Chapitre 6 : La notion de fonds de commerce

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet de droit des affaires (L2).

Section 1 : Définition et distinctions avec des notions voisines

§ 1. Définition

Dans le premier Code de commerce napoléonien, la notion de fond de commerce était totalement inconnue, parce que le fonds de commerce est une création de la pratique.

Il a fallu attendre une consécration partielle par le législateur à la fin du 19ème siècle avec la loi du 1er mars 1898 relative au nantissement du fonds de commerce → utilise la notion de fonds de commerce.
Elle est ensuite remplacée par la loi du 17 mars 1909 relative à la vente et au nantissement des fonds de commerce, dite loi Cordelet.

Ce sont des lois limitées dans leur champ d’application.
C’est donc une consécration partielle, pour ne traiter que de certaines opérations qui touchent au fonds de commerce.
Il n’existe aucune règlementation d’ensemble du fonds de commerce.

D’autres opérations ponctuelles (ex : location-gérance) touchent le fonds de commerce.
Ici encore, le législateur s’est intéressé à ces opérations par des lois particulières (pour la location-gérance : loi du 20 mars 1956, aujourd’hui articles L144-1 et suivants du Code de commerce).

Le législateur s’est aussi préoccupé du bail commercial.
Lorsque le propriétaire d’un fonds de commerce n’est pas propriétaire de son local, il doit être preneur dans un bail commercial.
Les dispositions sur ce sujet se trouvent aux articles L145-1 et suivants du Code de commerce.

Au gré de ces quelques législations et règlementations, le législateur a utilisé la notion de fonds de commerce sans jamais y apporter une définition légale.

On appelle fonds de commerce l’ensemble des biens meubles corporels et incorporels qu’un commerçant organise et assemble pour conquérir une clientèle : matériel, stocks, nom commercial, enseigne, droit au bail, droits de propriété industriels…

L’intérêt du fonds de commerce est donc de créer, retenir et développer une clientèle. Cette clientèle est ainsi attirée par le fonds de commerce, le savoir-faire du commerçant, les marchandises et leur qualité, l’emplacement du magasin…
C’est la clientèle qui s’est imposée comme l’élément essentiel du fonds de commerce.

§ 2. Distinctions

Il ne faut pas confondre la notion d’entreprise et la notion de fonds de commerce.

L’entreprise vise une multitude d’activités (pas seulement commerciales).
C’est une notion qui est aussi utilisée par exemple en droit du travail.
Elle engendre immédiatement une vision plus restrictive de la matière, puisqu’elle vise l’exploitation commerciale du fonds de commerce.

Le 1er bien du commerçant, c’est son fonds de commerce → approche patrimoniale.
Le fonds de commerce est une notion purement patrimoniale, alors que la notion d’entreprise ne renvoie pas à cette seule notion patrimoniale.

Cependant, les 2 notions en commun qu’il n’a été conféré de personnalité morale ni au fonds de commerce ni à l’entreprise.

À propos de la personnalité morale

En principe, une société est dotée de la personnalité morale. Elle acquiert cette personnalité morale au jour de son immatriculation au RCS.
Cela a 1 effet immédiat : la société devient sujet de droits et d’obligations (→ elle peut contracter).


Le fonds de commerce est un bien : il ne peut être qu’objet de droits.
On peut par exemple procéder à la cession du fonds de commerce, à sa location-gérance, à son nantissement…

Une société comporte aussi différents organes.

Le fonds de commerce n’institue pas d’organes de direction ou contrôle → il n’y pas de techniques d’organisation que l’on retrouve dans les sociétés.

Section 2 : Nature juridique du fonds de commerce

§ 1. Le fonds de commerce, un bien meuble incorporel

Le Code civil nous enseigne qu’il existe 2 catégories de biens : les biens sont soit meubles soit immeubles.
La catégorie des immeubles est strictement et limitativement délimitée par le Code civil : tout ce qui n’est pas listé n’est pas immeuble.
Le fonds de commerce ne rentre pas dans la catégorie des immeubles → il a une nature juridique mobilière.

⚠️ Le fonds de commerce a une nature purement mobilière, donc il demeure distinct de l’immeuble dans lequel il est exploité.
Il ne faut pas confondre le fonds de commerce avec l’immeuble dans lequel il est exploité (« les murs », le local).
Le fonds de commerce ne regroupe que des éléments mobiliers.

Cela signifie aussi qu’habituellement il y a dissociation de l’immeuble et du fonds, parce que ces mêmes biens n’appartiennent pas à la même personne.
Le commerçant est bien titulaire du fonds, mais habituellement il a seulement la qualité de locataire de l’immeuble.

Il arrive parfois moins fréquemment que le commerçant est aussi propriétaire de l’immeuble.
Il est alors propriétaire à la fois de l’immeuble et de son fonds de commerce.
En cas de vente, il y a 2 ventes : la cession du fonds de commerce + la vente d’un immeuble.

§ 2. Le fonds de commerce, une universalité de faits

A – Origine

C’est la jurisprudence qui a qualifié le fonds de commerce d’universalité de faits.
2 dates de référence :
1- Cour de cassation, C com., n°90-20.845 ;
2- C com., 26 nov 1993, n°91-15.877.
→ La Cour de cassation affirme que « un fonds de commerce est une universalité mobilière ».

Si l’on dit que le fonds de commerce est une universalité mobilière, on considère qu’il constitue un tout.
C’est un bien incorporel distinct des éléments qui le composent.
Ces éléments qui constituent le fonds de commerce sont unis par leur destination commune.
Exemples : la clientèle, l’enseigne, le nom commercial, le matériel, les marchandises…

L’universalité de fait, c’est ce cumul d’éléments constitutifs du fonds unis par cette destination commune.

Il ne faut pas confondre universalité de fait et universalité de droit :

B – Le fonds de commerce n’est pas doté d’une autonomie juridique

Le fonds de commerce n’est pas un être moral autonome : il n’a pas d’autonomie juridique.
On ne peut donc pas parler d’universalité de droit.

Cela revient à considérer que le fonds de commerce n’est pas distinct de la personne de l’exploitant.

Cela signifie aussi que le fonds de commerce ne peut pas avoir de patrimoine propre.
Le fonds de commerce n’a ni actif ni passif propre.

→ Les créances et les dettes restent personnelles au commerçant : elles sont exclues du fonds de commerce.

C’est un principe constant rappelé par la jurisprudence : le fonds de commerce n’a pas un patrimoine autonome et ne comprend ni les dettes ni les créances du commerçant.

Cour de cassation, 12 janvier 1937 : « la vente du fonds n’opère pas transport des créances à l’acquéreur, sauf l’effet de clauses spéciales ».

Cour de cassation, chambre commerciale, 21 juin 1950 : « les créances possédées par un commerçant, même pour cause commerciale, ne deviennent pas un élément du fonds de commerce ».

C – Et les contrats conclus pour les besoins de l’activité commerciale ?

Cour d’appel de Paris, 19 juin 1991 (commenté par le professeur Jean Derruppé dans RTD Com. 1991 p.566) :

« Il est de principe constant que le fonds de commerce n’est pas un patrimoine autonome et ne comprend ni les dettes ni les créances du commerçant ; par voie de conséquence, les contrats en sont exclus ; il n’est d’exception que pour certains d’entre eux admis par la loi, à savoir les contrats de travail, d’assurance, d’édition et de bail ; pour tous les autres, il appartient aux parties de prévoir leur inclusion, ce qui peut être fait de manière expresse ou tacite et dans les cas seulement où lesdits contrats n’ont pas été passés intuitu personae« .

Les contrats sont exclus.
En principe, il n’y a pas non plus le transfert des contrats conclus pour l’exploitation commerciale lors de la cession du fonds de commerce.
Mais il y a un certain nombre d’exceptions légales.

Cour de cassation, 28 juin 2017, n°15-17.394 :
Une société conclut avec une agence immobilière un contrat de mandat en vue de la recherche d’un domaine agricole à acquérir.
Question : en cas de vente de ce fonds de commerce, ce contrat de mandat suit-il la cession du fonds de commerce ?
La cour d’appel avait décidé « que le mandat de recherche d’un bien immobilier à acquérir fait partie de la clientèle d’un fonds de commerce d’agent immobilier, et que l’acte de cession du fonds de commerce comprenant la clientèle, le mandat a été cédé de plein droit ».
Pour la Cour de cassation, « la cession d’un fonds de commerce n’emportant pas, sauf exception prévue par la loi, la cession des contrats liés à l’exploitation de ce fonds, la cession d’un fonds de commerce d’agent immobilier n’emporte pas cession des mandats confiés à ce professionnel ».

De la même façon, en cas de cession de fonds de commerce, il n’y aura pas cession des contrats de distribution.
Pourtant, on pourrait se dire que lorsqu’un commerçant a conclu un contrat de distribution / de franchise / …, ce contrat fait partie de l’exploitation.

Cour de cassation, 19 octobre 2022, n°21-16.169 :
« La cession d’un fonds de commerce comprenant la cession de la propriété des droits sur des marques n’emporte pas cession du contrat de distribution exclusive des produits revêtus de ces marques ».
→ Illustre le principe de non-cession des contrats de distribution lors de la cession du fonds de commerce.

Quid des exceptions ? Est-ce que certains contrats sont transmis avec le fonds de commerce ?

Il y a cession du droit au bail en cas de cession du fonds de commerce.
Texte de référence : article L145-16 du Code de commerce.
« Sont réputées non écrites, quelque soit leur forme, les conventions tendant à interdire au locataire de céder son bail ou les droits qu’il tient du présent chapitre à l’acquéreur de son fonds de commerce ou de son entreprise ou au bénéficiaire du transfert universel de son patrimoine professionnel. »
Si je cède mon fonds de commerce, on ne peut donc pas m’interdire de céder en même temps mon bail.

Cette formule a été modifiée avec la loi du 14 février 2022 sur l’entrepreneur individuel.
Cette loi opère notamment une distinction des patrimoines en consacrant le patrimoine professionnel de tout entrepreneur individuel + en en permettant le transfert universel.
L’article L145-16 s’en fait l’écho en mentionnant le transfert universel.

Autre exception légale importante : le maintien des contrats de travail.
Cela est prévu par l’article L1224-1 du Code du travail, situé dans le chapitre intitulé « Transfert du contrat de travail ».
« Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l’employyeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l’entreprise, tous les contrats de travail au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise ».
Cet article une incidence non négligeable en droit des entreprises.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *