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La loi d’Allarde des 2 et 17 mars 1791 prévoit à son article 7 : « il sera libre à toute personne de faire tel négoce ou d’exercer tel profession, art ou métier qu’elle trouvera bon ».
Elle pose ainsi le principe de la liberté du commerce et de l’industrie.
→ À priori, tout le monde peut être commerçant.
Le texte indique que cette personne « sera tenue de se conformer au règlement de police qui sont ou pourront être faits » → il y a tout de même des règles.
Le législateur ne s’est pas privé d’intervenir pour encadrer la liberté de commerce et de l’industrie.
Contenu
Section 1 : Les restrictions légales
§ 1. Les restrictions liées à la personne
Les restrictions liées à la personne peuvent être :
- Soit des restrictions d’intérêt privé : il s’agit de maintenir hors du statut de commerçant des personnes qui n’ont pas la pleine capacité juridique pour accéder à la profession de commerçant ;
- Soit des restrictions d’intérêt public : on cherche à protéger un intérêt général.
A – Les restrictions d’intérêt privé (les incapacités)
1) Les mineurs
Le mineur ne peut pas être commerçant et ne peut donc pas conclure d’actes de commerce.
L’article 413-8 du Code civil dispose :
« Le mineur émancipé peut être commerçant sur autorisation du juge des tutelles au moment de la décision d’émancipation et du président du tribunal judiciaire s’il formule cette demande après avoir été émancipé ».
+ Article L121-2 du Code de commerce : seul le mineur émancipé peut être commerçant.
Le mineur non émancipé a une incapacité juridique et ne peut donc pas être commerçant.
On ne peut donc exercer la profession commerciale qu’à compter de 18 ans (sauf émancipation).
→ Un mineur ne peut pas être attrait devant les juridictions commerciales.
Voir aussi : articles du Code civil sur l’émancipation.
L’incapacité pour un mineur à être commerçant est une incapacité de jouissance.
≠ incapacité d’exercice.
À contrario, l’incapacité d’exercice découle du fait que l’on est titulaire d’un droit (= capacité de jouissance), mais que l’on n’a pas la possibilité de mettre en œuvre le droit dont on est titulaire.
Non seulement le mineur n’a pas la capacité juridique d’être commerçant, mais surtout aucun procédé détourné ne peut lever cette incapacité, car il s’agit d’une incapacité de jouissance et non pas d’une incapacité d’exercice.
Le mineur peut être propriétaire d’un fonds de commerce.
Dans ce cas là, il peut le donner immédiatement en location-gérance, parce que dans la location gérance le propriétaire du fonds n’a pas à être immatriculé au RCS.
(le mineur ne peut pas être immatriculé au RCS)
Un mineur peut être associé d’une société commerciale dans laquelle les associés n’ont pas la qualité de commerçant.
2) Les incapables majeurs
Le Code civil a été réformé sur ce point en 2016 : il inclut désormais une sous-section consacrée à la capacité.
- Le majeur sous sauvegarde peut être commerçant, puisque par principe il conserve l’exercice de ses droits.
L’article 433 du Code civil vise « l’accomplissement de certains actes déterminés ».
- Le majeur sous curatelle :
Civ. 1, 6 décembre 2018, avis :
Est-ce qu’un majeur sous curatelle peut être commerçant ?
En l’espèce, une personne sous curatelle envisageait d’exercer une activité « d’apporteur d’affaires en agence immobilière ».
Constat fait par la 1ère chambre civile : il n’y a aucune disposition spécifique, ni dans le Code de commerce ni dans le Code civil.
Elle estime que « si aucun texte n’interdit à la personne en curatelle d’exercer le commerce, celle-ci devant toutefois être assistée de son curateur pour accomplir les actes de disposition que requièrent l’exercice de cette activité« .
💡 Les actes de disposition sont les actes les + graves.
- Le majeur sous tutelle ne peut pas devenir commerçant ni exercer d’actes de commerce, puisqu’il est privé de toute capacité juridique.
Le tuteur du majeur incapable ne peut pas faire d’actes de commerce pour le compte de l’incapable (l’article 509 3° du Code civil dispose que « le tuteur ne peut, même avec une autorisation […] exercer le commerce ou une profession libérale au nom de la personne protégée »).
Pour les actes faits quand même par un majeur sous tutelle, la sanction est la nullité.Et si cette incapacité atteint un majeur en cours d’exercice de sa profession commerciale ?
→ Le fonds de commerce peut être vendu, voire être mis en location-gérance.
Des obligations règlementaires incombent au curateur ou au tuteur.
Les articles R123-45 et R123-46 du Code de commerce posent un délai d’1 mois pour effectuer une “demande d’inscription modificative », notamment pour les « décisions définitives plaçant un majeur sous tutelle ou sous curatelle […], qui en donnent main levée ou qui les rapportent ».
B – Les restrictions d’intérêt général
1) Les incompatibilités
4 types de professionnels ne peuvent pas devenir commerçants :
- les fonctionnaires de l’Etat ou des collectivités territoriales ;
- les officiers ministériels (= titulaires d’un office ; exemple : notaires) ;
- les parlementaires ;
- les membres de certaines professions libérales (avocats, médecins…).
Ces incompatibilités s’expliquent par un motif de conscience professionnelle.
Idée : la profession de commerçant est suffisamment absorbante pour être exercée seule.
De plus, le commerçant est animé principalement par la volonté de réaliser des bénéfices, alors que le fonctionnaire ou le membre d’une profession libérale doit être animé par l’intérêt général.
Les sanctions peuvent aller du blâme à la destitution d’un officier ministériel.
2) Les interdictions
L’article L249-1 du Code de commerce indique clairement que certaines personnes physiques peuvent être coupables d’infractions et à ce titre encourir une incapacité commerciale à titre de peine complémentaire.
Ces infractions renvoient à différents chapitres du Code de commerce et comprennent notamment toutes les infractions qui concernent les sociétés commerciales (SARL, SA, SAS).
Exemple : l’article L241-3 du Code de commerce définit une infraction qui concerne les SARL :
« Est puni d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 375 000 euros :
1° Le fait, pour toute personne, de faire attribuer frauduleusement à un apport en nature une évaluation supérieure à sa valeur réelle ; ».
Cette infraction peut entraîner une condamnation pénale, mais elle peut aussi être sanctionnée doublement, parce qu’il est possible d’y adjoindre une peine complémentaire : l’incapacité commerciale.
L’article L249-1 du Code de commerce renvoie au Code pénal pour les modalités. On apprend dans le Code pénal que cette peine complémentaire est soit définitive soit temporaire.
Le législateur fait aussi de l’interdiction temporaire d’exercer une profession temporaire ou commerciale une peine complémentaire pour des délits fiscaux.
Enfin, en cas de faillite personnelle retenue à l’encontre d’un chef d’entreprise, l’interdiction d’être commerçant est une sanction facultative qui peut être retenue à son encontre, parce que l’on considère qu’il a commis une faute grave de gestion.
(article L653-2 du Code de commerce)
3) Les autorisations
Il ne s’agit pas d’autorisations au sens large pour exercer le commerce, mais il y a des hypothèses dans lesquelles on peut s’interroger sur la nécessité d’une autorisation.
Un étranger peut-il exercer le commerce en France ?
Il faut mettre de côté les personnes citoyennes des États membres de l’Union européenne, grâce au traité de Rome, qui a mis en place un marché commun, remplacé ensuite par le traité de Maastricht, qui met en œuvre un marché unique.
Pendant un temps, il fallait obtenir une carte de commerçant étranger, mais cette carte a été supprimée par l’ordonnance du 25 mars 2004.
Il y a eu bon nombre de réformes depuis. En particulier, la loi du 16 mars 2016 relative aux droits des étrangers en France a instauré le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui est le Code de référence en la matière.
Cette loi a instauré une carte de séjour temporaire portant la mention “entrepreneur – profession libérale”, pour une activité pouvant être une activité commerciale ou une activité étant une profession libérale.
La loi de 2016 n’a pas remis en cause tout le dispositif des cartes de séjour, mais seulement la nécessité d’une carte de séjour pour les entrepreneurs et les professions libérales.
Cette carte de séjour temporaire a été introduite à l’article L313-10 du CESEDA.
Elle autorise l’exercice d’une activité professionnelle pour une durée maximale d’1 an.
L’activité doit être une activité non salariée, économiquement viable et dont le bénéficiaire tire des moyens d’existence suffisants.
La loi de 2016 a aussi introduit la carte de séjour pluriannuelle.
§ 2. Les restrictions liées à l’activité
A – Les activités prohibées
Voir l’article 16-5 du Code civil : « les dispositions du présent chapitre sont d’ordre public”.
B – Les activités règlementées
En théorie, on pourrait exercer n’importe quelle activité commerciale.
L’acte de commerce peut être une activité qu’on exerce en entreprise, en succursale, en agence, activité de transport, de courtage, de commission, …
De nombreuses activités sont règlementées.
Exemple : règlementations sur les activités bancaires.
Exemple : règlementations sur les activités d’assurance.
À part ces règlementations, on peut considérer que certaines activités commerciales sont soumises à un régime d’autorisations administratif, qui nécessite la délivrance d’une licence.
Exemple : débits de boisson ou de tabac.
Exemple : ouverture d’une officine pharmaceutique → le Code de la santé publique pose des conditions de diplôme, d’inscription à l’ordre des pharmaciens…
On constate aussi le développement d’un régime d’autorisation sur l’ouverture des magasins à grande surface.
Le texte d’origine est la loi Royer de 1973, qui avait pour objectif de limiter la prolifération des grandes surfaces au détriment des petits commerces, en soumettant à autorisation l’ouverture de commerces selon leur taille.
Cette autorisation est accordée par une commission départementale d’aménagement commercial.
La loi Royer a été modifiée à de nombreuses reprises (notamment pour modifier le seuil en m²).
Le régime des commissions elles-mêmes se trouve aux articles L751-1 et suivants ; plus précisément, la liste des projets soumis à autorisation se trouve aux articles L752-1 et suivants.
Cela veut surtout dire que ce texte est nécessairement actualisé en fonction de l’essor du commerce.
Par exemple, la loi ALUR de 2014 “pour l’accès au logement et pour un urbanisme rénové” ajoute “la création ou extension d’un point permanent de retrait par la clientèle d’achats au détail commandée par voie télématique, organisée pour l’accès en automobile” → les drive.
La loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique, dont le chapitre 3 est intitulé Lutter contre l’artificialisation des sols en adoptant des règles d’urbanisme, affirme que « afin d’atteindre l’objectif national d’absence de toute artificialisation nette des sols en 2050, le rythme de l’artificialisation des sols dans les 10 années (suivantes) doit être tel que, sur cette période [jusqu’en 2050], la consommation totale d’espace observée à l’échelle nationale soit inférieur à la moitié de celle observée sur les 10 années précédant cette date ».
Elle modifie donc l’article L752-6 du Code de commerce pour ajouter que « l’autorisation d’exploitation commerciale ne peut être délivrée pour une implantation ou une extension qui engendrerait une artificialisation des sols ».
C’est le principe. Ce n’est que par dérogation que la loi soumet à certains critères la délivrance de l’autorisation d’exploitation commerciale.
Sauf qu’aujourd’hui, il y a un large essor du commerce électronique.
Exemple : développement d’entrepôts Amazon, qui n’entrent pas dans le régime d’autorisation commerciale évoqué précédemment (les dispositions précitées n’incluent pas les entrepôts logistiques destinés au commerce en ligne).
Un amendement avait été proposé sur la question et proposait de soumettre à autorisation d’exploitation commerciale les entrepôts.
L’argument a ensuite été soulevé par des députés auprès du Conseil constitutionnel : ils soutenaient que ces dispositions ne s’appliquent pas aux entrepôts du commerce en ligne, quand bien même leur implantation engendre une artificialisation des sols, ce qui entraînerait une « différence de traitement injustifiée entre entreprises du commerce en ligne et celles qui exercent une activité de commerce physique, en méconnaissance du principe d’égalité devant la loi ».
L’argument est judicieux, mais le Conseil constitutionnel a écarté ce grief.
Section 2 : Les restrictions conventionnelles
§ 1. La clause d’exclusivité
A – Définition
Les clauses d’exclusivité sont variées : exclusivité d’approvisionnement, de fourniture, de marque, territoriale…
Dans l’exclusivité d’approvisionnement, un commerçant s’oblige contractuellement à ne s’approvisionner exclusivement que chez tel partenaire ou producteur déterminé. Il peut y avoir réciprocité avec une exclusivité de fourniture :
Dans l’exclusivité de fourniture, un fournisseur s’engage à ne fournir exclusivement qu’un revendeur en particulier (il s’interdit d’approvisionner d’autres qui en feraient la demande).
Dans l’exclusivité de marque, un revendeur ne vend que les produits d’une marque en particulier.
Tout cela est souvent très lié : si on est franchisé d’une telle marque, on est lié exclusivement à cette marque et on ne vend que ses produits.
La notion de multimarquisme est aussi née en droit européen.
Exemple : un concessionnaire automobile peut vendre des véhicules automobiles de marques différentes à condition que les locaux soient suffisamment distincts.
Quand il y a multimarquisme, il n’y a pas exclusivité.
La Commission européenne publie son règlement d’exemption + des lignes directrices.
Les clauses d’exclusivité restreignent la liberté de commercer.
Exemple : le commerçant soumis à une clause d’approvisionnement exclusif se prive volontairement d’autres fournisseurs.
On n’est pas loin d’un assujettissement juridique → la requalification n’est pas loin…
B – Dispositif légal (articles L330-1 et L330-2)
Le 14 octobre 1943, le législateur est intervenu afin de limiter la durée des engagements d’exclusivité.
Ce dispositif portait à l’origine pour les contrats de bière, qui lient un brasseur producteur de bière à des débiteurs de boissons qui vendent la bière.
Aujourd’hui, cette limite est posée aux articles L330-1 et L330-2 du Code de commerce.
Ce premier texte limite à 10 ans « la durée de validité de toute clause d’exclusivité par laquelle l’acheteur, cessionnaire ou locataire de biens meubles, s’engage vis-à-vis de son vendeur, cédant ou bailleur, à ne pas faire usage d’objets semblables ou complémentaires en provenance d’un autre fournisseur ».
L’article L330-2 ajoute que « lorsque le contrat comportant la clause d’exclusivité […] est suivie ultérieurement entre les mêmes parties d’autres engagements analogues portant sur le même genre de biens, les clauses d’exclusivité contenues dans ces nouvelles conventions prennent fin à la même date que celles figurant au 1er contrat ».
Objectif : éviter que contrats ne s’enchaînent les uns aux autres pour dépasser la durée de 10 ans, ce qui ne libère jamais le cocontractant et crée une dépendance.
C – Sanction du dépassement de la durée légale (applications jurisprudentielles)
Que se passe-t-il si, dans des relations commerciales, on voit qu’il existe une clause qui prévoit une durée d’approvisionnement exclusif supérieur à 10 ans ?
L’évolution de la jurisprudence a connu 3 temps forts :
- On admet comme sanction la caducité : lorsque le contrat d’achat exclusif était consenti ou exécuté pendant une durée supérieure à la durée maximale de 10 ans, la jurisprudence considérait que le contrat devenait caduc à l’expiration du délai de 10 ans.
Ce principe a été posé par 2 arrêts du même jour :
- Com., 11 mars 1981, n°79-12.532 :
« Le premier contrat conclu le 14 mai 1947 était venu à expiration le 14 mai 1957 par application de la loi du 14 octobre 1943 [à l’époque, la loi n’était pas encore introduite dans le Code de commerce] limitant à 10 ans la durée maximale de la validité de toute clause d’exclusivité… »
La Cour de cassation dit que le contrat « vient à expiration” 10 années plus tard ; autrement dit, le contrat est valide pendant 10 ans puis il devient caduc.
- Com., 11 mars 1981, n°79-16.147 :
Pris au visa de l’article 1er de la loi de 1943.
- Com., 11 mars 1981, n°79-12.532 :
- La Cour de cassation a ensuite durci sa position en annulant le contrat convenu pour une durée supérieure à 10 ans.
Arrêt de référence :
Com., 7 avril 1992, PepsiCo contre Perrier :
La société PepsiCo et la société Perrier concluent en 1962 un contrat aux termes duquel la société Perrier s’engageait pour une durée de 60 ans à mettre en bouteille, à partir d’un concentré fourni par la société PepsiCo, une boisson gazeuse.
La société PepsiCo décide de résilier unilatéralement le contrat ; elle assigne la société Perrier en caducité de la clause d’approvisionnement exclusif et soulève elle-même la nullité de la totalité du contrat.
Dans cet arrêt, la Cour de cassation se réfère au caractère d’ordre public des dispositions de la loi de 1943 : elle estime que la nullité est absolue et qu’elle peut être invoquée par toute personne y ayant intérêt.Cet arrêt était particulièrement critiquable, parce que la Cour de cassation se réfère à une nullité absolue.
Or une nullité est relative lorsque le législateur protège un intérêt particulier. La loi de 1943 vient réprimer des abus de dépendance → protège un intérêt particulier.
Il y a donc plus lieu à y voir une nullité relative qu’une nullité absolue.
Ici, la Cour de cassation offre la possibilité à la tête de réseau de se désengager → celui qui était en position de force se retrouve titulaire de l’action.La Cour de cassation n’a pas été insensible aux critiques :
- Retour à la caducité avec l’affaire ED (Com., 10 février 1998) :
Une multitude de contrats de location-gérance de fonds de commerce sont passés, avec des clauses d’approvisionnement exclusif d’une durée de 15 ans pour des fruits et légumes.
Constatant que la clause d’exclusivité est supérieure à 10 ans, la cour d’appel prononce la nullité des contrats → elle reste fidèle à la jurisprudence de la Cour de cassation.
La Cour de cassation censure l’arrêt au visa de l’article 1er de la loi de 1943 : « les contrats étaient valides jusqu’à l’échéance du terme de 10 ans« .
Certains arrêts de cour d’appel sont venus dire que la sanction n’atteignait pas le contrat lui-même, mais admettaient la réduction de la durée de la clause à 10 ans.
Mais ce ne sont que des arrêts de cour d’appel.
La réflexion pourrait néanmoins être renouvelée aujourd’hui du fait de la réforme de 2016, qui a ajouté un nouvel article sur la sanction de la caducité dans le Code civil.
L’article 1186 prévoit que « Un contrat valablement formé devient caduc si l’un de ses éléments essentiels disparaît.”
L’article 1187 prévoit que « La caducité met fin au contrat ».
Ça colle avec ce que disait la Cour de cassation (la caducité met fin au contrat à partir de 10 ans),
mais ça voudrait dire qu’on pourrait être satisfait de l’analyse que si on faisait de la clause d’exclusivité d’approvisionnement un élément essentiel du contrat.
Dans la jurisprudence du droit européen, de nombreux arrêts expliquent que la clause d’approvisionnement exclusif est un élément essentiel du contrat.
Par définition, la franchise n’existe qu’en raison de la clause d’exclusivité.
Dès lors, que devient la distribution exclusive sans exclusivité, si on dit que la clause d’exclusivité n’est pas un élément essentiel du contrat ?
§ 2. La clause de non-concurrence (et clause de non-réaffiliation)
A – Définition
La clause de non-concurrence est celle par laquelle une des parties s’interdit de faire concurrence à l’autre partie.
💡 Elle peut exister en cours de contrat, mais elle s’observe plus généralement dans les textes et dans la jurisprudence lorsqu’elle prend effet à la rupture du contrat.
En cours de contrat, il faut la distinguer de la clause de confidentialité.
Un même contrat peut contenir les 2, avec par exemple une clause de confidentialité pendant l’exécution du contrat + une clause de non-concurrence qui prend effet à la fin du contrat.
Cela s’observe notamment dans les contrats de franchise, pour lesquels l’élément essentiel du contrat est l’existence d’un savoir-faire.
C’est le savoir-faire qui explique l’existence d’une clause de confidentialité en cours d’exécution d’un contrat de franchise (pour ne pas délivrer le savoir-faire aux concurrents pendant le contrat) + l’existence d’une clause de non-concurrence à la rupture du contrat.
On peut analyser la clause de non-concurrence à la rupture du contrat comme une restriction conventionnelle à la liberté d’exercer le commerce.
Idée : à la rupture du contrat, je m’interdis d’exercer la même activité pendant une certaine durée.
B – Les conditions de validité
Très tôt, c’est la jurisprudence qui a dressé les conditions de validité de la clause de non-concurrence ; aujourd’hui, quelques incursions législatives sont venues préciser ces conditions.
La jurisprudence pose traditionnellement plusieurs conditions cumulatives :
- La clause doit être limitée dans le temps.
L’appréciation est jurisprudentielle : les juges vérifient que la limitation n’est pas trop forte et qu’il n’y a pas d’excessivité.
Il faut que ça soit « proportionnel aux intérêts à préserver ».
Des durées de 1 ou 2 ans sont traditionnellement acceptées, mais pas de 30 ans.
- La clause doit être limitée dans l’espace.
Le lieu doit être très clairement indiqué dans la clause de non-concurrence : on la limite à un quartier / à une ville / à un arrondissement / à un département…
Ici encore, il y a une appréciation faite par les juges : il faut que ça soit proportionné.La chambre sociale de la Cour de cassation a par exemple déterminé que la clause de non-concurrence insérée dans le contrat de travail d’un laveur de vitres effective sur une durée de 5 ans et sur un rayon de 30 kilomètres était excessive.
- La clause doit être spéciale et légitime.
L’activité interdite doit être strictement ciblée et définie dans le contrat.Il est inconcevable d’interdire toute forme d’activité commerciale.
La clause de non-concurrence doit donc déterminer l’activité de façon suffisamment précise sous peine que cette clause soit jugée illicite.Concernant la légitimité de la clause : elle doit protéger un intérêt légitime.
Exemple : la protection d’un savoir-faire dans un contrat de franchise.
-
Concernant la protection du savoir-faire par les clauses de non-concurrence
Cela est inclus dans les lignes directrices du règlement d’exemption.
Il y a encore des débats sur ce sujet aujourd’hui. Un colloque s’est tenu à la Cour de cassation en mars 2023 sur le déséquilibre dans le contrat de franchise.
Le droit européen a toujours légitimé la clause de non-concurrence dans les contrats de franchise comme la protection du savoir-faire.Les contrats de franchise s’appelle aussi contrats de réitération, parce qu’ils ont pour objet pour un franchiseur de réitérer un savoir-faire → le franchiseur donne le droit aux franchisés de réitérer ce savoir-faire.
La professeure Amiel-Cosme considère que les clauses de non-concurrence sont évidemment là pour protéger un savoir-faire, ce qui constitue une protection à outrance.
En cas d’illicéité, la clause est nulle.
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Culture générale : une spécificité existe en droit du travail
Parfois, la chambre sociale ne retient pas la nullité, mais la simple réduction de la clause dans le temps et dans l’espace.
→ La non immixtion du juge dans le contrat est une période révolue…
Voir notamment : arrêt de la chambre sociale du 18 septembre 2002 (n°00-42.904).
C – Domaines d’application
En dehors des relations commerciales, on trouve la clause de non-concurrence dans les contrats de travail.
La chambre sociale de la Cour de cassation considère que l’on doit verser une rémunération en contrepartie de la soumission d’un salarié à une clause de non-concurrence.
C’est ainsi qu’est née la contrepartie financière qu’un employeur doit verser à son ex-salarié qui est soumis à la clause de non-concurrence à la rupture du contrat.
En droit du travail, la validité même de la clause de non-concurrence est soumise à cette autre condition particulière qui s’ajoute aux autres.
Référence : série d’arrêts du même jour, Soc., 10 juillet 2002.
💡 Jusqu’alors, il il pouvait y avoir une contrepartie financière (liberté contractuelle oblige) ; elle était souvent prévue dans la convention collective et non dans le contrat de travail lui-même.
→ Exigence d’une contrepartie financière pour ceux qui ont la qualité de salarié.
Évidemment, tous ceux qui n’ont pas la qualité de salarié ont essayé d’obtenir cette contrepartie financière ; une jurisprudence abondante s’est développée en droit commercial.
Est-ce que cette restriction conventionnelle à la liberté d’exercer le commerce permet d’obtenir une indemnisation ?
Non, il n’y a pas eu d’extension de cette jurisprudence en droit des affaires.
Illustration : Com., 8 octobre 2013 :
Lors d’une cession de droits sociaux, je cède mes titres et je m’engage à une clause de non-concurrence.
La chambre commerciale dit « que sa validité n’est subordonnée à l’existence d’une contrepartie financière que dans le cas où ses associés ou actionnaires avaient, à la date de leur engagement, la qualité de salarié de la société ».
→ Ce qui importe : la qualité de salarié.
Si on a la qualité de salarié, la clause de non-concurrence doit prévoir une contrepartie financière.
Il n’y a pas non plus d’extension de la jurisprudence de la chambre sociale à des intermédiaires du commerce.
La restriction conventionnelle à la liberté d’exercer le commerce s’impose à ces intermédiaires du commerce sans versement d’une contrepartie financière.
Illustration : l’agent commercial.
Le statut protecteur de l’agent commercial se trouve dans le Code du commerce à l’article L134-1.
L’article L134-2 au droit au versement d’une indemnité « en réparation du préjudice subi du fait de la rupture du contrat ».
L’article L134-13 prévoit les cas où la réparation n’est pas due ; il exclut ce droit à réparation en cas de faute grave et lorsque la cessation du contrat résulte de l’initiative de l’agent.
Un agent commercial pourrait-il obtenir plus que cette indemnité s’il est soumis à une clause de non-concurrence (contrepartie financière) ?
En réalité, dans le statut de l’agent commercial, il y a une disposition qui concerne la clause de non-concurrence : l’article L134-14 prévoit que “Le contrat peut contenir une clause de non-concurrence après la cessation du contrat. »
+ son alinéa 2 est l’application légale des conditions traditionnelles de validité de la clause de non-concurrence : « Cette clause doit être établie par écrit et concerner le secteur géographique et, le cas échéant, le groupe de personnes confiés à l’agent commercial ainsi que le type de biens ou de services pour lesquels il exerce la représentation aux termes du contrat. »
Le législateur n’a pas prévu dans ce texte une contrepartie financière pour la validité de la clause de non-concurrence de l’ancien agent commercial.
Le juge ne peut pas en admettre une, parce que ce n’est pas dans le texte (séparation des pouvoirs).
Com., 4 décembre 2007 : « le législateur n’a pas entendu que l’obligation de non-concurrence soit indemnisée lorsque la clause qui la stipule est conforme aux dispositions de l’article L134-14 du Code de commerce ».
Elle rejette ainsi l’action d’un agent commercial qui prétendait obtenir une contrepartie financière du fait de la clause de non-concurrence à laquelle il était soumis à la rupture du contrat.
Par ailleurs, l’intervention du législateur par la loi Macron du 6 août 2015 a permis d’intégrer 2 articles dans le Code de commerce, et en particulier l’article L341-2 du Code de commerce dans une section intitulée « Des réseaux de distribution ».
Ce texte s’applique aux clauses qui prennent effet à la rupture du contrat de distribution (= clauses post-contractuelles), en particulier les clauses de non-concurrence.
En application de ce texte, la clause de non-concurrence devra, pour être valable :
- Concerner des biens et services en concurrence avec ceux qui font l’objet du contrat de distribution ; (→ limitation spéciale)
- Être limitée aux terrains et locaux à partir desquels l’exploitant exerce son activité pendant la durée du contrat ; (→ limitation géographique)
- Être indispensable à la protection du savoir-faire substantiel, spécifique et secret transmis dans le cadre du contrat (ces qualificatifs viennent du droit européen) ;
- Ne pas excéder une durée d’1 an après la déchéance ou la résiliation du contrat.
Ce sont des conditions cumulatives.
Ces clauses de non-concurrence sont ainsi légitimées par le législateur, même si elles restreignent la liberté d’exercer le commerce.
Ces conditions de limitation sont directement inspirées du droit européen (les règlements d’exemption contenaient exactement ces limitations).
Est-ce que le législateur a prévu une contrepartie financière à cette clause de non-concurrence ?
Un franchisé peut-il demander une telle contrepartie parce qu’il est soumis à une clause de non-concurrence ?
Non : en 2017, la chambre commerciale vient dire que le législateur n’a pas entendu que l’obligation de non concurrence soit indemnisée lorsque la clause qui la stipule est conforme aux dispositions de l’article L134-14 du Code de commerce.
La question ne s’est pas posée s’agissant d’un fournisseur, mais pourquoi jugerait-on différemment ?
La même solution s’applique avec la même évidence : on ne va pas ajouter une condition (la contrepartie financière) qui n’a pas été prévue en 2015 par le législateur.
Un arrêt était venu dire qu’un franchisé pouvait obtenir une indemnisation parce que, si le franchisé ne pouvait pas exercer l’activité, qui récupère la clientèle propre développée par le franchisé ?
→ Indemnisation pour enrichissement sans cause.
Mais dans la même affaire, il y a eu un 2nd pourvoi : on ne peut pas utiliser ce fondement pour indemniser le franchisé.
Le protocole additionnel n°1 de la Convention EDH défend le droit de la propriété : “Chacun a droit au respect de ses biens ».
La CEDH a affirmé que la clientèle est un bien au sens de l’alinéa 1er de l’article 1er de ce 1er protocole additionnel. En effet, en droit des affaires, la clientèle est une valeur patrimoniale ; c’est donc un bien.
Chacun a droit à la protection de ses biens et, s’il y a atteinte à un bien / à une valeur patrimoniale, on doit être indemnisé.
Donc si le franchisé, par le jeu d’une clause de non-concurrence, ne peut plus développer son fonds de commerce parce qu’il ne peut pas exploiter sa clientèle, la clause de non-concurrence qui porterait atteinte à cette valuer patrimoniale nécessiterait l’octroi d’une indemnisation à ces franchisés : on devrait avoir droit au recours au droit des biens pour avoir une telle solution.
D’autres arrêts de la CEDH nous indiquent pour quels cas de figure est-ce qu’il peut y avoir des atteintes à la substance du droit de propriété.
Par exemple, le propriétaire d’un immeuble qui était sous le coup d’une expulsion pour raison d’utilité publique peut saisir la CEDH parce qu’il considère qu’il y a atteinte à la substance de son droit de propriété : il ne peut pas jouir de la propriété de la façon la plus absolue, par exemple en l’hypothéquant.
Pour le franchisé, n’y a-t-il pas atteinte à la substance du droit de propriété, puisqu’il l’exploite mais est soumis à des restrictions et est donc privé de l’exploiter pleinement ?
Il n’est pas sûr que cet argument soit un jour soumis à la Cour de cassation, mais il est intéressant.
Concernant les clauses de non-affiliation / non-réaffiliation :
On sait que les dispositions de la loi Macron visent aussi les clauses de non-réaffiliation, et non seulement celles de non-concurrence, parce que le texte vise les clauses post-contractuelles (qui englobent ces clauses de non-réaffiliation).
C’est dans les années 2010 que l’on commence à s’intéresser à ces clauses de non-réaffiliation.
Dans un arrêt du 28 septembre 2010, la chambre commerciale affirme que « la clause de non-concurrence a pour objet de limiter l’exercice par le franchisé d’une activité similaire ou analogue à celle du réseau qu’il quitte, tandis que la clause de non-réaffiliation se borne à restreindre sa liberté d’affiliation à un autre réseau ».
→ Un franchisé peut être à la fois soumis à une clause de non-concurrence et à une clause de non-réaffiliation.
Pour l’appréciation de la validité des clauses de non-réaffiliation, on utilise les même conditions de validité posées par l’article L341-2, puisqu’il s’applique à toutes les clauses post-contractuelles (= clauses de non-concurrence + de non-réaffiliation).
Dans un arrêt du 31 janvier 2012 (n°11-11.071), la Cour de cassation dit que cette clause n’exige aucune rémunération.
- Les clauses de non-concurrence et de non-réaffiliation sont des restrictions conventionnelles à la liberté d’exercer le commerce ;
- À part pour celui qui a la qualité de salarié, elles ne donnent pas droit à une indemnisation.
En droit des affaires, on peut retrouver des clauses de non-concurrence dans les relations d’un commerçant avec l’un de ses anciens salariés.
Dans ce cas-là, le salarié peut être soumis à une obligation de ne pas créer un fonds de commerce concurrent (dans les limites traditionnelles étudiées précédemment).
Dans un arrêt du 31 octobre 2012 (n°11-16.945) :
« La nullité de la clause de non-concurrence ne fait pas obstacle à l’action en responsabilité engagée par l’employeur contre son ancien salarié, en raison d’actes de concurrence déloyale de ce dernier lui portant préjudice ».
S’il n’est pas poursuivi sur le fondement d’une clause de concurrence nulle, l’ancien salarié doit faire attention à ne pas être poursuivi pour concurrence déloyale (sous réserve de la preuve de la faute + du préjudice + du lien de causalité).
On peut avoir une clause de non-concurrence qui lie 2 commerçants : le cédant du fonds de commerce à son cessionnaire qui va reprendre le fonds de commerce.
En effet, l’acte de cession contient généralement une clause de non-concurrence par laquelle le cédant s’interdit de concurrence l’acquéreur ; on parle d’obligation de non-rétablissement.
En droit civil, on parle aussi de garantie d’éviction.
De la même manière, dans le contrat de location-gérance, il peut y avoir stipulées des clauses ou des obligations de non-concurrence à la charge du locataire ou du propriétaire.
Ces clauses permettent notamment d’interdire au propriétaire (= le loueur) de concurrencer le fonds mis en location-gérance.
Elles peuvent fonctionner dans les 2 sens : une clause peut prendre effet à la rupture du contrat de location-gérance, permettant d’interdire le rétablissement du locataire-gérant à proximité du fonds exploité après la rupture.
On peut aussi trouver cette clause dans le contrat liant le bailleur d’un immeuble à l’exploitant du fonds : le contrat de bail peut prévoir une clause imposant au bailleur de ne pas louer un local dans le même immeuble à un concurrent.
C’est aussi une forme d’obligation de non-concurrence.
Le Code de commerce ne contient que 3 articles sur les clauses d’exclusivité.
On a vu que les articles L330-1 et L330-2 du Code de commerce limitent ces clauses à une durée de 10 ans.
L’article L330-3, quant à lui, traite de l’obligation précontractuelle d’information dans les contrats de distribution exclusive.
C’est la loi Doubin du 31 décembre 1989 qui a obligé la fourniture d’une information précontractuelle dans les contrats de distribution exclusive, qui permette de s’engager en connaissance de cause.
On appelle ce document le DIP : document d’information précontractuelle.
C’est parce qu’il y a une exclusivité que l’on oblige à cette information précontractuelle.
L’article L330-3 justifie l’obligation précontractuelle d’information par le fait que le contrat « est conclu dans l’intérêt commun des 2 parties ».
Cette formule doit être mise en relation avec le mandat d’intérêt commun, qui est une théorie développée par la jurisprudence à la fin du 19ème siècle suivant l’idée que, parce que le mandataire a participé au développement et à l’essor de l’entreprise commune, il devrait être indemnisé.
En 2002, la Cour de cassation affirme que les règles concernant l’intérêt commun sont uniquement applicables au mandat d’intérêt commun et ne répond donc pas à la question posée par la loi Doubin : les distributeurs ne participent-ils pas à un intérêt commun (l’essor du réseau) ?