Chapitre 8 : La formation du bail commercial

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Le bail commercial est le contrat de location de l’immeuble dans lequel est exploité le fonds de commerce du commerçant.

Le bail commercial est régi par le décret du 30 septembre 1953, qui prévoit un statut protecteur pour le commerçant.
Ce texte est aujourd’hui codifié aux articles L145-1 et suivants du Code de commerce, pour la partie législative, et aux articles R145-1 et suivants pour la partie règlementaire.

Section 1 : Les conditions relatives aux parties

§ 1. La condition relative au preneur

A – Principe

Le Code de commerce prévoit que le statut des baux commerciaux s’applique au commerçant immatriculé au RCS.
→ Le bail commercial ne peut être conclu que par celui qui est immatriculé (notamment au RCS).

Il s’applique aussi à l’artisan inscrit au RNE (article L145-1 du Code de commerce).

L’absence d’immatriculation au RCS ou au RNE prive l’intéressé du droit au statut.
Cette formalité conditionne la jouissance du statut.

B – Étendue du principe

1) La situation des copreneurs non exploitants et co-indivisaires

La Cour de cassation a toujours été très rigoureuse en matière d’immatriculation.
Auparavant, lorsqu’il y avait plusieurs preneurs à bail, elle exigeait l’immatriculation de chacun d’entre eux, même quand ils n’étaient pas co-exploitants du fonds.

Désormais, depuis la loi LME du 4 août 2008, l’article L145-1 consacre une dispense d’immatriculation multiple pour les copreneurs non exploitants du fonds de commerce ou d’artisanats + pour les coindivisaires.

En revanche, l’obligation d’immatriculation multiple subsiste à l’égard des coexploitants.


2) Preneur usufruitier

Auparavant, la Cour de cassation refusait le droit au renouvellement à l’usufruitier au motif que le nu-propriétaire n’était pas immatriculé.
Civ. 3, 5 mars 2008, n°05-20.200 :
”Lorsque la propriété d’un fonds de commerce est démembrée entre un usufruitier qui a la qualité de commerçant et un nu-propriétaire qui n’a pas cette qualité, le nu-propriétaire devait être immatriculé au registre du commerce et des sociétés pour permettre l’application du statut des baux commerciaux et que dès lors que M. Sébastien Y…, (bien que majeur depuis le 29 janvier 1999), n’était pas inscrit au registre du commerce et des sociétés en qualité de nu- propriétaire non exploitant au moment de la notification du congé, les consorts Y… ne pouvaient prétendre au renouvellement du bail”.

La loi LME n’a pas modifié ce point.
L’obligation d’immatriculation subsiste donc en cas de démembrement de propriété du droit au bail.

C – Exceptions

Par exceptions, la loi étend le statut des baux commerciaux au profit de certaines catégories de non-commerçants :

1) Dans l’hypothèse de la location-gérance

La location-gérance correspond à la location du fonds de commerce par son propriétaire.

Dans ce cas, le propriétaire du fonds n’est pas commerçant. La qualité de commerçant est conférée par la location-gérance au locataire, qui entraîne l’obligation pour celui-ci de s’inscrire au RCS.

Pour le propriétaire du fonds, l’article L145-1 prévoit que :
”Si le fonds est exploité sous forme de location-gérance […] le propriétaire du fonds bénéficie néanmoins [du statut] sans avoir à justifier de l’immatriculation au registre du commerce et des sociétés ou au RNE”.


2) Avec l’article L145-2 du Code de commerce

L’article L145-2 étend le bénéfice du statut à de nombreux preneurs non immatriculés ; notamment :

  1. Les établissements d’enseignement ;
    probablement parce que ce sont des établissements qui exigent une certaine stabilité
  1. Les établissements publics à caractère industriel ou commercial ;
  1. Les sociétés coopératives ayant une forme ou un objet commercial ;
  1. Certains professionnels ayant une activité artistique ;
  1. Les caisses d’épargne et de prévoyances.

Ces extensions sont très favorables à leurs bénéficiaires :
> ils sont dispensés de la condition d’immatriculation au RCS ;
> ils bénéficient du droit au renouvellement du bail commercial.
Pourtant, l’exigence d’immatriculation au RCS constitue aussi le critère principal du bénéfice du droit au renouvellement.


3) Pour les professions libérales : baux de locaux à usage professionnel

En principe, les membres de professions libérales bénéficient d’un statut à part : le statut des baux professionnels, visé par l’article 57 A de la loi du 23 décembre 1986 (aujourd’hui codifié dans le Code civil).
Mais l’article 57 A dispose qu’il est possible de déroger à ce statut.

Il était admis par la jurisprudence que les parties pouvaient opter pour le bail commercial.
La loi LME du 4 août 2008 l’a admis, en modifiant l’article L145-2, qui prévoit désormais que :
”I.- Les dispositions du présent chapitre s’appliquent également : […]
7° Par dérogation à l’article 57 A de la loi du 23 décembre 1986, aux baux d’un local affecté à un usage exclusivement professionnel si les parties ont conventionnellement adopté ce régime”.

Des professionnels non commerçants, comme des professions libérales, peuvent ainsi adopter par convention le statut des baux commerciaux, sans que la condition d’immatriculation au RCS puisse être exigée.

Plus largement, la Cour de cassation prévoit que :
Civ. 3, 9 février 2005, n°03-17.476 :
”Mais attendu qu’en cas de soumission volontaire au statut des baux commerciaux, l’immatriculation du preneur au registre du commerce et des sociétés n’est pas une condition impérative de son droit au renouvellement”.

En revanche, si le preneur a la qualité de commerçant, la soumission volontaire au statut des baux commerciaux implique son immatriculation.

Civ. 3, 18 janvier 2011, n°09-71.910 :
Un bailleur avait, en cours de procédure, rétracté son offre d’indemnité d’éviction, à raison du défaut d’immatriculation du preneur au RCS pour l’activité exercée.
Le preneur estimait cette rétractation sans portée, puisque, en cas de soumission volontaire au statut des baux commerciaux, l’immatriculation du preneur n’est pas une condition impérative de son droit au renouvellement.
La Cour de cassation lui donne tort, approuvant les juges du fond de conditionner le droit au renouvellement du locataire commerçant à son immatriculation.
Pour la professeure Amiel-Cosme, cette solution mérite approbation puisque, lorsque les éléments objectifs du statut sont réunis, celui-ci doit s’appliquer de plein droit. Elle considère qu’il ne peut pas y avoir de dispense d’immatriculation à l’égard du preneur commerçant !

§ 2. Les conditions relatives au bailleur

On peut envisager différentes situations :

  • Si le bailleur est une personne mariée et que l’immeuble fait partie de la communauté des biens, il devra obtenir l’accord de son conjoint avant de conclure le bail commercial.

    En règle générale, chacun des époux dispose de tous les pouvoirs pour effectuer seul les actes sur les biens commun (article 1421 du Code civil).
    Cependant, le consentement des 2 époux est nécessaire pour donner un bien à bail rural ou commercial (article 1425 du Code civil).

    Le conjoint donc le consentement n’a pas été recueilli a 2 ans pour demander la nullité du contrat + il peut, dans tous les cas, s’opposer au renouvellement du bail.

  • Si le bailleur est un mineur ou un majeur en tutelle ou curatelle, il lui faut l’accord de son représentant légal.
  • Si l’immeuble est en indivision, la conclusion d’un bail commercial suppose l’accord de tous les indivisaires lorsque l’immeuble est en indivision → principe d’unanimité (article 815-3 du Code civil).

    Un mandat spécial peut être donné par les copropriétaires à l’un deux.

  • Si la propriété de l’immeuble est démembrée (= le titulaire de l’usufruit est une personne différente de celle qui a la nue propriété), l’usufruitier et le nu-propriétaire doivent tous les 2 donner leur consentement.
    (article 595 du Code civil)

    Civ. 3, 24 mars 1999, n°97-16.856 :
    La participation du nu-propriétaire à l’acte s’entend aussi bien de sa conclusion que de son renouvellement.
    → Un usufruitier a besoin du consentement du nu-propriétaire pour renouveler un bail commercial.

    La jurisprudence retient comme sanction la nullité, mais le preneur inquiété peut utiliser la théorie de l’apparence (si l’usufruitier bailleur s’est comportement comme un véritable propriétaire).

Section 2 : Les conditions relatives aux lieux loués

L’article L145-1 du Code de commerce prévoit que le statut des baux commerciaux ne s’applique que “aux baux des immeubles ou locaux dans lesquels un fonds est exploité”.

§ 1. “Des immeubles”

⚠️ Ici, le mot immeuble ne doit pas être pris dans son sens juridique.
Seuls les immeubles bâtis sont susceptibles de faire l’objet d’un bail.
Sont exclus les terrains nus (parkings, champs…).

L’article L145-1 prévoit cependant que les terrains nus peuvent faire l’objet d’un bail commercial quand il va y être construit un bâtiment en vue de l’exploitation commerciale, industrielle ou artisanale du fonds.

§ 2. “Ou locaux”

Un local est un bâtiment en dur nécessaire pour l’exploitation du fonds.
Les locations de constructions démontables ou mobiles sont exclues, parce que ce ne sont pas des immeubles (ex : mobil home).

La notion de local comprend les locaux mixtes (domiciliation d’une activité commerciale dans des locaux loués à usage d’habitation).

§ 3. “Dans lesquels un fonds est exploité”

Le propriétaire d’un immeuble ne peut pas conclure un bail commercial avec une personne qui n’exploite pas de fonds de commerce.
Idée : le preneur ne mérite aucune protection juridique s’il n’exploite pas dans l’immeuble ou le local une clientèle commerciale.

→ La cessation de l’exploitation entraîne la fin du bail commercial.

💡 Il n’est pas nécessaire que la clientèle ait accès aux locaux pour qu’un fonds soit exploité. Le statut des baux commerciaux s’étend donc aussi à des bureaux.
Article L145-1 :
Le statut s’applique aux ”baux de locaux ou d’immeubles accessoires à l’exploitation d’un fonds de commerce quand leur privation est de nature à compromettre l’exploitation du fonds et qu’ils appartiennent au propriétaire du local ou de l’immeuble où est situé l’établissement principal”.

Section 3 : Les conditions relatives à la durée du bail

Article L145-4 du Code de commerce :
En principe, le bail commercial est conclu pour une durée minimum de 9 ans, qui peut être renouvelée.

Il existe des conventions proches du bail qui sont exclues du statut des baux commerciaux, mais qui permettent de conclure des baux + brefs ou + longs :

§ 1. Les conditions relatives au bail de brève durée

On peut conclure un bail < 9 ans dans 3 hypothèses :

A – Les baux dérogatoires

Article L145-5 du Code de commerce :
”Les parties peuvent, lors de l’entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions du présent chapitre à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à trois ans”.

Cette durée était auparavant de 2 ans et a été portée à 3 ans avec la loi du 18 juin 2014.

Com., 14 juin 2006, n°05-14.614 :
Avec ce bail dérogatoire, comme les parties ont choisi de déroger au statut des baux commerciaux, le preneur n’a pas le droit au renouvellement du bail ni à une indemnité d’éviction.

L’article L145-5 ajoute que :
”À l’expiration de cette durée [de maximum 3 ans], les parties ne peuvent plus conclure un nouveau bail dérogeant aux dispositions du présent chapitre pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux”.
→ Le bail dérogatoire ne peut être prévu qu’1 fois.

Si, à l’expiration de la durée de maximum 3 ans :

  • le preneur reste en possession → le bail sera soumis au statut des baux commerciaux ;
  • le bail est renouvelé ou un nouveau bail est conclu entre les mêmes parties pour le même local → le bail sera soumis au statut des baux commerciaux.

B – Les locations saisonnières

L’article L145-5 prévoit que, lorsque les locations ont un caractère saisonnier, il est également permis de déroger à cette durée minimale de 9 ans.

Exemples : location de locaux en bord de plage, commerces des villes balnéaires ou de montagne…

C – Les conventions d’occupation précaire

La convention d’occupation précaire concède l’usage des lieux à titre purement précaire et révocable.
Les parties concluent un bail entaché de précarité lorsqu’une cause objective de précarité le justifie.
Ce doit être une cause extérieure aux parties (circonstance objective et non subjective) : elle ne peut pas découler de la volonté des parties.

Exemple : expropriation, destruction programmée de l’immeuble…

💡 Peu importe la durée du bail : ce qui compte, c’est l’existence d’une cause de précarité.

C’est la jurisprudence qui a d’abord accepté de soustraire ce type de convention à l’application du statut des baux commerciaux.
Ensuite, la loi du 18 juin 2014 a légalisé cette solution en créant l’article L145-5-1 du Code de commerce :

“N’est pas soumise au présent chapitre la convention d’occupation précaire qui se caractérise, quelle que soit sa durée, par le fait que l’occupation des lieux n’est autorisée qu’à raison de circonstances particulières indépendantes de la volonté des parties”.

§ 2. Les conditions relatives au bail de longue durée

Le bail peut aussi être conclu pour une durée supérieure à 9 ans.

A – Le bail emphytéotique

L’article L145-3 du Code de commerce indique que le décret ne s’applique pas aux “baux emphytéotiques”.

Le bail emphytéotique avait été à l’origine conçu pour la mise en valeur et l’entretien de grands espaces ruraux, mais il a vu son cadre d’application s’étendre à toutes sortes de biens immobiliers et s’applique donc aujourd’hui aux immeubles à usage industriel et commercial.

En matière rurale, les dispositions portant sur le bail emphytéotique se trouvent aux articles L451-1 et suivants du Code rural.

Ce contrat porte nécessairement sur un immeuble.
Il assure à l’emphytéote (= le locataire) un droit sur le fonds, dont il aura la maîtrise en contrepartie du paiement d’une redevance prévue au contrat (= le canon) afin d’encourager l’emphytéote à exploiter effectivement le fonds (→ un fonds rural).

Ce bail est une convention de très longue durée : il est conclu pour une durée minimum de 18 ans et maximum de 99 ans.

Le bail emphytéotique a ensuite vu son domaine s’étendre en dehors du Code rural, notamment pour favoriser la construction de logements ou le développement d’activités commerciales et industrielles

Le principe : article L145-3 du Code de commerce → exclusion du statut des baux commerciaux.
Mais l’article L145-3 admet 2 réserves :

  1. En ce qui concerne la révision du loyer (le canon emphytéotique) : en principe, ce bail resterait soumis au statut des baux commerciaux.

    Civ. 3, 19 février 2014, n°12-19.270 :
    Consacre la différence de régime entre bail emphytéotique et bail commercial en interdisant la révision du canon de l’emphytéote selon les dispositions du Code de commerce.
    Pour la Cour de cassation, il ne faut donc pas appliquer les règles sur la révision du loyer issues du statut des baux commerciaux au bail emphytéotique, contrairement à ce que prévoit l’article L145-3.

    Objectif de la Cour de cassation, qui opère ainsi un revirement par rapport à sa jurisprudence antérieure de 1961 (Com., 11 juillet 1961, n°58-11.818) : protéger l’emphytéote qui jouit d’un loyer modique.
    Le canon emphytéotique a vocation à être une redevance modique, contrepartie de l’engagement (≠ obligation) de l’emphytéote de réaliser des améliorations ou des constructions sur le terrain.

    Confirmation : Civ. 3, 8 septembre 2016, n°15-21.381 :
    ”La valeur locative était étrangère à l’économie du contrat de bail emphytéotique, la contrepartie de la jouissance du preneur étant pour le bailleur, non le payement du loyer, mais l’absence de renouvellement et l’accession sans indemnité en fin de bail de tous travaux et améliorations faits par le preneur, la cour d’appel en a exactement déduit que les bailleurs ne pouvaient saisir le juge des loyers commerciaux d’une demande de révision du loyer pour le faire correspondre à la valeur locative, fût-ce en invoquant une évolution favorable des facteurs locaux de commercialité”.

  1. Les baux conclus par l’emphytéote avec un tiers preneur sont soumis au statut commercial (sous réserve de la durée).

B – Le bail à construction

Depuis une loi du 16 décembre 1967, les articles L251-1 et suivants du Code de la construction et de l’habitation régissent le bail à construction.

Le bail à construction est un contrat par lequel le preneur dispose d’un droit réel sur le terrain loué, pendant une durée comprise entre 18 et 99 ans, afin d’y édifier une construction.

Il ressemble à l’emphytéose, mais au lieu d’être aménagé pour les besoins de l’exploitation d’un fonds rural ou commercial, il l’est pour les besoins d’une opération de construction immobilière.

Le preneur est soumis à une obligation de construction.
À la fin du bail, le bailleur retrouve le terrain + il devient propriétaire de l’immeuble édifié.

Objectif : encourager des opérations de promotion immobilière (avantages fiscaux).

C – Le crédit-bail

Le contrat de crédit-bail est une convention complexe par laquelle un établissement financier (= le crédit-bailleur) achète un bien mobilier ou immobilier dont il concède la location à un utilisateur (= le crédit-preneur, pour une durée déterminée).
À la fin de la période de location, le crédit-preneur dispose d’une option : soit acquérir le bien à une valeur résiduelle déterminée, soit ne pas l’acquérir et le restituer, voire obtenir le renouvellement du contrat.

C’est une opération complexe, composée de 3 éléments :
1- la vente d’une chose ;
2- le louage de cette chose ;
3- une promesse unilatérale de vente.

Une loi du 2 juillet 1966, aujourd’hui codifiée aux articles L313-7 à L313-11 et L515-2 et L515-3 du Code monétaire et financier, a règlementé cette pratique venue des États-Unis.

L’article L313-9 du Code monétaire et financier exclut le statut des baux commerciaux en précisant que la faculté de résiliation triennale (article L145-4 du Code de commerce) accorde au locataire ne s’étend pas au contrat de crédit-bail.

Civ. 3, 10 juin 1980, n°79-13.330 :
”Si la convention de crédit-bail immobilier peut faire appel à des éléments empruntés à d’autres contrats, elle constitue une institution juridique particulière, tendant essentiellement à l’acquisition des murs ; […] les dispositions du décret du 30 septembre 1953 ne lui sont pas applicables”.

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