Commentaire d’arrêt complet : Civ. 1, 27 janvier 2021, n°19-26.140

Commentaire issu du cours de droit de la famille de Florence Bellivier.
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Lors de la création du pacte civil de solidarité (PACS) en 1999, Jean Carbonnier avait affirmé : « Si le Parlement et même le gouvernement s’étaient donné le temps de réfléchir, ils se seraient vraisemblablement abstenus ». Ce jugement s!appuyait notamment sur les faiblesses techniques du texte. Les défauts de 1999, notamment concernant le régime du PACS, ont été corrigés par la loi du 23 juin 2006. Ces modifications sont substantielles et rapprochent considérablement le PACS du mariage. L’arrêt en date du 27 janvier 2021 rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation souligne l’évolution de la nature du PACS, et plus précisément porte sur le devoir d’aide matérielle entre partenaires. 

En l’espèce, deux personnes vivant en couple acquièrent en indivision un bien immobilier leur servant de résidence principale le 6 septembre 2003. Afin de financer cet achat, deux prêts immobiliers sont souscrits. Le 26 septembre 2003, ces deux personnes concluent un pacte civil de solidarité́, dissous le 8 mars 2023. 

 Le 12 mai 2016, la femme assigne son ex-partenaire devant le juge aux affaires familiales pour que soit ordonné le partage de l’indivision consécutif à la dissolution du pacte civil de solidarité. L!homme, dont les revenus étaient bien supérieurs à ceux de sa compagne, a assumé seul le règlement des échéances des prêts contractés en commun pour l’acquisition du bien indivis. Face aux juges du fond, il revendique en conséquence une créance contre l’indivision. La décision rendue en première instance n’est pas connue. Par un arrêt en date du 24 octobre 2019, la Cour d’appel d’Angers rejette la demande de l’ex-pacsé. Les juges d’appel retiennent que les paiements effectués par lui, pendant la durée du PACS, l’ont été en proportion de ses facultés contributives, au titre de l’aide matérielle réciproque à laquelle les ex-partenaires étaient tenus  dans le cadre de leur PACS. 

 Au soutien de son pourvoi, l’ex-partenaire allègue la violation des articles 515-4 et 1134 (devenu art. 1103) du code civil. Il estime en effet que les juges n’ont pas retenu une clef de répartition des charges qui tienne compte des facultés respectives des partenaires puisqu’il est le seul à avoir assumé le remboursement des emprunts en raison de l’insuffisance des revenus de sa compagne, qui n’était pas en mesure de contribuer à hauteur de sa part dans l’indivision. En outre, il reproche aux juges du fait d’avoir inversé la charge de la preuve. En effet, les règles de l’indivision font présumer une participation des indivisaires aux charges de l’indivision à hauteur de leurs parts, soit, au cas présent, pour moitié chacun. La question de la charge de la preuve ne sera pas évoquée dans les développements du commentaire car cela ne revêt pas la question principale soulevée dans le cadre de notre séance.

 La question à laquelle doit répondre la Cour de cassation est donc la suivante : un expartenaire à un pacte civil de solidarité peut-il prétendre à une créance contre son ex-partenaire au motif qu’il a intégralement remboursé les prêts ayant servi à financer l!acquisition du logement indivis ? 

Par un arrêt du 27 janvier 2021, la première chambre civile de Cour de cassation rejette le pourvoi au visa de l’article 515-4 du code civil au motif que les partenaires s’engagent à une aide matérielle et une assistance réciproque selon leurs facultés respectives, dès lors qu’ils n’en ont pas autrement convenu. La Haute juridiction considère que les juges du fond ont souverainement estimé que les paiements effectués par l’ex-partenaire étaient proportionnels à ses facultés contributives et participaient de l’exécution de l’aide matérielle entre partenaires, ce qui ne permettait pas le remboursement des sommes versées. 

 Au-delà du rappel du devoir d’aide matérielle réciproque incombant aux partenaires de Pacs (I), la première chambre civile de la Cour de cassation vient étendre sa jurisprudence relative à la protection du logement des époux aux pacsés (II).

I. Le rappel du devoir d’aide matérielle réciproque entre les partenaires pacsés

Par cet arrêt, la Haute juridiction judiciaire rappelle la notion d’aide matérielle réciproque incombant aux partenaires pacsés (A) qui, à défaut d’aménagement conventionnel, doit être appréciée proportionnellement aux facultés respectives du couple (B).

A – La notion d’aide matérielle réciproque, un devoir lié à une communauté matérielle des partenaires

 Le pacte civil de solidarité, introduit par la loi du 15 novembre 1999, est défini par l’article 515-1 du Code civil comme le « contrat conclu par deux personnes physiques majeures, de sexe différent ou de même sexe, pour organiser leur vie commune ». L’originalité de la loi de 1999 est, audelà de l’ouverture d’un statut juridique pour les couples homosexuels, d’avoir créé un cadre général à tous les couples et alternatif au mariage. Ce statut permet aux partenaires de convenir d’un cadre pour régler leur communauté de vie tant affective que matérielle. 

 Ainsi, dans cet arrêt du 27 janvier 2021, la première chambre civile de la Cour de cassation rappelle que les partenaires de PACS sont soumis au devoir d’aide matérielle réciproque. L’article 515-4 alinéa 1er du code civil dispose en effet que « les partenaires liés par un pacte civil de solidarité s’engagent à une vie commune, ainsi qu’à une aide matérielle et une assistance réciproques. Si les partenaires n’en disposent autrement, l’aide matérielle est proportionnelle à leurs facultés respectives ». Cette notion désignait, dans sa rédaction issue de la loi du 15 novembre 1999, une aide mutuelle et matérielle. La loi du 23 juin 2006 a modifié l’article 515-4 en caractérisant désormais les caractères de la communauté de vie, notamment par le prisme de l’aide matérielle et de l’assistance réciproques. 

 Les partenaires de PACS sont ainsi soumis, à l’instar des époux, à une contribution réciproque. En effet, l’article 515-4 du code civil doit être mis en parallèle avec l’article 214 du même code relatif à la contribution réciproque aux charges du marge. Ce devoir patrimonial de solidarité financière est apprécié, dans les deux cas, en fonction des facultés respectives des partenaires.

B – L’application de la proportionnalité à défaut d’aménagement conventionnel

 L’originalité du PACS repose sur sa nature contractuelle. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n°99-419 DC en date du 9 novembre 1999, rappelle que ce statut juridique est avant tout un contact. Il est considéré que « les dispositions générales du code civil relatives aux contrats et aux obligations conventionnelles auront par ailleurs vocation à s’appliquer, sous le contrôle du juge » (Considérant 28). 

La nature contractuelle du PACS a des conséquences sur le devoir d’aide matérielle imposé aux partenaires. En comparaison avec la contribution aux charges du mariage, où l’article 214 du Code civil énonce que « si les conventions matrimoniales ne règlent pas la contribution des époux aux charges du mariage, ils y contribuent à proportion de leurs facultés respectives », les pacsés ont également le choix concernant les modalités d’application de l’aide matérielle. 

 Les partenaires peuvent ainsi aménager conventionnellement la répartition financière allouée à l’aide matérielle. Ils peuvent ainsi insérer des clauses dans leur convention pour contenir le risque lié à l’inclusion du paiement de l’emprunt dans l’aide matérielle. Un type de clauses peut être envisagé pour cadrer le périmètre de l’aide matérielle. Il s’agit de clauses extensives, visant à inclure l’apport en capital des ressources personnelles. Toutefois les clauses limitatives, ayant pour objet d’écarter totalement ou partiellement le remboursement du logement familial, pour reprendre les faits d’espèce sont prohibées par la jurisprudence. En effet, le Conseil constitutionnel invoque le caractère obligatoire de l’aide matérielle, qu’il analyse comme « un devoir entre partenaires de PACS » (CC, DC 9 novembre 1999). 

 A défaut de clause, ce montant sera proportionnel à leurs facultés respectives. L’arrêt du 27 janvier 2021 rappelle les conséquences de l’absence d’aménagement conventionnel et reprend l’appréciation in concreto des juges du fond sur les facultés respectives des partenaires. En l’espèce, la cour d’appel d’Angers a constaté que l’ancienne partenaire, qui réclamait le partage des biens en indivision après la dissolution du PACS, bénéficiait de revenus « notoirement insuffisants pour faire face à la moitié du règlement des échéances des emprunts immobiliers ». Les juges du fond ont également comparé sa situation financière à celle de son ancien partenaire qui percevait des revenus « quatre à cinq fois supérieurs ». Dès lors, la forte inégalité de ressources justifie, selon l’appréciation souveraine des juges d’appel approuvée par la Cour de cassation (« en a exactement déduit »), que le remboursement du prêt immobilier à l’époque du PACS ait été intégralement assumé par le partenaire, en vertu du devoir d’aide matérielle réciproque. 

 Au-delà du rappel des conditions relatives à l’aide matérielle, la Haute juridiction judiciaire va se servir de cette occasion pour étendre la protection du logement des partenaires de PACS.

II. L’illustration d’une volonté de protection du logement du couple

 Par cet arrêt, la première chambre civile rend une décision qui a pour but de neutraliser les créances afférentes au logement pour les partenaires dans le cadre d’un PACS (A). Cette jurisprudence met en évidence la primauté de l!aide matérielle sur les règles de droit commun de l!indivision (B).

A. La neutralisation des créances afférentes au logement pour les partenaires de PACS

 Le second apport de l’arrêt réside dans l’extension au PACS de la neutralisation des créances relatives au logement du couple. En effet, la jurisprudence est constante sur cette question pour les époux séparés. A plusieurs reprises, la Cour de cassation est venue rejeter la notion de créance pour les financements liés au domicile du couple (Civ. 1ère, 14 mars 2006, 15 mai 2013, 24 sept. 2014, 1er avril 2015). Par un arrêt du 15 mai 2013, la première chambre civile avait déjà considéré « qu’après avoir relevé, par motifs adoptés, que l’immeuble indivis constituait le logement de la famille, la cour d’appel a pu décider que le paiement des dépenses afférentes à l’acquisition et à l’aménagement de ce bien participait de l’exécution par le mari de son obligation de contribuer aux charges du mariage ». Il semblerait qu’encore une fois, la Cour de cassation étend la notion de contribution aux charges du mariage à l’aide matérielle des partenaires de PACS sur laquelle s’appuie l’arrêt du 27 janvier 2021. 

Par ailleurs, la Cour de cassation s’est déjà positionnée en ce sens concernant le domicile des concubins. Par un arrêt du 13 janvier 2016 (Cass., 1ère civ, 13 janv. 2016, n°14-29.746) la première chambre de la Haute juridiction avait rejeté la prétention d’un concubin qui avait financé l’acquisition de la résidence principale au-delà de sa quotité de propriété, en relevant que sa sur-participation dans le financement constituait seulement une modalité de sa contribution aux dépenses de la vie courante. En effet, les juges du fond, après avoir constaté le caractère spécifique du bien immobilier, constituant « le logement du couple et de leur enfant en commun », avait relevé qu’au cours de leur vie commune, les concubins avaient consenti à un partage des charges, l’un remboursant certaines dépenses, comme le remboursement de l’emprunt immobilier, et l’autre s’acquittant d’autres frais tels que les frais de la vie quotidienne comme la nourriture et l’habillement. 

 Dès lors, semble se dessiner un mouvement d’uniformisation de l!acquisition en indivision par les couples : qu!ils soient mariés sous le régime de la séparation de biens, partenaires de PACS, ou simplement concubins, les acquéreurs indivis ne sauraient automatiquement bénéficier d’une créance de l’article 815-13 du Code civil dans le cadre des opérations de liquidation-partage, au seul motif qu’ils ont participé financièrement à l’acquisition au-delà de leur quotité de propriété.

Se dégage de cette jurisprudence, innovante pour les partenaires de PACS, une protection générale du logement du couple face aux règles du droit commun.

B. La primauté de l’aide matérielle sur les règles de droit commun de l’indivision

 L’arrêt du 27 janvier 2021 rappelle ainsi qu’en l’absence d’aménagement conventionnel de l’aide matérielle, l’appréciation de celle-ci se fait proportionnellement aux facultés respectives des partenaires. Cette appréciation relève de l’interprétation souveraine des juges du fond. 

En l’espèce, les juges du fond relève qu’en absence d’éléments de preuve contraires apportés par le requérant, la différence de faculté de contribution des partenaires dans le cadre du PACS induit « qu’il a existé une volonté commune d’indivision régissant le PACS conclu le 26 septembre 2003 ». 

 En affirmant que les créances afférentes au logement relèvent de l’aide matérielle dans le cadre du PACS, la Cour de cassation explique que les règles de l’indivision seront évincées par les règles de l!aide mutuelle et matérielle. L’article 515-5 du code Civil dispose que sauf convention contraire, les partenaires « conservent l’administration, la jouissance et la libre disposition de ses biens personnels ». En l’espèce, l’acquisition du bien immobilier ne relevait pas de la caractéristique d’un bien personnelet se retrouve donc dans le régime de de l’indivision. L’indivision désigne la situation dans laquelle se trouvent des biens sur lesquels s’exercent des droits de même nature appartenant à plusieurs personnes.  

 Avant la modification de l’article par la loi du 23 juin 2006, il existe une présomption d’indivision dans le cadre du PACS- « à défaut, ces meubles sont présumés indivis par moitié ». Dès lors, le législateur de 2006 a laissé aux partenaires pacsés le choix entre deux « régimes matrimoniaux »,  c’est à dire le régime de séparation de biens ou le régime conventionnel d’indivision des acquêts. Le renvoi opéré par l’article 515-5-3 du Code civil aux articles 1873-1 et suivants du Code permet aux partenaires de conclure des conventions relatives à l’exercice de leurs droits indivis, et ce, sauf dispositions contraires, pour la durée du pacte civil de solidarité. Néanmoins par cet arrêt, les juges de la Cour de cassation indiquent que les financements liés au logement, même indivis, participent à l’aide matérielle et ne sont pas assimilables à des créances. Ils ne seront dès lors pas soumis aux règles de droit commun de l’indivision. 

 Au-delà de la question de l’appréciation du financement d’un logement individu de partenaires de PACS, il s’agit dans cet arrêt de mettre en exergue la nécessaire protection du couple, sous ses trois formes d’union possibles. Le renforcement institutionnel du pacte civil de solidarité, par le biais du législateur mais aussi de la jurisprudence, vient illustrer ce rapprochement des effets du mariage avec la situation des époux séparés de biens où il avait également été reconnu par la jurisprudence que le financement de l’acquisition d’un bien indivis par un époux séparé de biens pouvait être une modalité de sa contribution aux charges du mariage.

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