Explication de la décision n°2016-571 QPC du 30 septembre 2016 du Conseil constitutionnel

Dans le présent article, nous allons nous intéresser à la décision n° 2016-571 QPC du 30 septembre 2016 du Conseil constitutionnel.
Pour bien comprendre cette décision, il faut tout d’abord la replacer dans son contexte général, ensuite il conviendra d’expliciter la décision du Conseil constitutionnel avant, pour finir, d’expliquer les effets concrets de cette décision.

Contexte général :
Tout d’abord, il faut expliquer sur quoi portait cette décision, en effet, tout son intérêt résulte de la matière sur laquelle elle portait, à savoir la matière fiscale.

En France, il existe une contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés et cette contribution additionnelle est prélevée non pas sur le bénéfice au moment où il est réalisé, mais elle est prélevée sur une distribution de ce bénéfice aux associés. Cette contribution additionnelle frappe donc les dividendes versés par les sociétés à leurs associés. Cette contribution est de 3% et on l’appelle la taxe des 3%.

À cet égard, certains contribuables ont pris l’habitude de contester la validité de certaines impositions sur le terrain du droit européen. En effet, les grandes libertés ont donné naissance à une jurisprudence très fournie de la Cour de Justice de l’Union européenne qui prohibe les discriminations, notamment en matière fiscale.

C’est ainsi qu’il y a quelques années, la Cour de justice de l’Union européenne a censuré une imposition sur les distributions. En effet, lorsque ces distributions bénéficiaient à des fonds d’investissement étrangers elles étaient taxées (ces distributions étaient soumises à une retenue à la source) alors que lorsqu’une société française distribuait un dividende à un fonds d’investissement français ce dividende n’était pas soumis à une quelconque imposition. Il y avait là une différence de traitement entre les fonds d’investissement français (exonérés d’impôts sur les dividendes) et ceux étrangers (passibles d’impôts). La Cour de justice de l’Union européenne a donc censuré cette différence de traitement dans son arrêt Santander. Ce faisant, l’administration française a dû rembourser les retenues à la source qu’elle avait faite, ce qui a coûté entre 4 et 5 milliards d’euros au budget public.

C’est pourquoi immédiatement après cette décision, l’administration a élaboré une taxe d’un type nouveau qui était censée remplacer la retenue à la source sans qu’elle ne soit soumise aux mêmes critiques.

La direction des législations fiscales a donc créé cette taxe des 3% qui s’applique aux distributions internes et transfrontalières, quelle que soit la qualité du bénéficiaire. Cependant, le législateur a pris le soin d’affecter ce principe d’imposition d’une exception qui vise les groupes d’intégration fiscale. Mais pourquoi cela ?

C’est parce qu’il existe un régime d’intégration fiscale ouvert aux groupes de sociétés qui veulent calculer et acquitter leurs impôts à l’échelle du groupe, chaque imposition de chaque société-fille est remontée à la société-mère qui doit s’en acquitter. Cela permet aux groupes de sociétés de compenser les pertes réalisées dans une société-fille avec les gains d’une autre société-fille. Comme les groupes sont constitués de chaînes de participations (la société-mère a des titres dans ses sociétés-filles) à plusieurs étages, le législateur n’avait pas voulu faire supporter à chaque distribution de dividende, à chaque étage, cette taxe de 3%. En effet, si le législateur n’avait pas prévu une telle exception à cette taxe des 3% cela aurait tout de suite rendu inutile le mécanisme d’intégration fiscale et c’est donc la raison pour laquelle le législateur a élaboré cette exception.

Toutefois, le régime de l’intégration fiscale est uniquement réservé aux sociétés imposables en France. On ne peut y intégrer des sociétés étrangères et la Cour de justice de l’Union européenne l’a accepté sur le principe. Ainsi, pour pouvoir entrer dans le régime d’intégration fiscale il faut faire partie d’un groupe de sociétés, c’est-à-dire être détenu à au moins 95% par la société-mère et être une société française.

Mais c’était sans compter sur les fiscalistes. En effet, les fiscalistes se sont souvenus de l’affaire Santander et se sont rappelé que, du fait de cette exception, le régime est retreint aux seuls groupes de sociétés françaises.

Ainsi, soit une société fait partie d’un groupe de sociétés françaises et donc si elle verse un dividende à la société-mère, elle échappe au régime d’imposition. Néanmoins, si la société-mère était allemande ou espagnole, donc non française, ce n’était plus un versement effectué dans l’intégration fiscale et donc l’exonération ne pouvait plus s’appliquer.

Les fiscalistes se plaignaient donc de la différence de traitement, un recours a été déposé devant le Conseil d’État pour que ce dernier saisisse la Cour de justice de l’Union européenne pour juger de cette incompatibilité. Mais le contribuable en question, la société Layher, a redoublé de perspicacité puisqu’il a, en parallèle de ce recours sur le fond avec demande de question préjudicielle, saisit le Conseil d’État d’une question prioritaire de constitutionnalité (= QPC) en lui demandant à ce qu’il saisisse le Conseil Constitutionnel de cette discrimination sur le terrain de l’égalité devant la loi et les charges publiques au titre des articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, rupture d’égalité prohibée par la constitution.

Le Conseil d’État a considéré que la question était sérieuse et a donc renvoyé la question au Conseil constitutionnel.

La décision du Conseil constitutionnel :
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n°2016-571 QPC du 30 septembre 2016, a considéré que c’était, en effet, discriminatoire. Il a considéré, en outre, que cette différence de traitement entre les filiales intégrées et non intégrées fiscalement n’était justifiée par aucun motif d’intérêt général. En effet, cette taxe ayant été instituée uniquement dans un objectif de rendement il est impossible de retenir que la rupture d’égalité s’expliquait par un objectif d’intérêt général. Le Conseil constitutionnel a donc déclaré cette exonération contraire à la Constitution. Cela veut dire qu’il a censuré le texte qui prévoyait l’exception.

Il faut préciser que ce n’était pas du tout la volonté du contribuable qui désirait, lui, qu’on lui étende l’exception. Cela signifie que le contribuable, bien mal conseillé ou alors malchanceux, a perdu sur toute la ligne puisqu’il s’agissait d’une entreprise étrangère qui voulait qu’on lui applique l’exonération de la taxe des 3%. Mais le Conseil constitutionnel, dans sa décision, valide la taxe des 3% et l’étend, en plus, à tout le monde.

Cela veut donc dire que, désormais, les distributions effectuées à l’intérieur des groupes d’intégration fiscale sont soumises à la taxe des 3%. Il y a certes eu une égalisation, mais une égalisation par le bas et non pas par le haut.

Il faut enfin préciser que le Conseil constitutionnel a reporté au 1er janvier 2017 l’abrogation des dispositions contestées. En effet jusqu’au 1er janvier 2017, le législateur avait la possibilité de modifier la législation pour remédier à cette différence de traitement. Aujourd’hui, l’exonération est abrogée et l’ensemble des sociétés intégrées fiscalement sont imposables.

Les effets concrets de la décision :
Selon certaines estimations, si les distributions à l’intérieur des groupes étaient taxées cela pourrait coûter 2,5 milliards d’euros en plus aux entreprises et c’est donc l’État qui en ressortirait gagnant puisque c’est lui qui percevra ces sommes.

En revanche, si le Gouvernement choisissait d’étendre l’exonération de la contribution à l’ensemble des entreprises répondant aux critères de la directive « mère-fille », cela pourrait avoir des conséquences très néfastes sur le budget de l’État.

Source : Conseil constitutionnel

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *