Chapitre 1 : Les facteurs du renouveau

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet d’introduction historique au droit.

Section 1 : L’environnement de l’État monarchique

I – Économie : l’accumulation primitive du capital

Aujourd’hui, on peut faire des emprunts. L’argent prêté par la banque vient de l’emprunteur précédent. Mais quand est-ce que ça commence ?
Il faut un stock de liquidités pour pouvoir prêter.
→ Question du décollage que connaît l’Occident à partir du 12e siècle.

A – La croissance des 11e-14e siècles

Cercle vertueux : évolution technique, nouveaux modes de culture, croissance démographique, renouveau des échanges commerciaux, amélioration des voies de communication.

Se renverse au 14e siècle : le monde est « plein » du point de vue démographique, la production agricole s’effondre, c’est la famine.
On passe de la seigneurie au royaume. Guerre de 100 ans.

À partir de 1348, la peste ravage l’Occident.
Pendant 4 à 5 ans, elle ravage l’Europe.
1/3 de la population disparaît.

L’effondrement démographique permet de repartir sur de nouvelles bases ; l’effondrement économique est vite rattrapé.

B – L’explosion urbaine

Le monde romain – comme le monde grec – est organisé autour de la ville.
À la fin de la période romaine, toutes les villes se sont fortifiées et ont tendance à se rétracter.
Les villes de l’époque franque / féodale : petits centres urbains.

Les villes sont les principales bénéficiaires du renouveau démographique.
Lieux de commerce, d’une grande fluidité sociale, espaces de liberté (« l’ère de la ville rend libre »).

Si un serf s’échappe de son seigneur, il peut être poursuivi par son seigneur jusqu’à ce qu’il arrive en ville.
Le seigneur ne fait pas la loi en ville et les habitants des villes jouissent de privilèges (en matière fiscale, de procédure).

Les villes sont des lieux de différenciation économique et sociale.
Avec la diversification des activités, les artisans sont de plus en plus spécialisés.

Lieux de solidarité. Les métiers = ce qui correspond à notre statut social :
> apprentis (ceux qui apprennent)
> compagnons (salariés)
> maîtres (employeurs)

II – Société : les 3 ordres et la bourgeoisie

Idée générale : la croissance économique s’accompagne d’une amélioration de la condition juridique et économique des plus modestes, car il y a des besoins de main d’œuvre.

A – La trifonctionnalité traditionnelle

Maître Dumézil propose une représentation du monde en comparant des mythes fondateurs du monde entier :
> magico-religieux
> fonction guerrière
> fonction nourricière

Quand Platon écrit La République (début du 4e siècle), il propose une cité utopique organisée en 3 groupes :
> philosophes/sacré
> guerriers
> producteurs

À la fin du 10e siècle, un basculement s’opère.
Jusqu’alors le monde des hommes est pensé comme constitué de 3 groupes : réguliers, séculiers, laïcs.
2 auteurs, Gilbert de Brune et Adalbéron de Laon, disent que la société est divisée en 3 groupes :
> ceux qui prient
> ceux qui se battent
> ceux qui travaillent
→ accompagne la constitution en un groupe cohérent d’une élite au sein des hommes libres : les militaires qui forment peu à peu la noblesse

À partir de la fin du 13e siècle, quand le roi voudra consulter des représentants de certaines provinces, il les réunira en 3 catégories : les représentants du clergé, de la noblesse et du Tiers-État.
Cette organisation demeure jusqu’aux États généraux de 1789.

Un nouveau groupe émerge à partir des villes : les bourgeois.
Bourgeois : habitant du bourg (noyau urbain qui se développe à côté d’une vieille cité ou d’un château.
Bourgeoisie : nouvelle élite marchande et intellectuelle issue des villes.

Les pouvoirs municipaux sont de + en + importants, accompagnés par les pouvoirs seigneuriaux.
Les villes se pensent comme des seigneuries collectives. Elles prennent des formes très variées.
Magistrats municipaux élus pour 1-2 ans + un conseil (qui peut être composé d’anciens magistrats municipaux) + une assemblée générale des habitants.

Les villes sont des places fortes, entourées de murailles.
Les villes sont des réservoirs démographiques.

III – Civilisation : la découverte de l’Europe

Au 11e siècle, l’Europe prend conscience d’elle-même.
À partir de 1054, la religion sépare l’Orient et l’Occident.

Cette Europe se pense avec 2 modèles : modèle religieux juif + modèle culturel gréco-romain.
Volonté de retour à l’antique.

Naissance des universités :
Au début, les universités sont des petits centres d’enseignement autour des cathédrales.
Progressivement, d’autres lieux d’enseignement apparaissent, avec le soutien de l’Église, et se structurent peu à peu en facultés.
3 facultés supérieures : théologie, droit, médecine.

Dans une ville où il y a plusieurs facultés, maîtres et élèves forment une communauté : on parle d’université.
Les 1ères universités apparaissent au cours du 12e siècle.

Section 2 : L’ordre juridique

Le développement de l’État entraîne un monisme juridique : l’État concentre le droit.
Le droit se confond avec l’État, contrairement au paradigme de la hiérarchie des normes qui est aujourd’hui dominant.

Ambiance jusnaturaliste : logique de droit naturel où le droit positif (le droit en vigueur parmi les hommes) s’évalue par un critère qui lui est extérieur.
On ne parle pas de normes, mais de règles.

Il existe une pluralité des sources du droit qui ne s’accompagne pas d’une hiérarchie à priori.
Au fur et à mesure que la monarchie se renforce, le roi tend à prendre le contrôle des sources du droit.

I – La coutume

A – Aperçu de la notion de coutume

La coutume est théorisée par les auteurs médiévaux à partir d’éléments tirés du droit romain.
On peut partir de la définition que Cicéron donne de la coutume au 1er siècle avant J-C :

Un droit qu’un long espace de temps a rendu obligatoire par la volonté de tous sans intervention de la loi.

La coutume suppose la réunion de 2 éléments :

  1. Corpus (élément matériel) : un usage (= pas du droit).
    L’usage repose sur la répétition (« une fois n’est pas coutume »).
    La répétition suppose que ça ait duré (usage inscrit dans le temps).
    Conséquence : si le temps produit la coutume, le temps fait disparaître la coutume.
  2. Animus (élément psychologique) : l’opinion de la nécessité.
    On suit la coutume parce qu’on pense que c’est obligatoire.
    La coutume ne peut pas être fondée sur la violence.

B – La généralisation des coutumes territoriales à l’époque féodale

Corrélation entre les cadres du pouvoir et les cadres juridiques → l’atomisation des cadres du pouvoir que connaît le 1er âge féodal s’accompagne d’une territorialisation du droit (pouvoir central trop faible).

11e/12e : la coutume peut désigner les redevances féodales (« mauvaises coutumes »).

Les coutumes sont souvent un moyen de limiter l’arbitraire seigneurial.

La monarchie, quand elle commencera à se reconstruire, utilisera au départ la nécessité de réformer les mauvaises coutumes.

Le ressort des coutumes est très variable : l’émiettement juridique correspond à l’émiettement politique.
Là où le processus de fragmentation a été limité apparaissent les premiers grands textes coutumiers ; ex : Normandie (fin du 11e siècle).

Vers 1163, Louis 7 renvoie à la coutume du royaume à propos d’un conflit particulier : c’est la 1ère fois qu’on fait référence au droit français avec l’idée qu’il y a un droit qui s’applique à l’ensemble du royaume.

Le droit coutumier veille à ce que les biens restent dans la famille et ne passent pas par mariage à d’autres familles.

C – Inconvénients d’un droit oral et premières tentatives de remédiation

Avantage de la coutume orale : est souple, s’adapte sans cesse.
Mais elle est incertaine, et sera dommageable à mesure que l’on entre dans une civilisation de l’écrit.

Aujourd’hui, devant le juge, on n’a pas à prouver le droit.
Dans le droit coutumier, on peut avoir à prouver le droit.
Une distinction s’établit entre :

  • les coutumes notoires : celles qui sont censées être connues, consacrées par les jugements antérieurs ; et
  • les coutumes privées : celles dont il incombe au plaignant de rapporter la preuve.

Saint-Louis (Louis 9) va généraliser l’enquête auprès de témoins.
À partir du milieu du 13e siècle, on considère qu’une coutume est prouvée si une foule s’appuie sur son contenu.
On parle de turbe. Une turbe est composée de minimum 10 personnes.

« Un seul témoin n’est pas valable ».
On demandera que 2 turbes concordantes garantissent le contenu de la coutume.

La meilleure coutume : la coutume immémoriale, celle dont on a oublié l’origine.
Les civilis (= les juristes formés au droit romain / au droit civil) vont appliquer à la coutume les règles romaines de la prescription.
Une coutume est invétérée si on peut porter son existence sur 10 ans ou 20 ans dans le silence du droit romain.
(30 à 40 ans quand la coutume prévoit des dispositions contraires à celles du droit romain)

Tendance : fixer par écrit les coutumes à partir de Gratien sur le modèle de la compilation de Justinien.
Dans le midi, cette rédaction des coutumes prend une tournure officielle sous l’égide des autorités seigneuriales ou municipales.
Dans le même mouvement, les seigneurs concèdent aux autorités urbaines des franchises, consignées dans des chartes : ils reconnaissent leur droit de fixer le droit.
Franchises : textes longs qui concernent à la fois ce qui ressort du droit privé et du droit pénal + les dispositions de police + les mécanismes d’organisation de l’économie.
→ La coutume va de pair avec l’émancipation
→ Elle est étroitement liée à la diffusion du droit romain : c’est à mesure que le droit romain devient influent dans le midi que, par réaction, se fixent les droits coutumiers locaux

Si les libertés locales sont également garanties par les chartes dans le nord, elles ne comportent pas d’éléments de rédaction des coutumes.

⚠️ Le changement de support du droit n’est jamais neutre ; ça modifie sa substance et son esprit.
Cette opération de rédaction introduit dans le droit coutumier des éléments romaniques ; ex : les coutumes de Toulouse sont rédigées en 1286.

Dans le nord, la rédaction des coutumes au 13e siècle se fait sur la base de compilations privées.

Les Coutumes de Beauvaisis : ouvrage de droit français médiéval écrit par Phillipe de Beaumanoir en 1283.
2 000 paragraphes.
Intérêt : est une œuvre hybride, et pas juste un recueil de coutumes.
En plus des coutumes, il y a des doctrines qu’il commente, et il compare les coutumes à d’autres coutumes, aux droits savants, au droit canonique, et à des arrêts du parlement.

Le mouvement de mise à l’écrit se poursuit aux 14e et 15e siècles.
Défauts de ce mouvement :
> il néglige souvent le droit des roturiers et se concentre sur les fiefs
> il introduit des éléments romanisants

II – La redécouverte du droit romain

L’Angleterre est le modèle de ce que serait devenu le droit en Europe s’il n’y avait pas eu la redécouverte du droit romain, qui permet la renaissance sur le modèle romain de la science juridique et l’essor des droits savants.

A – Sources et étude du droit romain

Selon la légende, on redécouvre le droit romain quand on remet la main sur un manuscrit du Code justinien (code législatif + digeste + novelles). Ce manuscrit finit par être conservé à Florence.

Contexte historique : à partir du milieu du 11e siècle, démêlés entre le pape et l’empereur (querelle des investitures).
1ère occurrence : conflit entre un évêque et un couvent.

En réalité, le droit romain a été redécouvert un certain nombre de fois depuis le 6e siècle.

On va trouver dans le droit romain les outils juridiques nécessaires pour répondre aux nouvelles questions que l’on se pose.
→ une boîte à outils, utilisable immédiatement

La restructuration hiérarchique de l’Église se fait dans la matrice des États.
Le droit romain prend une part importante mais il serait abusif de postuler que tous les États se construisent sur le modèle romain.
Tout ça tient à un seul document, un seul manuscrit, par lequel l’essentiel du droit romain est redécouvert.

Le 1er enseignant donc l’existence est connue se situe vers 1070 : Pepo. Il commente le droit romain à Bologne.
Bologne devient la 1ère université de droit et la capitale de l’enseignement juridique jusqu’au milieu du 15e siècle.
Le droit romain avance ensuite vers le midi et le nord.

Au 13e siècle, les facultés de droit apparaissent.
C’est surtout l’étude du digeste qui retient l’attention des médiévaux.

Irnerius : grand père de tous les professeurs de droit. Fonde une école de droit romain à Bologne vers 1085.
Ses disciples directs deviennent les « 4 docteurs » de Bologne.
Il est le 1er glossateur médiéval.

Glossateur : juristes du Moyen-Âge, dont la méthode d’enseignement consistait à analyser les textes juridiques sous la forme de gloses, à l’origine interlinéaires ou marginales, élucidant le sens des mots.
(glose = commentaire de texte)

Progressivement, les commentaires vont s’attacher moins à la lettre qu’à l’esprit.
On va essayer de mettre en rapport ce que dit le droit romain avec la pratique en apportant dans l’étude du droit de nouveaux outils forgés par la scolastique.

François Accurse : juriste, professeur à l’université de Florence.
Il écrit la Grande Glose : rassemble toutes les annotations rédigées par ses prédécesseurs et lui-même.

La glose finit par acquérir une autorité comparable à celle du texte commenté.
Mais la méthode atteint ses limites : on en vient à gloser les gloses.

Les meilleurs étudiants émigrent à Orléans et y développent de nouveaux outils intellectuels.
Orléans devient le centre le plus innovant concernant l’enseignement pour le droit romain.
Postglossateurs : nouvelle façon d’envisager le droit romain ; illustrés par Révigny et Pierre de Belleperche ; puis retour à Bologne avec Bartole et Balde.

Méthode dialectique : on ne commente plus directement les textes, mais on va chercher dans différents textes les éléments de solution.
Rhétorique des citations : l’auteur n’exprime plus son avis, mais une foule de références.
On rassemble les textes et on chercher à les coordonner.

Le raisonnement juridique se précise et gagne en technique.
Les juristes sont payés de + en + cher.
→ Construction d’un droit nouveau sur une base romanistique

B – Pénétration, réception et influence du droit romain

Parfois, les parties s’engagent à ne plus recourir au droit romain.
→ Signifie qu’il commence à être appliqué quelque part
→ Peut-être une marque de prudence de la part des praticiens (grande maîtrise du droit romain mais pas dans la pratique)

La diffusion de l’écrit en droit = cause et conséquence de la romanisation.
Va de pair avec la professionnalisation des activités juridiques : être juriste devient un métier.

Contexte : concurrence entre les systèmes juridiques ; le plus performant s’impose.

Les règles coutumières sont en général peu intéressantes.
Le développement de l’écrit, l’enquête, et les procédés inspirés du droit romain s’imposent donc face aux preuves de type magico-religieux (ex : ordalies).

La royauté soutient cette transformation de la procédure car elle lui donne l’occasion d’intervenir.
Restauration de l’appel : quand on n’est pas satisfait d’un juge, on peut demander à un juge supérieur de juger.
Le juge suprême : le juge du roi.
→ Permet au roi de prendre le contrôle des juridictions seigneuriales.

Les techniques romaines s’imposent également en droit des obligations, notamment le droit des contrats.
En revanche, le droit familial est beaucoup plus conservateur : tous ces pans du droit restent coutumiers, même dans le midi où la romanisation sera souvent superficielle (plaquage d’un vocabulaire romain sur un droit coutumier).

Le droit des biens doit servir à penser une réalité qui n’a rien de romain (la réalité féodale) en termes romains.
→ À partir d’un matériau romain, on forge des concepts et outils totalement nouveaux

Le droit romain est perçu comme du droit coutumier dans le midi de la France.
Il y a le statut de coutume → correspond à la nature des peuples et aux spécificités locales.

Enjeux politiques : l’empereur d’Allemagne se présente comme héritier de l’Antiquité.
Appliquer le droit romain en France présente le risque de voir la France subordonnée à l’empereur, d’où le subterfuge de l’appliquer comme droit coutumier.

La France devient :
> un pays de droit coutumier au nord
> un pays de droit romain (remanié par les savants et interprété par les cours) au sud
À partir de la 2e moitié du 15e siècle : développement des parlements et cours de justice qui vont systématiser l’application des solutions romaines des coutumes → la jurisprudence restreint l’application du droit coutumier résiduel.

Dans le monde germanique, le mouvement de réception sera plus profond à partir du 15e siècle.

C – Roi de France et droit romain

Objectif : éviter une concurrence à la faculté théologique.
Idée : le roi n’est pas subordonné à l’empereur parce que le pape interdit que le droit romain ne soit enseigné dans la capitale française (jusqu’en 1679).

On met donc une distance entre le droit romain et le droit de France.
En Italie, les commentaires de glossateurs tendent à subordonner les rois à l’empereur.
Les canonistes se méfient du pouvoir de l’empereur (contexte : réforme grégorienne). Ils veulent rééquilibrer les choses au profit des rois contre l’empereur.

1202 : décrétale Per Venerabilem : le roi de France ne connaît pas de supérieur temporel (un supérieur spirituel : le pape).
Idée développée jusqu’à 1254 : « le roi de France est empereur en son royaume ».
→ il n’y a qu’une différence de titre avec l’empereur d’Allemagne

La souveraineté n’est pas une notion romaine, mais c’est à partir d’un matériau romain que l’on fabrique la notion de souveraineté (= élément sur lequel repose toute la construction de l’État).

D – Droit commun et droit français

Le droit romain interprété par les juristes : conception née de Bartole.

La hiérarchie des normes : en cas de contradiction, la norme supérieure s’applique (modèle haut/bas).
≠ droit commun : modèle devant/derrière (droit locaux, singuliers, particuliers)

Pour Bartole, le droit romain s’applique en fond → à titre supplétif, par exemple quand il n’y a pas de coutume.
En donnant ce statut de droit coutumier au droit romain, Bartole a une ambition politique : il valorise le droit romain (qui rapporte de l’argent) et l’autorité de l’empereur sur les rois, les seigneurs, etc.

Les français vont dire que le droit romain s’applique non en raison de l’empire mais sur l’empire de la raison → pas à cause de l’empereur, mais parce qu’il est simplement meilleur. 

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