Chapitre 3 : La féodalité, modèle pour un monde sans État

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Les modalités d’exercice du pouvoir changent.
Les lieux d’exercice du pouvoir se concentrent dans la seigneurie et les relations entre les puissants s’articulent autour des liens féodaux-vassaliques.

Pour la monarchie, la féodalité fait écran au contrôle des populations : « le vassal de mon vassal n’est pas mon vassal« .
Peu à peu cependant, cette série de cellules indépendantes seigneur-vassal va se structurer jusqu’à constituer une pyramide (→ pyramide féodo-vassalique à partir du 12ème siècle).
Progressivement, ce système finira par bénéficier au seigneur qui est au sommet : le roi.
Des traces de ce système demeurent en France jusqu’au 4 août 1789.

Ce qu’on appelle à cette époque féodalité, c’est surtout le régime seigneurial.
La féodalité propose un fonctionnement juridico-politique alternatif au modèle que propose l’État.

Section 1 : Le lien d’homme à homme

I – Les formes du contrat vassalique

A – L’hommage

L’hommage dérive de la domination franque. Il a un caractère public dans une société d’illettrés (→ objectif : marquer les esprits par des symboles).

L’hommage marque le caractère symbolique mais inégalitaire de la relation seigneur/vassal.
Le seigneur est assis, le vassal est debout ou agenouillé.
– « je veux être ton homme »
– « je te prends pour homme »
– puis baiser de paix

Entre puissants, il se peut que l’hommage se prête à la frontière de deux territoires : « hommage en marche ».

Au 9ème siècle : 1ère trace d’un vassal qui a plusieurs seigneurs.
Problème : lorsqu’un vassal a 2 seigneurs qui se font la guerre.
Solution 1 : clause de réserve de fidélité (les liens les plus anciens priment).
Solution 2 (à partir du 11ème siècle) : l’hommage lige (= l’hommage prioritaire). L’homme lige fait primer l’hommage lige sur ses autres seigneurs.

B – Le serment et l’investiture

Ce sont des éléments que l’on ne retrouve pas toujours.

Le serment est unilatéral : il est prêté uniquement par le vassal.

Lors de l’investiture, le seigneur remet à son vassal le fief.
Peut se faire de façon symbolique par la remise d’un objet représentant le fief (ex : épi de blé).
Peut être prolongée de la montrée du fief au vassal.

Des documents peuvent être produits :
– l’aveu : le vassal reconnaît avoir reçu le fief
– le dénombrement : décrit le fief et ses ressources

II – Les effets du contrat vassalique

Le contrat vassalique est un contrat synallagmatique (qui comporte des obligations réciproques).

A – Les obligations

Le vassal doit respecter et servir le seigneur. Il s’engage à ne pas lui nuire.
→ obligation peu précise
→ 💡 plus on précise, plus on limite

Le vassal doit d’abord une aide militaire.
Au 13ème siècle : un service d’ost (armée) de 40 jours.
Chevauchée : moins d’une semaine, pas très loin du fief.
Estage : la garnison – le vassal va monter la garde dans le château, ou le seigneur et son armée viennent chez le vassal.


Dans certaines circonstances, le seigneur peut demander un secours financier au vassal :

  1. Quand le seigneur adoube son fils (il devient chevalier). L’équipement coûte cher, il peut donc demander une participation financière à ses vassaux.
  2. Quand le seigneur marie sa fille, pour lui constituer une dot.
  3. Quand le seigneur est fait prisonnier, les vassaux doivent contribuer à payer la rançon (pratique généralisée).
  4. À partir de la fin du 12ème siècle, lors du départ en croisade. Si le seigneur se croise, les vassaux qui ne l’accompagnent pas doivent contribuer financièrement.

Le seigneur attend aussi du vassal le conseil.
C’est quelque chose qui engage le vassal : il doit venir à la cour du seigneur et participer aux débats.
En cas de conflits entre vassaux, c’est le seigneur qui va trancher en faisant appel à tous les autres vassaux.
→ la justice féodale se joue entre pairs

Le seigneur doit protection et justice mais ce devoir se réduit de plus en plus à l’octroi du fief.

B – Les sanctions

Le seigneur n’a pas juré fidélité, il n’encourt donc pas la sanction du parjure.
À partir du 12ème siècle, le mauvais seigneur encourt comme sanction le désaveu : le vassal ne le reconnaît plus comme seigneur et garde le fief qu’il tient désormais du seigneur de son seigneur.

Le vassal encourt comme sanction la commise du fief : le seigneur reprend le fief.

Section 2 : Le fief

I – La nature du fief

A – La nature économique

Surtout au début de la période : économie où la monnaie ne circule pas. Pour transférer de la richesse, on transfère la source de la richesse, c’est-à-dire la terre et les hommes qui la cultivent.

Le fief est généralement un domaine agricole.

On passe peu à peu d’une économie de subsistance à une économie d’échange.

B – La nature juridique

Le droit romain connaissait une propriété assez proche de la nôtre, mais les médiévaux ont un rapport au bien très différent.
Ils ont un rapport au bien qui n’est pas exclusif : avoir un droit sur un bien n’exclut pas que d’autres puissent avoir d’autres droits sur le même bien.

Les juristes médiévaux forgent la théorie du double domaine (= propriété) :
> domaine éminent : les droits que le seigneur conserve sur le fief quand il le concède au vassal (percevoir des impôts…)
> domaine utile : tout le reste qui appartient au vassal

⚠️ Cependant, le vassal peut découper son fief et le confier à un autre vassal
→ échange utile/éminent.

Les fiefs les plus importants proviennent de l’époque franque. Ils se distinguent des autres parce qu’ils ont certaines caractéristiques comme l’indivisibilité.
On appelle ces fiefs les plus importants des « honneurs » qui correspondent à des fiefs titrés : comtés, marquisats, duchés…

C – La nature politique du fief

Le roi, jusqu’au 13ème siècle, a du mal à faire reconnaître son autorité dans les grands fiefs.
L’hérédité des charges publiques fait que les grands puissants estiment devoir leur titre à leur lignage et non plus à leur seigneur.

1108 : les ducs d’Aquitaine, de Normandie et de Bourgogne refusent de reconnaître qu’ils tiennent leurs duchés du roi. Ils refusent de reconnaître qu’ils doivent un service au roi Louis 6.

Peu à peu les Capétiens feront reconnaître leur autorité et parviendront à avoir une réelle influence à l’intérieur des grands fiefs.

II – L’évolution vers la patrimonialité

Patrimonialité : le fief est devenu le lien réel au détriment du lien d’homme à homme.

A – Le développement de l’hérédité

L’hérédité des fiefs se généralise au 11ème siècle. Elle suppose que le vassal qui hérite prête un nouveau serment de fidélité au seigneur.

L’hérédité est facilement établie en ligne directe.
Idée : les vertus du père passent au fils.
C’est un facteur de stabilité pour le seigneur, mais il perd le recrutement de ses vassaux.

Une hérédité en ligne collatérale va se développer (le fief reste dans la famille si le vassal n’a pas de fils).


L’hérédité des fiefs apporte de nouveaux problèmes :

  • Si l’héritier d’un fief est mineur : un mécanisme de garde peut être assuré par le seigneur ou par un parent. Le gardien rend l’hommage pour la période où il tient le fief.
  • Quand l’hérédité du fief s’élargit aux collatéraux, le seigneur va percevoir une redevance (« droit de relief ») pour accepter le nouvel héritier.
  • Si, à la mort du père, il y a plusieurs fils : on peut départager le fief ou le donner à l’aîné.
    S’il y a des garçons et des filles, les garçons sont toujours considérés comme les aînés (→ répartition sexuée du travail : faire la guerre est une activité réservée aux hommes).
    Quand il n’y a que des filles, il n’est pas impossible que la fille succède, le service militaire étant rendu par son époux.
    Exemple : Aliénor d’Aquitaine succède à son père au 12ème siècle – territoire immense.

B – L’apparition de l’aliénabilité

Aliéner : donner ou vendre.
Quand on est vassal, on peut aliéner le fief.
→ le fief apparaît de plus en plus comme une possession du vassal
→ le seigneur ne choisit plus ses vassaux (= contradiction avec la dimension personnelle féodo-vassalique)

Les seigneurs autorisent la vente des fiefs car ils perçoivent des redevances, sous forme de taxes appelées quint (car souvent 1/5 du prix de vente).
Les vendeurs déclarent souvent un prix minoré.
Solution : « droit de retrait » : le seigneur ou la famille peuvent se substituer à l’acheteur.

Le vassal peut avoir à payer des dédommagements au seigneur s’il diminue la valeur du fief.

Les fiefs deviennent peu à peu des biens comme les autres.
Les nouveaux riches sont des bourgeois, des marchands… Ils se sont enrichis, ce ne sont pas des guerriers.
S’ils achètent un fief, ils paient un « droit de franc-fief ».

Ce qui au départ était un lien d’homme à homme devient une vente immobilière.

Section 3 : La seigneurie

Généralement, le fief et la seigneurie sont la même chose, envisagée différemment.
Le fief = le château + les terres aux alentours, que le seigneur donne au vassal.
Ce que le vassal fait dans son fief constitue une seigneurie.

Le seigneur dans la seigneurie est appelé seigneur banal ou seigneur territorial, par opposition au seigneur de la relation seigneur-vassalique.

La seigneurie type est la châtellenie, mais il existe des seigneurs plus importants à la tête de grands fiefs.

I – Les prérogatives du seigneur banal

A – Le ban seigneurial

Ban : le pouvoir d’ordonner, de contraindre et de punir.

⚠️ Ici, banal ≠ ordinaire.
Banal = qui dispose du pouvoir de ban.

Celui qui est hors ban (= hors-la-loi) n’est plus protégé par la loi.
Quand un seigneur lève le ban, il mobilise ses vassaux. Il peut même mobiliser les vassaux de ses vassaux.

Le seigneur banal peut fixer des règles. Dans la seigneurie, il peut exercer les pouvoirs qui sont pour nous des symboles de souveraineté ; par exemple, battre la monnaie.

Dans la seigneurie banale, il y a aussi des prérogatives comme rendre la justice entre les paysans.

La distinction entre public et privé est difficile.
Par exemple, la taxe versée au seigneur est-elle une redevance (public) ou un loyer (privé) ?

Les prérogatives banales sont utilisées par les seigneurs pour se procurer de l’argent.
C’est le cas des banalités, exemple : le seigneur fait construire un moulin ; à chaque fois qu’il l’utilise, le vassal doit payer le seigneur. Peut s’étendre aux animaux reproducteurs.

B – La justice seigneuriale (justice banale)

La justice seigneuriale est généralement exercée par un subordonné du seigneur.
→ il n’y a pas de justice par les pairs
→ appelé prévôt ou viguier
→ professionnalisation de la justice

Dans la justice seigneuriale, on distingue deux niveaux :
> la haute justice (crimes graves, affaires relatives à la condition des personnes et à la propriété immobilière)
> la basse justice (petits délits, causes civiles peu importantes)

La haute justice est prestigieuse mais elle ne rapporte rien. Rendre la justice a avant tout pour but de maintenir la paix.

Quand le seigneur accorde un fief, il peut concéder la basse justice et conserver la haute justice.

II – La condition des terres et des personnes dans la seigneurie banale

A – La condition des terres

Dans la seigneurie banale, 3 statuts sont possibles pour la terre :

  1. La réserve seigneuriale : ce dont le seigneur s’occupe directement.
    Son château + des terres agricoles qu’il exploite avec des salariés ou en ayant recours à la corvée (redevance en travail des vassaux).
    + des terres non cultivées mais intéressantes économiquement (ex : étangs, lacs, forêts)
    → objet de tensions entre les communautés rurales qui revendiquent le droit d’usage et le seigneur.
    La chasse devient une prérogative seigneuriale / un signe de noblesse.
  2. Les tenures : les terres qui sont tenues du seigneur.
    > les fiefs
    > les tenures roturières (censives) : terres tenues du seigneur par les paysans pour qu’ils les exploitent.
    💡 Différence entre tenure roturière et fief : le lien est simplement économique et non personnel.
    Payer le cens, c’est reconnaître que l’on tient la terre du seigneur.
    Les censives deviennent très rapidement héréditaires et aliénables.
  3. Les alleux : les terres sur lesquelles le seigneur n’exerce que des prérogatives de puissance publique.
    Ce sont des terres que les paysans ne tiennent pas du seigneur.
    Plus ou moins fréquents selon les régions.

B – La condition des personnes

La condition des ruraux s’est dégradée avec la mise en place de la féodalité.
Ils n’ont plus de recours possible face aux puissants locaux.
L’état de violence endémique et l’élite guerrière maintient les populations dans l’obéissance.

L’habitat rural se concentre en maisons rassemblées au château → phénomène d’enchâtellement.
La paroisse se structure efficacement aux 11ème et 12ème siècles (généralement au pied des châteaux).

On distingue plusieurs groupes au sein des paysans.
Les hommes de poesté sont libres mais sous la puissance du seigneur.
Ce sont des paysans libres qui peuvent être descendants de l’époque franche ou des serfs affranchis.
Ils sont soumis à la taille (redevance levée par le seigneur, perçue par répartition).
Ils travaillent pour le seigneur par la corvée.

Au départ, la taille et la corvée dépendent de la seule volonté du seigneur, qui se limite par coutume ou par abonnement.
Le poids de la perception fiscale par le seigneur va progressivement s’alléger dans le 2ème âge féodal (12e-13e siècles).
Période de défrichement : on met en culture des surfaces non exploitées.
→ les terres cherchent à attirer de la main d’œuvre
→ situation de concurrence
→ les seigneurs allègent les redevances

Mais dans la seigneurie, tous les paysans ne sont pas libres.
servage

Découle du colona : les hommes libres sans emploi accèdent à la terre en échange de la possibilité de l’exploiter.

Progressivement pendant toute la période franque, on assiste à une dégradation de la condition des ruraux libres qui aboutit au servage. Ils sont assimilés à des choses, leur liberté est incomplète.
→ Le pouvoir sur la terre est progressivement devenu un pouvoir sur les hommes.

Généralement, les serfs retrouvent leur liberté en quittant la terre (déguerpissement).
Mais dans certaines régions le servage est lié à leur corps et non à la terre : ils peuvent être poursuivis s’ils quittent la seigneurie.

Avec la concurrence entre seigneurs, les rachats se multiplient.
Avec la croissance économique, les serfs peuvent constituer des capitaux suffisants pour racheter leur liberté. Leur situation économique n’est donc pas catastrophique.

Le statut servile est caractérisé par des incapacités spécifiques :

  • Le formariage : interdiction pour le serf de se marier en-dehors de la seigneurie
    → devient rapidement une taxe pour éviter la consanguinité
    → les seigneurs s’entendent pour que les enfants soient répartis
  • La mainmorte : à sa mort, le serf ne peut pas léguer ses biens.
    En théorie, le seigneur hérite des biens du serf.
    Dans la pratique, le seigneur perçoit le droit de catel : il choisit un bien, le reste va à la famille.

Le serf doit aussi parfois payer le chevage, un impôt personnel dû au seigneur. D’un montant dérisoire, a pour objectif d’affirmer la condition servile de la personne qui y est soumise.

Autres personnes avec un statut juridique comparable :

  • Aubains : étrangers. S’ils meurent dans la seigneurie, le seigneur récupère leurs biens (→ droit d’aubaine).
    Essentiellement des marchands.
    Progressivement, le droit d’aubaine devient une prérogative du roi (les aubains deviendront les étrangers au royaume).
  • Bâtards : nés en dehors de la seigneurie. Ils ne sont pas légitimes ; ils ne peuvent pas hériter ni léguer ; le seigneur est donc leur héritier.

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