Sommaire : cours complet d’introduction au droit privé (L1)

  1. Leçon 1 : Premières vues sur le droit
  2. Leçon 2 : Identification des règles de droit
  3. Leçon 3 : Création des règles de droit
  4. Leçon 4 : Application des règles de droit
  5. Leçon 5 : Jurisprudence et doctrine : les frontières brouillées entre création et application des règles de droit
  6. Leçon 6 : Les droits subjectifs

Leçon 6 : Les droits subjectifs

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Les droits subjectifs sont des prérogatives accordées par le droit objectif aux individus.
Ces prérogatives portent soit sur des biens déterminés, soit contre des personnes identifiées.

Aubert et Savaux : “des pouvoirs d’imposer, d’exiger ou d’interdire attribués par la loi à une personne en considération de leur utilité individuelle et sociale”.

3 éléments caractéristiques des droits subjectifs :
1- c’est un pouvoir ou une prérogative précise
2- il est attribué au sujet de droit par le droit objectif
3- ce pouvoir est susceptible d’être défendu devant une juridiction

Section 1 : Les personnes et les choses : sujets et objets des droits subjectifs

Jusqu’à l’abolition de l’esclavage (en 1848 en France), certaines personnes pouvaient naître ou devenir esclaves.
Les esclaves étaient juridiquement considérés comme des choses, et non comme des personnes.
Ils étaient donc dépourvus de toute personnalité juridique.

Pendant longtemps, les animaux ont en France été qualifiés juridiquement comme des choses.
Article 515-14 du Code civil : “les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité”.
Mais ils restent soumis au régime des biens.

§ 1. Les personnes

A – Les personnes physiques

Les éléments juridiques qui permettent d’identifier la personne forment l’état civil :
> le prénom
> le nom de famille
> le sexe
> la date de naissance
> le domicile administratif
> l’affiliation

En principe, ces éléments ne peuvent pas être modifiés (immutabilité : la volonté des individus ne compte pas).

Des exceptions existent :

  • On peut changer de domicile ;
  • On peut, par demande judiciaire justifiée par un intérêt légitime, obtenir une modification de son nom ou de son prénom ;
  • Il est possible, sous conditions, de changer de sexe : voir Chapitre 1 : L’identification des personnes humaines (§ 4).

B – Les personnes morales

Personne morale : groupement doté sous certaines conditions d’une personnalité juridique plus ou moins complète et qui ont vocation à une activité distincte des individus qui la composent.
(Vocabulaire juridique de l’association Henri Capitant)

Une personne morale poursuit une activité totalement autonome des activités de ceux qui la composent.
Elle est juridiquement indépendante et dispose d’un patrimoine propre.

Il existe une pluralité de personnes morales :

  • Les personnes morales de droit public : l’État français, les collectivités territoriales, l’administration, les établissements publics, les universités…
  • Les personnes morales de droit privé : sociétés commerciales, sociétés civiles, sociétés non économiques (associations, syndicats, GIE)…

Les éléments qui permettent l’identification des personnes morales sont :

  • Le nom : on parle de titre pour les associations et de raison sociale ou dénomination sociale pour les entreprises.
    → elles peuvent le changer simplement
  • La nationalité :
    • En droit public, elles ont la nationalité de l’État qui les a créées ;
    • En droit privé, elles ont la nationalité de l’État dans lequel se trouve leur siège social.

§ 2. Les choses

Les choses qui nous entourent sont toutes saisies par le droit, pour leur attribuer un régime juridique (= ensemble des règles de droit qui régissent des domaines / catégories).

A – La qualification des choses selon leur appropriation

On distingue les choses appropriables des choses non-appropriables (= il ne peut pas y avoir de propriétaire ; par exemple : l’air, la mer, les rivages, etc.).

Article 714 du Code civil :

Il est des choses qui n’appartiennent à personne et dont l’usage est commun à tous.

On parle de choses communes (res communes).

Il existe des choses appropriables mais non appropriées :

  • Les choses sans maître (res nullius), qui n’ont jamais été appropriées mais peuvent l’être.
    Exemple : gibier, poissons dans la mer, etc.
  • Les choses abandonnées par leur propriétaire (res derelictae).

💡 Seules les choses appropriées ou susceptibles d’être appropriées peuvent être qualifiées de biens.

B – La qualification des choses selon leur mobilité

On distingue 2 notions juridiques :
> les biens meubles, qui sont mobiles
> les biens immeubles, qui ne peuvent pas être déplacés

C – La qualification des choses selon leur nature

On distingue :

  • Les choses corporelles : tout ce qui peut être appréhendé par les sens et qui est extérieur à la personne ; autrement dit, qui peut être touché physiquement : maison, arbre, terrain, pièce de monnaie…
  • Les choses incorporelles : fond de commerce, brevet, marque…

On distingue aussi :

  • Les choses consomptibles, qui peuvent disparaître totalement ou partiellement lorsqu’elles sont utilisées ; ex : l’argent, la nourriture…
  • Les choses non consomptibles, que l’on peut utiliser sans porter atteinte à leur essence.

Et aussi :

  • Les choses fongibles, qui peuvent être remplacées indifféremment par une autre chose.
  • Les choses non fongibles, qui ne sont pas interchangeables.

Section 2 : La classification des droits subjectifs

Les droits subjectifs (= prérogatives individuelles accordées aux individus) sont très nombreux et très divers.
Jusqu’au 16e siècle, on ne prenait en compte que le droit objectif.
Jean Carbonnier parle de « pulvérisation du droit objectif en droit subjectif ».

Exemples récents de droits subjectifs issus de lois :
> droit à vivre dans un environnement sain
> droit à un accès internet à haut débit

On distingue les droits subjectifs fondamentaux, qui occupent une place particulière dans l’ordre juridique et sont issus de la DDHC, de la CEDH, du préambule de la Constitution, etc., des droits subjectifs ordinaires.

Il faut aussi distinguer les droits subjectifs patrimoniaux et les droits subjectifs non patrimoniaux.

§ 1. Les droits patrimoniaux

Un droit patrimonial est directement appréciable en argent.
Il entre directement dans le patrimoine des personnes juridiques.
Exemple : droit de propriété, droit de créance.

A – Un contenant : le patrimoine

Patrimoine : une universalité de droits comprenant l’ensemble de ses biens et obligations présents et à venir, l’actif répondant du passif.

Pour Aubry et Rau, il existe 3 corollaires :

  1. Toute personne juridique a nécessairement un patrimoine.
  2. Seule une personne juridique peut avoir un patrimoine.
  3. Une personne ne doit avoir d’un seul patrimoine.
    Ce dernier est de moins en moins vrai aujourd’hui.

Au sein du patrimoine, l’actif répond au passif : si jamais la personne ne paie pas ses dettes, tous ses biens qui composent le patrimoine vont servir à désintéresser les créanciers (articles 2284 et 2285 du Code civil).

B – Un contenu : la triade des droits patrimoniaux

Il existe 3 grandes catégories : les droits réels, personnels et intellectuels.

1) Les droits réels

Les droits réels sont les pouvoirs exercés directement par une personne sur une chose.
Ils sont donc composés de 2 éléments :
> une personne, sujet actif du droit réel
> une chose, objet du droit réel

On distingue 2 types de droits réels :

a) Les droits réels principaux

Cette catégorie englobe le droit de propriété et les démembrements du droit de propriété.

Le droit de propriété est un droit fondamental, protégé par les articles 2 et 17 de la DDHC et par l’article 1 du 1er protocole additionnel de la CEDH.

Il est défini par l’article 544 du Code civil :

La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements.

On distingue 3 composantes dans le droit de propriété :
> l’usus : le droit d’user de la chose
> le fructus : le droit de tirer profit des fruits de la chose
> l’abusus : le droit de disposer du bien – soit juridiquement, soit matériellement

On parle de démembrement de la propriété lorsque l’on sépare ces 3 composantes entre des personnes différentes.
Souvent, la séparation se fait entre un usufruitier (qui a l’usus et le fructus) et un nu-propriétaire (qui a l’abusus).

b) Les droits réels accessoires

Les droits réels accessoires viennent s’adosser à un autre droit : « l’accessoire suit le principal ».

  • Le droit réel de préférence permet à la banque de saisir l’immeuble pour récupérer le prix de vente en priorité des autres créanciers.
  • Le droit de suite est la faculté offerte au créancier hypothécaire de saisir le bien entre les mains du tiers détenteur en cas de vente ou de transmission de celui-ci, afin de se faire payer sa créance.
    Exemple : si on revend notre maison sans rembourser notre crédit, son droit d’hypothèque permet de récupérer la maison auprès du nouveau propriétaire.

2) Les droits personnels

Un droit de créance est le pouvoir d’une personne (le créancier) d’obtenir d’une autre personne (le débiteur) l’accomplissement d’une prestation quelconque.
→ création d’un lien de droit qui est une obligation (créance ou dette)


3) Les droits intellectuels

Les droits intellectuels sont des droits qui confèrent à leur titulaire un monopole d’exploitation sur une œuvre de l’esprit ou sur une clientèle.
→ création littéraire, artistique…

On distingue 2 types de clientèle :
> la clientèle commerciale : commerces…
> la clientèle civile : avocats, médecins…

§ 2. Les droits extrapatrimoniaux

Les droits extrapatrimoniaux ne sont pas directement appréciables en argent.
Ils sont hors du patrimoine.
Ils ne peuvent pas être vendus.
Exemple : la plupart des droits fondamentaux.

A – Les droits de la personne

Les droits de la personne sont inhérents à la seule qualité de personne humaine.
Ils appartiennent à tous les individus qui sont des êtres humains.

⚠️ Ils ne doivent pas être confondus avec les droits de l’homme.

1) Les droits sur son corps

a) Le droit au respect et à l’inviolabilité de son corps

L’article 16-1 du Code civil dispose :

Chacun a droit au respect de son corps.
Le corps humain est inviolable.
Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial.

+ L’article 3 de la CEDH interdit toute forme de torture.

Par exemple, il est interdit pour un médecin de pratique une intervention / un traitement sans l’accord du patient.

b) L’indisponibilité du corps humain

L’indisponibilité du corps humain (= il ne peut pas faire l’objet d’un droit de patrimonial) est consacré par l’article 16-1 du Code civil.
On n’a donc pas de droit de propriété sur son corps.
Exemple : interdiction de la GPA (art. 16-7 du Code civil).

Le don ne peut se faire qu’à titre gratuit (pas de rémunération).

Le respect du corps humain ne cesse pas après la mort.
Le cadavre et les cendres doivent être traités « avec respect et décence ».

2) Les droits au-delà de son corps

a) Le droit au respect de la vie privée

Le droit au respect de la vie privée est garanti par l’article 8 de la CEDH et l’article 9 du Code civil.
Il attribue aux sujets de droit une sphère d’intimité dans laquelle nul ne peut pénétrer sans leur autorisation.

Les éléments considérés comme faisant partie de la vie privée d’un individu sont :
> son domicile
> sa vie sentimentale et conjugale
> sa vie familiale
> son intimité corporelle
> sa santé
> ses loisirs
> son utilisation d’internet
> certains aspects de sa pratique religieuse

Il est possible de porter atteinte au droit à la vie privée au motif de la liberté d’expression.
L’atteinte doit être légitime.
Les critères définis par la CEDH sont : il faut que l’information recherchée ou révélée soit en relation avec un évènement public, d’actualité ou avec une question ou un débat d’intérêt général.

La CEDH admet la publication de photos de personnes lors d’un évènement, mais la Cour de cassation pose des limites : il faut que la dignité humaine soit respectée, et qu’il y ait un lien entre l’évènement et les images ou révélations publiées.
Exemple : la fonction qu’occupe une personne dans la société peut constituer une atteinte à la vie privée.

Arrêt de la CEDH du 18 mai 2004 « Plon contre France » :
Un médecin, publie un ouvrage qui porte atteinte au droit au respect de la vie privée de François Mitterrand.
Pour la CEDH, l’interdiction ne peut être justifiée que temporairement ; elle doit répondre à un « besoin social impérieux ».

Un droit subjectif est une prérogative individuelle.
Lorsqu’il y a une violation du droit au respect de la vie privée, on peut ouvrir une action en justice / en responsabilité civile fondée sur l’article 9 du Code civil.

Il est possible de demander des dommages et intérêts de la part de la personne qui a violé le droit.
Il est aussi possible de demander des réparations en nature, comme par exemple le retrait d’un ouvrage ou la publication de la décision de condamnation.

Il n’est pas possible d’agir pour le droit au respect de la vie privée d’un mort, mais sa famille peut agir si elle considère que son droit au respect de sa vie privée a été atteint.

b) Le droit au respect du domicile

L’article 8 de la CEDH protège les individus des immixtions qui pourraient atteindre leur domicile.

Le droit au respect s’applique à tous les occupants d’un domicile et concerne les personnes physiques comme morales.

Corollaires :
> le droit de se clore
> le droit de protéger son domicile des yeux indiscrets de ses voisins

Un huissier ne peut donc pas entrer « comme ça » dans un domicile.
Seules les autorités administratives peuvent effecteur des perquisitions ou des visites domiciliaires, mais seulement entre 6h et 21h et avec l’autorisation d’un juge.

Autres exemples de droits de la personnalité :
> le droit au secret des correspondances
> le droit à l’honneur et à la réputation
(l’injure et la diffamation sont des infractions pénales)

B – Les droits familiaux

Au sein d’un couple, il y a :
> devoir d’assistance entre époux et pacsés
> entre époux, devoir de respect mutuel / de fidélité / de communauté de vie / conjugal

Les relations entre parents et enfants sont régis par le concept d’autorité parentale : ensemble de droits et de devoirs au profit des parents et des enfants.

§ 3. Les principaux traits de régime des droits patrimoniaux et extrapatrimoniaux

Les droits patrimoniaux :
> on ne peut pas s’en déposséder / les transmettre
> ils sont insaisissables
> ils sont imprescriptibles (= extinction d’un droit ou d’une action selon le temps)

Exception : le droit de propriété est un droit subjectif mais il est imprescriptible.

La question de l’abus de droit anime la doctrine au début du 20ème siècle : est-il possible d’abuser d’un droit subjectif ?
Pour Josserand, on peut abuser de son droit lorsqu’on le détourne de la finalité prévue à l’origine.

La Cour de cassation a reconnu que l’exercice du droit de propriété pouvait dégénérer en abus : arrêt Clément Bayard (3 août 1915), sur les ballons dirigeables.

→ Il y a abus de droit lorsque l’on utilise un droit subjectif pour nuire à autrui.

Section 3 : Les sources des droits subjectifs

La source principale des droits subjectifs est le droit objectif.

Parfois, il y a aussi des évènements qui vont déclencher la création de droits subjectifs, selon des conditions prévues par le droit objectif.
faits juridiques
ex : licenciement d’un salarié, conduite dangereuse d’un automobiliste à l’origine d’un accident…

Un acte juridique n’est pas un fait quelconque, mais un acte de volonté qui fait naître le droit subjectif.

Une règle du droit objectif va habiliter une ou plusieurs personnes à créer des droits selon leur volonté.
ex : le contrat

§ 1. Les actes juridiques

Les actes juridiques sont définis par l’article 1100-1 du Code civil :

Les actes juridiques sont des manifestations de volonté destinées à produire des effets de droit. Ils peuvent être conventionnels ou unilatéraux.

Un des effets possibles est la création d’un droit subjectif.
Exemple : les contrats sont des actes juridiques conclus selon la volonté des parties. Pareil pour les testaments (volonté unilatérale).

Il y a une distinction entre l’opération juridique (negotium) et le document qui matérialise cette volonté (instrumentum).

En droit français, il n’est pas nécessaire qu’il y ait un instrumentum pour que le contrat soit valable.
→ Il est possible de conclure un contrat sans signer aucun document.

Mais certains contrats nécessitent un document écrit.
Exemple : les contrats solennels doivent être posés par écrit, sous peine de nullité (art. 931 du Code civil).

§ 2. Les faits juridiques

L’article 1100-2 du Code civil dispose :

Les faits juridiques sont des agissements ou des événements auxquels la loi attache des effets de droit.

Un fait juridique produit aussi des effets de droit, mais la différence est que l’évènement qui va déclencher ces effets n’est pas la manifestation d’une volonté.

Exemple : que se passe-t-il si une personne sans domicile fixe vole quelque chose de façon à aller en prison ?
→ Peu importe la volonté du voleur, c’est le vol qui va déclencher l’effet de droit.

Section 4 : La preuve des droits subjectifs

Le droit objectif et les droits subjectifs qui en découlent sont dans la plupart des cas respectés par tous sans difficultés.
Mais la mission principale du juriste est d’anticiper les litiges et les difficultés.

Idem est non esse et non probari : « ne pas pouvoir prouver son droit équivaut à ne pas avoir de droit ».
→ tout ce qui n’est pas prouvé n’existe pas
→ la question de la preuve est donc centrale

Il faut se poser 3 questions :
> que faut-il prouver ?
> qui doit prouver ?
> comment prouver ?

§ 1. Ce qu’il faut prouver : l’objet de la preuve

Il y a des éléments qu’il n’est pas nécessaire de prouver.
Les parties doivent uniquement prouver les faits (ici, « faits » par opposition au droit) qui donnent naissance au droit subjectif invoqué, selon l’article 9 du Code de procédure civile.
jura novit curia : « le juge connaît le droit »

L’objet de la preuve, c’est qu’il y a eu un negocium.
L’instrumentum n’est qu’un des moyens de preuve que l’on utilise.

§ 2. Celui qui doit prouver : la charge de la preuve

Que se passe-t-il si, malgré les preuves fournies, une incertitude subsiste ?

  • En matière pénale, on a porté atteinte à la société dans son ensemble, donc le juge a pour mission de faire éclore la vérité.
    Il joue un rôle actif en matière de recherche des preuves. Il ordonne des mesures d’instruction (pour les affaires les plus graves, il y a un juge d’instruction).
    procédure inquisitoire : le juge joue un rôle actif en matière de preuves
  • En matière civile, le juge a pour mission de trancher un litige entre 2 parties.
    procédure accusatoire : ce n’est pas le juge qui recherche les preuves, mais aux parties de les communiquer au juge

A – Le principe (de la charge de la preuve en matière civile)

Principe : la charge de la preuve pèse sur le demandeur (= celui qui assigne l’autre partie).
Actori incumbit probatio : la preuve incombe au demandeur.

Dès lors que le demandeur oppose un moyen de défense (= élément qui vise au rejet de la demande), c’est à lui de prouver la négation qui forme son moyen de défense.

→ va-et-vient de la charge de la preuve

B – L’exception (à la charge de la preuve en matière civile)

Par exception au principe, il arrive que la loi ou le juge impose la charge de la preuve à une personne déterminée, peu importe qu’elle soit demandeur ou défendeur.
→ s’opère par une présomption des droits

Présomption : « conséquences que la loi ou un magistrat tire d’un fait connu un autre fait inconnu ».

La présomption va permettre à la partie de prouver un autre fait et, si elle arrive à le prouver, on va en induire l’existence du fait de base.
Exemple : article 312 du Code civil.

Il existe 3 catégories de présomption de droit :

  1. Les présomptions simples : présomptions qui peuvent être renversées par n’importe quel moyen de preuve contraire.
  2. Les présomptions mixtes : présomptions qui peuvent être renversées, mais la loi détermine les modes de preuve qui sont admis pour renverser la présomption.
  3. Les présomptions irréfragables : présomptions qui ne peuvent jamais être renversées par une preuve contraire.
    → dispense de preuve d’une partie au détriment de son adversaire

§ 3. Comment prouver : les moyens de preuve

A – La diversité des moyens de preuve

Le Code civil énumère 5 modes de preuve :
1- l’écrit
2- l’aveu
3- le serment
4- le témoignage
5- les présomptions du fait de l’homme

Les preuves scientifiques (ex : ADN) et techniques (ex : vidéosurveillance) sont des témoignages.

1) L’écrit

Aussi appelée « preuve privé littérale ».
Il s’agit du mode de preuve le plus efficace.
Il lie le juge, mais uniquement quand il s’agit de prouver un acte juridique (on parle de « preuve parfaite »). Le juge est obligé d’admettre que la preuve est vraie.

C’est un mode de preuve que l’on peut préconstituer (= faire avant le litige).

L’article 1365 du Code civil définit :

L’écrit consiste en une suite de lettres, de caractères, de chiffres ou de tous autres signes ou symboles dotés d’une signification intelligible, quel que soit leur support.

⚠️ Il faut que l’acte soit signé.
La signature permet d’identifier l’auteur et manifeste le consentement.

L’article 1366 du Code civil pose une condition : quand l’écrit est produit sous forme électronique, il faut « que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu’il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité ».

Il existe 2 grandes catégories d’actes écrits :

  1. Les actes authentiques : actes dressés par des officiers publics (notaires, huissiers, juges…).
    Ils doivent répondre à des conditions strictes de rédaction et de conservation.
    Ils ont une force probante particulière : ils font foi jusqu’à leur inscription en faux (= procédure qui permet de contester l’acte ; a de lourdes conséquences).
  2. Les actes sous seeing privé : actes dressés entre 2 personnes sans intervention d’un officier public.
    L’acte doit être signé.
    Dans les contrats où il y a plusieurs parties, il faut autant d’originaux que de parties.

     

    2 preuves parfaites, qui vont lier le juge.
    Différence : l’acte sous seeing privé est plus facile à contester ; pour cela, on peut suivre une procédure de vérification d’écriture.


2) L’aveu

Article 1383 du Code civil :

L’aveu est la déclaration par laquelle une personne reconnaît pour vrai un fait de nature à produire contre elle des conséquences juridiques.

Il faut distinguer :

  • L’aveu judiciaire (art. 1383-2 du Code civil), fait :
    • soit lors d’une audience ;
    • soit lors d’une audition devant un juge ;
    • soit par écrit dans le cadre d’une procédure judiciaire.
  • L’aveu extra-judiciaire : aveu en dehors d’une audience, d’une audition…
    A une force patente beaucoup moins importante.
    Relève du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond.

3) Le serment décisoire

Le serment décisoire est le procédé par lequel une partie va demander à son adversaire de prêter serment sur une question de droit donnée, qui va déterminer l’issue du litige.
Si l’adversaire refuse de prêter serment, il perd le procès.
Il peut aussi renvoyer le serment à l’envoyeur (« référer le serment »).


4) Le témoignage

Un témoignage est une déclaration faite par un tiers au litige de faits dont il a eu personnellement connaissance.
Il peut être fait soit à l’oral, soit par écrit (attestation).

Il a une force probante faible.
Les juges du fond apprécient librement la crédibilité du témoignage.

On ne peut pas prouver contre un écrit par un témoignage.


5) Les présomptions du fait de l’homme

Les présomptions du fait de l’homme ont le même fonctionnement que les présomptions de droit, mais sont abandonnées à l’appréciation du juge.

B – L’admissibilité des modes de preuve

L’admissibilité des modes de preuve n’est jamais totale.
Elle a toujours été plus ou moins réglementée par le législateur, qui prévoit dans certains cas de figure des preuves plus probantes que d’autres.

  • En matière pénale, toutes les preuves sont admissibles, y compris celles obtenues par un procédé illégal ou déloyal.
    Exemple : l’enregistrement d’un appel téléphonique à l’insu de son interlocuteur (→ illégal et déloyal).
    Limites du principe : ne concerne que des modes de preuve constitués par des personnes privées. Pour la police, les preuves doivent être obtenues de manière légale et loyale.
    Les preuves qui fuitent dans la presse peuvent être utilisées par la police.
  • En matière civile, la preuve doit être légale et loyale, sinon elle sera déclarée irrecevable et ne sera pas prise en compte par le juge.
    Chambre sociale, 20 novembre 1991 : l’enregistrement audio et vidéo d’employés à leur insu par leur employeur constitue un mode de preuve illicite.

     

    Apparition d’un nouveau droit subjectif : le droit à la preuve.
    Fondé sur l’article 6-1 de la CEDH, il peut permettre de produire dans un procès civil une preuve illégale ou déloyale.
    > Condition de proportionnalité (ex : atteinte à la vie privée ?)
    > Seulement s’il n’y a pas d’autres preuves disponibles

    Quels modes de preuves peuvent être utilisés dans quelles situations ?

1) La preuve des actes juridiques

En matière civile, on peut prouver librement l’acte juridique, sauf au-delà de 1500€ (art. 1359 du Code civil + décret du 20 août 2004).
Au-delà de 1500€, la preuve doit être un écrit.

Dès lors qu’il y a un écrit qui prouve un acte juridique, on ne pourra prouver outre ou contre cet écrit que par un autre écrit (quel que soit le montant).

Exceptions : l’exigence d’un écrit au-delà de 1500€ peut être contournée :

  1. Si on n’a pas d’écrit pour prouver l’acte, on peut avoir recours à un commencement de preuve par écrit, qui nous autorise à prouver l’acte juridique par tout moyen (art. 1362 du Code civil).
  2. Article 1360 du Code civil :

    Les règles prévues à l’article précédent reçoivent exception en cas d’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit, s’il est d’usage de ne pas établir un écrit, ou lorsque l’écrit a été perdu par force majeure.

    Exemple : contrat conclu entre un frère et une sœur : impossibilité morale.

  3. Article 1379 du Code civil :

    La copie fiable a la même force probante que l’original. La fiabilité est laissée à l’appréciation du juge.

Entre commerçants, la preuve de l’acte juridique est libre, quel que soit le montant de l’acte juridique mis en cause (article L110-3 du Code de commerce).


2) La preuve des faits juridiques

Les faits juridiques peuvent être prouvés par tout moyen.

On distingue :

  • Le système de preuve morale : système juridique dans lequel toutes les preuves sont admissibles.
    On laisse au juge le soin d’apprécier leurs forces probantes.
  • Le système de preuve légal : système juridique qui contient des règles qui définissent les preuves admissibles et leurs forces probantes.

Leçon 5 : Jurisprudence et doctrine : les frontières brouillées entre création et application des règles de droit

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Section 1 : La jurisprudence

La jurisprudence désigne l’habitude de juger dans un certain sens.

§ 1. L’évolution du rôle de la jurisprudence

Sources du droit : l’ensemble des procédures et procédés qui permettent en droit français de créer des règles de droit.

On distingue classiquement les systèmes juridiques de common law et de droit continental (droit civil).
Le droit continental repose sur un droit légiféré, des textes écrits → la loi au sens large.
Dans un système de common law, la principale source du droit sont les décisions de justice et la coutume.
La règle cardinale dans ce système est la règle du précédent : lorsqu’un litige se présente, pour trancher le litige le juge doit vérifier qu’il n’y a pas déjà eu un litige similaire par le passé auquel une solution a été apportée. → aucun doute sur le caractère de la jurisprudence = une source de droit

En France, à certaines époques, cette question ne se posait pas puisqu’il n’y avait pas de distinction entre les pouvoirs législatifs et judiciaire (le roi détenait les 2).
Ensuite, la DDHC pose le principe de la séparation des pouvoirs.

Depuis 1 siècle, le rôle créatif de la jurisprudence en France n’a cessé de croître et l’autorité de la jurisprudence est aujourd’hui largement respectée en France.

Pour comprendre cette évolution, il faut analyser 2 conceptions :

A – La conception restrictive du rôle de la jurisprudence : appliquer la loi

Idée : la jurisprudence a pour rôle d’appliquer la loi ; le juge doit appliquer mécaniquement / littéralement la loi.

C’est la conception de la révolution de 1789.
Objectif : s’éloigner de l’Ancien Régime sous lequel les parlements pouvaient renvoyer au roi une ordonnance ou un édit s’ils considéraient que ça allait à l’encontre du peuple (droit de remontrance).
Les parlements avaient donc un pouvoir important en matière normative. Hors de question pour les révolutionnaires que ça se reproduise.

Le Chapelier qualifie la jurisprudence de « la plus détestable des institutions ».
Robespierre proposait de supprimer le mot de la langue.
Pour Montesquieu : « le juge est la bouche de la loi ».

Le Tribunal de cassation est créé en 1790, avec comme principale mission d’unifier le droit privé sur le territoire national.

Un nouveau mécanisme est créé : le référé législatif → tout justiciable peut saisir l’Assemblée nationale pour savoir comment appliquer la loi.

Article 4 du Code civil : le déni de justice est une infraction pénale. Le juge est obligé de juger les affaires qui lui sont soumises.
Article 5 du Code civil : interdit les arrêts de règlement. Pour trancher le litige, le juge va devoir dégager une règle, mais elle n’aura pas vocation à s’appliquer dans le futur aux justiciables et aux juges (« autorité relative de la chose jugée »).
Exemple d’arrêt de règlement : voir PowerPoint page 3.

B – La conception expansive de la jurisprudence : créer du droit

Jurisprudence : rôle secondaire de création normative qui se développe à partir de la fin du 19e siècle (révolution industrielle).
Cornu parle de « siècle d’or de la jurisprudence » et de l' »ère de la jurisprudence créatrice ».

La responsabilité civile a pendant longtemps reposé sur 5 articles du Code civil portant sur la responsabilité civile (qui découle exclusivement d’une faute). Sauf que, par exemple, si une machine à vapeur explose, il n’y a pas de faute.
À la fin du 19e siècle : nouveau régime de responsabilité sans faute : « responsabilité du fait des choses » (article 1242, alinéa 1 du Code civil).

Exemple : arrêt Teffaine (1896) : ce régime – complètement créé par la Cour de cassation – est toujours appliqué aujourd’hui.
Jusqu’en 1985, tous les accidents de la circulation étaient régis par ce régime.

Aujourd’hui, le législateur français est conscient du rôle de la jurisprudence et s’en satisfait.
2016 : réforme majeure des obligations : 350 articles modifiés ; 2/3 ne font que codifier la jurisprudence.

Il faut établir la distinction entre :

  • Les arrêts d’espèce, dont la solution a une portée qui se limite au cas d’espèce ; et
  • Les arrêts de principe, qui énoncent un principe (= règle énoncée dans des termes généraux) qui va s’appliquer dans des affaires ultérieures.

Cette distinction se fait surtout sur la forme : dans l’arrêt de principe, le juge ne dit pas que l’arrêt a vocation à s’appliquer dans le futur, mais il énonce un principe dans l’arrêt.

En théorie et en pratique, le principe énoncé par la Cour de cassation n’est obligatoire pour personne, à part les parties au litige.
→ elle peut juger différemment dans le futur
Mais elle crée une habitude de juger dans un même sens.
Les arrêts d’assemblée plénière sont souvent des arrêts de principe.

Obiter dictum : « soit dit en passant » ; une partie de l’arrêt qui apporte une information qui n’a aucun intérêt pour trancher le litige.
Un arrêt est avec un obiter dictum est généralement très important.

Il existe une incertitude inhérente à la jurisprudence, puisqu’en France les juges ne sont pas obligés de la suivre.

§ 2. La banalisation du pouvoir normatif de la jurisprudence

La plupart des acteurs de l’ordre juridique reconnaissent que la jurisprudence est une source formelle du droit particulière.

Pendant longtemps, la Cour de cassation n’assumait pas son propre pouvoir normatif pour ne pas que l’on accuse de porter atteinte à la séparation des pouvoirs.
Encore aujourd’hui, elle ne dit pas qu’elle crée une règle de droit, mais s’abrite derrière un texte de loi qu’elle prétend interpréter.

Ces 10-20 dernières années, la Cour de cassation s’émancipe (elle suit la théorie de la libre recherche scientifique qui prend de l’ampleur au 20e siècle).
Exemple : QPC sur le contrôle de constitutionnalité d’une « disposition législative » : la Cour de cassation refuse de transmettre les QPC qui portent sur une construction jurisprudentielle.

Depuis 2020, la Cour de cassation adopte la « rédaction en formule développée » (plus longue que d’habitude, pour bien expliquer son raisonnement).
Objectif : rendre les arrêts plus lisibles pour le grand public.

Exemple : Chambre commerciale, 22 mars 2016 : constate la divergence de jurisprudence entre les différentes chambres de la Cour de cassation ; explique qu’elle opère un revirement de sa propre jurisprudence pour s’aligner sur les autres chambres.

A – L’application des revirements de jurisprudence dans le temps

Quand les arrêts donnent le même principe, on parle de jurisprudence constante.
Des fois, on a une question de droit nouvelle → solution nouvelle → jurisprudence nouvelle.

Il se peut que la Cour de cassation précise une jurisprudence antérieure.
→ évolution de la jurisprudence

Lorsqu’elle change de position, on parle de revirement de jurisprudence.
Exemple : Civ. 1, 3 février 1999 : revirement de la jurisprudence en matière de libéralités en cas d’adultère.

En cas de revirement de la jurisprudence, la solution nouvelle s’applique-t-elle aux faits antérieurs ?
→ Oui : le principe est la rétroactivité des revirements de jurisprudence car l’interprétation de la Cour de cassation fait corps avec la règle interprétée.
→ Une nouvelle interprétation va produire rétroactivement effet
→ Peu idéal, car peut être perçu comme une injustice ; pose problème pour la sécurité juridique

Nul ne peut se prévaloir d’un droit acquis à une jurisprudence figée.

Pour éviter ces effets négatifs :

  • La Cour de cassation envoie des signaux avant de faire le revirement de jurisprudence et donc l’anticipe : méthode des « petits pas » → revirement progressif, étape par étape.
    (très limité dans son efficacité ; la plupart des revirements sont imprévisibles)
  • Au début des années 2000, sous la pression de la CEDH, la Cour de cassation commence à émettre des exceptions.
    Arrêt de l’assemblée plénière du 21 décembre 2006 : lorsque la rétroactivité du revirement de jurisprudence porte atteinte à un droit garanti par la CEDH, il faut faire exception à la rétroactivité naturelle de la jurisprudence.
    En effet, l’article 6-1 de la Convention EDH garantit le droit à un procès équitable.
    Idée : la rétroactivité du revirement ne doit pas empêcher le justiciable d’agir en justice.
    Cet article n’a jusqu’ici été admis uniquement que dans des revirements concernant des délais de prescription.

En matière pénale, cela pose problème puis que le principe est celui de l’égalité des délits et des peines.
Incohérence résolue par l’arrêt de la chambre criminelle du 25 novembre 2020 (fait suite à l’arrêt Pessino c France, CEDH) : la chambre criminelle accepte une dérogation à la rétroactivité des revirements de jurisprudence en matière pénale.

B – Le dialogue des juges

Hypothèse : décisions contradictoires rendues par différentes juridictions.
Pour réduire le plus possible les contradictions entre jurisprudences, les juges ont mis en place un « dialogue des juges ».

1) Les méthodes de communications institutionnalisées

Il existe des procédures qui permettent aux juges de communiquer entre eux.
Elles ne visent pas à résoudre les conflits mais plutôt à les prévenir.

a) La saisine pour avis de la Cour de cassation

La loi du 15 mai 1991 crée une procédure de saisine pour avis de la Cour de cassation.
Elle est ouverte uniquement aux juridictions du fond.
3 conditions :
1- la question de droit doit être nouvelle ;
2- elle doit présenter une difficulté sérieuse ;
3- elle se pose dans de nombreux litiges.

Initialement, l’avis devait être rendu par une formation spéciale, mais depuis 2016 c’est directement la chambre qui le fait.

⚠️ L’avis ne lie pas la juridiction qui l’a demandé.
La Cour de cassation n’est pas liée non plus par l’avis.

Exemple concret : l’affaire des barèmes Macron : certains avocats ont contesté leur conformité à la convention n°158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) et à la Charte sociale européenne de 1971.
Le conseil des prud’hommes de Toulouse demande à la Cour de cassation son avis ; elle répond que 1- la Charte sociale européenne n’a pas d’effet direct (→ n’est pas applicable) et que 2- les barèmes Macron ne sont pas en contradiction avec la convention de l’OIT.

En pratique, cette procédure est assez peu utilisée.
La Cour de cassation n’est pas obligée de répondre.

b) La saisine pour avis de la CEDH

Le protocole additionnel n°16 à la Convention EDH, ratifié par la France en 2018, prévoit que les cours suprêmes des États membres peuvent adresser à la CEDH une demande d’avis consultatif (en France, Cour de cassation et Conseil d’État).

Ici, la saisine ne concerne pas une question de droit.
Au contraire, les textes montrent même que l’on droit transmettre à la CEDH tous les éléments de contexte pertinents, et notamment les éléments factuels, parce que la CEDH effectue un contrôle concret.

La grande chambre de la CEDH va rendre un avis consultatif, qui ne lie pas la cour suprême qui l’a demandé.

La Cour de cassation est la 1ère juridiction à avoir posé une demande d’avis à la CEDH : 5 octobre 2018, dans une affaire où la France a déjà été condamnée : affaire Mennesson contre France (CEDH 26 juin 2014), car la Cour de cassation a refusé de transcrire un acte de naissance étranger pour une GPA (illicite en France).
Le 10 avril 2019, la CEDH rend son avis, et le 4 octobre 2019, l’assemblée plénière de la Cour de cassation effectue un contrôle de conventionnalité.

c) La question préjudicielle

Préjudicielle = préalable.
Une question préjudicielle est une question qu’il va falloir trancher.

Exemple : question préjudicielle posée à la CJUE par un juge national.
→ Suspension de l’instance en attente de la réponse pour trancher le litige.
→ Pas uniquement pour les juridictions suprêmes.

La procédure de question préjudicielle est plus compliquée, car les juges nationaux ont l’obligation de saisir un recours en interprétation lorsqu’une incertitude survient dans une instance dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours.

La décision rendue par la CJUE et la réponse apportée lie la juridiction qui a posé la question, ainsi que l’ensemble des juridictions des États membres.

C’est donc une procédure qui demande une certaine collaboration.
Parfois, les juges suprêmes font de la résistance.

Les canaux officiels restent cependant limités.


2) Les canaux de communication détournés ou officieux

Avant la création de la saisine pour avis (1991 pour la Cour de cassation), il y avait une méthode officieuse qui permettait aux juges du fond de poser une question à la Cour de cassation, via le 1er président des cours d’appel.
Cette méthode n’était pas régi par les textes, mais les réponses apportées étaient publiées dans le Bulletin d’information de la Cour de cassation (BICC ; remplacé en 2021 par les lettres des chambres).

La Cour de cassation publie des communiqués.

Les obiter dictum (« soit dit en passant » ; parties de l’arrêt qui n’ont rien à voir avec le litige) peuvent aussi être utilisées comme moyen de communication avec les autres juridictions.
Exemple :

La procédure de QPC est adoptée en 2008 et entre en vigueur en 2010.
À l’époque, la Cour de cassation fait de la résistance.
Depuis l’arrêt Jacques Vabre et la décision sur l’IVG, le Conseil constitutionnel avait dit qu’il n’était pas capable d’exercer un contrôle de conventionnalité.
La Cour de cassation voit d’un mauvais œil que le Conseil constitutionnel fasse un contrôle de conventionnalité a posteriori, alors qu’avant il ne faisait qu’un contrôle de constitutionnalité.
La QPC est prioritaire, elle doit être jugée en urgence.
Les décisions du Conseil constitutionnel s’appliquent à toutes les autorités publiques, y compris la Cour de cassation.

Dans un arrêt « avant dire droit » (= décision prononcée par un tribunal sur une question accessoire, avant qu’il ne rende sa décision sur le fond de l’affaire dont il est saisi) du 16 avril 2010, la Cour de cassation soumet à la CJUE la question préjudicielle : « La procédure de QPC est-elle conforme au droit de l’UE ? ».

Arguments de la Cour de cassation :

  • La QPC prime sur la question préjudicielle ; or les textes de l’UE prévoient que lorsqu’il y a un doute, une question préjudicielle doit être immédiatement posée et, en attendant la réponse de la CJUE, le juge doit prendre toutes les mesures conservatoires (≠ QPC).
  • La décision du Conseil constitutionnel s’impose à la Cour de cassation, donc la Cour de cassation ne peut plus ensuite poser de question préjudicielle.

Le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État ont vite pris position :

  • Conseil constitutionnel, décision du 12 mai 2010 « Loi relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne » : dans un obiter dictum, le Conseil constitutionnel démonte point par point l’argumentation de la Cour de cassation :
    • 1er argument : le fait que dans la QPC le Conseil constitutionnel juge la loi conforme à la Constitution n’empêche pas la Cour de cassation de juger ensuite que cette loi est contraire à une convention internationale.
    • 2e argument : le caractère prioritaire de la QPC n’empêche aucunement le juge ordinaire, en même temps qu’il transmet la QPC, de poser une question préjudicielle à la CJUE + de prendre les mesures conservatoires nécessaires.
    • 3e argument : lorsque le Conseil constitutionnel a rendu sa décision, le juge ordinaire conserve sa capacité à poser une question préjudicielle.
  • Le Conseil d’État, dans un arrêt du 14 mai 2010, reprend les arguments du Conseil constitutionnel.

La CJUE répond dans un arrêt du 22 juin 2010. Elle ne répond pas directement à la question, mais pose les critères qui doivent être remplis pour que la QPC soit conforme au droit de l’UE :

  1. Le juge national doit pouvoir saisir la CJUE d’une question préjudicielle à tout moment de la procédure ;
  2. En attendant que la CJUE réponde, le juge national doit pouvoir prendre toutes les mesures conservatoires qui s’imposent ;
  3. Le juge national doit laisser inappliquées les dispositions nationales qui seraient jugées contraires au droit de l’UE.

La Cour de cassation a refusé de transmettre la QPC dans cette affaire (arrêt du 29 juin 2010), parce qu’elle juge que cet article est contraire au droit de l’UE, et qu’il est donc inutile de transmettre la QPC au Conseil constitutionnel.

La loi organique du 22 juillet 2010 supprime ensuite la formation spéciale de la Cour de cassation qui filtrait les QPC.

→ exemple de dialogue des juges conflictuel

C – L’intervention toujours possible du législateur

Lorsque la jurisprudence lui déplaît, le législateur conserve la possibilité d’intervenir en passant une loi visant à contrer celle-ci ; on dit qu’il casse la jurisprudence.

Exemple : arrêt Perruche, assemblée plénière, 17 novembre 2000 :

La Cour de cassation a accepté de condamner le médecin et le laboratoire d’analyses médicales à réparer les préjudices d’un enfant né lourdement handicapé.

Fait suite à l’arrêt Quarez (Conseil d’État, 1997).

La mère n’a pas pu être informée et ne savait pas que son enfant allait naître lourdement handicapé.
La mère avait informé le médecin que, s’il y avait un risque de lourd handicap physique pour son enfant, elle suivrait une procédure d’IVG.
La décision de la Cour de cassation permet à l’enfant et à ses parents d’obtenir des indemnités leur garantissant de meilleures conditions de vie.

Certains juristes disent que, pour qu’il y ait indemnisation, il faut qu’il y ait eu un préjudice ; or, pour qu’il y ait un préjudice, il faut qu’il y ait une perte (= être dans une situation moins favorable que s’il n’y avait pas eu la faute) ; or, quelle alternative pour cet enfant dans l’affaire ?
Ici, pour la Cour de cassation : il vaut mieux pour un enfant de ne pas naître que de naître si lourdement handicapé.

Le législateur brise cette jurisprudence avec la loi du 4 mars 2002, dite « Loi Perruche » : l’article 1er de la loi, adopté par voie d’amendement (art. L114-5 du Code de l’action sociale et des familles) :

Nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance.

Une nouvelle saga jurisprudentielle s’ensuit :

  • CEDH, 6 octobre 2005, Draon c France :
    Les parents d’un enfant né lourdement handicapé intentent une action devant le tribunal administratif en invoquant la jurisprudence de l’arrêt Quarez (Conseil d’État).
    L’article anti-Perruche a été adopté entre-temps.
    La CEDH sanctionne la France sur le fondement du caractère rétroactif de la loi anti-Perruche.
    En effet, l’article 1er du 1er protocole additionnel protège le droit au respect des biens, et la CEDH assimile à un bien une espérance légitime de créance.
    En l’occurrence, l’enfant né lourdement handicapé avant l’entrée en vigueur de la loi de 2002 avait une espérance légitime de créance (de la part du personnel de santé fautif).

     

    Civ. 1, 24 janvier 2006 : la Cour de cassation refuse d’appliquer la loi anti-Perruche à une affaire en cours au moment où la loi est entrée en vigueur.

  • 11 juin 2010, décision QPC ayant pour objet cette disposition transitoire (= rétroactivité).
    Solution du Conseil constitutionnel : la disposition transitoire est contraire à la constitution française, mais uniquement en ce que l’article s’applique rétroactivement aux instances en cours en 2002.
  • Civ. 1, 15 décembre 2011 : la Cour de cassation estime que non seulement l’article anti-Perruche ne peut pas s’appliquer aux instances en cours en 2002, mais que toute la rétroactivité de l’article a disparu : il ne s’applique plus à tous les enfants nés avant 2002.
    Pour justifier cette exclusion totale, la Cour de cassation a retenu que le Conseil constitutionnel a abrogé la disposition transitoire en 2010, et qu’on en revient donc à l’article 2 du Code civil (« la loi n’a point d’effet rétroactif »).
  • Le Conseil d’État, dans un arrêt du 13 mai 2011, retient une solution différente : il estime que le Conseil constitutionnel a eu la volonté d’abroger uniquement une partie de la disposition transitoire et que l’autre partie de la rétroactivité continue de s’appliquer.
    Le Conseil d’État continue donc d’appliquer la rétroactivité pour les enfants nés avant 2002, sauf si une action était déjà en cours en 2002.

Section 2 : La doctrine

Doctrine : Au sens large, l’ensemble des auteurs d’ouvrages juridiques.
ou
Doctrine : L’opinion communément professée par ceux qui enseignent le droit.
(Vocabulaire juridique de l’association Henri Capitant)

Objectifs de la doctrine : synthétiser le droit positif, l’enseigner et suggérer des modifications pour l’améliorer.

Fonctions de la doctrine :
> descriptive : synthèse et description du droit positif
> prescriptive : prescrire des changements du droit positif
→ les opinions doctrinales peuvent influencer le législateur

§ 1. Le rôle de la doctrine

La synthétisation du droit positif est nécessaire, car il est extrêmement vaste (inflation législative).
Il y a aussi un problème de qualité de la norme.

On a donc besoin de gens qui vont clarifier ce « magma de normes » (= le droit positif).
Cette mission de compilation est effectuée en France par la doctrine.

La doctrine écrit des manuels d’introduction au droit ainsi que des ouvrages spéciaux plus pratiques et plus spécialisés.
La doctrine écrit aussi des articles qui prennent la forme de commentaires de lois, d’arrêts ou de réflexions plus générales sur des sujets de société.
Ceux-ci se trouvent généralement dans des revues spécialisées : « revues juridiques ».

Doctrine vient du latin doctrina, qui signifie éducation / enseignement.

La doctrine critique aussi le droit positif, avec comme objectif de l’améliorer, en relevant des lacunes, des dispositions archaïques, etc.
Exemple : jusqu’en 1975, le divorce n’était possible que pour faute ; les époux mettaient donc en place de fausses fautes pour pouvoir divorcer.

La critique doctrinale s’exerce aussi contre la jurisprudence (objectif : proposer des améliorations).

§ 2. L’autorité de la doctrine

“Le doctrine tire son influence non par raison d’autorité mais par autorité de la raison”
→ la doctrine n’a aucun pouvoir normatif

La doctrine ne s’impose ni au législateur ni au juge, mais exerce une certaine influence sur la jurisprudence et la loi.

En ce qui concerne la jurisprudence : les juges peuvent reprendre à leur compte un raisonnement proposé par la doctrine.
En ce qui concerne le législateur : il peut s’inspirer de propositions doctrinales (qui peuvent émaner de groupes de travail).
Exemple : Jean Carbonnier est à l’origine d’importantes lois en droit de la famille.

→ la doctrine : plutôt une source réelle du droit qu’une source formelle.

Mais la doctrine a aussi une fonction descriptive du droit positif : elle le synthétise et l’enseigne.
→ une certaine fonction normative

Leçon 4 : Application des règles de droit

Cliquer ici pour revenir au sommaire du cours complet d’introduction au droit privé.
Cliquer ici pour afficher le PowerPoint qui accompagne cette séance.

Section 1 : Le raisonnement juridique

§ 1. Le syllogisme juridique

Un syllogisme permet de déduire une conclusion à partir de 2 prémices qu’on appelle majeure et mineure.
Si les prémices sont vraies, alors la conclusion sera aussi vraie.

C’est une technique utilisée par les juridictions pour apporter une solution aux problèmes de droit qu’on leur soumet.

Majeure → règles de droit applicables
Mineure → faits
Conclusion → solution

À une notion juridique correspond en principe toujours une catégorie juridique correspondante.
Régime juridique : ensemble de règles.

§ 2. L’interprétation des textes juridiques

A – La nature et les auteurs de l’interprétation

1) L’interprétation

1ère conception : l’interprétation d’un texte n’est nécessaire que quand il est obscur / pas clair.
2ème conception (théorie réaliste) : l’interprétation consiste à conférer le sens d’une règle ; il faut distinguer le texte de la règle qu’il contient.

Exemple : le 1er alinéa de l’article 1242 du Code civil est conçu comme un texte introductif.
Ultérieurement, la Cour de cassation s’est saisie de cet alinéa 1er et a formulé une interprétation.
Selon la théorie réaliste, tous les textes normatifs doivent être interprétés pour faire ressortir les règles juridiques qu’ils comprennent.


2) Les interprètes

Tout le monde est amené à interpréter les énoncés normatifs, mais il y a certaines interprétations auxquelles on accorde une importance particulière : celles qui émanent des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire.

Il arrive que le pouvoir législatif interprète ses propres lois par le biais d’une loi interprétative (→ qui précise le sens d’une loi antérieure).

Le pouvoir exécutif peut aussi interpréter les textes normatifs :

  • par des circulaires, qui expliquent à l’administration comment appliquer une règle de droit ; elles ne s’appliquent qu’à l’administration.
  • par des instructions, des recommandations, des avis, des réponses ministérielles aux questions des députés ou des sénateurs…
    il s’agit de droit souple ; les magistrats peuvent retenir une autre interprétation.

Dans le pouvoir judiciaire, l’interprétation est inséparable de la fonction de magistrat.
Ex : article 5 du Code civil
Ex : article 12 alinéa 1er du Code de procédure civile

C’est à travers ce pouvoir d’interprétation que le juge crée des règles de droit.
Quand le législateur adopte une loi interprétative, c’est le juge qui a le dernier mot.

Les contrats sont en bas de la hiérarchie des normes. Lorsqu’un litige naît au sujet de l’exécution d’un contrat, les juges du fond ont un pouvoir souverain sur l’interprétation des clauses du contrat. On ne peut donc pas se pourvoir en cassation, sauf en cas de dénaturation du contrat (quand le contrat a un sens clair et précis et que les juges du fond ne l’ont pas respecté).

B – Les méthodes d’interprétation

Depuis l’adoption du Code civil, on distingue 2 grandes écoles sur l’interprétation.

1) L’École de l’exégèse

L’École de l’exégèse a dominé tout le 19ème siècle jusqu’à la Révolution industrielle.
Idée : lorsque la loi est obscure, l’interprète doit chercher à découvrir quelle est la volonté sous-jacente du législateur.

On va aussi s’intéresser aux éléments qui ont précédé l’adoption du texte.
→ interprétation psychologique ou « téléologique ».

Plus le temps passe après l’adoption des codes, plus ils apparaissent vieillis et insuffisants.
Dès la Révolution industrielle, il apparaît artificiel de remonter en 1804, où les problématiques actuelles n’existaient pas.
Le mécanisme outrancier de la méthode de l’exégèse est donc progressivement dénoncé.


2) L’École de la libre recherche scientifique

Pour François Gény (juriste) : « il faut aller par le Code civil, mais au-delà du Code civil ».

Objectif : se demander ce que voudrait le législateur dans le nouvel état des choses.
→ interprétations parfois déformantes ou créatrices

Le point sur lequel les 2 écoles s’accordent est que si la loi est claire, on ne fait que l’appliquer.

La méthode prescrite par l’École, qui doit être respectée par le juge lorsqu’il va au-delà du texte de la loi : prendre en compte les éléments objectifs du contexte dans lequel le juge intervient.
> les caractéristiques de la vie économique et sociale
> les besoins et idéaux qui la caractérisent
> les concepts moraux qui l’inspirent
> les orientations du législateur contemporain

C – Les techniques d’interprétation

Le raisonnement par analogie (a pari) :
On a une situation A à laquelle les textes n’apportent pas une réponse juridique et on constate une situation B très similaire à laquelle le droit apporte une réponse.
On transpose la règle.
Exemple : règles sur la cigarette transposées aux cigarettes électroniques.

Le raisonnement a fortiori :
On a une situation A à laquelle le droit n’apporte pas de réponse et une situation B à laquelle le droit apporte une réponse.
On applique la règle à la situation A car les raisons qui ont poussé à adopter la règle sont encore plus applicables à la situation A.
Exemple : les mineurs ne peuvent pas conclure de contrats de vente, alors encore moins de donation.

Le raisonnement a contrario :
On va pallier le silence d’un texte en déduisant de sa formulation une interprétation ou une autorisation inverse.

Le raisonnement inductif / déductif :
On fait d’abord d’une induction, puis une déduction.
Induction : ensemble de règles particulières → principe général.
Déduction : principe général → nouvelle règle particulière.

Exemple :
On ne peut faire une donation qu’à une personne juridique qui existe au moment du contrat + un enfant acquiert sa personnalité juridique au moment de sa naissance.
Dans la loi, un ensemble de règles particulières prévoient que l’enfant simplement conçu mais pas encore né sera considéré comme existant juridiquement si 2 conditions sont réunies : 1- c’est dans son intérêt ; 2- il est vivant et viable (infans conceptus : « l’enfant simplement conçu sera considéré comme né chaque fois qu’il pourra en tirer avantage »).
→ Cour de cassation, Civ. 2, 14 décembre 2017 : si un enfant perd son père avant de naître, il pourra demander réparation pour le préjudice moral à la personne responsable de la mort.

Maximes :
> Ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus
→ Là où la loi ne distingue pas, il n’y a pas lieu de distinguer.
> Exceptio est strictissimae interpretationnis
→ L’exception doit être interprétée de la façon la plus stricte.
> Specialia generalibus derogant
→ Le spécial déroge au général.

De manière générale, on suppose que le législateur est rationnel → règle d’or de l’interprétation.
On garde l’interprétation rationnelle.

Les interprétations peuvent parfois aboutir à des résultats contradictoires. Comment faire pour déterminer dans chaque cas de figure quel raisonnement appliquer ?
→ C’est l’interprète qui décide
⇒ L’importance du juge et de la jurisprudence

⚠️ Tout le droit pénal est d’interprétation stricte.

Section 2 : La résolution des conflits de normes horizontaux

On parle de conflits de normes horizontaux quand 2 normes contradictoires sont au même niveau dans la hiérarchie des normes.

§ 1. Les conflits de lois dans le temps

Cliquer ici pour afficher le tableau récapitulatif sur l’application de la loi nouvelle dans le temps (propriété du professeur Clément François).

Exemple : un contrat téléphonique est conclu en 2017, la loi change les modalités de résiliation de ce type de contrats en 2019, je souhaite résilier en 2021 : quelle loi s’applique ?

A – La prise d’effet de la loi

Article 1 du Code civil : la loi entre en vigueur le lendemain de sa publication au Journal Officiel.
ou la loi peut fixer sa propre date d’entrée en vigueur
ou en cas d’urgence, la loi peut entrer en vigueur le jour même de sa publication
ou s’il faut un décret d’application, la loi ne peut entrer en vigueur qu’après la publication de ces décrets.

Le droit transitoire regroupe les règles qui vont déterminer l’application de la loi dans le temps (et donc trancher les conflits de loi dans le temps).

1) L’application de la loi nouvelle aux faits antérieurs à son entrée en vigueur

Principe : la loi n’a point d’effet rétroactif.
Article 2 du Code civil :

La loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif.

Exception 1 : la rétroactivité des lois pénales plus douces (rétroactivité in mitius) :
Selon l’article 112-1 du Code pénal. Cette règle a une valeur constitutionnelle. Elle ne s’applique pas aux personnes déjà condamnées par une décision de justice définitive.
Exemple : l’adultère était une infraction pénale jusqu’en 1975.

Exception 2 : la rétroactivité par la volonté du législateur :
L’article 2 du Code civil a une valeur légale, donc le législateur peut faire une loi qui y déroge.
Pour qu’une loi nouvelle ait un effet rétroactif, il faut que ça soit expressément dit, ou que cette volonté apparaisse clairement à la lecture de la loi.
Exemple : la loi du 3 décembre 2001 qui égalise les droits successoraux des enfants adultérins a un caractère rétroactif.

Il existe nécessairement des limites au-dessus de la loi dans la hiérarchie des normes :

  • En matière pénale : dans une décision du 19 janvier 1981 sur la Loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes, le Conseil constitutionnel juge que le principe de la rétroactivité a une valeur constitutionnelle en matière pénale : toutes les lois pénales qui ne sont pas plus douces ne peuvent pas avoir d’effet rétroactif
    → principe fondé sur l’article 8 de la DDHC et l’article 7 de la CEDH
  • En matière civile : la CEDH donne 2 conditions de limite pour qu’une loi puisse être rétroactive.
    1. La rétroactivité de la loi nouvelle ne doit pas conduire à une violation du droit à un procès équitable (garanti par l’article 6 de la CEDH), sauf s’il existe un impérieux motif d’intérêt général.
    Exemple : 28 octobre 1999, arrêt Zielinsky contre France : un intérêt purement financier ne correspond pas à un impérieux motif d’intérêt général.
    2. La loi nouvelle ne peut pas porter atteinte au droit du respect des biens (article 1, 1er protocole additionnel).
    Une espérance légitime du paiement d’une créance est un bien au sens de cet article : l’arrêt du 14 février 2006 de la CJUE a dit que les emprunteurs pouvaient légitimement espérer le remboursement des intérêts payés.
  • 2 limites qui découlent de la Constitution :
    1. La loi doit poursuivre un impérieux motif d’intérêt général
    2. La loi ne peut modifier les décisions de justice définitives antérieures

 

La rétroactivité de la loi nouvelle peut porter atteinte à la sécurité juridique des citoyens, qui adaptent leurs comportements en fonction de la loi en vigueur au jour où ils agissent.
Pourquoi n’interdit-on pas les lois rétroactives ?
Parce que si le législateur modifie la loi, on suppose que la loi nouvelle est meilleure que l’ancienne.
→ finalité de progrès social

Exception 3 : la rétroactivité des lois interprétatives :
Les lois interprétatives sont des lois nouvelles qui précisent le sens de lois antérieures « sans rien innover » (la Cour de cassation vérifie).
Définition de la Cour de cassation : « une loi ne peut être considérée comme une loi interprétative autant qu’elle se borne à reconnaître sans rien innover un droit préexistant qu’une définition imparfaite a rendu susceptible de controverse ».


2) L’application de la loi nouvelle aux faits postérieurs à son entrée en vigueur

Principe : l’applicabilité immédiate de la loi nouvelle (article 2 du Code civil).
La loi nouvelle s’applique donc aux situations futures et aux effets futurs des situations antérieures.
Exemple : avant 1975, il n’est pas possible de divorcer sans prouver une faute ; après 1975, le divorce d’un commun accord est autorisé.

💡
Une situation juridique contractuelle → découle d’un contrat.
Les autres situations juridiques sont des situations juridiques légales.
La distinction entre les situations juridiques légales et contractuelles vient de la doctrine (Paul Roubier).

⚠️ Il ne faut pas confondre application immédiate et rétroactivité.

Exception : la survie de la loi ancienne pour les situations juridiques contractuelles.
En matière de situations contractuelles, on applique y compris aux effets futurs la loi qui était en vigueur au jour de la conclusion du contrat.
Exemple : Un contrat de bail conclu en 2016 avec un loyer de 700€/mois. Une loi de 2018 plafonne le loyer à 500€/mois. Cette loi ne s’applique pas car elle est postérieure au contrat.

L’ordonnance du 10 février 2016 réforme en profondeur le droit des contrats dans le Code civil. Entré en vigueur le 1er octobre 2016. Cette ordonnance n’a pas d’effet rétroactif.
Ratifié le 20 avril 2018 par le Parlement qui modifie certains articles (certaines modifications ont un caractère interprétatif).

 

Exception à l’exception : les hypothèses dans lesquelles on applique immédiatement la loi nouvelle à des situations juridiques contractuelles :

  • Si la loi nouvelle le prévoit expressément
  • Si la loi relève d’un « ordre public particulièrement impérieux » (Cour de cassation)
  • Si la loi fait produire au contrat des « effets légaux » et que la loi nouvelle concerne ces effets légaux

    Exemple : arrêt de la chambre mixte de la Cour de cassation du 13 mars 1981.
    Si l’entrepreneur principal fait faillite, alors le sous-traitant ne pourra pas être payé et pourra faire faillite lui aussi. Pour éviter ces faillites en cascade, le législateur adopte une loi nouvelle en 1975 qui crée une action directe au profit du sous-traitant contre le maitre de l’ouvrage. Même s’il n’y a pas de contrat entre eux, le sous-traitant pourra demander le paiement directement au maitre de l’ouvrage si l’entrepreneur principal ne peut pas le payer.
    La Cour de cassation juge que cette action directe s’applique immédiatement, y compris aux contrats conclus antérieurement sa mise en vigueur.

    Exemple : arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 10 mai 2005.
    Si l’expéditeur ne veut / peut pas payer le transporteur. Modification de la loi sur l’action directe en 1998 → le transporteur peut demander le paiement directement au destinataire des marchandises.
    La Cour de cassation estime que cette action directe n’est pas d’applicabilité immédiate, donc le transporteur ne peut pas demander paiement du transport au destinataire si le contrat de transport a été conclu avant 1998.

Arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation du 4 mai 1982 :

Les effets d’un contrat conclu antérieurement à la loi nouvelle, même s’il continue à se réaliser postérieurement à cette loi, demeurent régis par les dispositions de la loi sous l’empire de laquelle le contrat a été conclu.

Il faut distinguer les effets juridiques et les conditions de formation qui sont régis par les règles de droit.
Exemple : le mariage produit des effets + conditions d’âge.

B – L’abrogation de la loi

En principe, les lois et règlements s’appliquent indéfiniment : il n’y a pas de restriction temporelle.
La loi produit des effets jusqu’à ce qu’elle soit abrogée.
Pour abroger une loi, il faut une autre loi ou une norme supérieure à la loi dans la hiérarchie des normes.

Les abrogations expresses :

  • peuvent résulter d’une règle nouvelle qui abroge expressément la règle ancienne en vigueur jusqu’alors ;
  • peuvent résulter d’une abrogation par le Conseil constitutionnel par un contrôle a posteriori des lois ;
  • peuvent être des abrogations programmées :
    • lois expérimentales : qui prévoient expressément qu’elles seront abrogées à une certaine date.
      Exemple : loi sur l’IVG, adoptée en 1975, prévue initialement pour 5 ans.
    • loi temporaire : courantes en matière fiscale.
      Exemple : taxe sur les hauts revenus, prévue pour 2 ans sous le mandat de François Hollande.

Les abrogations tacites : quand on a une contradiction entre une règle nouvelle et ancienne, on présume que le législateur a eu la volonté d’abroger tacitement cette loi ancienne incompatible.
Ex : « le spécial déroge au général ».

Est-ce qu’une loi peut être abrogée par désuétude ? (si elle n’est plus appliquée depuis très longtemps)
→ en théorie, non
Arrêt de la Cour de cassation du 31 janvier 1901 : la Cour applique une loi qui n’avait plus été appliquée depuis 50 ans.

§ 2. Les conflits de lois dans l’espace

On a des conflits de lois entre différents pays.
Les lois votées par le Parlement français s’appliquent en principe à l’intégralité du territoire français (France métropolitaine + outre-mer), mais il existe des exceptions.

Le Haut-Rhin, le Bas-Rhin et la Moselle (départements) obéissent depuis 1910 à des règles spéciales dans certaines matières :
> publicités foncières
> droit des assurances
> droit des associations

L’article 73 de la Constitution prévoit que la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, la Réunion et Mayotte (DROM : départements et régions d’outre-mer) bénéficient d’une adaptation des règles nationales aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités.
→ l’essentiel du droit français est applicable mais il y a parfois des exceptions

Aussi dans les collectivités d’outre-mer : Polynésie française, Saint-Martin, TAAF, etc.
La Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie possèdent leurs propres assemblées qui jouissent d’une autonomie législative.
Exemple : depuis juillet 2013, l’assemblée de Nouvelle-Calédonie est autonome pour le droit civil ; la réforme des contrats de 2016 ne s’applique donc pas en Nouvelle-Calédonie.

Lorsque la loi française entre en litige avec une loi étrangère (éléments d’extranéité), le juge français n’applique pas toujours la loi française.
Pour savoir quelle loi appliquer, il existe des règles de droit (règles de conflits de lois) qui déterminent ce qu’il faut appliquer dans ces situations.
Exemple : l’article 3 du Code civil dispose que les immeubles situés en France sont régis par la loi française même s’ils appartiennent à des étrangers.

On peut aussi se poser la question du juge compétent : on a aussi pour cela des règles de conflits de juridictions.

Section 3 : La résolution des conflits de normes verticaux

Exemples de conflits de normes verticaux :
> un décret instaure un couvre-feu, et un arrêté municipal instaure une liberté totale de déplacement sur la commune
> la CEDH interdit la discrimination sur la base de la naissance, et la loi française faisait une distinction entre les enfants adultérins ou non

La hiérarchie des normes permet de trancher ces conflits. Hans Kelsen, dans la Théorie pure du droit (1934), affirme que les normes inférieures doivent respecter les normes supérieures.

Il faut un mécanisme de contrôle et de sanction des normes.
3 principaux mécanismes :
> contrôle de constitutionnalité
> contrôle de conventionnalité
> contrôle de légalité

§ 1. Le contrôle de constitutionnalité

A – L’auteur du contrôle : le Conseil constitutionnel

Sous la 3ème République, il n’y a pas d’organe compétent pour contrôler la conformité des lois à la Constitution, au motif de la séparation des pouvoirs.
En l’absence de contrôle, la hiérarchie des normes n’est que théorique.

Après la Seconde Guerre mondiale, la Constitution de 1948 crée le Comité constitutionnel.
→ assez peu de pouvoir
→ conditions de saisine très restrictives
→ 1 seule saisine sous la 4ème République

La Constitution du 4 octobre 1958 confie l’exercice de ce contrôle à un organe créé à cet effet : le Conseil constitutionnel.
Souvent appelé « les sages de la rue Montpensier ».
Siège au Palais Royal, comme le Conseil d’État.
Composé de 9 membres : 3 nommés par le PR, 3 par le président de l’AN, 3 par le président du Sénat. Mandats de 9 ans, renouvelés par tiers (tous les 3 ans).
Les anciens PR sont membres de droit au sein du Conseil constitutionnel.

Le fait que les membres soient nommés est critiqué. Aujourd’hui, 2 membres sur 9 sont des anciens ministres, qui jugent sur des lois qu’ils ont eux-mêmes poussé.

C’est un organe très politique. Critique : « gouvernement des juges », qui prendrait des décisions politiques et non juridiques.
Dans le bloc de constitutionnalité, on a des normes assez vagues → marge d’appréciation laissée aux juges.

💡
Juges ordinaires ≠ juges constitutionnels
Les juges ordinaires (tous les juges sauf les juges constitutionnels) n’ont pas le pouvoir de contrôler la constitutionnalité des lois.

B – La procédure

1) Le contrôle a priori

L’article 61 de la Constitution prévoit que le président de la République, le 1er ministre et les présidents de l’Assemblée Nationale et du Sénat peuvent saisir le Conseil constitutionnel avant la promulgation d’une loi.

La réforme constitutionnelle du 29 octobre 1974 permet au Conseil constitutionnel d’être saisi par 60 députés ou 60 sénateurs.
→ augmentation des pouvoirs du Conseil constitutionnel

Une fois que la loi est votée, elle doit être promulguée par le président de la République dans un délai maximum de 15 jours. Si le juge constitutionnel dit que la loi n’est pas conforme à la constitution, elle ne peut pas être promulguée et ses dispositions n’entrent pas en vigueur.
→ les décisions du Conseil constitutionnel s’imposent aux pouvoirs publics et aux juridictions


2) Le contrôle a posteriori

La réforme constitutionnelle de 2008, entrée en vigueur en 2010, met en place la Question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Elle est prévue par l’article 61-1 de la Constitution.

Elle ne peut être soulevée qu’à l’occasion d’un procès.
Le juge qui est saisi du procès doit traiter cette question en priorité.
Elle n’est pas transmise automatiquement.

Pour qu’elle soit transmise, 3 critères sont définis par une loi ordinaire :

  1. La question est bien applicable au litige
  2. La loi n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel (sauf si changement de circonstances de fait ou de droit)
  3. La question a un caractère sérieux

Un double filtre est effectué : la question est transmise au Conseil d’État ou à la Cour de cassation, qui font un nouveau contrôle sur les 3 mêmes critères.

L’article 62 de la Constitution prévoit que si le Conseil constitutionnel estime que la loi est contraire à la Constitution, elle est abrogée :
> soit immédiatement
> soit à une date ultérieure décidée par le Conseil
, pour laisser le temps au législateur de modifier la loi pour la rendre conforme à la Constitution

Le Conseil détermine aussi si la décision a un caractère rétroactif. Elle n’a pas toujours un caractère rétroactif pour ne pas porter atteinte à la sécurité juridique (= un système juridique clair, compréhensif et prévisible).

L’article 54 de la Constitution prévoit que le Conseil constitutionnel mène aussi un contrôle de constitutionnalité des traités. Les juges ordinaires ne sont pas compétents en la matière.
Ce contrôle est nécessairement a priori.
Si le traité est conforme, il peut être ratifié ; sinon, il ne peut pas être ratifié.

§ 2. Le contrôle de conventionnalité des lois

A – Le contrôle de conventionnalité des juridictions françaises

L’objet du contrôle de conventionnalité est de vérifier la conformité des lois aux traités internationaux.

1) L’adoption du contrôle de conventionnalité par les juges ordinaires

⚠️ Le Conseil constitutionnel refuse de contrôler la conventionnalité des lois.
Décision IVG du 15 janvier 1985 : « une loi contraire à un traité ne serait pas pour autant contraire à la Constitution ». Il se fonde sur l’article 55 de la Constitution, selon lequel les traités sont supérieurs à la loi sous réserve de réciprocité.
→ il fait donc appel aux juges ordinaires

L’arrêt Jacques Vabre du 24 mai 1975 de la chambre mixte de la Cour de cassation effectue pour la 1ère fois un contrôle de la conformité de la loi aux traités internationaux.
Dans l’arrêt Nicolo du 20 octobre 1989, le Conseil d’État accepte de contrôler la conformité de la loi aux traités internationaux.

Tous les juges ordinaires sont compétents pour exercer ce contrôle de conformité.
Ce contrôle s’effectue lors d’un procès.
La loi n’est pas abrogée si elle est jugée non conforme à un traité international ; le juge refuse simplement de l’appliquer dans le litige en cours.

À la suite de la ratification par la France de la CEDH, on assiste à une explosion du nombre de contrôles de conventionnalité.

Arrêt Mazurek de la CEDH, 1er février 2000 : la France est condamnée pour la loi discriminant les enfants adultérins.


2) L’adoption récente du contrôle de conventionnalité concret par la Cour de cassation

Jusqu’à maintenant le contrôle est abstrait (on fait attraction des faits de l’espèce) : le juge va d’un côté prendre l’article de loi dont on conteste la conventionnalité, de l’autre côté le traité international et va comparer les 2.
Mais depuis un arrêt de la 1ère chambre civile du 4 décembre 2013, la Cour de cassation va plus loin et fait un contrôle concret.

Dans les contrôles concrets, les juges ordinaires vont prendre en compte les faits de l’espèce. Ils vont appliquer fictivement pour se demander quelles sont les conséquences concrètes qu’entraînerait une application expresse de l’article de loi contesté.
Le juge se demande si ces conséquences concrètes dans le cas de l’espèce ne constituent pas une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux garantis par la CEDH.

Exemple : Un couple marié a 1 enfant, puis divorce. L’ex-épouse se remarie avec le père de son ex-mari. Or, il s’agit d’inceste, d’après l’article 161 du Code civil.
Étape 1 : Contrôle abstrait : est-ce que l’article est conforme à l’article 8 de la CEDH sur la vie familiale ? → De manière abstraite, oui, c’est conforme. L’atteinte est proportionnée.
Étape 2 : La Cour de cassation se demande si en l’espèce, et uniquement en l’espèce, l’application de cette loi ne constitue pas une atteinte disproportionnée au respect de sa vie familiale. → Le mariage ayant été célébré il y a 23 ans sans opposition, il est jugé valide.

Exemple : Arrêt de la 1ère chambre civile du 8 décembre 2016. Ici, le mariage a duré 8 ans avant le recours en annulation, et le mariage précédent a duré 9 ans. Le mariage est donc annulé.

Ce nouveau contrôle de conventionnalité est assez contesté, par la doctrine notamment, car :
1- ça laisse une marge de manœuvre trop importante au juge ;
2- la Cour de cassation, en théorie, ne s’intéresse pas aux faits de l’espèce.

B – Le contrôle de conventionnalité des juridictions supranationales

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) est instituée par les traités fondateurs de l’UE avec la mission principale de vérifier que les États membres respectent le droit de l’UE (→ contrôle des normes internes).
Mais elle connaît des difficultés relatives à sa place dans la hiérarchie des normes.

Dans l’arrêt du 15 juillet 1965 Costa contre ENEM, la CJCE affirme que : « Le droit né du traité ne pourrait donc, en raison de sa nature spécifique originale, se voir judiciairement opposer un texte interne quel qu’il soit sans perdre son caractère communautaire et sans que soit mise en cause la base juridique de la Communauté elle-même ».
Cette décision vise les juges : le droit de l’UE prime sur tout texte interne, y compris la Constitution.

Argument : les traités, signés et ratifiés par les États membres, prévoit le transfert de certaines compétences vers les institutions européennes.
Si un État membre pouvait refuser d’appliquer un règlement européen en disant que c’est contraire à sa constitution, ça enlève les bases même de l’UE.

Arrêt Simmenthal 9 mars 1978 CJCE : quand un texte interne est contraire à un texte de l’UE, les juges nationaux doivent refuser d’appliquer ce texte – y compris la Constitution.

C – La conciliation du principe de primauté avec la hiérarchie des normes française

Arrêt Sarran et Levacher : arrêt d’assemblée du Conseil d’État du 30 octobre 1998 : le Conseil d’État rappelle la supériorité de la Constitution sur tout, y compris les traités internationaux.
Pareil pour la Cour de cassation : arrêt Fraisse (Cour de cassation, Assemblée plénière, 2000).

Le Conseil constitutionnel prévoit quant à lui le principe de primauté de l’Union Européenne.
L’article 88-1 de la Constitution prévoit que la France appartient et participe à l’UE → on en déduit une primauté de l’UE.

Des mécanismes sont prévus pour éviter une contradiction entre une règle constitutionnelle et une règle du droit de l’UE :

  • Pour le droit primaire de l’UE : les traités fondateurs de l’UE peuvent suivre le contrôle de constitutionnalité effectué par le Conseil constitutionnel. La situation est donc simple :
    • Soit un contrôle est fait avant la ratification : si le traité est contraire à la Constitution, il ne peut pas être ratifié
    • Si aucun contrôle n’est fait avant, il n’y a aucune possibilité de le contrôler après.
  • Pour les règlements : ils sont adoptés par le Parlement européen et le Conseil ; une fois adoptés, ils ont un effet direct sur l’ordre juridique, notamment en France
    • Il n’existe aucune voie qui permette de contrôler la constitutionnalité des règlements européens.

      Le conflit ne peut arriver que dans un cas de figure :

  • Pour les directives, qui n’ont pas d’application directe : l’acte de transposition de la directive peut faire l’objet d’un contrôle.
    • Si le Conseil constitutionnel dit que la loi de transposition n’est pas conforme à la Constitution, la directive n’est pas constitutionnelle.
      Or, si la France ne transpose pas la directive, elle viole le droit européen et se fait sanctionner.
      Il existe donc des stratégies pour éviter cette situation :
    • L’arrêt Arcelor du Conseil d’État (8 février 2007) : porte sur le décret de transposition d’une directive qui établissait un système d’échange de quotas d’émission de GES.
      Selon le requérant, ce système est contraire au principe d’égalité inscrit dans la Constitution, parce qu’il s’applique à l’industrie sidérurgique mais pas aux industries du plastique et de l’aluminium.

      Le Conseil d’État se pose la question : « Existe-t-il une règle ou un principe général du droit communautaire équivalent au principe constitutionnel invoqué par le requérant ? ».

      • Si oui : le juge vérifie si le décret de transposition est conforme à ce principe européen.
        S’il ne semble pas conforme à ce principe européen, le juge doit saisir la CJUE d’une question préjudicielle.
      • Si non : le juge administratif doit vérifier si le décret de transposition est conforme au principe constitutionnel.
    • Dans l’arrêt Arcelor, le Conseil d’État transmet une question préjudicielle à la CJUE.
      La CJUE déclare le décret conforme en 2008 et le Conseil d’État le valide en 2010.
    • Arrêt Données de connexion du Conseil d’État (21 avril 2021) : concerne les règles de droit français imposant aux FAI français de conserver pendant 1 an toutes les données de connexion.
      La CJUE avait posé des restrictions. On demande au Conseil d’État si le droit français est conforme au droit de l’UE.
      Le gouvernement français plaide qu’il faut écarter le droit de l’UE et demande si l’UE n’a pas outrepassé ses compétences.
      Réponse du Conseil d’État : il n’y a pas de règle ou principe général du droit européen équivalent au principe constitutionnel.
    • Le Conseil constitutionnel a pris acte de la révision de la Constitution de 1992 (qui ajoute notamment l’article 88-1) à l’occasion de l’adoption du traité de Maastricht.
      • Décision du 10 juin 2004 Loi pour la confiance dans l’économie numérique : l’obligation pour l’État français de transposer les directives est une obligation qui découle de l’article 88-1.
        Mais « il ne pourrait être fait obstacle à la transposition d’une directive qu’en raison d’une disposition expresse contraire de la constitution » (= les principes implicites du bloc de constitutionnalité ne sont pas concernés).
      • À l’inverse, dans la décision du 27 juillet 2006 Loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, nouvelle formule : « la transposition d’une directive ne saurait aller à l’encontre d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti ».
        → Le Conseil constitutionnel peut sanctionner une loi de transposition qui serait contraire à la Constitution.
      • Décision QPC Société Air France du 15 octobre 2021 : affirme « l’interdiction de déléguer à des personnes privées des compétences de police administrative générales inhérentes à l’exercice de la force publique nécessaire à la garantie des droits », fondée sur l’article 12 de la DDHC.
        → Exemple de « principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France ».
      • Aujourd’hui, le Conseil constitutionnel accepte de contrôler que les lois de transposition (des directives européennes) ne sont pas manifestement incompatibles avec la Constitution.
        ⚠️ Le Conseil constitutionnel ne contrôle pas la conformité des lois avec les traités internationaux (sauf pour les lois de transposition donc).

        Le Conseil constitutionnel dispose d’un mois seulement pour contrôler la constitutionnalité des lois dans le cadre du contrôle a priori (8 jours en cas d’urgence).
        Pour une QPC, il dispose de 3 mois.
        Ce délai ne suffit pas pour obtenir une réponse de la CJUE, donc le Conseil constitutionnel n’annule le droit français que si l’incompatibilité est manifeste.

§ 3. Le contrôle de « légalité »

Pour Charles Eisenmann, le contrôle de légalité est mal nommé : il laisse penser qu’on contrôle la conformité des règlements administratifs aux lois ordinaires, sauf que l’on contrôle leur conformité à toutes les règles supérieurs dans la hiérarchie des normes.

A – Le recours pour excès de pouvoir (REP)

Le recours pour excès de pouvoir est une action en justice qui peut être intentée par toute personne qui justifie d’un intérêt légitime à obtenir l’annulation d’une décision administrative jugée illégale.
→ Au sens large, règlement qui serait contraire à la loi, aux traités internationaux, et/ou à la Constitution.

Pour les règlements les plus importants, qui ont vocation à s’appliquer sur tout le territoire français (décrets et arrêtés ministériels) : le recours doit s’exercer devant le Conseil d’État.
Pour les arrêtés les moins importants, c’est le tribunal administratif qui va trancher le REP. Si un appel est interjeté, un pouvoir en cassation (devant le Conseil d’État) est possible.

Si le juge estime que le règlement administratif est illégal, il l’annule en principe de manière rétroactive : tous les effets juridiques du règlement vont disparaître de manière rétroactive, comme s’il n’était jamais entré en vigueur.

Le délai de prescription est très court (2 mois) pour garantir la sécurité juridique.
Une fois que le délai de prescription est passé, il n’est plus possible de contester le règlement ; il faut alors utiliser la 2ème voie :

B – L’exception d’illégalité

Argument soulevé dans le cadre d’un procès déjà en cours, lorsque l’une des parties demande l’application d’un règlement administratif et l’autre partie considère que ce règlement est illégal et soulève une exception d’illégalité : consiste, pour le juge, à ne pas appliquer le règlement au motif qu’il est contraire à une norme supérieure.
S’il est illégal, il ne n’annule pas, mais refuse simplement de l’appliquer.

L’exception d’illégalité ne peut être en principe tranchée que par un juge administratif.
Si elle est soulevée devant le juge judiciaire, il pose une question préjudicielle au juge administratif (et en attendant, il sursoit à statuer).
Exception pour les juridictions pénales : il peut trancher directement sans passer par le juge administratif.

§ 4. Le contrôle des normes contractuelles

En général, on ne place pas les contrats dans la pyramide des normes.
Mais un contrat (= normes juridiques individuelles) peut être synonyme de normes.

Art 1103 du Code civil :

Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

→ Le droit français reconnaît une force obligatoire au contrat s’il est conforme à lui.

Le contrat est tout en bas de la hiérarchie des normes car il doit être conforme à toutes les normes supérieures.

Les contrats de droit privé sont contrôlés par les juges judiciaires, chargés de vérifier leur conformité aux normes supérieures.
En cas de non-respect, la nullité du contrat est déclarée.
Il y a néanmoins certaines règles auxquelles les contractants vont déroger.

A – La distinction entre les règles impératives et les règles supplétives

En principe, les règles juridiques sont obligatoires sous peine de sanction étatique.
Mais il existe une gradation entre les règles impératives et les règles supplétives.

Les règles impératives sont les règles auxquelles les sujets de droit ne peuvent pas déroger, même s’ils sont d’accord avec leurs co-contractants pour déroger à ces règles.
Les règles supplétives s’appliquent à tout le monde sous peine de sanction étatique, mais ne vont pas s’appliquer à ceux qui ont décidé d’écarter ces règles par contrat.

Exemple de règle impérative : l’article 161 du Code civil :

En ligne directe, le mariage est prohibé entre tous les ascendants et descendants et les alliés dans la même ligne.

Exemple de règle supplétive : l’article 1651 du Code civil :

S’il n’a rien été réglé à cet égard lors de la vente, l’acheteur doit payer au lieu et dans le temps où doit se faire la délivrance.

Parfois, la loi le dit expressément (par exemple, dans l’article 1651 du Code civil).
Si la règle ne prévoit pas expressément son caractère, il faut se demander si elle a un caractère d’ordre public.

B – La notion de règle d’ordre public

Définition de l’ordre public :

L’ensemble des exigences fondamentales (sociales, politiques, etc.) considérées comme essentielles au fonctionnement des services publics, au maintien de la sécurité ou de la moralité, à la marche de l’économie, ou même à la sauvegarde de certaines intérêts particuliers primordiaux.

En d’autres termes, l’ordre public est l’ensemble des valeurs qui sont jugées fondamentales pour le bon ordre de la société.

On distingue :

  • L’ordre public politique, qui vise la défense des institutions essentielles à la société (= défend l’intérêt général).
  • L’ordre public économique, qui comprend :
    • L’ordre public de protection : protéger la liberté contractuelle contre elle-même (lorsque 2 contractants qui sont dans des situations inégales).
      Lacordaire : « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui libère ».
    • L’ordre public de direction : vise à la protection de l’intérêt général contre les atteintes que pourraient porter certains contrats ; s’inscrit dans le cadre d’une économie dirigée.
      Lorsque les intérêts des contractants vont à l’encontre de l’intérêt général.
      Exemple : le droit de la concurrence ; interdit par exemple les ententes sur les prix.

 

Leçon 3 : Création des règles de droit

Cliquer ici pour revenir au sommaire du cours complet d’introduction au droit privé.
Cliquer ici pour afficher le PowerPoint qui accompagne cette séance.

La hiérarchie des normes est schématisée par une pyramide (pyramide des normes de Kelsen).

Section 1 : La Constitution

Constitution : les normes les plus importantes qui fondent le système juridique.
Elles peuvent aussi être coutumières (pas écrites) dans les pays de common law.

§ 1. La Constitution du 4 octobre 1958

La Constitution du 4 octobre 1958 contient environ 100 articles.
Elle régit l’organisation de l’État (Parlement, gouvernement…).
Elle a été adoptée par référendum. Modifiée à 24 reprises.

Pour réviser la Constitution :

  • l’initiative peut venir des parlementaires, ou du 1er ministre et du président
  • si c’est l’initiative du Parlement : proposition de révision ; si c’est l’initiative du Président : projet de révision
  • d’abord, examen par le Parlement (vote à majorité simple)
  • puis, vote du texte par référendum ou vote par le Parlement convoqué en Congrès (majorité 3/5èmes).

1962 : révision constitutionnelle adoptée par référendum.

23 février 2007 : révision constitutionnelle
→ article 66-1 : « Nul ne peut être condamné à la peine de mort »

Celui qui a le pouvoir de réviser la Constitution dispose du pouvoir constituant. En France : le Président, le Parlement → indirectement, le peuple.

§ 2. Le bloc de constitutionnalité

Le Conseil constitutionnel est l’organe chargé de contrôler la conformité des lois et des traités internationaux à la Constitution.

3 textes sont mentionnés dans le préambule de la Constitution de 1958 :

  • la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789
  • le préambule de la Constitution de 1946
  • la Charte de l’environnement de 2004

Dans une décision de 1971 portant sur la liberté d’association, le Conseil constitutionnel juge que le préambule de la Constitution de 1946 a valeur constitutionnelle.
→ énonce la notion des « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République »
→ ces principes font donc partie du bloc de constitutionnalité

Section 2 : Les traités internationaux

Les traités internationaux (= conventions internationales) peuvent régir des questions de droit public et de droit privé. Il existe 2 types de traités : les traités bilatéraux et les traités multilatéraux.

Article 55 de la Constitution : les traités internationaux ont une autorité supérieure à celle des lois.

  1. Traité signé par le Président de la République
  2. Ratification par le PR, qui a parfois besoin de l’autorisation préalable du Parlement
  3. Publication du traité au Journal officiel par décret du PR

Exemple : Convention européenne des droits de l’homme
→ signée en 1950, entrée en vigueur en 1953
→ mais la France ne ratifie le traité que 24 ans plus tard en 1974

Exemple : Traité de Lisbonne (2004) : signé mais pas ratifié

Les traités internationaux n’ont une autorité supérieure à celle des lois que si les autres États signataires respectent eux-mêmes le traité (réciprocité).


Les ressortissants d’autres pays signataires peuvent-ils invoquer le traité ?
« effet direct »

  • Si le traité reconnaît des droits et des obligations au profit ou à la charge des citoyens : effet direct : les citoyens peuvent l’utiliser contre des États ou d’autres citoyens.
    Ex : CEDH
  • Si aucun droit n’est expressément prévu, il est possible pour les justiciables d’invoquer le traité si les articles invoqués du traité sont suffisamment :
    1. Clairs
    2. Précis
    3. Inconditionnels
      Ex : Civ. 1, 14 juin 2005 : certains articles de la Convention de New York de 1989 (relative aux droits de l’enfant) peuvent avoir une application directe devant les juridictions françaises ; notamment l’alinéa 1 de l’article 3

§ 1. Le droit de l’Union Européenne

50% des lois françaises découlent du droit de l’UE
80% des lois sur l’environnement !

Elles ne découlent pas que des traités internationaux ; la plupart découlent des institutions européennes.

A – Le droit primaire de l’UE

Il existe 7 traités fondateurs de l’Union Européenne :

  1. Traité de Paris, 1951
    Crée la Communauté européenne du charbon et de l’acier
    Objectif : rendre la guerre « non seulement impensable mais aussi matériellement impossible »
  2. Traité de Rome, 1957
    Crée la Communauté économique européenne (CEE)
    Prévoit un transfert de souveraineté
    Crée la PAC (subventions agricoles)
    Crée la Communauté européenne de l’énergie atomique
  3. Acte unique européen, 1986
    Ouvre la voie à la réalisation du marché unique
  4. Traité de Maastricht, 1992
    Traité fondateur de l’Union Européenne
    3 piliers :
    1- Justice et affaires intérieures
    2- Politique étrangère et de sûreté intérieure
    3- Les 3 anciennes communautés européennes
    → compétences sur des domaines pas forcément politiques
  5. Traité d’Amsterdam, 1997
    Organise de nouveaux transferts de souveraineté dans les domaines politiques et économiques
  6. Traité de Nice, 2001
    Réforme le fonctionnement des institutions de l’UE
    Crée la Charte des droits fondamentaux de l’UE (n’a pas de valeur contraignante à l’époque)
  7. Traité de Rome, 2004 : voulait instaurer une Constitution européenne mais n’a jamais été ratifié (refus de la France et des Pays-Bas)
  8. Traité de Lisbonne, 2007
    Signé en 2007 ; entré en vigueur en 2009.
    Reprend un certain nombre de dispositions du traité de Rome.
    Plus de droit communautaire (→ devient droit de l’UE)
    Plus de communautés européennes
    Plus de Cour de justice des communautés européennes (→ devient CJUE)
    ⚠️ Si l’arrêt rendu est avant ou après 2009, la Cour n’a pas le même nom
    Introduit l' »initiative citoyenne » qui permet de soumettre une proposition à la Commission européenne si plus d’1 million de signatures.
    → n’a eu lieu que 6 fois
    → la Commission n’est pas obligée de l’accepter
    // avec le référendum d’initiative partagée en France
    → nécessite 10% des citoyens (5 millions)
    → aboutit à un référendum
    → aucun jusqu’ici
    La Charte des droits fondamentaux de l’UE s’impose désormais aux États membres.

B – Les institutions de l’UE

1) Le Conseil européen (siège à Bruxelles)

Composé de chefs d’État et de gouvernement des États membres. Présidence tournante (2 ans et demi).

Définit les grandes orientations politiques de l’UE et donne l’impulsion nécessaire à la réalisation de celles-ci.
Les États y débattent entre eux.

Exemple : monnaie unique, Schengen… → émanent du Conseil européen


2) Le Conseil de l’Union Européenne (Bruxelles)

Parfois simplement appelé « le Conseil ».
Composé des ministres des États membres en fonction du sujet traité.
Présidence tournante (6 mois).

Édicte les règlements et les directives européennes.


3) La Commission européenne (Bruxelles)

Composé de 27 commissaires : 1 pour chaque État membre.
Élus par le Parlement européen.
1 est nommé président pour un mandat de 5 ans.
Président actuel : Ursala von der Leyen.

Mission : proposer des projets de directives et de règlements pour adoption par le Conseil.
→ équivalent du gouvernement en France

Contrôle la bonne application du droit européen, et notamment le droit de la concurrence pour les grandes entreprises.

Souvent critiquée car les textes sont rédigés par des technocrates.


4) Le Parlement européen (Strasbourg)

Les députés européens sont élus au suffrage universel direct (dernier scrutin 2019).
On vote pour des listes.
Siège à Strasbourg, mais se réunit 1 fois par mois à Bruxelles.

2 missions principales :

  1. Contrôle politique de l’action de la Commission
  2. Consulté sur tous les projets proposés par la Commission européenne
    Aujourd’hui, sur la plupart des projets, le Parlement ne fait que voter sur le texte

5) La Cour de justice de l’UE (Luxembourg)

Composée de 27 juges ; 1 par État membre.
Langue de travail : le français.

Missions :

  1. Sanctionner les États membres et les institutions de l’Union Européenne qui ne respectent pas le droit de l’UE
    → Recours en manquement exercé par la Cour contre un État membre
    → Recours en manquement peut aussi être exercé par un autre État, mais c’est rare
  2. Annuler les règles du droit dérivé de l’UE qui seraient contraires au droit primaire
  3. Lorsqu’il y a un doute sur l’interprétation d’une règle de droit de l’UE, les juridictions nationales peuvent saisir la CJUE pour demander son interprétation de la règle « question préjudicielle »

⚠️ La CJUE n’applique jamais les droits nationaux.

Depuis 1990, le Tribunal de l’UE existe en dessous de la CJUE.
Voie de recours : CJUE après Tribunal de l’UE.

C – Le droit dérivé de l’Union Européenne

Droit dérivé : règlements, directives, décisions, recommandations, avis.
Particularité de l’UE : des traités + des règles sont créées par les institutions de l’UE.

1) Les règlements européens

S’appliquent directement aux citoyens des États membres qui peuvent les invoquer auprès des cours nationales.
Aujourd’hui, il existe plus de 9 000 règlements européens.
Exemple : RGPD


2) Les directives européennes

Chaque État membre doit transposer les directives dans son ordre juridique national.

→ Intégrer dans le droit national les règles imposées par la directive
→ Mais chaque État membre a une certaine liberté dans la transposition

Exemple : la directive sur les produits défectueux devait être transposée avant 1988 (délai de 3 ans). La France n’a pas respecté le délai → recours devant la CJCE de la Commission européenne contre la France.
→ Aujourd’hui, codifiée aux articles 1245-1 et suivants du Code civil.

Lorsqu’un État membre n’a pas transposé une directive après le délai de transposition, les juges nationaux ont l’obligation d’interpréter le droit national à la lumière de la directive non transposée.


3) Les décisions de la Commission européenne

S’appliquent aux États membres ou à leurs justiciables.

Notamment en droit européen de la concurrence, prononce des amendes contre des sociétés pratiquant une concurrence déloyale.
Exemple : Apple vs Android


4) Les recommandations et avis

Les recommandations et avis sont émis par les institutions de l’UE sur un sujet de droit donné ; sont généralement demandés par un tiers.

Ils visent à inciter les États membres à adopter un comportement particulier.
Exemple : avis donnés par la Banque centrale européenne

N’ont pas de valeur contraignante (soft law).


Le droit de l’UE dans la hiérarchie des normes est au niveau des traités internationaux.

Arrêt CJCE, 5 février 1963, Van Gend en Loos :
→ Les citoyens peuvent invoquer le droit de l’UE devant les juridictions nationales contre leur propre État.
→ Il faut que la règle invoquée soit suffisamment claire et précise.
→ Le texte contesté doit être relative à la mise en place du droit de l’UE.

⇒ Le droit de l’UE est un droit très important qui prend une place croissante.

§ 2. Le droit du Conseil de l’Europe

⚠️ Le Conseil de l’Europe n’a pas de rapport avec le Conseil européen, avec le Conseil de l’Union Européenne, ou l’Union Européenne.

Union Européenne : 27 États membres → 447 millions de citoyens
47 États ont ratifié la CEDH (= Conseil de l’Europe) → 830 millions de citoyens

Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales
→ communément appelée CEDH
→ traité international signé par les États membres du Conseil de l’Europe

Contient des droits garantis, civils et politiques
Promeut un modèle de société occidental, démocratique, européen
Pas de peine de mort
Texte adopté après la Seconde Guerre mondiale

Droits fondamentaux :

  • Interdiction de la torture + des peines aux traitements inhumains et dégradants
  • Art. 4 : l’esclavage et le travail forcé sont interdits
  • Art. 5 : garantit le droit à la liberté : vivre dans un État de droit + le droit de ne pas être détenu arbitrairement
  • Art. 6 : droit à un procès équitable
  • Art. 7 : droit de ne pas être condamné sans loi le prévoyant
  • Art. 8 : consacre le droit à la vie privée et à la vie familiale
  • Art. 9 : liberté de pensée, de conscience et de religion
  • Art. 10 : liberté d’expression
  • Art. 11 : liberté de réunion, d’association et syndicale
  • Art. 12 : consacre le droit de se marier et de fonder une famille
  • Art. 14 : interdit toute discrimination sur la base du sexe, de la religion, de la couleur, de la langue, etc.

Depuis 1950, des droits supplémentaires sont ajoutés à la Convention par traités. On parle de « protocoles additionnels ».
Exemple : article 1er du protocole additionnel n°1 qui consacre le droit au respect de ses biens.

La Convention est au-dessus des lois dans la hiérarchie des normes. Elle est appliquée par la CEDH et aussi par les juges français.

La Cour européenne des droits de l’homme (⚠️ aussi appelée CEDH) siège à Strasbourg.
47 juges (1 par État).
À l’origine, ne pouvait être saisie que par les États, mais depuis 1981 peut aussi être saisie par les particuliers.
On ne peut saisir la CEDH qu’après avoir épuisé les voies de recours des juridictions de son pays.

Les articles de la Convention et des protocoles additionnels sont assez vagues. L’interprétation est donc importante ; la CEDH a donc un pouvoir important.

Lorsqu’un État membre est condamné à une sanction pécunière, il doit indemniser la victime.

Section 3 : La loi

Les lois organiques précisent la Constitution. ex : article 25 de la Constitution

Une loi référendaire est adoptée par référendum. voir article 11 de la Constitution

Lois ordinaires : très nombreuses.

💡 On parle souvent de loi comme synonyme de « règle de droit ». Ici, on parle de la loi au sens strict.

La France est vue comme un pays de loi.
Légicentrisme : la loi est au centre de l’ordre juridique français.
→ le parlement a été souverain pendant très longtemps
→ pendant longtemps, les lois étaient + importantes que les traités internationaux
→ jusqu’à la 3e République, les lois étaient + importantes que la Constitution (en pratique, puisqu’il n’y avait aucune institution pour vérifier la conformité des lois à la Constitution)
—> forte instabilité ministérielle

Aujourd’hui, la loi est inférieure aux traités (découle de l’art. 55 de la Constitution).
Le Conseil constitutionnel contrôle la conformité de la loi à la Constitution.
Le Parlement a perdu beaucoup de pouvoir ; aujourd’hui, l’exécutif a largement la main sur l’adoption de la loi. Le Parlement peut toujours voter une motion de censure contre le gouvernement.

§ 1. Le domaine de la loi

Domaine de la loi : domaines dans lesquels le législateur peut adopter des règles de loi.
→ déterminé par la Constitution : article 34

L’article 34 de la Constitution distingue 2 catégories de règles :

  • 1er domaine : le législateur fixe les règles en détail
  • 2ème domaine : le législateur fixe des principes et le gouvernement se charge des détails
    → « la loi fixe les règles » vs « la loi détermine les principes fondamentaux »

Article 37 de la Constitution : tous les domaines qui ne figurent pas dans l’article 34 sont la compétence du gouvernement.

§ 2. Le processus d’élaboration de la loi

A – Le projet ou la proposition de loi

L’initiative de la loi est partagée entre le Parlement et la gouvernement.
Quand un texte émane du Parlement, on parle de proposition de loi.
Quand un texte émane du gouvernement, on parle de projet de loi.
Projet de loi : le gouvernement doit obligatoirement prendre l’avis du Conseil d’État.

B – La discussion et le vote de la loi

La France est un régime bicaméral (2 chambres).

L’Assemblée Nationale (chambre basse) est composée de 577 députés qui siègent au Palais Bourbon.
Les élections législatives ont lieu juste après l’élection du Président de la République.

Le Sénat (chambre haute) est composé de 348 sénateurs qui siègent au Palais du Luxembourg.
Élus par d’autres élus pour un mandat de 6 ans. Renouvellement tous les 3 ans.

L’aller-retour d’un texte entre l’Assemblée nationale et le Sénat est appelé la navette parlementaire.

Une proposition de loi doit être inscrite à l’ordre du jour (A.N. ou Sénat).
Pour un projet de loi, le gouvernement décide s’il l’inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale ou du Sénat.

La chambre examine le texte et les députés et sénateurs peuvent déposer des amendements (des propositions de modification).
Le texte est ensuite voté dans sa globalité.
Même procédure devant l’autre chambre.
→ 1ère lecture

2 possibilités :

  • l’autre chambre a adopté le texte sans déposer d’amendements ;
  • l’autre chambre a adopté des amendements → le texte repart pour une 2e lecture.

2ème lecture : même procédure. Les députés peuvent déposer des amendements.

Si le désaccord persiste après la 2ème lecture, le gouvernement peut réunir une commission mixte paritaire, composée de 7 députés et 7 sénateurs.
Objectif : arriver à un compromis.
Le gouvernement peut aussi déclencher la procédure accélérée pour rassembler la commission mixte paritaire dès la fin de la 1ère lecture.

→ Si les sénateurs et les députés n’arrivent pas à se mettre d’accord, la navette continue.
→ Si la CMP parvient à un compromis, une 3ème lecture a lieu à partir du texte élaboré par la CMP.

Si le désaccord persiste après la 3ème lecture, le gouvernement peut donner le dernier mot à l’Assemblée nationale.

L’article 49 alinéa 3 de la Constitution permet l’adoption sans vote d’une loi.
Les députés peuvent déposer une motion de censure dans les 24 heures pour bloquer la procédure.

C – La promulgation et la publication de la loi

Tant que la loi n’a pas été promulguée et publiée, le texte n’entre pas en vigueur.
La promulgation relève de la seule compétence du PR.

Le Président de la République n’a pas de droit de veto, mais il peut exiger un nouvel examen total ou partiel de la loi ; sinon, il doit la promulguer dans les 15 jours.
→ pendant ce délai, le Conseil constitutionnel peut être saisi

La publication de la loi a lieu dans le Journal Officiel de la République française.
→ permet à tout le monde de connaître la loi
Elle entre en vigueur le lendemain de sa publication au JO.

§ 3. La crise de la loi

A – L’inflation législative

Manaurie critique les « lois obèses, lois de supermarché, lois de circonstances ».

Lois obèses : lois qui cherchent à tout prévoir. Or la loi ne peut pas tout prévoir.
→ nuit à la légitimité du droit
Exemple : règles sur la filiation dans le Code civil de 1804 ; le législateur ne pouvait pas prévoir l’existence de la fécondation in-vitro.
Exemple : loi Badinter de 1985 ; le législateur ne pouvait pas prévoir les véhicules autonomes.

Les 4 pères du Code civil sont Portalis, Bigot de Préameneu, Maleville et Tronchet.

Lois de supermarché : lois qui traitent de sujets qui n’ont aucun lien entre eux.
→ nuit à la lisibilité de la loi
→ « cavaliers législatifs », sanctionnés par le Conseil constitutionnel

Lois de circonstances : répondent à des faits divers.
→ souvent le fait de phénomènes démagogiques
→ souvent inutiles
Exemple : projet de loi pour interdire l’anonymat sur internet après le meurtre de Samuel Paty.


Solution : codification (rassembler les règles en codes).
La codification a été initiée par Napoléon avec le Code civil, qui a eu une influence très importante à l’international (Luxembourg, Québec, Louisiane).

B – La qualité de la loi

Les lois sont aujourd’hui souvent mal rédigées ou inutiles (n’ont aucune portée normative = ne contiennent aucune règle).

Loi interprétative : a pour objet d’interpréter une loi antérieure.

Le Conseil constitutionnel sanctionne les dispositions législatives sans portée normative.
Conseil constitutionnel, 2004 :

La loi a pour vocation d’énoncer des règles et doit par la suite être revêtue d’une portée normative.

Portalis :

Il ne faut point de lois inutiles ; elles affaibliraient les lois nécessaires.

Rappel annuel du Conseil d’État de 1991 :

Quand le droit bavarde, le citoyen ne lui prête plus qu’une oreille distraite.

Section 4 : Les règlements administratifs

Règlement administratif : texte adopté par le gouvernement ou un organisme administratif de l’État.

En France, il existe 3 catégories de règlements administratifs :
1- Les ordonnances
2- Les décrets
3- Les arrêtés

§ 1. Les ordonnances

L’article 38 de la Constitution dispose que le Parlement peut demander au gouvernement à titre exceptionnel de prendre des mesures qui sont normalement du domaine de la loi.

Le Parlement vote la loi qui habilite le gouvernement à adopter des ordonnances.
loi d’habilitation

Exemple d’ordonnance : les ordonnances Macron qui réforment le droit du travail en 2017.

Une ordonnance entre en vigueur directement si elle est déposée devant le Parlement pour ratification ; sinon, elle est caduque.
Le Parlement peut abroger l’ordonnance, mais dans la pratique beaucoup d’ordonnances ne sont jamais ratifiées (elles sont quand même en vigueur car elles ont été déposées).

Pendant longtemps, on a considéré que l’ordonnance, tant qu’elle n’est pas ratifiée, n’avait pas de valeur légale.
Le Conseil d’État ou le juge administratif devait contrôler sa conformité à la loi.
Mais revirement de jurisprudence avec QPC 28 mai 2020 : l’ordonnance a une valeur légale dès l’expiration du délai prévu par la loi d’habilitation.

2 avantages des ordonnances :
1- Rapidité pour le gouvernement (évite tous les débats, amendements, etc.)
2- Sur certains domaines très techniques, les parlementaires n’ont pas les compétences nécessaires

Mais a pour désavantage d’être moins démocratique.

§ 2. Les décrets

A – Les décrets autonomes

Décrets autonomes : tous les décrets qui sont adoptés dans les matières qui ne relèvent pas de l’article 34 de la Constitution (des domaines de compétence du législateur).

Il n’y a pas de hiérarchie entre la loi ordinaire et les décrets autonomes puisqu’ils ne traitent pas des mêmes domaines.

B – Les décrets d’application

Un décret d’application intervient toujours sur le fondement d’une loi. Il vise à appliquer une loi, à préciser le contenu des règles dans la loi.

💡 2 types de domaines sont distingués dans l'article 34 de la Constitution :
- ceux où la loi entre dans le détail ;
- ceux où elle ne fixe que les grands principes.

Exemple : L. 145-40-2 du Code du commerce : « délai fixé par voie réglementaire ».

§ 3. Les arrêtés

Les arrêtés sont adoptés par les administrations de l’État : ministère, préfecture, mairie.

Exemple : la loi du 9 juillet 2020 qui prévoit la sortie de l’État d’urgence sanitaire habilite le 1er ministre à prendre des mesures particulières. → Le 16 octobre 2020, il passe un décret qui autorise les préfets à passer des arrêtés pour prendre certaines mesures sanitaires particulières (port du masque…).

Section 5 : La coutume et la jurisprudence

Droit légiféré : toutes les règles de droit adoptées par une autorité officiellement compétente pour édicter (créer) des règles de droit.
droits non légiférés ; exemple : coutume.

La coutume et la jurisprudence sont des sources du droit, mais restent très difficiles à classer.

§ 1. La coutume

A – La définition de la coutume

Vocabulaire juridique de l’association Henri Capitant :

Coutume : une norme de droit objectif fondée sur une tradition populaire qui prête à une pratique constance un caractère juridique contraignant.

→ La coutume n’émane pas de l’État.

2 critères différents pour qu’une règle devienne une règle coutumière :

  1. Un usage faisant l’objet d’une répétition durable, notoire et ininterrompue.
    Exemple : pendant longtemps, la femme prend le nom de son mari, sans qu’aucune règle de droit ne l’impose.
  2. Il faut que les individus aient la conviction que l’usage ait un caractère obligatoire alors qu’en réalité il n’en a pas.

En pratique, c’est le juge qui va déterminer lorsqu’il y a un litige si la règle peut être considérée comme une règle coutumière ou non.
Il y a donc un 3ème critère politique.

On constate que la coutume n’a pas eu la même importance du Moyen-Âge à la Révolution entre le nord de la France (droit coutumier) et le sud (droit écrit).
Plus la société est primitive, plus la coutume est importante.

B – La place de la coutume dans l’ordre juridique français

Il existe 3 hypothèses :

1) Secondum legem (la coutume seconde la loi)
La coutume renvoie expressément à la loi. « délégation expresse ».

Exemple : l’article 75 de la Constitution permet aux kanaks de Nouvelle-Calédonie de conserver une partie de leurs règles coutumières.
Exemple : l’article 663 du Code civil mentionne « les usages constants et reconnus ».

Usages professionnels : concernent les professions commerciales.
Exemple : l’article 442-1 II du Code du commerce : « en référence aux usages du commerce ».

Usages conventionnels : usage qui est propre à 2 ou plusieurs contractants.

« Qui ne dit mot consent »
→ en droit des contrats, c’est l’inverse
→ Article 1120 du Code civil :

Le silence ne vaut pas acceptation, à moins qu’il n’en résulte autrement de la loi, des usages, des relations d’affaires ou de circonstances particulières.


2) Practer legem (à côté de la loi)
La coutume comble une lacune, un silence de la loi.

Exemple : règles remontant au droit romain qui sont exprimées sous forme de maximes latines.
> specialia generalibus derogant (le spécial déroge au général)
> actori incumbit probatio (la charge de la preuve incombe au demandeur)
> ubi lex non distinguit nec nos distinguere debemus
> fraus omnia corrumpit


3) Contra legem (contre la loi)
La coutume est contraire à la loi.

Exemple : don manuel.
Selon l’article 931 du Code civil, tous les dons doivent passer devant un notaire.

§ 2. La jurisprudence

1ère définition :
L’ensemble des décisions de justice rendues soit dans une matière précise, soit dans une branche du droit, soit dans l’ensemble du droit.

2ème définition :
L’habitude de juger dans un certain sens.

Lorsque la Cour de cassation rend un arrêt très important et que cet arrêt est suivi par les juridictions du fond et est confirmé par d’autres arrêts de la Cour de cassation, cet arrêt fait jurisprudence.

À contrario, si un tribunal judiciaire rend un jugement, il est très peu probable qu’il fasse jurisprudence.

Aujourd’hui : jurisprudence des juges qui disent qu’on ne peut pas faire figurer la mention « sexe neutre » à l’état civil alors que rien n’est écrit à ce sujet dans la loi.
→ Les juges, à travers leurs décisions, ont le pouvoir de créer des règles de droit qui sont générales / abstraites.

Plus une juridiction est importante, plus elle est apte à adopter des conseils jurisprudentiels.

Commentaire d’arrêt corrigé : Cass. 1re civ., 9 oct. 2001, n° 00-14.564

Auteur : Timothée Peraldi

Arrêt à commenter, tel qu’il était reproduit :

Attendu qu'à partir du mois de juin 1974, M. Y…, médecin, a suivi la grossesse de Mme X… ; que, lors de la visite du 8e mois, le 16 décembre 1974, le praticien a suspecté une présentation par le siège et a prescrit une radiographie fœtale qui a confirmé cette suspicion ; que, le samedi 11 janvier 1975, M. Y… a été appelé au domicile de Mme X… en raison de douleurs, cette dernière entrant à la clinique A… devenue clinique Z… le lendemain dimanche 12 janvier dans l'après-midi, où une sage-femme lui a donné les premiers soins, M. Y… examinant sa patiente vers 19 heures, c'est-à-dire peu avant la rupture de la poche des eaux, la naissance survenant vers 19 heures 30 ; qu'en raison de la présentation par le siège un relèvement des bras de l'enfant, prénommé Franck, s'est produit, et, lors des manœuvres obstétricales, est survenue une dystocie de ses épaules entraînant une paralysie bilatérale du plexus brachial, dont M. Franck X… a conservé des séquelles au niveau du membre supérieur droit, son IPP après consolidation étant de 25 % ; qu'après sa majorité, ce dernier a engagé une action contre le médecin et la clinique en invoquant des griefs tirés des fautes commises lors de sa mise au monde et d'une absence d'information de sa mère quant aux risques inhérents à une présentation par le siège lorsque l'accouchement par voie basse était préféré à une césarienne ; que l'arrêt attaqué l'a débouté ;
[…]
Sur les deuxième, troisième et quatrième branches du moyen :
Vu les articles 1165 et 1382 du Code civil ;
Attendu que la cour d'appel a estimé que le grief de défaut d'information sur les risques, en cas de présentation par le siège, d'une césarienne et d'un accouchement par voie basse, ne pouvait être retenu dès lors que le médecin n'était pas en 1974 contractuellement tenu de donner des renseignements complets sur les complications afférentes aux investigations et soins proposés, et ce d'autant moins qu'en l'espèce le risque était exceptionnel ;
Attendu, cependant, qu'un médecin ne peut être dispensé de son devoir d'information vis-à-vis de son patient, qui trouve son fondement dans l'exigence du respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, par le seul fait qu'un risque grave ne se réalise qu'exceptionnellement ; que la responsabilité consécutive à la transgression de cette obligation peut être recherchée, aussi bien par la mère que par son enfant, alors même qu'à l'époque des faits la jurisprudence admettait qu'un médecin ne commettait pas de faute s'il ne révélait pas à son patient des risques exceptionnels ; qu'en effet, l'interprétation jurisprudentielle d'une même norme à un moment donné ne peut être différente selon l'époque des faits considérés et nul ne peut se prévaloir d'un droit acquis à une jurisprudence figée ; d'où il suit qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 10 février 2000, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble.

“Nul ne peut se prévaloir d’un droit acquis à une jurisprudence figée” : c’est par ces quelques mots, dans un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation daté du 9 octobre 2001, que la plus haute instance de l’ordre judiciaire français consacre le principe de rétroactivité des revirements de jurisprudence. Ce principe, selon lequel une nouvelle interprétation du droit par les juridictions va produire rétroactivement effet (c’est-à-dire à des situations s’étant produites avant l’apparition de cette nouvelle interprétation), ne semble pas idéal car il peut être perçu comme pouvant porter atteinte aux principes d’égalité devant la loi et de sécurité juridique ; c’est ici l’objet d’un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 11 juin 2009.

En l’espèce, une patiente traitée par injection d’un “liquide sclérosant” est contaminée à cette occasion par le virus de l’hépatite C. Elle met en cause la responsabilité de son médecin qu’elle considère comme responsable. Une décision est rendue en première instance, puis un appel est interjeté.

La cour d’appel de Bordeaux, dans un arrêt du 16 avril 2008, donne raison à la patiente en déclarant son médecin responsable de sa contamination et en le condamnant à lui verser une indemnité en réparation de son préjudice. Elle retient ici les règles de droit issues du revirement de jurisprudence du 29 juin 1999 mettant à la charge du médecin en matière d’infection nosocomiale (infection contractée dans un établissement de santé) une obligation de sécurité de résultat, et non plus seulement une obligation de moyens comme au moment des faits.

Le médecin forme alors un pourvoi en cassation, dans lequel il soutient que l’application de ces règles de droit issues d’un revirement de jurisprudence postérieur aux actes jugés constitue une violation de son droit à un procès équitable garanti par les articles 1147 du Code civil et 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.

La Cour de cassation devait donc répondre à la question de droit suivante : l’application rétroactive d’une règle de droit issue d’un revirement de jurisprudence constitue-t-elle une atteinte au droit à un procès équitable ?

Dans un attendu que l’on peut qualifier de principe, la Cour de cassation énonce que “la sécurité juridique […] ne saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence figée, dès lors que la partie qui s’en prévaut n’est pas privée du droit à l’accès au juge”. Elle rejette par conséquent le pourvoi.

Pour comprendre cet arrêt, il faut étudier comment le principe de rétroactivité des revirements de jurisprudence est appliqué ici (I) avant d’analyser la manière dont cet arrêt illustre comment ce principe est mis au défi de la garantie des droits fondamentaux (II).

I – Le principe : la rétroactivité des revirements de jurisprudence

Dans cet arrêt, le défenseur soutient que la rétroactivité des revirements de jurisprudence constitue une norme inéquitable (A), mais la Cour de cassation conclut en réaffirmant leur nature rétroactive (B).

A – Pour le défendeur, une norme inéquitable

En l’espèce, le traitement à l’origine du litige a été réalisé entre le 27 septembre 1981 et le 11 janvier 1982 par le médecin (ici, le défendeur). Celui-ci souligne dans son pourvoi qu’à cette époque, la jurisprudence ne rendait le médecin responsable que d’une obligation de moyens, c’est-à-dire qu’il doit avoir fait de son mieux pour atteindre l’objectif visé, et que ce n’est en effet qu’à partir d’un arrêt de la Cour de cassation du 29 juin 1999 que les médecins doivent également supporter une obligation de résultats en matière nosocomiale.

Ici, le défendeur estime donc que c’est sur la base de cette interprétation postérieure de la loi – constituant un revirement de jurisprudence – que la cour d’appel s’est reposée pour prendre sa décision, le privant ainsi du droit à un procès équitable garanti notamment par l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

B – La Cour de cassation réaffirme la nature rétroactive des revirements de jurisprudence

La Cour de cassation rejette néanmoins cet argument, en énonçant que “la sécurité juridique, invoquée sur le fondement du droit à un procès équitable pour contester l’application immédiate d’une solution nouvelle résultant d’une évolution de la jurisprudence, ne saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence figée, dès lors que la partie qui s’en prévaut n’est pas privée du droit à l’accès au juge”.

Pour la Cour de cassation, il n’est donc pas inéquitable à être jugé sur la base d’une règle de droit issue d’une jurisprudence qui n’existait pas au moment des faits litigieux. Cette décision s’inscrit ainsi dans la suite logique de l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 9 octobre 2001, dans lequel la cour affirme, dans un attendu de principe, que “l’interprétation jurisprudentielle d’une même norme à un moment donné ne peut être différente selon l’époque des faits considérés”.

Cet attendu de principe est fondé sur l’idée qu’un revirement de jurisprudence est par nature rétroactif, puisque le juge statue toujours pour le passé, et que donc s’il procède à un revirement de sa jurisprudence, celle-ci s’appliquera forcément à des faits antérieurs à ce revirement.

Comme l’illustre cet article, ce principe de rétroactivité des revirements de jurisprudence peut néanmoins être perçu comme une injustice voire une violation de certains droits fondamentaux.

II – Le défi de la garantie des droits fondamentaux

Dans cet arrêt, la Cour de cassation se penche subtilement sur les défis que soulève l’application de la jurisprudence dans le temps vis-à-vis de la garantie des droits fondamentaux. Ainsi, elle indique ici que l’impératif de sécurité juridique est désormais pris en compte (A), et ce sous l’influence de la Convention européenne des droits de l’homme (B).

A – L’impératif de sécurité juridique désormais pris en compte

Comme évoqué précédemment, l’attendu de principe de cet arrêt conduit la cour à rejeter le moyen concernant le principe de sécurité juridique, au motif que le demandeur n’a pas été privé de son droit à l’accès au juge ; mais, si la cour conclut cela, c’est parce que le demandeur n’a invoqué l’impératif de sécurité juridique que “sur le fondement du droit à un procès équitable”.

Ainsi, la Cour de cassation accepte ici implicitement de prendre en considération l’impératif de sécurité juridique dans les situations où un revirement de jurisprudence peut constituer une atteinte à un droit fondamental.

Pour caractériser ces potentielles situations, la cour peut s’appuyer notamment sur la Convention européenne des droits de l’homme.

B – L’influence de la Convention EDH

La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention EDH) est invoquée ici par le demandeur dans son moyen, par le biais de son article 6 garantissant le droit à un procès équitable.

Cela n’est pas sans rappeler que la Convention EDH a déjà été utilisée par la Cour de cassation pour écarter exceptionnellement le principe de rétroactivité des revirements de jurisprudence. Ainsi, dans un arrêt du 21 décembre 2006, la Cour de cassation en Assemblée plénière entérine la non-rétroactivité d’un revirement de jurisprudence : “l’application immédiate de cette règle de prescription dans l’instance en cours aboutirait à priver la victime d’un procès équitable, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales”.

Même si ça n’est ici pas le cas en l’espèce, cet arrêt illustre donc que lorsque la rétroactivité du revirement de jurisprudence porte atteinte à un droit garanti par la Convention EDH, la Cour de cassation considère qu’il faut faire une exception à la rétroactivité naturelle de la jurisprudence.

Commentaire d’arrêt corrigé : Cass. soc., 25 nov. 2020, n° 17-19.523

Auteur : Timothée Peraldi

Cliquer ici pour voir l’arrêt à commenter.
Note : seuls les paragraphes n°1 et n°10 à 18 étaient reproduits.


Dans cet arrêt du 20 novembre 2020, la chambre sociale de la Cour de cassation aborde le sujet délicat de l’équilibre nécessaire entre le droit au respect de la vie privée et le droit à la preuve, dans le contexte de la place croissante prise par les outils numériques dans les espaces de travail.

En l’espèce, un salarié est mis à pied puis est licencié pour faute grave par son employeur qui l’accuse d’une usurpation de données informatiques, découverte par l’analyse d’informations collectées automatiquement par le système informatique de l’entreprise, et notamment son adresse IP.

Le salarié conteste son licenciement et porte l’affaire devant la justice. Il saisit la juridiction prud’homale pour demander sa réintégration à l’entreprise ainsi que le paiement d’indemnités de préavis, de congés payés et de licenciement, et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, sur le fondement notamment des articles 2 et 22 de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978.

Une décision est rendue en premier appel et le salarié interjette appel. La cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 16 mars 2017, retient que la preuve résultant d’un simple traçage issu de fichiers de journalisation extraits du gestionnaire de logs (journal des événements) du système informatique interne de l’entreprise est légale, même si ce dispositif n’est pas déclaré auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), au motif que celui-ci n’a pas pour vocation première le contrôle des utilisateurs, et déclare ainsi sur la base de cette preuve le licenciement du salarié justifié par une faute grave.

Le salarié se pourvoit en cassation ; il soutient au contraire que les informations collectées par un système de traitement automatisé de données personnelles non déclaré auprès de la CNIL ne sauraient constituer un moyen de preuve licite et ainsi être utilisées par un employeur pour justifier un licenciement pour faute grave, et ce quelle que soit la vocation première de ce système. Un pourvoi incident est également formé par l’entreprise.

Les juges de la Cour de cassation devaient donc répondre au problème de droit suivant : la preuve issue de l’exploitation de fichiers de journalisation n’ayant pas fait l’objet de déclaration préalable auprès de la CNIL peut-elle être utilisée pour justifier un licenciement pour faute grave ?

La chambre sociale de la Cour de cassation répond par la négative et casse par conséquent la décision de la cour d’appel de Paris. Elle énonce que les adresses IP sont des données à caractère personnel ; qu’ainsi, l’exploitation des fichiers de journalisation constitue un traitement de données à caractère personnel qui doit être déclaré à la CNIL pour être licite ; et que cette preuve ne pouvait donc pas être retenue par la cour d’appel pour déclarer le licenciement justifié par une faute grave.

L’apport de cet arrêt réside avant tout dans l’admission de la preuve illicite parce que obtenue en infraction aux règles de protection des données personnelles (I), mais cette admission est clairement encadrée, rendant la portée de l’arrêt incertaine (II).

I – L’admission de la preuve illicite attentatoire aux règles de protection des données personnelles

Dans cet arrêt, la chambre sociale de la Cour de cassation admet pour la première fois une preuve illicite car obtenue en infraction avec les règles de protection des données personnelles en vigueur ; elle justifie cette admission par la nécessité d’un droit à la preuve (A), nécessité renforcée par le repositionnement récent de la CEDH sur la question (B).

A – Une admission justifiée par le droit à la preuve

Ici, la chambre sociale cherche d’abord à déterminer si une preuve issue de l’analyse des informations personnelles d’un salarié, et notamment les adresses IP, collectées automatiquement par le gestionnaire de logs du système informatique interne de l’entreprise, porte atteinte au droit à la vie privée de ce salarié. Ce système n’a pas fait l’objet d’une déclaration auprès de la CNIL, ce qui était obligatoire à l’époque des faits pour les systèmes constituant un traçage informatique. La Cour de cassation affirme dans cet arrêt que le système informatique concerné entrait dans cette catégorie, puisque les adresses IP sont “des données à caractère personnel” (reprenant ainsi une qualification déjà établie en 2016 – Civ. 1re, 3 nov. 2016, n° 15-22.595) et que ce système “permet d’identifier indirectement une personne physique” (paragraphe 18).

Ainsi, c’est puisque l’arrêt de la cour d’appel retient que le traçage informatique composé des logs, fichiers de journalisation et adresses IP n’est pas soumis à une déclaration à la CNIL au motif qu’il n’a “pas pour vocation première le contrôle des utilisateurs” que la Cour de cassation casse cet arrêt.

Il faut noter que, même si en l’espèce l’arrêt de la cour d’appel a été cassé, la Cour de cassation affirme ici que “il y a donc lieu de juger désormais que l’illicéité d’un moyen de preuve, au regard des dispositions de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 […] n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats”, admettant ainsi – et c’est là que repose l’apport de l’arrêt – qu’une preuve illicite car obtenue en infraction avec les règles de protection des données personnelles établies par cette loi puisse être admise aux débats.

La Cour de cassation appuie cette solution sur deux décisions récentes de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), mentionnées explicitement aux paragraphes 13 et 14.

B – Une admission suivant le repositionnement de la CEDH

Dans l’arrêt Barbulescu du 5 septembre 2017 (mentionné au paragraphe 13), la CEDH rappelle que “les juridictions internes doivent s’assurer que la mise en place par un employeur de mesures de surveillance portant atteinte au droit au respect de la vie privée ou de la correspondance des employés est proportionnée et s’accompagne de garanties adéquates et suffisantes contre les abus”. La CEDH admet ici implicitement le droit pour les employeurs, suivant certaines conditions, de mettre en place de telles mesures de surveillance attentatoires au droit à la vie privée de leurs employés, et ne les empêche pas de les utiliser comme moyen de preuve dans un procès civil.

Dans l’arrêt Lopez Ribalda du 17 octobre 2019 portant sur la question de la preuve par vidéosurveillance (mentionné au paragraphe 14), la CEDH va plus loin, en jugeant qu’une preuve “d’informations obtenues au mépris de l’article 8 [de la Convention européenne des droits de l’homme, garantissant un droit au respect de la vie privée]” par un employeur sur ses employés peut être admise en fonction de “toutes les circonstances de la cause”, “si les droits de la défense ont été respectés” et selon “la qualité et l’importance des éléments en question”. La CEDH affirme donc ici explicitement qu’une preuve apportée par un employeur contre un employé et obtenue en violation du droit à la vie privée de ce dernier peut être admise aux débats.

Néanmoins, cette admission n’est pas complète ; il convient de s’interroger sur ses limites, ainsi que sur la portée concrète de cet arrêt.

II – Une admission limitée de cette preuve illicite

Dans cet arrêt, la Cour de cassation prend soin d’encadrer l’admission de la preuve illicite attentatoire aux règles de protection des données personnelles (A), rendant ainsi la portée de cet arrêt incertaine (B).

A – Une admission clairement encadrée

La Cour de cassation a déjà admis, par le passé et à de nombreuses reprises, la nécessité d’admettre aux débats des éléments portant atteinte à la vie privée d’une personne et qui seraient ainsi normalement illicites dans un procès civil, et ce au motif du droit à la preuve. C’est notamment le sens de l’arrêt de la chambre sociale du 9 novembre 2016 (n°15-10.203), mentionné ici au paragraphe 12, qui affirmait dans un attendu de principe que “le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit nécessaire à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi”.

La chambre sociale reprend ici les mêmes critères en établissant, au paragraphe 16, le principe relatif à l’admissibilité de la preuve illicite obtenue en transgression des règles de protection des données personnelles. C’est ainsi à la charge du juge d’effectuer un contrôle de proportionnalité, en “mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve”, et en vérifiant si l’admission de cette preuve ne porte pas atteinte au droit à un procès équitable de la défense.

La Cour de cassation prend donc le soin d’encadrer l’admissibilité de ce moyen de preuve illicite, et l’inscrit également dans un contexte législatif précis, ce qui nous invite à nous questionner sur la portée de cet arrêt.

B – Un arrêt à la portée incertaine

La Cour de cassation précise, dans son visa, qu’elle interprète la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 modifiée par la loi n°2004-801 du 6 août 2004 “dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur du Règlement général sur la protection des données” (RGPD). Le RGPD, entré en vigueur en 2016, supprime l’obligation de déclaration à la CNIL des systèmes de traçage informatique tels que celui concerné par les des faits de l’espèce, ce qui fait que les dispositions prises par l’arrêt à ce sujet n’offrent pas d’intérêt pour l’avenir.

De plus, la possibilité pour le juge civil d’admettre un moyen de preuve illicite car portant atteinte au droit à la vie privée d’un tiers au motif du droit à la preuve n’est pas une chose nouvelle, ayant déjà été consacrée par de nombreuses décisions antérieures, et notamment, en ce qui concerne les conflits entre un employeur et un employé, l’arrêt n° 15-10.203 de la chambre sociale du 9 novembre 2016, que l’arrêt mentionne explicitement et nous avons déjà évoqué.

Dans cet arrêt, la Cour de cassation confirme donc le principe suivant lequel le juge peut admettre aux débats une preuve illicite en mettant en balance le droit à la preuve et le droit au respect de la vie privée d’un salarié, et étend ce principe au moyen de preuve illicite car obtenu en violation des règles relatives à la protection des données à caractère personnel.

Leçon 2 : Identification des règles de droit

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Section 1 : La définition du droit objectif

Résumé

  • Les règles juridiques se distinguent des autres règles par le fait qu’elles sont sanctionnées par l’État.
  • Le droit et la morale et le droit et la religion s’influencent réciproquement, alors que ce sont des systèmes normatifs indépendants.
  • Les notions de justice, d’équité et de morale sont des conceptions relatives à l’époque.

§ 1. Définition de la règle

Règle : commandement, ordre, prescription ; généralement assorti d’une sanction en cas de non-respect.
→ synonyme : norme

Exemple : Article 311-1 du Code pénal :

Le vol est la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui.

§ 2. Définition de la règle de droit

I – Les critères de qualification de la règle de droit

A – Les critères exclus (= les 3 critères non décisifs)

La règle de droit est générale, impersonnelle, et extérieure à l’individu.

1) Le caractère général et le caractère impersonnel

« Le droit et les règles de droit concernent chacun et ne désignent personne en particulier. » → les règles de droit s’appliquent à toute personne dans la même situation

DDHC 1789, article 6 :

Que la loi est la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse.

Or :

  • La plupart des règles du système juridique ne s’appliquent qu’à des catégories (ex : Code du commerce).
  • Certains ont des privilèges de juridictions (ex : les mineurs sont jugés par des juridictions spéciales comme le tribunal pour enfant et la cour d’assises pour mineurs).
  • Il existe des lois de validation (ex : loi de validation en 1996 portant sur les tableaux d’amortissement faussés).
  • Il existe des lois qui ne concernent qu’un seul individu (ex : loi du 13 juillet 1906 réintégrant Dreyfus dans l’armée française).

⇒ Les règles de droit ne sont donc pas toujours générales.

⚠️ Certaines règles sont générales et impersonnelles mais ne sont pas des règles juridiques.

2) Le caractère extérieur des règles de droit

La règle de droit vient de l’extérieur ; elle est imposée à l’individu par l’État ; elle est hétéronome.

Or :

  • Il y a des règles de droit qui sont édictées par les individus auxquels elles s’imposent (ex : contrats). « Autonomie de la volonté »
  • Certaines règles non juridiques sont hétéronomes ; par exemple : règles de convenance (politesse…), règles religieuses…

B – Le caractère retenu : la sanction étatique

1) La nature de la contrainte étatique

Ce qui permet de d’instituteur la règle de droit des autres règles, c’est que c’est l’État qui la sanctionne.

Ce n’est pas les autres règles puisque l’État a le monopole de la violence physique.

Selon Jhering :

« La contrainte exercée par l’État constitue le criterium absolu du droit. Une règle de droit dépourvue de contrainte juridique est un non-sens ; c’est un feu qui ne brûle pas, un flambeau qui n’éclaire pas. »

2) Les formes de la contrainte étatique
a) La punition

Certaines sanctions prennent la forme d’une punition, notamment en droit pénal ; par exemple : amende, emprisonnement, travail d’intérêt général…

Lorsqu’il y a un divorce ou un décès, il y a un partage. Au moment du partage, quelqu’un peut être tenté de dissimuler l’un des biens, se rendant ainsi coupable de recel. Le droit prévoit une sanction appelée « peine privée » : cette personne ne participera pas au partage de ce bien.

b) La réparation

Il peut être ordonné à l’auteur des faits de réparer le dommage causé par la violation de la règle. La forme la plus fréquente sont les dommages et intérêts.

💡 La somme des dommages et intérêts va à la victime, tandis qu’une amende est versée à l’État.

Une réparation peut être ordonnée si on exécute un contrat en retard, si on cause un accident…

c) L’exécution forcée

La justice peut également contraindre une personne à exécuter une prestation.

💡 Ces différentes sanctions peuvent se cumuler, notamment dans le cas d’infractions pénales (sanction + réparations à la victime).
3) La question de la soft law (droit souple)

Les règles de soft law ne cherchent pas à imposer de règles par la contrainte mais simplement par l’incitation.

La soft law puise ses racines dans le droit international, où il n’existe pas d’entité au-dessus des États pouvant les contraindre.

Les États vont édicter des lois internes qui ne sont pas sanctionnées. ex : en France, avis et recommandations, notamment sur les questions des conditions de travail, de l’environnement… → ex : les communiqués de presse publiés par les institutions

Les personnes privées recourent aussi au droit souple. → ex : codes d’éthique, chartes de bonne conduite, lutte contre la corruption… dans les grandes sociétés (objectif : marketing + dissuader l’État d’intervenir)

⚠️ La soft law n’est pas du droit, puisqu’il n’y a pas de sanction étatique.

Mais le droit souple peut devenir du droit dur ; par exemple, la loi Sapin 2 du 9 décembre 2016 rend obligatoire dans les grandes sociétés l’adoption d’un code de bonnes conduites contre la corruption.

Exemple : l’arrêt du Conseil d’État du 21 mars 2016 (on peut exercer devant le Conseil d’Etat un recours en annulation d’un acte juridique adopté par une autorité étatique) : le Conseil d’État accepte d’examiner un recours en annulation contre un communiqué de presse de l’AMF (soft law). 2 critères : que l’acte soit 1- de nature à produire des effets notables, ou 2- qu’il ait pour objet d’influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles il s’adresse.

II – Les rapports avec les règles morales et religieuses

Les règles de droit régissent les relations entre individus, mais les règles morales et religieuses aussi.

De plus, la morale et la religion influencent les personnes qui font les règles de droit ainsi que les juges.

A – Droit et religion

Religion : ensemble de croyances et de pratiques culturelles qui sont comme telles porteuses de normes.

Pendant longtemps, la religion a été la première source d’inspiration du droit français ; parfois les 2 étaient même confondus. Certaines règles religieuses sont devenues des règles de droit, et certaines subsistent même aujourd’hui. ex : divorce interdit jusqu’en 1804 ; prêts à intérêts interdits pendant longtemps

Mais l’influence de la religion sur le droit français a beaucoup diminué avec le principe de la laïcité qui impose une séparation nette de l’Église et de l’État.
→ loi du 9 décembre 1905
→ puis article 1er de la Constitution de 1958 : la République est « laïque », « elle respecte toutes les croyances »

⚠️ La laïcité, ce n’est pas l’État contre les religions.
L’objectif de la laïcité : permettre aux religions de s’exprimer.

Dans certains pays, la religion se confond avec le droit ; notamment dans les pays de droit musulman. Mais il existe toujours une distinction entre la règle religieuse et la règle de droit.
ex : article 1 de la Constitution d’Arabie Saoudite
ex : article 7 de la Constitution des Émirats Arabes Unis → charia « source de législation majeure »
ex : loi fondamentale du Vatican : il y a un système juridique même dans cet État religieux

B – Le droit et la morale

Morale (sens large) : ce qui a rapport aux mœurs, aux coutumes, traditions et habitudes de vie propres à une société, à une époque.

Morale : ce qui concerne les règles ou principes de conduite, la recherche d’un Bien idéal, individuel ou collectif, dans une société donnée.

Morale (sens strict) : la conscience de ce qui est Bien et de ce qui est Mal.

Morale : ensemble de normes propres à une société, une communauté ou à un individu donné.

La morale et le droit sont 2 systèmes normatifs distincts qui s’influencent.

Exemple : article 1104 du Code civil :

« Les contrats doivent être formés […] de bonne foi »

→ Si l’on est de mauvaise foi, on brise à la fois une norme juridique et une norme morale.

Exemple : article 6 du Code civil : « bonnes mœurs »
→ référence explicite à la morale


Certaines choses sont immorales mais pas illégales ; ex : homme riche laissant son frère dans la pauvreté.
Certaines règles juridiques peuvent être considérées comme immorales ; ex : la prescription.

Parfois, une règle de droit influe sur la morale.
Exemple : peine de mort abolie en 1981 ; à l’époque, une majorité des français y étaient favorables, mais plus aujourd’hui.
Exemple : fumer à l’intérieur.

Le doyen Carbonnier parle de « non-droit » pour désigner toutes les normes non juridiques qui régissent la vie en société.
« Le non-droit, ce n’est pas le néant »

💡 La morale permettrait également de lutter contre l’inflation du droit ?

§ 3. Les différentes conceptions du droit

A – Une conception jusnaturaliste du droit

Droit positif : règles de droit posées par l’Homme.

Pour les jusnaturalistes, il existe un droit naturel qui renvoie à la nature des choses.
Nature : tout ce qui est vivant. Il existerait un droit naturel qui aurait vocation à régir toutes ces espèces vivantes.

Ex : union dans la nature, mâle et femelle.

Au Moyen-Âge, avec St Thomas d’Aquin, le droit naturel prend une tournure religieuse.
→ Dieu a créé et dirige le monde et l’homme peut connaître ce droit naturel en exerçant sa raison et en observant le monde.

Au 17e siècle, le droit naturel moderne apparaît.
→ C’est la nature humaine qui est désormais au centre
→ Recherche du droit juste pour rétablir une société idéale
→ Droit capable de défendre les droits individuels de l’homme contre la société Exemple : contrats sociaux de Jean-Jacques Rousseau et Thomas Hobbes

Après la Seconde Guerre mondiale, le droit naturel contemporain apparaît.
→ Repose sur les droits de l’homme
→ Idée : il y a un ensemble de droits fondamentaux attachés à tout être humain
→ Déclaration universelle des droits de l’homme de l’ONU (1948) : pas de valeur juridique
→ Convention européenne des droits de l’homme (1950) : a une valeur juridique

Dans les conceptions jusnaturalistes du droit, le droit naturel s’impose.
Droit naturel plus important que droit positif.
Le droit positif en opposition au droit naturel est invalide.

B – Une conception positiviste du droit

Pour les positivistes, il n’y a qu’un seul droit : le droit positif.
Il n’y a pas de droit naturel.
→ Toute règle a été édictée par un être humain.

Ils pensent que la notion de droit naturel est politique.


L’article 270 du Code civil prévoit la compensation d’un époux par l’autre en cas de divorce ; mais le juge peut refuser « si l’équité le commande ».

Justice commutative : recherche l’égalité arithmétique dans les échanges.

Justice distributive : recherche à répartir les valeurs selon les mérites de chacun.

Pour Kelsen, « Donner à chacun ce qu’il mérite » est une formule creuse.
« Ces formules en apparence universelles peuvent servir à justifier n’importe quel ordre social (capitaliste ou socialiste, démocratique ou autocratique). Dans tous ces ordres, chacun recevra ce qu’il mérite mais l’idée même de ce qu’il mérite variera toutefois en raison de chaque ordre. »

Section 2 : Les principales divisions du droit objectif

Summa divisio : division principale. La summa divisio du droit français : droit privé ≠ droit public.
⚠️ Il s’agit d’une division propre au droit français.

§ 1. La distinction droit public / droit privé

A – Une distinction d’objet

Le droit public concerne la collectivité.
Le droit privé concerne les individus.

Droit privé :

  • prend en considération les personnes privées (individus, entreprises civiles et commerciales, associations…)
  • réglemente les rapports économiques ou non entre les personnes privées

Droit public :

  • vise à organiser l’État et les collectivités publiques (collectivités territoriales : regions communes… + établissements publics)
  • régit les relations des personnes publiques entre elles
  • régit les relations entre personnes publiques et personnes privées

⚠️ Parfois, des personnes publiques ont des activités similaires à celles des personnes publiques ; celles-ci sont alors régies par le droit privé.
Par exemple, des personnes publiques développent des activités commerciales ; ex : EPIC (RATP, …)

  1. Domaine public des personnes publiques
    ex : la rue
  2. Domaine privé des personnes publiques
    ex : forêts domaniales (régies par droit privé)

B – Une distinction de finalité

Le droit public recherche la satisfaction de l’intérêt général et assure l’exercice de la puissance publique.
Les personnes publiques sont investies par un pouvoir de commandement particulier ; le droit public vise à l’organiser.

Le droit privé recherche l’intérêt des personnes privées, mais parfois aussi la satisfaction de l’intérêt général.
Exemple : article 6 du Code civil :

On ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes moeurs.

§ 2. Les subdivisions du droit public et du droit privé

A – Les subdivisions du droit public

  • Droit constitutionnel : s’intéresse aux règles fondamentales qui régissent l’organisation et le fonctionnement de l’État (constitution)
  • Droit administratif : régit la mise en œuvre du pouvoir exécutif en France + organise le fonctionnement de l’administration et de ses services publics
  • Droit international public : régit les relations entre États et les organisations internationales.
    😬 Il n’y a pas d’entité au-dessus des États qui puisse les sanctionner.
    « pacta sunt servanda » : « les pactes doivent être servis »
    → lorsqu’un État ratifie un traité, il doit le respecter

B – Les subdivisions du droit privé

  • Droit civil (Code civil de 1804)
    • Doit commun privé
      ≠ droit spécial ; le spécial déroge au général : on applique la règle spéciale si on est dans son champ d’application ; ex : droit de rétractation de 14 jours
    • Droit de la famille
    • Droit des successions
    • Propriété privée
    • Responsabilité civile
  • Droit commercial (Code du commerce de 1807, refondu en 2000) le droit commercial est un exemple de droit spécial
    Régit les opérations commerciales, les sociétés commerciales, les fonds de commerce et les actes de commerce.
  • Droit du travail (Code du travail de 1910) le droit du travail est aussi un exemple de droit spécial ; auparavant, les contrats de travail étaient régis par le droit commun des contrats (Code civil)
    Régit les relations entre employeurs et salariés.

C – Les droits mixtes

  • Droit pénal (Code pénal de 1810, refondu en 1992)
    Détermine certains comportements comme étant constitutifs d’infraction (→ susceptibles d’être sanctionnés).
    Objectif : poursuite de l’intérêt général (il y a donc toujours un représentant de l’État dans les procédures pénales).
    Protège l’intérêt général, mais aussi les intérêts privés (victimes).
    En France, le droit pénal fait partie du droit privé pour des raisons historiques.
  • Droit processuel : organise les procédures applicables devant les tribunaux.
    → procédure pénale
    → procédure civile
    → procédure administrative
    Organise les relations entre les tribunaux et les justiciables, donc droit privé ? Procédure civile et pénale : rattaché au droit privé.
    Procédure administrative : rattaché au droit public.
  • Droit de l’Union Européenne :
    • Droit institutionnel : règles de droit qui organisent le fonctionnement des institutions européennes. Équivalent au droit constitutionnel en France ; rattaché au droit public.
    • Droit matériel : règles adoptées par les institutions européennes (ex : Parlement) qui ont vocation à s’appliquer aux états membres et à leurs citoyens et sociétés. Rattaché au droit privé, mais certaines règles sont rattachées au droit public (ex : règles concernant les appels d’offre).
  • Droit médical
    Au 20e siècle, 2 droits jurisprudentiels : les médecins libéraux ou appartenant à des cliniques privées étaient rattachés au droit privé (juges judiciaires), tandis que les médecins des établissements publics étaient rattachés au droit public (juges administratifs).
    La loi du 4 mars 2002 (dite « loi Kouchner ») prévoit des règles de responsabilité médicale.
    Le droit médical est sui generis (« qui constitue son propre genre ») : inclassable.

Méthodologies pour l’introduction au droit privé

Ce cours complet d’introduction au droit privé s’appuie sur le cours donné par le professeur Clément François, qui a construit de très bonnes méthodologies pour les exercices juridiques fondamentaux :

Méthodologie de la fiche d’arrêt – Blog de Clément François (clementfrancois.fr)
Méthodologie de l’introduction du commentaire d’arrêt – Blog de Clément François (clementfrancois.fr)
Méthodologie du commentaire d’arrêt : les développements (suite) – Blog de Clément François (clementfrancois.fr)

Le cas pratique n’est pas abordé dans ce cours de L1, mais une fiche méthode existe également :
Méthodologie du cas pratique – Blog de Clément François (clementfrancois.fr)

Leçon 1 : Premières vues sur le droit

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Le droit est l’un des outils qui rend la vie en société possible. Sa fonction principale est de régir les relations sociales.

ubi societas ibi jus

« là où il y a une société, il y a du droit » → le droit est à l’image de la société qu’il régit (plus ou moins complexe et évolué)

Le droit est omniprésent dans la vie quotidienne.
ex : contrat avec RATP si on prend le métro ; machine à café : contrat avec l’exploitant

§ 1. La distinction entre droit objectif et droit subjectif

Il existe 2 principaux sens au terme de « droit ».

droit objectif : l’ensemble des règles de conduite qui gouvernent les rapports des hommes dans la société et dont le respect est assuré par l’autorité publique.
→ règles de conduite sanctionnées par l’État

droit subjectif : le pouvoir accordé à une personne d’user d’une chose ou d’exiger d’un autre individu l’exécution d’une prestation.
→ prérogative individuelle
→ droit réel : prérogative contre une chose
→ droit personnel : contre une personne

(définitions de Boris Starck)

Exemple : le droit de propriété

L’article 544 du Code civil dispose :

La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements.

Cet article est un élément de droit objectif, mais qui a pour conséquence la création d’un droit de propriété, qui est un droit subjectif. De cette règle découle une prérogative individuelle.

→ Le droit subjectif découle du droit objectif.

Henri Motulsky :

Le droit objectif pose une règle. Le droit subjectif, c’est la faculté de mettre en œuvre à son profit l’effet juridique de cette règle de droit.

⚠️ Il y a des règles de droit objectif qui ne créent aucun droit subjectif (ex : code de la route).

« droit à » : droits subjectifs (prérogatives individuelles).

§ 2. La distinction entre les sources formelles et les sources réelles du droit

Les sources formelles du droit sont des procédés reconnus par le système juridique.

Les sources réelles du droit sont tous les facteurs qui vont influencer les auteurs des règles de droit (facteurs sociaux, politiques, religieux… qui influencent l’auteur de la règle de droit / le législateur).
→ parfois appelées « sources matérielles »
ex : le divorce est tantôt autorisé, tantôt interdit, en fonction des époques

§ 3. 1ères vues sur l’ordre juridictionnel français

Ordre juridique : droit objectif

Ordre juridictionnel : désigne des juridictions (tribunaux) → ces tribunaux sont aussi ordonnés, c’est pour ça qu’on parle d’ordre

Ordre administratif : droit public
Ordre judiciaire : droit privé

💡 Vocabulaire : on interjette appel et on se pourvoit en cassation.

Juridictions de 1er et 2nd degré : jugent en faits et en droit (« juges du fond »).
On ne parle pas de juridictions de 3e degré, puisque la Cour de Cassation et le Conseil d’État ne jugent que sur le droit (« juges du droit »).

  • Le Tribunal des conflits intervient lorsqu’il y a un conflit de compétences.
  • Le Conseil constitutionnel s’occupe des questions relatives la Constitution (conformité des lois et des traités).
  • La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) et la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) sont des exemples de juridictions supranationales.
  • Les tribunaux de commerce s’occupent des litiges entre commerçants.
  • Les tribunaux judiciaires sont les tribunaux de droit commun.
  • Les tribunaux de police sont chargés des contraventions.

Si la Cour de cassation casse une décision, l’affaire est renvoyée vers une cour d’appel de renvoi. Parfois, la décision est cassée mais il n’y a pas de renvoi.

💡 Devant la cour d’appel, celui qui fait appel est l’appelant et l’autre partie est l’intimé.

Devant la Cour de cassation, le demandeur dépose un mémoire ampliatif et le défendeur un mémoire en défense.