatérale, elle parle à l’impératif ; elle décide seule, et cette décision s’impose aux destinataires.
De plus, l’administration a ses propres délais, parfois très longs.

B – L’autorité

On dit généralement que l’administration a le privilège du préalable : elle peut décider en premier et ainsi édicter des décisions qui s’imposent aux justiciables.

Conseil d’État, 1982, Huglo :
Le droit d’édicter des actes administratifs unilatéraux qui s’imposent à leurs destinataires est le témoignage du privilège du préalable et constitue “une règle fondamentale du droit public”.
Idée : les autorités administratives ont le droit d’édicter des actes de manière unilatérale.
→ L’administration est fondée à exercer une certaine autorité sur ceux qui entrent en contact avec elle.

Elle conçoit ceux qui entrent en contact avec elle comme des dominés : ils sont des “administrés assujettis”, donc des personnes sous domination et l’influence de l’administration, pour 2 raisons :

  1. Ils ne peuvent entrer en contact avec elle que dans le cadre qu’elle a fixé → pas d’autres possibilités ;
  1. Ils sont soumis aux décisions que pourra prendre l’administration.

Traditionnellement, les relations entre l’administration et ceux qui entrent avec elle sont donc très inégalitaires, mais les choses ont évolué par le droit :

§ 2. L’évolution contemporaine des relations

A – L’administré

Celui qui est administré, c’est celui qui est incapable, que l’on place sous tutelle.
C’est le terme utilisé depuis la naissance du droit administratif à la fin du 19ème siècle, et qui va prévaloir tout au long du 20ème siècle.
Exemple : loi du 7 juillet 1900 portant sur les réclamations des administrés.

Un administré est une personne soumise à une autorité (ici, l’autorité administrative).
Celui qui est administré est soumis (aux règles administratives et aux décisions de l’administration).
Cela exclut toute participation de celui-ci au processus de décision : il ne peut que prendre acte des décisions qui le concernent et qui s’imposent à lui.

C’est un terme largement péjoratif, qui illustre comment celui qui entre en contact avec l’administration est placé dans une situation inégalitaire.

B – L’usager

Le mot usager est celui qui désigne celui qui est en contact avec l’administration à partir des années 1980.
Exemple : décret du 28 novembre 1983 relatif aux relations entre l’administration et ses usagers.

Un usager est celui qui bénéficie d’une prestation qui lui est attribuée dans le cadre d’un service public.
Il faut 2 conditions pour qu’il y ait usager :
1- un service public ;
2- l’usager est actif, il fait une démarche pour aller vers le service public.

On met l’accent sur le fait que le droit administratif est celui du service public, et sur l’action de l’interlocuteur de l’administration, qui choisirait librement les prestations administratives dont il a besoin.

Le terme d’usager est moins péjoratif que le terme d’administré, mais il présente un défaut : il ne rend pas compte de toutes les situations de relations administratives.
Il ne peut être utilisé que dans les hypothèses où l’on sollicite de l’administration une prestation individualisable.

Mais quid de l’armée / la justice / la police / les impôts, qui ne sont pas des administrations de service que l’on sollicite pour obtenir une prestation individuelle, mais qui sont quand même des services publics ?

C – Le citoyen

Le mot citoyen désigne tous ceux qui, dans un État, obéissent aux mêmes lois, jouissent des mêmes droits et sont liés par une nationalité.
Ce terme apparaît donc éloigné des relations de l’administration et de ses interlocuteurs.

Ce terme est utilisé à partir du début des années 2000.
Par exemple : loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations.

Il participe de la “citoyenneté administrative”, porteuse d’une nouvelle dynamique.
Il entend montrer que la relation administrative comporte une dimension civique qui va bien au-delà du fait des fournir des relations individuelles : le citoyen est détenteur de droits civiques.

Dire que celui qui est en contact avec avec l’administration est un citoyen, c’est insister sur le fait que celui-ci est titulaire de droits à l’égard de l’administration.

Ce terme présente néanmoins quelques défauts du point de vue juridique : on semble exclure juridiquement des interlocuteurs de l’administration qui ne sont pas citoyens (mineurs, étrangers qui résident en France, personnes morales…).
Ce terme est donc problématique parce qu’il est excluant.

D – Le public

Le mot public est celui utilisé par le CRPA, qui codifie depuis 2015 les relations entre les administrations et ses interlocuteurs et contribue à ce que le droit administratif soit moins jurisprudentiel.

C’est un terme qui n’est pas juridique.
Il est globalisant : il fait entrer toutes les catégories de personnes susceptibles d’entrer en contact avec l’administration.

L’article L100-3 du CRPA définit le public comme “toute personne physique ; toute personne morale de droit privé”.
Cette référence est d’une pauvreté absolue : on n’a même pas pris le temps de faire une phrase !

Section 2 : Les droits du public à l’égard de l’administration

Ces dernières années, on a conféré de nouveaux droits à ceux qui sont en relation avec l’administration.
Objectif : corriger la relation asymétrique entre l’administration et ses interlocuteurs.

2 idées :

  1. L’administration est de moins en moins une boîte noire ;
  1. Aujourd’hui, il existe un droit à s’adresser à l’administration, et un droit à ce que sa demande soit traitée de manière qualitative.

§ 1. Le droit à la transparence administrative

Ces dernières années, on constate un mouvement politique et juridique vers la transparence administrative.
La transparence administrative, c’est faire en sorte de comprendre la logique de l’administration, de comprendre ses décisions, de pouvoir accéder à des services / des dossiers / des documents administratifs qui étaient autrefois secrets, pour comprendre pourquoi l’administration agit et prend telle ou telle décision.

A – Le droit d’accès aux documents administratifs

Pendant longtemps, le secret était l’une des caractéristiques du fonctionnement de l’administration : les documents étaient souvent inaccessibles, ce qui créait de l’incompréhension à l’égard de ses décisions.

La loi du 17 juillet 1978 relative à l’accès aux documents administratifs, et aujourd’hui le CRPA, affirme le principe du libre accès aux documents administratifs.
→ On passe du principe du secret au principe de la liberté d’accès.

Article 2 : “les autorités administratives sont tenues de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande”.
→ Obligation qui pèse sur les autorités administratives.

Article 1 : un document administratif est tout document produit ou reçu dans le cadre de l’exercice d’une mission de service public (dossiers, rapports, études, comptes-rendus de réunion, procès-verbaux, notes, décisions…).

Certaines exclusions sont prévues : documents couverts par le secret de la défense nationale, documents relatifs à la sûreté de l’État, documents couverts par le secret professionnel, documents qui portent atteinte à la vie privée.

Pour s’assurer que ce droit est bien respecté, la loi de 1978 a préféré créé une autorité administrative plutôt que de s’en remettre au juge administratif.
La Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) est l’autorité administrative indépendante chargée d’assurer la bonne application de cette loi de 1978 et la bonne transmission des documents administratifs.
Elle rend des avis qui ne lient pas l’administration, mais que celle-ci suit dans la majorité des cas. Si l’administration ne suit pas l’avis de la CADA, on peut contester son refus devant le juge administratif.

B – Le droit à la motivation des actes administratifs

Idée : les actes administratifs unilatéraux sont mieux acceptés lorsque les destinataires comprennent les motifs ayant conduit à leur édiction.

La loi du 11 juillet 1979 (”loi relative à la motivation des actes administratifs”) pose l’obligation pour l’administration d’expliquer par écrit les motifs des décisions qu’elle pose.

Article 3 : la motivation d’une décision est “l’exposé écrit des considérations de droit et de fait qui justifient la décision”.
> rappeler les règles de droit applicables au cas concerné
> appliquer ces règles au cas d’espèce
> objectif : éviter les décisions “copié-collées”

Conseil d’État, 1981, M. Demir :
Constitue l’une des premières grandes applications de la loi de 1979.
Le Conseil d’État annule une décision administrative individuelle pour défaut de motivation (la décision ne disait rien sur la manière dont l’administration a appliqué la règle de droit à la situation personnelle du requérant).

Seules les décisions administratives individuelles défavorables sont concernées par le champ d’application de cette obligation de motivation.
Ex : hypothèse où l’administration refuse la demande que l’on a formulée.
Ex : décision de sanction.
Ex : décision qui restreint une liberté.
Ex : décision qui retire un avantage (une autorisation…).

C – Le droit à la sécurité juridique face à l’administration

Le droit à la transparence administrative, c’est aussi le droit à ce que la réglementation administrative soit prévisible et compréhensible.
C’est l’idée du principe de sécurité juridique, qui vise à protéger les citoyens contre les effets négatifs du droit, en particulier lorsqu’il change trop fréquemment et que ces changements induisent de l’incohérence et de l’instabilité.

Ce principe de sécurité juridique a été inventé par la jurisprudence :

Cour de justice de l’UE, 1962, Bosch :
La sécurité juridique est un “principe général” du droit de l’UE.
💡 La CJUE s’appelait alors la Cour de justice des communautés européennes.

Conseil d’État, 2006, Société KPMG :
Le Conseil d’État affirme que la sécurité juridique est un principe général du droit administratif (= un principe qui s’impose à toutes les autorités administratives).

Idée : une réglementation nouvelle portée par l’administration peut porter atteinte à des contrats administratifs en cours, mais si les conséquences de cette nouvelle réglementation présentent un caractère excessif, alors l’administration a l’obligation d’édicter des mesures transitoires, qui s’appliqueront afin de permettre aux personnes concernées de s’y adapter.

Le juge met ici en balance l’objectif poursuivi par la nouvelle réglementation et ses conséquences sur les situations juridiques déjà en cours.
Si les perturbations sont manifestement excessives et perturbent la sécurité juridique, alors l’administration doit obligatoirement appliquer des mesures transitoires.

§ 2. Le droit de s’adresser à l’administration

Aujourd’hui, celui qui adresse une demande à l’administration est titulaire de 3 droits distincts :

A – Le droit à l’examen de sa demande

Ce droit se traduit par 3 types d’obligations :

1) L’obligation d’instruction

L’administration est obligée d’instruire les demandes qui lui sont adressées ; si elle refuse de statuer, elle est en décision d’illégalité.

Conseil d’État, 2011, Jenkins :
Le refus par l’administration de statuer sur une demande est une décision illégale.

Il arrive fréquemment que l’administration ne réponde pas ; ce silence a un sens juridique.
Avant 2013, le silence gardé par l’administration pendant plus de 2 mois valait rejet de la demande, sauf exceptions.

Depuis la loi du 12 novembre 2013 relative à la simplification du droit, le silence gardé par l’administration à la suite d’une demande vaut décision d’acceptation, sauf :

  1. que seules les décisions individuelles sont concernées ;
  1. pour les demandes à caractère financier ;
  1. pour les demandes ayant pour objet une réclamation ou un recours administratif ;
  1. pour les demandes où le respect de l’acceptation implicite ne serait pas compatible avec le respect des engagements internationaux et européens de la France ;
  1. pour d’autres exceptions variées, qui limitent fortement ce principe de décision implicite d’acceptation.

2) L’obligation d’instruire avec sérieux

L’administration doit tenir compte des données qui lui sont transmises pour rendre sa décision → personnalisation de l’instruction.
Objectif : éviter que l’administration ne se retranche derrière des situations types.

Conseil d’État, 2006, Magnino :
Si l’administration répond de manière stéréotypée à une demande, sa décision est susceptible d’illégalité.


3) L’obligation d’instruire de manière équitable

L’administration doit rendre ses décisions sans (dé)favoriser les requérants. Il y a donc une exigence d’impartialité.
Il s’agit d’un principe général du droit, qui s’impose à toutes les juridictions et autorités administratives (Conseil d’État, 1949, Bourdeaux).

Conseil d’État, 2010, Préfet de l’Ariège :
Une décisions préfectorale accorde le concours de la force public pour expulser des occupants d’un immeuble.
Or l’instructeur de police était copropriétaire de l’immeuble en question : il s’agit donc d’une décision partiale, parce que le préfet avait un intérêt personnel à prendre cette décision.

B – Le droit à l’information

Le droit à l’information, consacré par le décret du 28 novembre 1983, se traduit pour l’administration par une triple obligation :

  1. L’obligation d’accuser réception de la demande, sauf dans le cas des demandes abusives.

    Cet accusé de réception est très important pour calculer le potentiel silence de l’administration (2 mois à partir de cet accusé de réception).

    Le législateur n’a pas prévu de sanction en cas d’absence d’accusé de réception.
    Dans son arrêt de principe Mme. Galouch de 2010, le Conseil d’État juge que cet oubli est sans incidence sur la légalité de sa décision.

    Conseil d’État, 2016, Czabaj :
    En cas d’oubli de l’accusé de réception, le délai de recours est de 1 an.

  1. L’obligation d’identifier un interlocuteur administratif ;
    L’article 1 du décret du 28 novembre 1983 dispose que, dans l’accusé de réception de la demande, l’administration doit désigner les adresses postales et électroniques ainsi que le numéro de téléphone de la personne chargée du traitement du dossier.

    → Rupture avec le caractère anonyme traditionnel de l’administration.

  1. L’obligation de donner des précisions sur la décision appelée par la demande.

    L’administration est obligée d’indiquer :
    1- est-ce que la décision relative à la demande peut naître du silence de l’administration, et si oui, est-ce que ce silence vaut acceptation ou rejet ;
    2- quelles sont les voies et délais de recours à l’encontre de la décision.

C – Le droit à l’assistance

Depuis la loi du 12 avril 2000, l’administration est obligée de transmettre les demandes mal dirigées à l’administration compétente.

Elle a aussi de nouvelles obligations en matière de régularisation des demandes :

  1. La régularisation des erreurs de forme : aujourd’hui, l’administration a l’obligation de nous mettre en situation de corriger les erreurs de forme ou de procédure que nous aurions pu commettre.
  1. La régularisation des erreurs de fond :

    La loi du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance (”loi ESSOC”) crée le droit à l’erreur à l’article L123-1 du CRPA.
    Idée : la bureaucratie administrative peut conduire à faire des erreurs.

    Juridiquement, ça n’est pas un droit à l’erreur, mais un droit dont dispose le public de régulariser sa situation sans être sanctionné.
    Il y a 3 exceptions principales :
    1- les cas de fraude et de mauvaise foi ;
    2- il ne s’applique pas à la santé, à la sécurité ni au droit de l’environnement ;
    3- il ne s’applique pas aux sanctions prononcées par les autorités de régulation à l’égard des professionnels soumis à leur contrôle.

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