Chapitre 4 : L’Église, mère de l’État

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Idée : l’État s’est construit sur le modèle de l’Église en laïcisant des concepts théologiques.
L’État se développe dans un environnement structuré par l’Église que le limite.

La représentation politique (le fait que quand un député vote une loi, c’est le peuple ou la nation qui décide) trouve son origine dans le droit canonique (les moines décident collectivement sans tous se rassembler).

Section 1 : La « révolution chrétienne »

Dans La Cité antique, Fustel de Coulanges montre que là où nous distinguons un État et une Église, il n’y avait sous l’Antiquité qu’une seule chose.
Magistrat = prêtre.
Chez les grecs, la religion est ce qui assure la protection des dieux à la cité.
→ l’enjeu n’est pas le salut individuel (≠ christianité, islam)

Le christianisme constitue une rupture radicale de ce point de vue.

Dans un passage des évangiles, on demande au Christ s’il faut payer l’impôt à César ; sa réponse : “rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu”.
On distingue 2 plans :
1. spirituel
2. temporel
Payer l’impôt est une affaire temporelle : reconnaître le pouvoir de l’empereur ne fait donc pas de nous un mauvais juif.

Le christianisme est une religion du salut de la personne : la religion est ici l’affaire de la relation entre le fidèle et la divinité.
Le concept de personne se fixe dans les 1ers siècles du christianisme : individu en relation avec ses semblables et avec dieu.

Analyse que St Paul fait : « tout pouvoir vient de Dieu ».
→ on distingue spirituel et temporel
→ même le pouvoir temporel est tenu de Dieu
→ le christianisme a mis en place les conditions de la laïcité, même si elle se construit contre l’Église

L’affaiblissement des pouvoirs laïcs s’accompagne d’une affirmation d’une primauté du spirituel sur le temporel : « augustinisme politique ».

C’est l’Église qui sauvera l’essentiel de la romanité.
Exemple : le latin devient la langue de l’Église.
Mais la christianisation s’accompagne de profonds changements.

Section 2 : L’organisation de l’Église dans son 1er millénaire

I – La hiérarchie ecclésiastique

Au sein de l’Église, on distingue 2 catégories de personnes : les laïcs et les clercs.

Les clercs sont divisés dans le clergé régulier et le clergé séculier.
Clergé régulier : ceux qui suivent la règle (en Occident, la règle de St Benoît).
Clergé séculier : ceux qui vivent dans le siècle / dans le monde / dans la société. Ils sont au service des fidèles / des laïcs.

A – Le clergé séculier

L’organisation de l’Église s’articule autour de la figure des évêques (continuations des apôtres, les disciples les plus proches du Christ).

Pour devenir évêque, le rituel passe par l’imposition des mains → continuité apostolique.
Les évêques vont se couler dans les cadres romains.
Ils sont à la tête d’un diocèse (correspond au découpage administratif romain).
Dans son diocèse, il est assisté par des prêtres.

L’évêque de Rome se distingue et a rapidement une primauté en Occident.
À partir de Léon le Grand (440-461), l’Église prend la forme d’une monarchie dont l’évêque de Rome (= le pape) prend la tête.

Le christianisme en Gaule s’installe dès le 2ème siècle.
Les chrétiens sont au début martyrisés.
La christianisation des campagnes est pendant longtemps superficielle : paysan/païen.

Avec la fin de la période impériale et l’affaiblissement des cadres publics, les évêques jouent un rôle de protection de + en + important.
L’évêque devient le seul personne local suffisamment important pour faire de l’ombre au comte.

L’évêque est en théorie élu par la cité. En pratique, il est choisi par les puissants locaux, ou le roi quand le pouvoir central est suffisamment fort.
Mais l’évêque ne tient pas son pouvoir du roi ni des puissants locaux et garantit ainsi son indépendance.

Au-dessus des diocèses : provinces ecclésiastiques.
L’évêque de la capitale de la province, l’évêque métropolitain, est + important.
En dessous des diocèses : paroisses.

Les évêques sont à la tête de domaines de + en + importants.
L’évêque représente le roi → on parle d’immunité.

À partir de Pépin le Bref et Charlemagne, en échange des terres qui leur ont été prises, les ecclésiastiques perçoivent un impôt payé en nature : la dîme (1/10e des récoltes).

Avec l’enchâtellement, le réseau des paroisses se structure de façon plus serrée, avec à leur tête un prêtre ayant la charge des âmes : le curé.

B – Le clergé régulier

La vie du moine est divisée en 3 temps :
1. La prière commune
2. La valorisation du travail manuel (pouvant consister en la copie de manuscrits)
3. Le sommeil et le repas

Seule une partie des moines sont ordonnés prêtres.

Au départ, les moines sont étroitement soumis à l’autorité épiscopale (= des évêques).
Les monastères deviennent ensuite indépendants des évêques.
→ double chaîne hiérarchique
Ils se rattachent directement au pape.

Les mérovingiens s’appuient beaucoup sur les monastères et leur font des dons importants.
À la fin du 7ème siècle, l’Église possède 1/5e du royaume.
Les monastères sont établis à la campagne, donc la culture se situe à la campagne.

À partir de 910, le monastère de Cluny (Bourgogne) va créer un mouvement : l’ordre de Cluny.
À son apogée vers 1200, l’ordre de Cluny compte 1250 monastères, avec dans chacun des centaines des moines.

Le clergé régulier est le conservatoire de la culture d’où partira la renaissance intellectuelle du 16ème siècle.

Les monastères agrègent autour d’eux des bourgs.
Les puissants laïcs tendent à devenir des abbés laïcs.

II – La juridiction ecclésiastique

A – La compétence

La juridiction ordinaire pour l’Église est celle de l’évêque.
Le tribunal de l’évêque est l’officialité.
À sa tête 1 juge nommé par l’évêque : l’official.

Quand les chrétiens sont en conflit, ils sont poussés à esquiver le juge païen pour consulter la juridiction chrétienne.

L’évêque tend à avoir le monopole de la justice des ecclésiastiques : compétence rationae personae / privilège du for (ici, for : signifie le jugement).
Les ecclésiastiques ne sont justiciables que devant les juridictions ecclésiastiques.

Ils revendiquent aussi une relation rationae personae pour les pauvres, les orphelins, etc.

Le privilège du for est définitivement établi en 614.
S’apparente à une sorte d’autorité disciplinaire des évêques sur les clergés du diocèse.
La compétence de l’évêque a pu s’étendre en raison de la matière. L’Église est compétente :
> en matière matrimoniale
> en matière de testament
> en raison du péché (ratione peccati) : quand un péché public est cause de scandale (inceste, adultère)

B – La procédure

L’Église est peu favorable aux ordalies, parce qu’elles mettent Dieu à l’épreuve.
Elle utilise une procédure inquisitoire (l’action est menée par les parties), qui respecte le principe du contradictoire.

Les peines données par l’Église sont des peines spirituelles, dans l’intérêt du délinquant, vu comme un pécheur.
Objectif : qu’il prenne conscience de sa faute.

Peines : prières, pèlerinages, peine du mur (prison).
Il est plus favorable d’être jugé par un tribunal ecclésiastique.

L’Église perfectionne son modèle (= procédure romano-canonique) et sert de modèle aux juridictions laïques.

Section 3 : La réforme grégorienne

Une fois les 2 pouvoirs distingués (spirituel ≠ temporel), la tendance est que l’un veuille subordonner l’autre.
→ théocratie (pontificale ou royale)

Le déclin carolingien provoque un autre danger pour l’Église : l’émiettement féodal fait que l’Église à l’échelle locale est de + en + prise dans les relations féodo-vassaliques.

Les fonctions ecclésiastiques tendent à se transformer en fiefs tenus de puissants laïcs (surtout pour le clergé séculier).

Un mouvement réformateur va partir des monastères clunisiens → réforme grégorienne : commence en 1049 avec l’élection de Léon 9 comme pape.
Elle garantit l’indépendance du pape à l’égard des laïcs et subordonne + étroitement l’Église au pape.
Elle connaît son apogée sous le pontificat de Grégoire 7 (1073 → 1085).

I – La réforme intérieure

La réforme grégorienne est d’abord une réforme morale de l’Église.
Lutte contre la simonie (vendre ce qui est à l’Église ; par exemple les sacrements ou les fonctions → fait peu à peu passer l’Église aux mains des laïcs) et le nicolaïsme (pour les clercs, ne pas respecter leur devoir de chasteté → tendent à mettre leurs fils à leur place).

L’Église exclut les laïcs et précipite la division entre l’Église d’Orient et celle d’Occident
→ schisme en 1054

Le pape est élu par le clergé de son diocèse.
À partir de 1059, seuls les clercs de son diocèse vont élire le pape → sont appelés les cardinaux.
À partir du début du 14e siècle, on enferme les cardinaux (cette cérémonie s’appelle le conclave) quand ils doivent élire un pape.

II – La querelle des investitures

En 1075, le pape Grégoire 7 interdit aux évêques de recevoir une charge (ou les symboles de la charge) de la part d’un laïc.

L’empereur d’Allemagne tente de s’y opposer.
Grégoire 7 excommunie l’empereur.
→ tout le monde le rejette
→ Grégoire 7 fait rédiger le Dictatus Papae (= Les affirmations du pape)
→ Subordination des pouvoirs laïcs aux pouvoirs ecclésiastiques ; l’empereur doit lui baiser les pieds

1122 : le concordat de Worms met fin à la querelle des investitures et organise le statut de l’Église.
La dimension proprement religieuse de la charge ecclésiastique dépend uniquement de l’investiture canonique.

III – Le prolongement français : la querelle des décimes

Le pape se désigne comme vicaire du Christ (= celui qui le représente).
Le roi se désigne comme le lieutenant de Dieu sur Terre.

A – Clericis laicos

Le point de départ du conflit est la question des décimes (impôt sur les revenus du clergé).

Le clergé participe à hauteur de 1/10e de ses revenus à l’effort de guerre du roi lorsqu’il part en croisade.

Philippe de Bel veut lever le décime pour financer la guerre contre les anglais.
Le pape le rappelle à la règle : on ne peut lever d’impôts sur le clergé sans l’accord du pape.
Philippe de Bel répond en interdisant d’envoyer de l’or et de l’argent au pape.
Le pape donne une exception.

B – Unam sanctam

L’évêque de Pamiers, Bernard Saisset, accuse en 1300 le roi d’être un faux monnayeur.
Le roi veut traduire cet évêque devant la justice laïque (= viole le privilège du for).
Le pape Boniface 8 réaffirme dans une lettre la supériorité du spirituel sur le temporel, et le roi fait circuler une version modifiée du texte.
Le roi convoque l’Assemblée, avec des représentants de la noblesse et du clergé.

Puis le pape reçoit une gifle.
Conséquence : les cardinaux s’installent à Avignon.
Relativement indépendant de l’Église de France : gallicanisme.

Section 4 : Le droit canonique vers son apogée

I – Sources du droit canonique

Le droit canonique est le droit de l’Église qui va être réformé par le décret de Gratien.

A – Les sources anciennes

Le droit de l’Église ne peut pas négliger les textes religieux : la Bible et les écrits des pères de l’Église (les grands penseurs chrétiens).
Mais ces textes ne sont pas des textes juridiques.

Le droit canonique se développe à partir des canons (= décisions des conciles → assemblées d’évêques).
On parle aussi de canons pour les synodes (assemblées ecclésiastiques qui ne comprennent pas que des évêques).

Au début de la période franque, vers le 6e siècle : tenue de nombreux conciles
→ formation du droit canonique

Les décisions du pape jouent aussi un rôle : les lettres décrétales sont des décisions du pape sur le modèle des décrets de l’empereur.
À l’origine : des réponses à des questions précises.
Ensuite : portée plus générale.

Les décrétales et les canons font l’objet de recueils, parfois agrémentés de fausses décisions.
Si elles sont appliquées, ça ne change rien que ça soit un faux : a quand même une valeur juridique.

B – Le décret de Gratien

Gratien est un moine bolonais (Bologne est alors le grand centre d’études du droit romain).
Il constitue une très vaste synthèse du droit canonique dans l’élan réformateur de la réforme grégorienne.

2 étapes :
1- vers 1130
2- vers 1150 : introduction d’éléments romanisants

Objectif : donner une présentation systématique et ordonnée.

La Concorde des canons discordants (Concordia Discordantium Canonum).
Réunit 4 000 canons sur le modèle du digeste.
Recours aux nouveaux outils qui mettent en avant la dialectique (envisager un problème sous des angles différents).

Succès immense du décret de Gratien.
Il est commenté à l’instar du droit romain.

C – La législation pontificale

À partir de la réforme grégorienne, l’autorité du pape est beaucoup plus forte.
Les décrétales deviennent la principale source de droit de l’Église. Au 12e siècle : plus de 1000 décrétales.

Des recueils sont dressés. 1ère compilation officielle :
1234 : décrétales de Grégoire 9.
Demande à Penyafort de recueillir les décrétales organisées en 5 thèmes : organisation judiciaire, discipline, procédure, mariage, droit pénal.
Plus de 2 000 chapitres.
Grégoire 9 interdit que l’on ait recours à d’autres sources, sauf au décret de Gratien.

6ème livre aux décrétales pour la législation postérieure : le sexte, promulgué par Boniface 8 en 1298.

En 1317, le pape Clément 5 promulgue les clémentines, un nouveau recueil des décrétales.
D’autres décrétales font l’objet de publications privées : les extravagantes.

À partir du 15e siècle, tous ces éléments sont appelés corps de droit canonique (Corpus juris canonici).

Au départ, le droit canonique est l’interprétation par le pape d’un droit existant qu’il possède (≠ droit positif).
Cette idée que le pape possède un droit qu’il applique et interprète sera laïcisé et constituera l’un des 1ers éléments de l’absolutisme.

II – Le rôle du droit canonique

Le rôle du droit canonique a été considérable.
C’est le droit de l’Église mais il finit par avoir une influence dans toutes les matières qui ont à voir avec la religion.

La redécouverte du droit romain au 12e siècle influence à la fois la forme et le contenu du droit canonique.
→ La procédure romano-canonique est perfectionnée.

À la fin du 14e siècle, l’Église connaît une grave crise : le pape a quitté Rome pour Avignon.
Schisme avec 2 papes (Avignon // Rome).

L’Église de France devient autonome (contrôlée par le roi).
→ soustraction d’obédience

Les agents du roi s’inspirent des mécanismes juridiques ecclésiastiques et les récupèrent.

Dans les universités, on enseigne le droit romain et le droit canonique, mais pas le droit positif (qui s’apprend par la pratique).
Pour faire carrière au sein de l’Église, il faut être formé en droit canonique et en théologie.

Le droit canonique au 13e siècle fait triompher le consensualisme : ce qui fait le contrat, c’est la rencontre des volontés (le consentement).

Ce n’est que si le délinquant retombe dans son péché que l’Église s’en désintéresse et le remet aux bras séculiers.
Exemple : Jeanne d’Arc en 1431, dont le procès est retombé chez les juges laïcs.

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