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Section 1 : Les droits du locataire
§ 1. La modification de l’activité : la déspécialisation
En droit commun, l’article 1728 du Code civil dispose que :
”Le preneur est tenu […] 1° D’user de la chose louée raisonnablement, et suivant la destination qui lui a été donnée par le bail, ou suivant celle présumée d’après les circonstances, à défaut de convention ;”
Le bail fixe donc l’usage que le locataire pourra faire de l’immeuble.
L’article 1729 ajoute que, si le locataire emploie la chose louée à un usage autre que celui stipulé par le contrat, le bailleur peut résilier le bail.
En matière commerciale, on constate que beaucoup de bailleurs définissent de manière étroite les activités permises au locataire, parce qu’ils cherchent à éviter l’exercice dans l’immeuble d’une activité gênante pour lui-même ou pour les autres locataires.
Problème : une stricte application des stipulations du bail risquerait d’entraîner une rigidité des structures commerciales.
Une loi du 12 mai 1965 est ainsi intervenue pour permettre au locataire commerçant de modifier plus ou moins complètement la nature de ses activités (articles L145-47 et suivants du Code de commerce).
Même si le contrat de bail limite à 1 activité précise l’exploitation du fonds, la loi autorise le preneur à modifier voire changer d’activité.
On parle de déspécialisation.
On distingue la déspécialisation simple (ou partielle) de la déspécialisation renforcée (ou plénière).
A – La déspécialisation simple (ou partielle)
La déspécialisation simple est très largement pratiquée.
L’article L145-47 du Code de commerce dispose que :
”Le locataire peut adjoindre à l’activité prévue au bail des activités connexes ou complémentaires”.
La déspécialisation simple est un droit reconnu au locataire ; il n’est pas possible d’y porter atteinte par une clause contractuelle.
L’article L145-47 détaille les modalités : le preneur doit notifier au bailleur la déspécialisation.
Le propriétaire a 2 mois pour faire savoir s’il conteste le caractère complémentaire des nouvelles activités.
Il ne peut pas s’opposer à la déspécialisation partielle et son silence vaut acceptation.
S’il considère la déspécialisation comme renforcée, le tribunal judiciaire se prononce.
En cas de déspécialisation simple, le bailleur a le droit d’augmenter le loyer lors de la 1ère révision triennale suivant la notification “des activités commerciales adjointes, si celles-ci ont entraîné par elles-mêmes une modification de la valeur locative des lieux loués”.
B – La déspécialisation renforcée (ou plénière)
On parle de déspécialisation renforcée lorsque le commerçant exerce une activité radicalement différente.
Article L145-48 du Code de commerce :
”Le locataire peut, sur sa demande, être autorisé à exercer dans les lieux loués une ou plusieurs activités différentes de celles prévues au bail, eu égard à la conjoncture économique et aux nécessités de l’organisation rationnelle de la distribution, lorsque ces activités sont compatibles avec la destination, les caractères et la situation de l’immeuble ou de l’ensemble immobilier.”
Article L145-49 : cette déspécialisation est soumise à autorisation du bailleur.
Article L145-50 : le bailleur qui accepte la déspécialisation renforcée peut augmenter les loyers.
+ Le changement d’activité “peut motiver le paiement, à la charge du locataire, d’une indemnité égale au montant du préjudice dont le bailleur établirait l’existence”.
Si le bailleur refuse la déspécialisation, le locataire peut saisir le tribunal judiciaire.
Article L145-52 : le juge peut autoriser la déspécialisation lorsque le bailleur est dans l’impossibilité de démontrer l’existence d’un motif grave et légitime de s’opposer au changement d’activité.
Une clause du bail pourrait-elle s’opposer à une déspécialisation ?
Article L145-15 :
“Sont réputés non écrits, quelle qu’en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements qui ont pour effet de faire échec au droit de renouvellement institué par le présent chapitre ou aux dispositions des articles […] L145-47 à L145- 54”.
Civ. 3, 15 février 2012, n° 11-17.213 :
”Qu’en se fondant ainsi, non sur le caractère objectivement connexe ou complémentaire des activités dont l’adjonction était demandée, mais exclusivement sur la clause de non-concurrence figurant au bail liant les parties, alors qu’une telle clause ne peut avoir pour effet d’interdire au preneur de solliciter la déspécialisation partielle, la cour d’appel a violé les textes susvisés”.
→ La clause de non-concurrence ne peut pas faire obstacle à la déspécialisation.
§ 2. La circulation du bail : la cession de bail ou la sous-location
A – La cession de bail
En droit civil, le contrat de bail ne peut être cédé qu’avec l’accord du bailleur ; mais en droit commercial, le locataire est autorisé à céder le bail sans avoir à obtenir l’accord du bailleur.
Article L145-16 du Code de commerce :
”Sont également réputées non écrites, quelle qu’en soit la forme, les conventions tendant à interdire au locataire de céder son bail ou les droits qu’il tient du présent chapitre à l’acquéreur de son fonds de commerce ou de son entreprise ou au bénéficiaire du transfert universel de son patrimoine professionnel.”
La jurisprudence admet cependant la possibilité d’insérer certaines clauses dans le bail à partir du moment où elles n’interdisent pas la cession ; par exemple :
- La clause prévoyant au profit du bailleur un droit de préemption en cas de cession ;
- La clause d’agrément, qui subordonne la cession à l’agrément par le bailleur du cessionnaire ;
La jurisprudence vérifie, en cas de refus d’agrément du bailleur, les motifs de son refus.
- La clause prévoit qu’en cas de cession l’ancien preneur restera garant des paiements de loyer jusqu’à la fin du bail (clause de garantie solidaire du cédant envers le bailleur).
Ces clauses ne sont valables qu’à condition d’être limitées à la durée du bail initial et de ne pas s’appliquer au renouvellement.
B – La sous-location
Article L145-31 du Code de commerce : la sous-location partielle ou totale est strictement interdite par la loi en matière de bail commercial.
Tout manquement de la part du preneur à cette règle entraîne la résiliation du bail.
Exception : il est possible de sous-louer l’immeuble où est exploité un fonds de commerce en obtenant l’accord du propriétaire.
La sous-location doit remplir 2 conditions pour être valable :
- L’autorisation du propriétaire.
Elle peut résulter d’une clause du bail.
L’agrément doit être sous forme écrite.
- L’intervention du propriétaire à l’acte de sous-location.
Le locataire doit donc faire connaître son intention de sous-louer ; le propriétaire a 15 jours pour indiquer s’il entend concourir à l’acte.
Pas de réponse = il est passé outre.
En cas de sous-location autorisée :
- Le bailleur peut imposer au preneur une augmentation du loyer principal si celui-ci est inférieur au loyer de la sous-location ;
- Le Code de commerce accorde le même droit au renouvellement du bail qu’au locataire principal.
Section 2 : Le devoir du locataire : le paiement du loyer commercial
Le montant du loyer doit être établi dès la conclusion du contrat de bail.
Principe : libre fixation du loyer dans l’accord initial.
La clause recette est celle qui fait dépendre le loyer, pour tout ou partie, du chiffre d’affaires ou du résultat réalisés par le preneur.
Le pas-de-porte est un droit d’entrée dans les locaux.
Un dépôt de garantie peut aussi être demandé lors de la conclusion du contrat de bail ; il permet le paiement de l’ensemble des sommes qui pourraient être dues au bailleur lors de la restitution des lieux (loyers impayés, réparations, dommages et intérêts…).
§ 1. La révision du loyer
A – La révision légale triennale
L’article L145-38 du Code de commerce institue une révision légale triennale (tous les 3 ans) à l’initiative de l’une des parties.
Cette règle s’applique aussi lors du renouvellement du bail.
1) La détermination de la valeur locative
Objectif de ce mécanisme : faire correspondre le prix du bail (= le montant du loyer) à la valeur locative.
En cas de litige, le juge des loyers (= le président du tribunal judiciaire) calcule la valeur locative suivant les critères indiqués par l’article L145-33 :
”1- Les caractéristiques du local considéré ;
2- La destination des lieux ;
3- Les obligations respectives des parties ;
4- Les facteurs locaux de commercialité ;
5- Les prix couramment pratiqués dans le voisinage ;
Un décret en Conseil d’État précise la consistance de ces éléments”.
Voir : articles R145-2 et suivants du Code de commerce.
Lorsqu’il révise le loyer en considération de la valeur locative du bien en cause, le juge doit préciser les critères de l’article L145-33 qu’il a utilisés.
2) La règle du plafonnement
a) Principe du plafonnement
Article L145-38 du Code de commerce :
”À moins que ne soit rapportée la preuve d’une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle-même une variation de plus de 10 % de la valeur locative, la majoration ou la diminution de loyer consécutive à une révision triennale ne peut excéder la variation de l’indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l’indice trimestriel des loyers des activités tertiaires mentionnés aux premier et deuxième alinéas de l’article L112-2 du code monétaire et financier, intervenue depuis la dernière fixation amiable ou judiciaire du loyer.
Dans le cas où cette preuve est rapportée, la variation de loyer qui en découle ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l’année précédente.”
→ Limite le principe de la révision du loyer
Le montant du loyer révisé est donc plafonné par l’application d’un indice.
En cas de renouvellement, le plafonnement joue aussi.
b) L’exception : le déplafonnement
Le plafonnement ne joue pas si est “rapportée la preuve d’une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entrainé par elle-même une variation de plus de 10% de la valeur locative”.
Le prix révisé doit correspondre à la valeur locative ; le loyer précédent n’est plus un plafond ni un plancher.
C’est le juge des loyers qui apprécie l’existence de cette variation.
La loi du 18 juin 2014 a ajouté à l’article L145-38 la précision que “Dans le cas où cette preuve est rapportée, la variation de loyer qui en découle ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l’année précédente.”
→ La hausse de loyer est échelonnée sur la durée du bail, avec une limite de 10 % par an jusqu’à ce que le prix déplafonné soit atteint.
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Est-ce une atteinte au droit de propriété du bailleur ?
Conseil constitutionnel, 7 mai 2020, n°2020-837 QPC :
La société requérante soutient que les dispositions de l’article L145-34 du Code de commerce porteraient atteinte au droit de propriété du bailleur.- “Il est loisible au législateur d’apporter aux conditions d’exercice du droit de propriété des personnes privées, protégé par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi.
- L’article L. 145-33 du code de commerce dispose que le loyer du bail commercial renouvelé doit correspondre à la valeur locative du bien loué et que, à défaut d’accord des parties, cette valeur est déterminée d’après les caractéristiques du local considéré, la destination des lieux, les obligations respectives des parties, les facteurs locaux de commercialité et le prix couramment pratiqué dans le voisinage. Le premier alinéa de l’article L. 145-34 du code de commerce instaure un plafonnement du loyer ainsi renouvelé, en prévoyant que son taux de variation ne peut excéder la variation de l’indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l’indice trimestriel des loyers des activités tertiaires intervenue depuis la fixation initiale du loyer du bail expiré.
- Cette règle de plafonnement ne s’applique cependant pas aux baux initialement conclus pour une durée de plus de neuf années. Elle ne s’applique pas non plus aux baux dont la durée n’est pas supérieure à neuf ans lorsqu’est intervenue, entre la prise d’effet du bail initial et celle du bail à renouveler, une modification notable des caractéristiques du local considéré, de la destination des lieux, des obligations respectives des parties ou des facteurs locaux de commercialité. Dans ces deux cas, les dispositions contestées prévoient que la variation du loyer ne peut toutefois conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l’année précédente.
- Ces dispositions empêchent le bailleur de percevoir, dès le renouvellement de son bail et le cas échéant jusqu’à son terme, un loyer correspondant à la valeur locative de son bien lorsque ce loyer est supérieur de 10 % au loyer acquitté lors de la dernière année du bail expiré. Elles portent ainsi atteinte au droit de propriété.
- Toutefois, en premier lieu, en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu éviter que le loyer de renouvellement d’un bail commercial connaisse une hausse importante et brutale de nature à compromettre la viabilité des entreprises commerciales et artisanales. Il a ainsi poursuivi un objectif d’intérêt général.
- En deuxième lieu, les dispositions contestées permettent au bailleur de bénéficier, chaque année, d’une augmentation de 10 % du loyer de l’année précédente jusqu’à ce qu’il atteigne, le cas échéant, la nouvelle valeur locative.
- En dernier lieu, les dispositions contestées n’étant pas d’ordre public, les parties peuvent convenir de ne pas les appliquer, soit au moment de la conclusion du bail initial, soit au moment de son renouvellement. En outre, s’agissant des baux conclus avant la date d’entrée en vigueur de ces dispositions et renouvelés après cette date, l’application de ce dispositif ne résulte pas des dispositions contestées, mais de leurs conditions d’entrée en vigueur déterminées à l’article 21 de la loi du 18 juin 2014.
- Il résulte de ce qui précède que le législateur n’a pas porté une atteinte disproportionnée au droit de propriété. Le dernier alinéa de l’article L. 145-34 du code de commerce, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit donc être déclaré conforme à la Constitution.”
B – La révision conventionnelle
Rien n’interdit aux parties de réviser amiablement le loyer du bail dans des conditions autres que celles des règles légales sur la révision triennale : généralement, par une clause d’échelle mobile ou par une clause d’indexation.
Article L145-39 : ”Par dérogation à l’article L145-38, si le bail est assorti d’une clause d’échelle mobile, la révision peut être demandée chaque fois que, par le jeu de cette clause, le loyer se trouve augmenté ou diminué de plus d’un quart par rapport au prix précédemment fixé contractuellement ou par décision judiciaire”.
→ Cette clause résulte de la libre volonté des parties et est donc valide.
Pour la clause d’indexation, le choix de l’indice est soumis à conditions : il doit respecter l’article L112-2 du Code monétaire et financier → l’indice choisi doit avoir un rapport avec l’objet du bail ou avec l’activité de l’une des parties lors de la formation du contrat.
§ 2. Les litiges portant sur le loyer commercial
A – Les contestations relatives au prix du bail révisé ou renouvelé
En cas de litige sur la révision du loyer en cours de bail ou au moment du renouvellement du bail, le demandeur doit saisir le juge des loyers, qui est le président du tribunal judiciaire depuis le 1er janvier 2020 (auparavant président du TGI) du lieu de la situation de l’immeuble.
À défaut d’accord des parties, les litiges relatifs à la révision du loyer peuvent aussi être soumis à la commission départementale de conciliation, qui est composée de bailleurs et de preneurs ainsi que de personnes qualifiées.
(article L145-35)
B – L’impact de la crise de la Covid-19 sur le paiement des loyers commerciaux
Civ. 3, 30 juin 2022, n°21-20.190 :
La Cour de cassation rejette l’ensemble des arguments :
- Perte de la chose : l’argument est rejeté.
“L’effet de cette mesure générale et temporaire, sans lien direct avec la destination contractuelle du local loué, ne peut donc être assimilé à la perte de la chose, au sens de l’article 1722 du code civil”.
- Exception d’inexécution : le bailleur n’a pas manqué à son obligatoire de délivrance pendant la période de fermeture administrative liée au Covid-19.
“La mesure générale de police administrative portant interdiction de recevoir du public n’était pas constitutive d’une inexécution de l’obligation de délivrance”.
- Force majeure : l’argument est écarté.
“Il résulte de l’article 1218 du code civil que le créancier qui n’a pu profiter de la contrepartie à laquelle il avait droit ne peut obtenir la résolution du contrat ou la suspension de son obligation en invoquant la force majeure.”
Dans 2 arrêts rendus le 23 novembre 2022 (n°22-12.753 et n°21-21.867), la Cour de cassation réaffirme la position adoptée dans ses arrêts du 30 juin 2022 : les loyers commerciaux restent dus par le locataire, même en cas de fermeture des locaux pendant la période de confinement.