Chapitre 11 : Le cession du fonds de commerce (et l’apport en société du fonds de commerce)

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Les règles législatives relatives à la vente du fonds de commerce se trouvent aux articles L141-2 et suivants du Code de commerce.

On peut imaginer qu’un commerçant soit amené à vendre son fonds de commerce.
Un contrat est alors passé entre un cédant et un cessionnaire.

On parle d’apport en société lorsque les associés fondateurs apportent des sommes d’argent, des biens ou leur industrie (= leurs compétences professionnelles) à la société qu’ils fondent.
Apporter à la société un fonds de commerce, c’est réaliser un apport en nature.

Par ailleurs, cet apport peut se faire en accordant plusieurs types de droits à la société.
Par exemple, il est possible de faire un apport en jouissance : la société jouit de la chose, comme un bailleur le fait à l’égard de son preneur.
On peut faire un apport en usufruit (c’est admis par la pratique).
On peut aussi faire un apport en pleine propriété → la société acquiert le bien (on ne transfère plus un droit personnel, mais un droit réel).

Le législateur assimile la cession d’un fonds de commerce à l’apport à un fonds de commerce, puisque dans les 2 cas, il y a un transfert de propriété.

Cela est important, parce qu’en pratique on peut imaginer qu’un commerçant exerce son activité à titre individuel sous forme sociétale, puis décide de créer une société quelques années plus tard, en apportant son fonds de commerce à la société nouvellement créée.

La loi de 2022 sur l’entrepreneur individuel organise notamment le transfert universel du patrimoine professionnel, désormais prévu aux articles L526-27 et suivants du Code de commerce.
Comme il peut s’agir de biens, on peut imaginer que le transfert universel du patrimoine professionnel contienne un fonds de commerce, mais pas seulement.

§ 1. Les conditions de validité de la cession

A – Conditions de fond

1) Le respect des conditions traditionnelles de validité

Comme tout acte / tout contrat, la cession doit respecter les conditions de validité exigées pour tout contrat ; en particulier, celles fixées par l’article 1128 du Code civil.

Sur la capacité, le vendeur doit avoir la capacité de céder le fonds de commerce.
Par exemple :
> Si c’est un bien qui appartient à un mineur sous tutelle, il faudrait l’autorisation du juge pour cet acte de disposition.
> S’il appartient à un majeur sous tutelle ou sous curatelle, il faut l’autorisation du tuteur / du curateur.

Sur le consentement, on retrouve la jurisprudence traditionnelle du droit des contrats : on s’assure qu’il n’y a pas de vice du consentement.

Civ. 1, 14 avril 2010, 08-20.386 :
Acte de cession d’un fonds de commerce de café-hôtel-restaurant.
Dans l’acte de cession, il est précisé qu’à la connaissance des vendeurs les locaux sont conformes aux normes en vigueur.
Après la cession, une commission de sécurité émet un avis défavorable à l’exploitation du café-hôtel-restaurant, en raison de l’absence de contrôle des installations électriques et de non-conformités aux règles d’hygiène et de sécurité.
Assignation des vendeurs par les acheteurs, qui réclament le paiement de dommages-intérêts pour dol.
La Cour de cassation censure la cour d’appel, au visa de l’ex article 1116 du Code civil (actuel 1137, qui fonde le dol) : les vendeurs avaient eu des pratiques mensongères, caractérisant le dol.

2) L’instauration d’un délai permettant aux salariés du fonds de commerce de présenter une offre en cas de cession du fonds de commerce

Ce dispositif se trouve dans le Code de commerce :

  • pour les entreprises de moins de 50 salariés : aux articles L141-23 et suivants ;
  • pour les entreprises de 50 à 249 salariés : aux articles L141-28 et suivants.
    💡 50 employés est le seuil requis pour la création d’un comité d’entreprise.

Pour les entreprises de moins de 50 salariés, lorsque le propriétaire du fonds de commerce veut le céder, les salariés en sont informés au plus tard 2 mois avant la cession.
⚠️ Ce délai ne vaut que pour les entreprises de moins de 50 salariés ; pour les autres, c’est différent, parce qu’il y a un comité d’entreprise.

Cette obligation légale d’information permet à 1 ou plusieurs salariés de l’entreprise de présenter une offre pour l’acquisition du fonds.
Si personne ne se déclare intéressé, la cession du fonds pourra intervenir très rapidement.

La méconnaissance de cette obligation légale fait que la cession peut être annulée.
La cession peut être annulée sur demande de tout salarié du fonds.
Cette action en nullité se prescrit par 2 mois à compter de la date de publication de l’avis de cession du fonds.

Il y a des exceptions à cette obligation légale, notamment si la cession du fonds se fait au bénéfice d’un conjoint, d’un ascendant ou descendant.

B – Conditions de forme

Depuis la loi du 29 juin 1935, le législateur exigeait des mentions obligatoires qui devaient figurer dans l’acte de cession du fonds de commerce.
Ces mentions obligatoires ont ensuite été codifiées à l’article L141-1 du Code de commerce.

Cette disposition a été abrogée par la loi SOILIHI du 19 juillet 2019, qui a notamment simplifié le régime de la cession du fonds de commerce en abrogeant la liste des mentions obligatoires.

L’article L141-1 prévoyait par exemple que, si le bail est cédé en même temps que le fonds de commerce, alors il y avait une information sur  » Le bail, sa date, sa durée, le nom et l’adresse du bailleur et du cédant ».

Ce n’est pas parce que la loi est venue abroger ces dispositions en 2019 que le cessionnaire en pratique ne va pas s’informer et demander ces mêmes informations.
Le défaut d’information est aussi inscrit au nouvel article 1112-1 du Code civil (prof : « retour au droit commun »), qui pose une obligation précontractuelle d’information.

→ Abrogation du droit spécial, mais recours au droit commun.

Avant son abrogation, l’article L141-1 contenait aussi un II-, qui prévoyait une action en nullité relative au bénéfice de l’acquéreur.

L’abrogation de cet article a valu tant pour la cession du fonds de commerce que pour un acte de d’apport en société d’un fonds de commerce : le texte s’appliquait aussi à « l’apport en société d’un fonds de commerce, sauf si l’apport est fait à une société détenue en totalité par le vendeur ».

Il fallait donc informer, par des mentions obligatoires, le cessionnaire en cas d’apport, sauf société unipersonnelle.

La loi Sapin 2 du 9 décembre 2016 avait déjà considéré que ces mentions n’étaient pas obligatoires si le fonds était apporté à une société détenue en totalité par le vendeur (par exemple, EURL).

C – Conditions de publicité

Lors de la cession du fonds de commerce, des formalités de publicité doivent être remplies et sont envisagées par le Code de commerce à l’article L141-12.

La publicité doit être faite dans la quinzaine de la date de la cession, sur un support habilité à recevoir des annonces légales dans le département dans lequel le fonds est exploité + au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (BODACC).
Le texte précise que c’est à la diligence de l’acquéreur.

Le “support habilité à recevoir des annonces légales” (SHAL) désigne non seulement la presse imprimée, mais aussi les services de presse en ligne, qui peuvent publier une annonce locale depuis la loi PACTE du 22 mai 2019.

Le lieu de la publication est précisé : « dans le département dans lequel le fonds est exploité ».
Si le fonds de commerce cédé comprend des succursales / des établissements, la publication se fait au lieu du siège.

§ 2. Les effets de la cession

A – À l’égard du cédant

En tant que cédant, je dois mettre mon fonds de commerce à la disposition du cessionnaire.
Il s’agit de l’obligation de délivrance qui incombe à tout vendeur.

Le Code civil contient des obligations qui s’appliquent à tout vendeur dans un contrat de vente.
Il y a notamment la garantie d’éviction, qui est une garantie légale qui assure à l’acheteur ou au locataire la possession paisible du bien vendu ou loué.
En cas d’éviction, l’acquéreur est évincé de la jouissance paisible de la chose qu’il vient d’acquérir → le vendeur ou le propriétaire doit indemniser l’acheteur ou le locataire.

Cette garantie d’éviction est d’ordre public (article 1628 du Code civil).

Qu’en est-il en cas de cession d’un fonds de commerce ?
Com., 14 avril 1992, SARL Café de l’équipe c/ SA Janiprix :
Pour la Cour de cassation, « le vendeur d’un fonds de commerce a l’obligation de s’abstenir de tout acte de nature à détourner la clientèle du fonds cédé ».

Parfois, le cédant du fonds de commerce est soumis à une clause de non-concurrence, qui précise que pendant X temps il s’interdit de concurrencer le cessionnaire. Si la clause de non-concurrence prend fin, peut-il venir créer une activité concurrence et capter la clientèle du fonds cédé ?
En réalité, « dans le cas où les parties ont stipulé que le vendeur ne pourrait se rétablir dans une activité déterminée pendant un certain délai, l’expiration de ce délai n’a pas pour effet de le libérer de l’obligation légale de garantie de son fait personnel, qui est d’ordre public ».
Ainsi, peu importe la garantie conventionnelle contre l’éviction, la garantie légale contre l’éviction (qui est d’ordre public) peut prendre le relai.

Com., 16 janvier 2001, n°98-21.145 :
La Cour de cassation considère que cette obligation de garantie perdure au-delà de l’expiration d’une clause de non concurrence, car elle est d’ordre public.

L’analyse actuelle résulte de l’arrêt :
Com., 10 novembre 2021, n°21-11.975 :
Ce n’est pas un arrêt qui traite de la cession du fonds de commerce ; il traite de la cession de titres de société. Étaient en cause les associés fondateurs d’une nouvelle société concurrente de la société à laquelle ils appartenaient jusqu’alors et au sein de laquelle ils avaient cédé des titres.
Il y a un pourvoi des 2 anciens associés, qui soutiennent qu’on ne peut pas les empêcher de créer une nouvelle société et qu’il y a là une atteinte à la liberté d’entreprendre du cédant de part sociale.

Dans cet arrêt de censure, sont visés par la Cour de cassation :
> les principes du commerce et de l’industrie ;
> le principe de la liberté d’entreprendre ;
> l’article 1626 du Code civil (qui porte sur la garantie d’éviction).
Elle estime que, si la liberté du commerce et de la liberté d’entreprendre peuvent être restreintes par l’effet de la garantie d’éviction à laquelle le vendeur de droits sociaux est tenu envers l’acquéreur, c’est à la condition que l’interdiction pour le vendeur de se rétablir soit proportionnée aux intérêts légitimes à protéger.
Elle va plus loin, en reprochant aux juges de ne pas avoir fait leur travail : ils auraient dû rechercher concrètement, “au regard de l’activité de la société dont les parts avaient été cédées et du marché concerné, si l’interdiction de se rétablir se justifiait encore au moment des faits reprochés ».

→ La garantie d’éviction n’est pas éternelle.

B – À l’égard du cessionnaire

L’obligation qui pèse sur le cessionnaire acquéreur du fonds de commerce est simple : payer le prix.

Pour garantir au vendeur le paiement du prix, 2 types de garanties lui sont accordées :

  1. Le privilège accordé au cédant ;
  1. La résolution de l’acte de cession du fonds de commerce lui-même.

1) Le privilège accordé au cédant du fonds de commerce

Le privilège du vendeur du fonds de commerce – Open Lefebvre Dalloz
Lorsque le prix n’est pas payé comptant, le vendeur possède un privilège sur le fonds de commerce vendu. Ce privilège ne joue que si la vente du fonds est constatée par un acte authentique ou sous signature privée, dûment enregistré.Dans les rapports entre le vendeur et l’acquéreur du fonds de
https://open.lefebvre-dalloz.fr/droit-affaires/fonds-commerce/privilege-vendeur-fonds-commerce_a93185

Il y a, dans le Code de commerce, une section intitulée Du privilège du vendeur, qui contient les articles L141-5 à L141-22.

L’article L141-5 alinéa 1er a fait l’objet d’une modification au 1er janvier 2023.
Il dispose désormais que « Le privilège du vendeur d’un fonds de commerce n’a lieu que si la vente a été constatée par un acte authentique ou sous seing privé, dûment enregistré. »

L’enregistrement et la publicité ont pour conséquence l’opposabilité aux tiers.
L’article L141-6 en déduit que le privilège du vendeur est opposable au tiers par la publicité qui en est faite, notamment par l’inscription dans un registre.

Par ailleurs, le cédant du fonds de commerce se défait d’un élément de son patrimoine.
Dès lors, ses créanciers peuvent avoir intérêt à se manifester.

Le législateur a envisagé, à partir de la publicité, la faculté qu’ont les tiers (par exemple, les créanciers du cédant) d’intervenir.
Procédure d’opposition des créanciers du cédant du fonds de commerce.

Pour garantir le paiement du prix du fondement du fonds de commerce, le législateur a accordé au vendeur un privilège.
Ce privilège du vendeur lui confère un droit de préférence et un droit de suite.

  • Un droit de préférence sur les autres créanciers.
    Le texte de référence en la matière est l’article L141-6 du Code de commerce : “le privilège du vendeur prime toute exception…”.
  • Un droit de suite : il peut exercer son privilège à l’encontre du sous-acquéreur du fonds.
    La particularité de ce privilège est que le vendeur peut faire vendre le fonds quel qu’en soit le propriétaire, même si l’acquéreur l’a lui-même revendu.

2) La résolution de l’acte de cession du fonds de commerce lui-même

Le cédant peut, conformément au droit commun, demander en justice la résolution de la vente.

Le droit spécial correspondant se trouve à l’article L141-6 al 2 du Code de commerce.
Cet article vient viser l’action résolutoire qui peut être engagée par le cédant du fonds de commerce, mais il ne s’agit en vérité que d’une application spéciale du droit commun.

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